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Jours tranquilles à Paris
28 septembre 2019

Dadaïstes et rebelles, c’était comme ça les Rita Mitsouko

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Par Stéphane Davet

Douze ans après le décès de Fred Chichin, Catherine Ringer reprend leur répertoire sur scène. Et les personnalités qui ont travaillé avec ce couple loufoque sont encore sous le charme.

L’univers musical et visuel unique des Rita Mitsouko devait autant à la singularité du duo Catherine Ringer-Fred Chichin qu’à la force d’attraction de ces derniers et à l’effervescence d’une époque. Musiciens, producteurs, photographes, réalisateurs, stylistes parmi les plus marquants des années 1980 et 1990 ont gravité autour de la planète Rita et participé à son expansion.

Si Catherine Ringer revisite aujourd’hui le répertoire des Rita Mitsouko à la Philharmonie de Paris et lors d’une nouvelle tournée, si elle a activement participé à la réédition de l’intégrale discographique du groupe, la chanteuse refuse encore de replonger dans ses souvenirs avec les journalistes. Ce n’est pas le cas des créateurs qui ont accompagné cette aventure, toujours sous le choc de cette rencontre.

« Je les ai vus une première fois dans une petite salle, au tout début des années 1980, avant le succès de Marcia Baila », se souvient le couturier Jean Paul Gaultier, complice des débuts, qui prête à Catherine Ringer plusieurs vêtements pour la tournée. « J’avais été saisi par un style ne ressemblant à rien de ce qui se faisait à l’époque. Les vocalises extrêmes de Catherine, sa gestuelle déstructurée, leur look… J’avais aussi été frappé par leur détermination, leur énergie, la fraîcheur de leur créativité. »

Un art fantasque du bricolage

A une époque où commençait de s’inventer une nouvelle pop française, le duo se distinguait par les profils atypiques d’enfants de la bohème et de la fugue, ayant fréquenté l’avant-garde théâtrale, la danse contemporaine, la scène punk, les comédies musicales, les marges et les interdits – la prison pour lui, les films X pour elle–, avant de condenser ces expériences avec un art fantasque du bricolage. Partageant le même goût pour l’insolence, le décalage et les contrastes, la diva à la gouaille cubiste et le dandy dégingandé aux airs de marlou se font d’abord remarquer de quelques initiés par leurs performances scéniques.

« NOUS PARTAGIONS CETTE IDÉE QUE LA BEAUTÉ N’EST PAS TOUJOURS LÀ OÙ ON PENSE. » JEAN PAUL GAULTIER, COUTURIER

Leur premier EP – Don’t Forget the Night (1981) – reste confidentiel, comme l’est un temps leur premier album, Rita Mitsouko (1984), publié par Virgin. Jusqu’à ce que l’ode funèbre chatoyante de Marcia Baila n’envahisse les ondes et qu’un clip fondateur révèle l’univers excentrique du couple. « On sentait que l’image était aussi importante pour eux que la musique », insiste Philippe Gautier, réalisateur de ce premier clip avant de devenir l’un des vidéastes les plus demandés des années 1980 et 1990 (Etienne Daho, Eurythmics, Khaled…).

Construit autour de références aux ambiances colorées des fêtes des morts mexicaines, cet hommage à la chorégraphe argentine Marcia Moretto mobilisera un casting de peintres (Ricardo Mosner, Xavier Veilhan, mais aussi Sam Ringer, le père de Catherine…), de compagnies de danse, de performeurs à l’invraisemblable garde-robe. « Nous étions allés avec Fred et Catherine chercher des costumes dans un immense entrepôt de la Société française de production », se souvient celui qui réalisera aussi la vidéo d’Andy et le tout dernier clip du groupe, Même si. Pour Marcia Baila, Ringer récupère aussi une des premières robes-bustiers de Jean Paul Gautier. « J’ai adoré quand j’ai vu qu’elle improvisait une chorégraphie déglinguée dans cette robe blanche avec laquelle il était impossible de marcher », rappelle le couturier.

Incarnation, comme les Rita, des années Mitterrand, l’« enfant terrible de la mode » s’identifiait à ces rebelles de la pop. « Nous avions en commun le sens du recyclage, contraints au départ par des raisons économiques. Ils s’habillaient dans des fripes, Catherine détournait des sacs de l’enseigne Félix Potin… Nous partagions cette idée que la beauté n’est pas toujours là où on pense. »

« Une liberté unique »

Photographe et vidéaste-clé de l’esthétique pop-rock (Madonna, Björk, Prince, Bowie), Jean-Baptiste Mondino a réalisé les clips de C’est comme ça et Les Amants. « Catherine possède une liberté unique. Elle doit autant à la gouaille punk qu’au kabuki, au burlesque d’Henri Salvador qu’à la force émotionnelle de Piaf, dit-il. C’est une bestiole, à la fois gracieuse et disgracieuse. A une époque où les femmes fortes étaient rares dans le milieu rock, elle a contribué, avant Björk, à nous faire changer de regard sur la créativité féminine, trop souvent qualifiée d’hystérie. »

Egalement musicien, Mondino admirait la finesse et la curiosité musicale de Fred Chichin, avec qui il avait d’ailleurs composé le titre Mandolino City, pour l’album Marc & Robert (1988). « Au départ, Fred voulait que des potes passent à son studio pour enregistrer des interludes. Dans ce joyeux bordel, on a finalement fait ce titre, clin d’œil à nos origines italiennes communes. »

« FRED ÉTAIT UN EXCELLENT GUITARISTE RYTHMIQUE QUI JOUAIT UN PEU À LA MANIÈRE DE PRINCE. » TONY VISCONTI, PRODUCTEUR

Pionnier du home studio, aussi obsédé par les compositions que par les arrangements, Chichin aura été, avec sa compagne, un des premiers en France à incorporer des éléments de funk, de hip-hop ou d’électro à un héritage rock et chanson, mâtiné aussi de musiques latines, indiennes, orientales… Avec Ringer, le guitariste à la fine moustache choisissait ses producteurs avec soin. Après avoir fait appel à l’Allemand Conny Plank (Kraftwerk) pour leur premier album, les Rita ont coréalisé The No Comprendo (1986) et Marc & Robert avec Tony Visconti, entré dans la légende grâce à ses collaborations avec David Bowie et Marc Bolan.

Le travail n’avait pourtant pas idéalement commencé dans le studio londonien du New-Yorkais. « A la coupure du déjeuner, je restais dans mon bureau pour gérer mes affaires », se souvient Visconti. « Au bout de quelques jours, Fred et Catherine m’ont annoncé qu’ils partaient. Ne pas déjeuner avec eux signifiait que je ne les aimais pas. Je me suis excusé en jurant mon infinie admiration. Après ça, nous avons pris tous nos déjeuners et dîners ensemble. »

« L’incarnation de la France »

Chichin et Ringer furent les principaux instrumentistes et interprètes de The No Comprendo, rappelle Tony Visconti. « La “pièce de résistance” était l’enregistrement de la voix de Catherine. Mon dieu ! Qu’elle chantait bien ! Fred était un excellent guitariste rythmique qui jouait un peu à la manière de Prince. Leurs personnalités imprégnaient tous les aspects du disque. » Comme Philippe Gautier se rappelant « deux tornades qui se motivaient l’une l’autre, construisant et déconstruisant sans cesse pour arriver à ce qu’ils avaient envie d’exprimer », le producteur américain admirait la complicité du couple : « Catherine et Fred étaient dévoués l’un à l’autre. Ils s’aimaient et adoraient faire de la musique ensemble. »

Dans Marc & Robert, les Américains des Sparks, menés par les excentriques frangins Ron et Russell Mael, faisaient leur apparition pour trois titres en commun, Hip Kit, Live in Las Vegas et le tube Singing in the Shower. « Nous avions lu une interview d’eux dans le L.A. Times dans laquelle ils se disaient fans des Sparks, au point de s’être baptisés en clin d’œil à notre album Kimono My House », raconte aujourd’hui le chanteur Russell Mael. « Nous avons été les voir en concert le soir même et avons sympathisé. Catherine a lancé l’idée d’une collaboration. Beaucoup d’artistes disent ça sans vraiment le penser, mais de retour à Paris, ils ont repris contact avec nous. » Un grand souvenir. « Fred et Catherine étaient une paire unique. Pour nous, ils étaient l’incarnation de la France. » « La France dans ce qu’elle a de plus dadaïste et rebelle », complète Tony Visconti.

Intégrale Rita Mitouko, 1 coffret de 12 CD et 1 DVD, 1 coffret de 13 vinyles et 1 DVD, Because Music. Tournée Catherine Ringer chante les Rita Mitsouko : 28 et 29 septembre à la Philarmonie de Paris (complet), le 10 octobre (Marseille)

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