Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
5 octobre 2019

Malgré l’approche du Brexit, la fièvre de l’art résiste à Londres

Par Harry Bellet

Les ventes lors de la « Frieze Week » n’ont pas été affectées par la perspective de la sortie prochaine du Royaume-Uni de l’UE. Néanmoins, les galeristes se demandent s’il faut quitter la capitale britannique.

C’est un très grand tableau, près de 3 × 4,50 mètres, peint en 2009 par Banksy, et qui représente une séance du Parlement britannique. La facture en est classique, à ceci près que les représentants du peuple ont été remplacés par des chimpanzés, leur fourrure rêche se substituant aux soyeux costumes taillés à Savile Row. Estimée entre 1,5 et 2 millions de livres (entre 1,7 et 2,25 millions d’euros) par la maison Sothebys qui le proposait aux enchères à Londres jeudi 3 octobre, elle a été adjugée plus de quatre fois ce montant, à 9,9 millions de livres, soit 11,1 millions d’euros. En plein Brexit, on peut considérer cela comme de l’humour anglais…

Cela illustre toutefois assez bien une semaine intense, qu’à Londres on nomme désormais la « Frieze Week », du nom des deux foires, une d’art contemporain (Frieze London) et l’autre d’art plus classique (Frieze Masters), comme de la revue éponyme. Installées depuis des lustres sous deux gigantesques tentes dans Regent’s Park, elles ont fait de la ville le centre mondial du marché de l’art, au moins pour la première semaine d’octobre, et font tellement partie du paysage que des panneaux routiers spécifiques sont même installés dans les rues adjacentes pour prévenir les automobilistes des embarras de trafic qu’elles génèrent. Les maisons de ventes aux enchères leur ont emboîté le pas, proposant leurs vacations cette semaine-là, et d’autres salons se sont greffés sur l’événement, comme le PAD, le Pavillon des arts et du design, lui aussi abrité sous une tente, mais dans un autre parc, Berkeley Square, dans le quartier plus que huppé de Mayfair.

Les petits fours moins chers à Paris

Comme son nom l’indique, on y voit moins d’œuvres d’art – quoique l’exposition sur le stand du Parisien Pierre Passebon d’une série de marionnettes réalisées en 1928 par Marie Vassilieff ait pu faire tourner quelques têtes, de même que quelques très belles céramiques grecques, difficiles à assimiler à de la vaisselle ancienne, montrée par la galerie suisse Phoenix – que de mobilier et de joaillerie, mais les Londoniens fortunés en raffolent. Et l’organisateur du PAD, le Français Patrick Perrin, s’en félicite : « Les cinq quartiers du centre de Londres abritent les plus grosses fortunes au monde. Ils y habitent, ou y passent : les hôtels sont pleins en permanence, les restaurants aussi. On fait la queue devant les boutiques de luxe. En fait, la moitié de Londres travaille pour l’autre moitié qui ne travaille pas… »

Si la première moitié peut s’inquiéter du Brexit, la seconde n’en a que faire. « La principale place financière en Europe, dit Patrick Perrin, c’est Londres. Ceux qui font marcher le commerce, ce sont moins les Anglais que les “non-doms”, les “résidents non habituels”, des étrangers vivant ici mais qui paient leurs impôts dans les pays où sont leurs affaires. Si ce système est supprimé, là, il y aura une véritable hémorragie de richesse. Mais je ne vois pas un gouvernement qui aurait le courage politique de s’y risquer. » Envisage-t-il des problèmes logistiques avec un retour des contrôles aux frontières ? « Il va y avoir une période d’adaptation », concède t-il, lui qui fait venir les petits fours de son vernissage de Paris, où ils sont moins chers…

« LE PIRE POUR NOUS, C’EST L’INCERTITUDE. ON NE SAIT TOUJOURS PAS À QUOI ON VA ÊTRE CONFRONTÉ. » OLIVIER MALINGUE, GALERISTE

A deux pas de là, au vernissage de la très remarquable exposition intitulée « L’empreinte », dans sa galerie de New Bond Street, le jeune marchand Olivier Malingue est plus circonspect. Récemment implanté à Londres, il est tenu d’y rester par le bail qu’il a contracté, s’y sent très heureux, mais laisse pointer une certaine inquiétude : « Le pire pour nous, c’est l’incertitude. On ne sait toujours pas à quoi on va être confronté. » Pourtant c’est Londres, et précisément le pâté de maisons voisin, qu’a choisi la galerie sud-africaine Goodman pour s’implanter en Europe. La concentration des galeries d’art y devient impressionnante, et c’est probablement le seul quartier au monde où ce secteur a chassé les boutiques de fringues, si on peut qualifier ainsi les célébrissimes tailleurs de Savile Row.

Euphorie de fin du monde

Cependant, sur les foires Frieze, les ventes se déroulaient dans une euphorie de fin du monde, avec une tendance prononcée : les couleurs pétantes. En témoigne le succès des abstractions qu’on qualifiera, faute de mieux, de « fruitées » de l’artiste américain Jonathan Lasker présentées par la galerie Timothy Taylor − neuf tableaux vendus le premier jour. Ou bien les prix importants obtenus par la galerie Hauser & Wirth : 5 millions de dollars (4,5 millions d’euros) pour un tableau de Philip Guston, 6,5 millions de dollars pour un autre de Cy Twombly.

Mais les conversations tournaient autour du déménagement vers Paris de quelques poids lourds de la profession. Le plus emblématique est sans doute la galerie White Cube (deux adresses à Londres, une à Hong Kong) : fondée en 1993 par Jay Jopling, fils d’un ministre de l’agriculture du gouvernement Thatcher, premier promoteur des YBA (Young British Artists), les jeunes artistes britanniques qui, Damien Hirst en tête, ont défrayé la chronique de l’art contemporain des trente dernières années, elle chercherait des locaux avenue Matignon. Hauser & Wirth, originaire de Suisse mais implantée un peu partout, serait aussi intéressée, sans que la chose soit réellement confirmée. Même la Pace Gallery, superpuissance américaine, y songerait.

« QUAND J’AI OUVERT À LONDRES, JE VOULAIS UNE GALERIE EUROPÉENNE – ELLE VA DEVENIR ANGLAISE. ALORS MAINTENANT, MON EUROPE, C’EST PARIS. » DAVID ZWIRNER, GALERISTE

David Zwirner, lui, a franchi le pas : il ouvre à la mi-octobre une galerie dans le Marais, là où était auparavant Yvon Lambert. « C’est d’abord un choix idéologique, assure-t-il. Je suis d’origine allemande, et comme tel, je pense que nous devons être européens. Le business à Londres est très bon, et il le sera peut-être encore meilleur après le Brexit, qui sait ? Mais psychologiquement, c’est plus compliqué. Quand j’ai ouvert à Londres [ses premières galeries sont à New York], je voulais une galerie européenne – elle va devenir anglaise. Alors maintenant, mon Europe, c’est Paris. La politique française devient intéressante depuis quelque temps, très positive avec un jeune leader très énergique. La densité de vos musées n’a d’équivalent nulle part dans le monde. Et j’aime que mes galeries soient implantées dans des villes de culture », dit-il en montrant une sculpture de Jeff Koons dans son stand, et précisant qu’il irait assister à l’inauguration parisienne de son Bouquet of Tulips.

Tout en soulignant : « Mais dites bien à vos lecteurs que je conserve ma galerie londonienne ! » Vu les affaires colossales qu’il a réalisées à Frieze (il s’est séparé dès le premier jour d’un tableau historique de Bridget Riley, mais a également bien vendu des œuvres de Ruth Asawa, de Raoul De Keyser, de Gerhard Richter et une série de gravures de Cy Twombly), il aurait tort de s’en priver.

banksy singes

Art : « Le Parlement des singes » de Banksy vendu à un prix record

C’est une œuvre visionnaire, pourtant réalisée en 2009, qui a été adjugée 9,9 millions de livres, jeudi 3 octobre lors d’une soirée à Londres. Le tableau, signé Banksy et intitulé « Devolved Parliament », avait fait les gros titres de la presse dernièrement, en grande partie parce qu’il résonne avec l’actualité anglaise, dominée par le Brexit. Estimée entre 1,7 et 2,3 millions d’euros, la toile a finalement pulvérisé tous les records, pour le plus grand plaisir de la maison d’enchères Sotheby’s. Cette dernière a ainsi annoncé que le tableau avait été adjugé après 13 minutes « d’enchères disputées », lors desquelles se sont affrontés « dix collectionneurs ». Le nom de l’heureux.se acheteur.se n’a pas encore été dévoilé.

Quant à Bansky, dont on ne connaît toujours pas l’identité, il a partagé sur Instagram une citation de Robert Hughes, critique d’art australien, accompagnée de la légende suivante : « Prix record pour une peinture de Banksy atteint ce soir. Dommage, elle ne m’appartenait plus. » « Le Parlement des singes » avait en effet été vendu en 2011 par l’artiste.

banksy parlement

Publicité
Commentaires
Publicité