Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
4 septembre 2019

Entretien « Quand ces œuvres disparaissent, il y a un sentiment de perte collectif »

banksy33

Par Emmanuelle Jardonnet

Le galeriste Baptiste Ozenne revient sur le vol d’une création de Banksy près du Centre Pompidou, constaté mardi.

Le galeriste Baptiste Ozenne avait été le premier à apposer des plaques de plexiglas sur les pochoirs disséminés par le street-artiste britannique Banksy dans Paris, en juin 2018. Ce collectionneur et marchand spécialisé dans le graffiti et le street art réagit au vol, constaté mardi 3 septembre, de l’œuvre de Banksy peinte à l’arrière d’un panneau de signalisation du Centre Pompidou.

Etes-vous surpris par ce nouveau vol parisien ?

Oui et non. Il y avait déjà eu une première tentative de vol l’été dernier, la plaque de plexi posée par le Centre Pompidou avait été arrachée. Je me doutais que l’œuvre n’allait pas tenir un nouvel été. Ce vol intervient quelques jours à peine après la disparition de la fresque anti-Brexit que Banksy avait peinte en 2017 à Douvres, en Angleterre. Les voleurs ont pu se dire qu’il fallait se dépêcher avant que quelqu’un d’autre ne mette la main dessus.

Il y a de la concurrence, d’autant qu’il existe un marché d’œuvres de Banksy prélevées dans la rue : certains galeristes se spécialisent dans l’achat aux propriétaires des murs, et revendent, à 200 000, 400 000, 600 000 euros… On m’a récemment proposé à la vente le pochoir fait en décembre par Banksy dans une ville industrielle du Pays de Galles, où il dénonçait la pollution de l’air par une usine sidérurgique. Un marchand l’a acheté aux propriétaires du mur et le revend 500 000 euros.

Pour les vols, les ventes sont plus complexes. Cette œuvre n’a pas de propriétaire, et je suppose que pour des questions de prescription, elle va disparaître pendant une dizaine d’années avant d’être vendue.

Que reste-t-il de l’opération parisienne de Banksy, qui date d’il y a un peu plus d’un an ?

Les œuvres réalisées sur les murs sont plus difficiles à voler, mais sont facilement dégradables. Il reste le beau détournement du Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard dans le 19e arrondissement. Je l’avais protégé avec du plexiglas, comme l’un des rats en hommage à Mai 68, du côté de Notre-Dame. Le rat qui saute avec un bouchon de champagne à Montmartre a lui aussi survécu, mais le pochoir situé près de la Sorbonne a disparu. Celui des petits rats en habits d’époque près de la tour Eiffel et celui de la porte de La Chapelle ont également été recouverts. Celui du Bataclan a été volé…

Il y a ceux qui volent pour faire du business, et les rageux, qui graffent dessus car ils estiment que ce n’est pas ça le graffiti, ou que l’aspect éphémère des œuvres réalisées dans la rue est le processus normal des choses. Pourtant, la protection des œuvres existe : certains artistes évitent les supports qui peuvent être volés, et même sur les murs, Invader, par exemple, rend l’arrachage de ses mosaïques difficiles, voire impossible, sans les détruire. Et afin que les vols aient le moins de valeur possible, il crée aussi des doubles achetables en galerie. Avec Banksy, la tentation est très forte, vu les prix de ses œuvres, et le fait qu’il s’agit de créations in situ uniques.

Quand Banksy peint ses pochoirs dans la rue, il sait que leur statut est fragile et éphémère. Faut-il les protéger malgré tout ?

Quand il est intervenu à Paris, je savais très bien que ça se passerait comme ça, je connais le jeu. C’est pour ça que j’avais eu le réflexe d’aller acheter des plaques de plexi pour protéger six des œuvres. J’avais peur pour celui du Bataclan, je leur avais écrit pour leur conseiller de déplacer la porte avec l’hommage aux victimes à l’intérieur. Ils l’ont protégé d’une vitre solide contre le vandalisme, mais ça n’a pas suffi contre le vol. Quand ces œuvres disparaissent, il y a un sentiment de perte collectif. Certaines interventions d’artistes dans la rue, celles de Banksy en particulier, deviennent iconiques. Elles marquent l’histoire d’un lieu, et deviennent du patrimoine culturel, des monuments en soi, que certaines personnes viennent voir de loin. Donc oui, on peut envisager de les protéger, comme aujourd’hui on restaure des fresques de Keith Haring.

Certains artistes intervenus sur des murs brillent par leur puissance, à nous de protéger leur travail à temps. Quand Banksy sera mort, les villes qui auront su garder ses œuvres seront riches de cette histoire. C’est dommage que ce soit les gens qui les volent qui reconnaissent leur valeur. Les pochoirs du Centre Pompidou et du Bataclan auraient pu être mieux protégés. J’espère que les gens commencent à comprendre qu’il faut prendre les devants. Là, on a bien vu que ça arrive à chaque fois, ce n’est pas une option. Dès que les peintures sont sur un support amovible, il faut les mettre à l’abri. Pour les murs, il n’y a rien d’autre à faire que le plexi. Je pense que le Napoléon à cheval est convoité, mais le propriétaire du mur n’est pas un privé, c’est un logement social. A Londres, la protection des Banksy est entrée dans les mœurs : ils sont systématiquement protégés par des vitres, parfois blindées, depuis dix ou quinze ans, et ça marche.

Publicité
Commentaires
Publicité