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Jours tranquilles à Paris
3 octobre 2019

Reportage - Bienvenue à Wasteland, festival postapocalyptique

Par Laure Andrillon, Wasteland (Californie), envoyée spéciale

Depuis dix ans, des milliers de fans de la série « Mad Max » se retrouvent dans une cité éphémère érigée dans le désert de Mojave, en Californie.

Sur la piste sableuse qui mène au Wasteland Weekend, quelques panneaux brisent la monotonie du paysage en indiquant, en lettres rouges dégoulinantes, une fréquence radio. A mesure qu’on avance, les chuintements s’estompent pour laisser place à des voix rauques, présentées comme « venues du monde de l’après ». « Bienvenue à la maison, enfoirés ! »

Ce sas de décompression sonore marque la fin du monde réel et le début d’un festival postapocalyptique qui, du 25 au 29 septembre, a accueilli pour son 10e anniversaire 4 300 personnes, en plein désert de Mojave, dans l’ouest des Etats-Unis.

A deux heures de route d’Hollywood et en bordure de la base militaire d’Edwards (Californie), la cité éphémère de Wasteland est érigée sur un simple terrain vague, en proie à la chaleur et aux tempêtes de sable.

Ce happening géant a son « étiquette » : on se salue avec des doigts d’honneur, on ne parle ni politique ni religion et les costumes postapocalyptiques, obligatoires, doivent être portés à tout moment. Si le costume est jugé trop propre, la commandante Hardrain, qui semble sortie du décor du dernier Mad Max, ordonne du bout de sa lance de se rouler dans la poussière ou de lacérer ses vêtements.

Un festival qui affiche complet

Le Wasteland Weekend a commencé comme un modeste rassemblement de fans de cette série de films réalisée par l’Australien George Miller à partir de 1979, qui se déroule dans un monde futur régressif.

A l’initiative de Jared Butler, alors scénariste à Hollywood, et d’une bande de copains, 350 personnes se sont donné rendez-vous en 2010 dans le désert californien pour se montrer leurs costumes faits maison, leurs véhicules customisés, et surtout pour faire la fête comme s’ils étaient les seuls survivants de l’écroulement de la civilisation.

L’événement a ensuite attiré des fans de jeux vidéo postapocalyptiques comme Fallout, puis de plus en plus de couturiers, maquilleurs, acteurs, performeurs venant principalement de Los Angeles pour exposer leurs créations.

L’intérêt du public s’est accru et l’assistance a rajeuni en 2015, après la sortie du très attendu Mad Max : Fury Road. Aujourd’hui, les organisateurs du festival possèdent leur propre lopin de terre, et l’événement, qui augmente sa capacité tous les ans, continue d’afficher complet.

Au programme du festival, on trouve une liste hétéroclite de concerts de metal, de hard rock ou d’électro ; des soirées DJ organisées sur des épaves de bateau rongées par la rouille ; des spectacles de cirque jouant avec le sable, les métaux ou le feu ; des strip-teaseuses ; un défilé automobile ; des ateliers où on apprend à vieillir les matériaux ou à confectionner des « poupées glauques ».

Quand la nuit est suffisamment noire et que s’allument les néons du « dôme du tonnerre », le public accourt autour de l’armature en métal, réplique grandeur nature de la demi-sphère où ont lieu les combats de gladiateurs dans le troisième Mad Max. La Diva Marisa, cheveux bleu électrique et tenue gothique, entonne un aria de Donizetti, Le Doux Rêve, en un rituel qui précède chaque soirée de lutte. Des festivaliers grimpent alors sur le dôme pour en regarder d’autres s’affronter sous les hurlements, armés de battes en mousse et harnachés à des câbles qui les balancent en pendule.

Troc, livres, bikinis et faux sang

Le festival a aussi son « off », organisé par le public dans les « rues » de Wasteland City, ou dans les campements des diverses « tribus » que les participants constituent en amont sur les réseaux sociaux, en se regroupant autour d’un thème ou d’une ambiance.

Lektor, par exemple (on est toujours rebaptisé à Wasteland), a voyagé pour la quatrième fois depuis Las Vegas (Nevada) pour « faire du troc » : « J’aime apporter, fabriquer et rapporter des objets qui ne ressemblent à aucun autre », dit-il en montrant sa collection de sacoches, de sculptures et de talismans.

La Bibliothécaire est, elle, venue pour installer dans une tente ouverte à tous un refuge littéraire : « Après l’Apocalypse, il restera toujours les livres, ou quelques gens pour les raconter, affirme-t-elle. J’ai mis de tout : des livres pratiques, pour apprendre à faire du feu ou chasser, des grands romans pour se distraire, des textes de philosophes pour savoir rebondir. » Elle propose avec la « tribu des arts » une « version marionnettes » du cycle complet de Mad Max.

A quelques tentes de là, Vérité, une étudiante de San Diego, confie être venue chercher à Wasteland « la possibilité d’une esthétique nouvelle » : « Dans le monde postapocalyptique, les canons de beauté ne sont pas les mêmes, poursuit-elle en s’appuyant sur sa mitraillette. La femme ne doit pas être délicate et fragile pour être belle. Elle doit être forte, comme moi. » Elle s’est inscrite au défilé de bikinis postapocalyptique et au spectacle d’une tribu voisine – une joute à mains nues, enduite de faux sang.

« Echapper au monde réel »

« Cet événement est un moyen d’échapper au monde réel, explique Jared Butler. Souvent juste pour s’amuser, parfois pour mimer la violence et en faire quelque chose de sain. L’univers postapocalyptique a autant de succès parce qu’il est au fond bien plus optimiste que sombre : il imagine un autre monde après la fin du nôtre, d’autres communautés possibles. »

Le dimanche, alors que les bons vieux jeans refont leur apparition et que la foule démantèle sa cité, un homme en guenilles vient livrer un sermon laïque aux portes de Wasteland. « Cet endroit a été possible grâce à votre art, lance-t-il, brandissant un livre sur la radiation en guise de Bible. Votre art est un feu qui, dans le monde réel aussi, attirera les papillons de nuit et leur donnera un peu de la chaleur créée sur ce bout de désert ! »

Derrière lui, on troque d’ultimes souvenirs, on se donne l’accolade. Et Wasteland redevient, en quelques heures, un tas de poussière.

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