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Jours tranquilles à Paris
17 octobre 2019

Chronique - « Pour l’image des Etats-Unis, il y aura un avant et un après octobre 2019 »

Par Sylvie Kauffmann, Editorialiste

En abandonnant les Kurdes en Syrie et en tentant de corrompre le président ukrainien, Donald Trump a mis fin à l’idéal américain de la guerre froide, celui du pays exemplaire, souligne Sylvie Kauffmann, éditorialiste au « Monde », dans sa chronique.

Ce fut l’un des grands moments de l’éloquence reaganienne. Le 11 janvier 1989, le président républicain s’adresse à ses concitoyens pour la dernière fois depuis la Maison Blanche, où il achève son second mandat.

Revenant sur huit ans passés à la tête des Etats-Unis, Ronald Reagan fait un poignant éloge de la liberté, rend un ultime hommage à la démocratie et termine par une référence qui lui est familière, celle de la « ville qui brille sur la colline ». Cette lumière, c’est celle qu’imaginait le pèlerin John Winthrop en 1630, dans sa quête de l’Amérique idéale, à bord de l’embarcation qui le dirigeait vers ses rivages.

« Dans mon esprit, dit Ronald Reagan, c’était une ville haute et fière, (…) grouillant de gens de toutes sortes qui vivaient en harmonie et en paix, une ville avec des ports libres bruissant de commerce et de créativité. Et si elle devait avoir des murs, ces murs avaient des portes, et les portes étaient ouvertes à tous ceux qui avaient la volonté et le cœur d’y venir. » Cette ville, conclut-il tandis que la caméra zoome sur son visage ému, elle est toujours là, brillant de tous ses feux. « Elle reste un phare, un aimant pour tous ceux qui cherchent la liberté, pour tous les pèlerins des endroits perdus qui cinglent dans les ténèbres, vers leur foyer. »

C’était il y a trente ans et l’Amérique faisait parfois sourire, dans cette apparente naïveté qui pouvait aussi dissimuler une certaine dose d’hypocrisie mais allez, c’était si joliment emballé ! Lorsque le communisme rendit l’âme, quelques mois plus tard, Ronald Reagan n’était plus aux commandes ; il voulut bien en prendre sa part cependant, tant il avait célébré les valeurs qui triomphaient de cette guerre froide.

L’abandon des Kurdes de Syrie

Trente ans plus tard, la ville sur la colline ne brille plus et le mot « valeurs » a disparu du vocabulaire de la Maison Blanche. Le président des Etats-Unis ne fait plus ni rêver ni même sourire, il tweete « Bullshit » en lettres capitales et claque les portes de la cité.

Ses opposants sont des « traîtres », les journalistes « corrompus » et « falsificateurs ». Depuis une semaine, il a accroché un autre exploit à son tableau : l’abandon des combattants kurdes dont il s’était servi en Syrie, les amenant à conclure avec l’agresseur un pacte aux conséquences dramatiques. Au passage, Donald Trump abandonne aussi ses alliés français et britanniques, avec lesquels il n’a pas coordonné le départ des troupes américaines. Il cède la place aux Russes, renforce Damas et redonne de l’air à l’organisation Etat islamique (EI).

En l’espace de quelques jours, le locataire de la Maison Blanche a réduit à zéro la valeur de la parole de Washington. Il a montré qu’un engagement dont dépend la vie de centaines de milliers de personnes peut être rayé d’un tweet. « Ils nous ont fait confiance et nous avons trahi cette confiance, a confié au New York Times un officier américain qui avait travaillé aux côtés des Kurdes dans le nord de la Syrie. C’est une tache sur la conscience américaine. »

LES ETATS-UNIS N’ONT PAS SEULEMENT TRAHI LES KURDES, ILS ABANDONNENT TOUTE PRÉTENTION À LA MORALE ET À L’EXEMPLARITÉ, QUI FUT LEUR MARQUE DE FABRIQUE

Quels que soient les efforts de rétropédalage ou les manœuvres de rattrapage d’autres structures du pouvoir américain, on aurait tort de sous-estimer l’impact de cette volte-face : pour l’image des Etats-Unis, il y aura un avant et un après octobre 2019.

Comme il y a eu, réalise-t-on aujourd’hui, un avant et un après août 2013, lorsque le président Barack Obama a renoncé à mettre à exécution sa menace de punir Bachar Al-Assad, dont le recours à l’arme chimique était avéré. C’était la première étape du renoncement américain – mais, au moins, celui-ci tentait-il de sauver les apparences, derrière un habillage de procédures démocratiques.

Donald Trump, lui, n’a que faire des apparences et des procédures démocratiques. Avec lui, les Etats-Unis n’ont pas seulement trahi les Kurdes, ils abandonnent toute prétention à la morale et à l’exemplarité, qui fut leur marque de fabrique pendant la guerre froide et l’après-guerre froide. Même lorsque Nixon et Kissinger fomentaient leurs basses œuvres contre Salvador Allende au Chili, ils le faisaient, officiellement, au nom de la défense du monde libre contre le communisme international. Donald Trump, lui, pratique le cynisme à l’état pur : America First. Seul compte pour lui son électorat.

Une politique reniée aussi en Ukraine

La Syrie n’est pas le seul écueil sur lequel s’abîme l’Amérique. En Ukraine, en essayant de corrompre Volodymyr Zelensky, un jeune président élu, précisément, pour vaincre le fléau de la corruption, Donald Trump a discrédité la démocratie américaine.

Pendant trente ans, les administrations américaines successives se sont vues comme le porte-drapeau, devant l’Union européenne, du soutien aux transitions démocratiques et à l’Etat de droit dans le monde post-communiste. Cette politique est aujourd’hui reniée. Que dire aujourd’hui aux militants démocrates ukrainiens qui s’engagent, parfois au péril de leur vie, pour bâtir un Etat de droit et éradiquer la corruption, lorsque le président des Etats-Unis se comporte avec leur propre président comme un vulgaire oligarque ?

Quel exemple offrent à la nouvelle génération de hauts fonctionnaires de ce jeune pays le sort de l’ambassadrice américaine Marie Yovanovitch, rappelée prématurément à Washington sous de fausses accusations, ou la démission de l’envoyé spécial pour l’Ukraine Kurt Volker qui, au lieu de favoriser les efforts de paix avec la Russie, servait d’entremetteur à Rudy Giuliani, avocat de Donald Trump, pour de sordides manœuvres de politique intérieure américaine ?

Lundi 14 octobre à Hongkong, des manifestants pro-démocratie se sont rassemblés pour demander l’aide des Etats-Unis, au bout de quatre mois de mobilisation sans faille. « Président Trump, aidez-nous à libérer Hongkong », implorait une banderole. Ce monde-là n’est plus, mais ils l’ignorent encore.

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