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Jours tranquilles à Paris
13 août 2019

La crise s’enlise à Hongkong, Pékin change de stratégie

Par Frédéric Lemaître, Hongkong, envoyé spécial

La Chine qui a longtemps minimisé l’ampleur de la contestation n’hésite plus dorénavant à qualifier les manifestants de « terroristes ».

Hongkong est en train de virer au cauchemar pour Xi Jinping. Le président chinois qui fait de l’ordre et de la stabilité ses vertus cardinales voit son autorité remise en cause par des manifestants qui, jour après jour depuis deux mois expliquent que « Hongkong n’est pas la Chine ». L’occupation de l’aéroport international, lundi 12 août, – une opération qui pourrait se répéter mardi 13 août – a touché une corde sensible. Impossible désormais de prétendre que les événements de Hongkong ne constituent qu’une affaire intérieure chinoise.

Alors que les face à face entre la police de Hongkong et les manifestants sont de plus en plus violents, l’étau de Pékin se resserre sur le territoire. Lundi, la rhétorique chinoise est encore montée d’un cran. Le Bureau des affaires de Hongkong et Macao à Pékin a qualifié de « germes de terrorisme » les récents événements survenus dans cette ville, notamment les manifestations organisées durant le week-end, contre l’emprise de la Chine sur cette région autonome spéciale.

« Enchaînement d’avertissements »

Pékin qui, durant plusieurs semaines, a minimisé l’ampleur de la contestation apparue le 9 juin, a totalement changé de stratégie. Le terme de « terroristes » a été prononcé à trois reprises, lundi, au cours du journal télévisé de la chaîne CCTV. Pas un mot en revanche sur la fermeture de l’aéroport. Sur les réseaux sociaux, le hashtag Hongkong, longtemps censuré, est aujourd’hui l’un des plus utilisés. La tonalité des messages : Hongkong, c’est la Chine. Haro sur les manifestants !

De son côté, le quotidien nationaliste chinois Global Times a diffusé lundi une vidéo montrant des manœuvres de la police armée chinoise effectuant « apparemment des exercices à grande échelle » à Shenzhen, aux portes de Hongkong. C’est la troisième vidéo de ce type en douze jours. Toujours possible, une intervention directe de l’armée ou de la police chinoise à Hongkong n’est pourtant pas l’hypothèse privilégiée par le président Xi Jinping. La stratégie de Pékin a été définie par un éditorial du Quotidien du peuple, l’organe du Parti communiste chinois le lundi 5 août, jour même de la grève générale organisée à Hongkong, la première depuis la rétrocession de l’île de 7,4 millions d’habitants du Royaume-Uni à la Chine en 1997.

Cet éditorial établissait la distinction entre des « extrémistes violents » qui auraient utilisé le projet de loi d’extradition vers la Chine comme prétexte pour atteindre d’« autres objectifs », – saper la souveraineté chinoise notamment – et la vaste majorité des Hongkongais appelés à s’unir contre eux. Le lendemain Carrie Lam, cheffe de l’exécutif local désignée par Pékin reprenait cette thématique et le mercredi 7 août, Zhang Xiaoming, le chef du bureau des affaires de Hongkong et Macao à Pékin la détaillait devant 500 responsables économiques et politiques chinois et hongkongais réunis à Shenzhen.

Ces responsables sont sommés par Pékin de soutenir Mme Lam sans réserve et même si les forces chinoises sont prêtes à intervenir à la demande des autorités de Hongkong, c’est à celles-ci de rétablir l’ordre par tous les moyens. « Pékin nous a donné son feu vert pour que la police soit plus dure », nous expliquait Regina Ip, une des leaders politiques pro-Pékin, vendredi en fin de journée. Alors que la population de Hongkong est majoritairement choquée par les violences policières, la police n’a pas hésité, lundi 12 août, à exhiber sa nouvelle acquisition : des camions Mercedes flambant neuf équipés de puissants canons à eau (d’ailleurs installés par une entreprise française). Les manifestants savent à quoi s’en tenir.

« Cet enchaînement d’avertissements est typique de la manière dont les autorités chinoises fonctionnent. Un document fait autorité, toutes les organisations doivent ensuite appliquer l’état d’esprit qu’il a diffusé. C’est une ligne dure qui est adoptée, avec le refus de toutes les cinq demandes des manifestants. Cela va se traduire par l’emploi des forces de l’ordre de Hongkong, le soutien des “forces patriotiques”, c’est-à-dire le ralliement de toutes sortes de personnalités ou d’individus cooptés par la Chine et dépendant d’elles, des stars de cinéma aux hommes d’affaires, puis le recours à des inculpations très dures par le parquet sur ordre du département de la justice », analyse Sebastian Veg, professeur de l’histoire intellectuelle de la Chine au XXe siècle à l’EHESS. Au cours de cette réunion, Zhang Xiaoming avait également qualifié les événements de Hongkong de « révolution de couleur », c’est-à-dire dans l’esprit des dirigeants communistes fomentées par l’Occident ou par les églises chrétiennes.

Un soutien croissant aux manifestants

Dans la droite ligne de ce discours, plusieurs entreprises de Hongkong ont subi les foudres de Pékin. Le cas le plus spectaculaire est celui de la compagnie aérienne Cathay Pacific puisque la Chine exige d’elle les listings de son personnel qui a fait grève le 5 août et entend interdire à ces salariés d’entrer en Chine voire de survoler son territoire. Au lendemain de la grève, le directeur général de Cathay disait respecter les convictions de ses salariés. Lundi, changement complet d’attitude : les personnels qui « soutiennent ou participent à des protestations illégales » feront face à des mesures disciplinaires « qui pourraient inclure la fin de leur contrat ». Cathay Pacific réalise environ la moitié de son chiffre d’affaires avec la Chine et Air China détient 30 % de son capital. Mais Cathay n’est pas la seule entreprise dans le collimateur.

Samedi 10 août, le responsable du Global Times s’en était pris à la direction d’un important centre commercial de Hongkong, le Harbour City, dont la direction avait laissé à deux reprises des manifestants s’emparer du drapeau chinois. De plus, celle-ci avait collé sur ses portes une affiche demandant à la police d’éviter d’intervenir dans le centre commercial. Message reçu : Dimanche soir, Peter Woo, le tycoon de 73 ans, propriétaire du centre, dénonçait les manifestants et faisait remarquer que « l’acte de violence illégal et l’intimidation contre des civils à des fins politiques correspondent, selon certains, à la définition du terrorisme du dictionnaire d’Oxford ». Rien ne dit que cette rhétorique produise ses effets. Selon des enquêtes menées au cours de chaque manifestation depuis le 9 juin par des universitaires de Hongkong, le soutien des manifestants à la minorité d’activistes violents croît régulièrement – jusqu’à atteindre 95,9 % le 4 août – car les manifestants font porter la responsabilité de la violence à l’exécutif local et à Pékin.

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