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Jours tranquilles à Paris
24 septembre 2019

"Le “temps de cerveau disponible” des responsables politiques est occupé non par le climat, mais par la peur de la récession"

Par Dipak Dasgupta, Economiste, Jean-Charles Hourcade, Economiste

Les économistes du climat Dipak Dasgupta et Jean-Charles Hourcade plaident, dans une tribune au « Monde », pour la création d’un fonds mondial de garantie publique des investissements dans les projets bas carbone, afin de débloquer l’épargne en faveur de la transition énergétique

Dans un contexte d’augmentation des investissements en énergies fossiles et de rejet de l’accord de Paris par les Etats-Unis, l’Australie et le Brésil, le sommet Action climat, qui se tient aux Nations unies (ONU) lundi 23 septembre, risque d’être décevant et de renforcer le camp des sceptiques.

Ce risque résulte du fait que le « temps de cerveau disponible » des responsables politiques est occupé non par le climat, mais par la peur de la récession. On ne peut le conjurer qu’en faisant des politiques climatiques une alternative crédible à la tentation de relancer les économies par une création monétaire généreuse, par des baisses d’impôt sur les profits des entreprises et par diverses formes de protectionnisme.

Succomber à cette tentation ne ferait que renforcer la combinaison délétère entre une épargne surabondante et un manque d’investissement productif. Elle est l’effet d’un impératif exportateur qui a fini par déprimer la demande finale par le biais de la pression sur les salaires, d’un sous-investissement en infrastructures, de la frilosité d’entreprises soumises à la « dictature » de la valeur de l’action, et d’un affaiblissement de la protection sociale qui pousse à épargner.

Réduire les risques

Injecter des liquidités et baisser la fiscalité sur les profits sans corriger ces trois paramètres revient à faciliter le repli des épargnants vers l’immobilier et les produits spéculatifs et à encourager les stratégies de rachat de leurs actions par les entreprises, surtout en cas de turbulences créées par des jeux de mesures et contre-mesures protectionnistes. Cela revient à attendre la prochaine explosion des bulles spéculatives, qui retombera en définitive sur les comptes publics.

Or, les politiques climatiques ont tous les atouts pour éviter cette impasse : elles indiquent aux acteurs financiers où investir ; elles réaniment les marchés intérieurs dans des secteurs (énergie, transports, habitat) à grand pouvoir d’entraînement ; elles réduisent les fractures sociales ; elles amorcent des stratégies de développement endogènes et évitent ainsi les dangers de surenchères protectionnistes.

La clé est de réduire le risque des investissements bas carbone à travers des garanties d’Etat qui ne retombent sur le contribuable qu’en cas d’échec des projets et aggravent bien moins les déficits publics qu’une subvention. Cette clé peut libérer l’épargne des pays riches à démographie déclinante, alors que deux tiers des investissements doivent se faire dans des pays où l’épargne est soit insuffisante, soit placée en partie dans les pays riches pour des raisons de sécurité.

Pour ce faire, un groupe de pays du Nord devrait s’engager sur des montants de garanties publiques d’investissements bas carbone dans des pays du Sud, au sein d’une coalition réunie autour de règles communes :

N’aider que des projets conformes aux contributions nationales que les pays bénéficiaires ont déclaré à la convention climat ;

Faire sélectionner les projets par des autorités indépendantes selon des principes d’évaluation transparents ;

Calculer le montant des garanties sur la base d’une même valeur de la tonne d’émission évitée, valeur déterminée par l’objectif 2 °C et les bénéfices tirés de la réduction des émissions sur le plan du développement économique.

Mieux utiliser « l’argent des riches »

Les discussions sur une telle architecture peuvent s’ouvrir sans retard. Tout se jouera sur sa crédibilité, indispensable pour mobiliser des capitaux privés, encourager les coopérations entre banques de développement, renforcer le Fonds vert pour le climat et faire émerger des actifs bas carbone suffisamment sûrs pour être inclus à terme comme des réserves dans le calcul des ratios prudentiels des institutions financières. Une telle architecture pourrait alors aussi intégrer les producteurs d’énergies fossiles, puisqu’ils pourraient renoncer aux gisements non exploités pour réinvestir leurs rentes dans les équipements bas carbone.

Avec un effet levier de fonds publics sur le volume de projets similaire à celui du plan Juncker, 4 à 16 milliards d’euros par an de provisions de garanties pendant une première période de cinq ans (26 à 60 milliards en moyenne sur vingt ans) permettraient de combler le déficit de financement de la transition bas carbone dans les pays en développement, par le biais de l’apport de capitaux privés et les baisses de taux d’intérêt. Quant aux pays garants, ils amélioreraient leurs comptes publics par les revenus fiscaux de nos exportations dès que celles-ci atteindraient plus de 4 % de la valeur des projets (« A Climate Finance Initiative », Dipak Dasgupta, Jean-Charles Hourcade, Seyni Nafo, rapport au ministre de l’écologie et de la transition solidaire, avril 2019).

L’Europe pourrait s’unir autour d’une telle perspective et l’utiliser en interne comme relance budgétaire pour concrétiser les promesses de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, sur la neutralité carbone, ou celle de la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, d’intégrer « le changement climatique au sein des objectifs de la BCE ». L’Allemagne pourra la partager parce qu’une garantie n’est un pas un prêt et n’engendre pas mécaniquement une dette : elle est un engagement sous condition, et la création de liquidité à laquelle elle conduit est assise sur la création d’une richesse tangible.

Asservir ce que Keynes appelait « les esprits animaux de la finance » à la bataille pour le climat, c’est mieux utiliser « l’argent des riches » tant que le monde n’a pas retrouvé les voies d’un modèle de croissance inclusif pour faire reculer la récession qui menace, enclencher une réforme systémique d’une mondialisation en crise et, enfin, faire la preuve, contre les sceptiques, des gains réciproques de la coopération.

Dipak Dasgupta est membre du panel du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ancien membre de la direction du comité d’investissement du Fonds vert, ancien conseiller principal climat au ministère indien des finances.

Jean-Charles Hourcade est directeur de recherche au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired), membre du panel du GIEC.

Les auteurs précisent que ces réflexions n’engagent pas le GIEC.

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