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Jours tranquilles à Paris
18 octobre 2019

Au nord-est de la Syrie, un accord de cessez-le-feu temporaire en trompe-l’œil

syrie

Par Allan Kaval, Marie Jégo, Istanbul, correspondante

La trêve annoncée hier par le vice-président américain Mike Pence permet à la Turquie d’obtenir le retrait des combattants kurdes de sa frontière Sud.

La Turquie a accepté, jeudi 17 octobre, de suspendre son offensive en Syrie pendant cinq jours afin de permettre aux forces kurdes de se retirer d’une « zone de sécurité » voulue par Ankara, selon les termes d’un accord négocié par l’administration américaine et présenté par le gouvernement turc comme une victoire absolue. « La Turquie a mis les Etats unis à genoux », titrait, jeudi soir, le site du quotidien pro-gouvernemental Yeni Akit.

La trêve, annoncée depuis Ankara par le vice-président américain Mike Pence après quatre heures d’entretien avec le président Recep Tayyip Erdogan, a été saluée par Donald Trump, convaincu qu’elle permettra de « sauver des millions de vies ».

S’il est vraiment appliqué, l’accord réalise tous les objectifs visés par la Turquie lors du lancement de son offensive baptisée « Source de paix » au nord est de la Syrie il y a huit jours, à savoir le contrôle d’une bande de terre de 32 kilomètres de profondeur sur 400 kilomètres de longueur – jusqu’à la frontière avec l’Irak – par l’armée turque et ses supplétifs syriens ainsi que le retrait total des combattants kurdes de cette zone sur laquelle, à terme, les réfugiés syriens actuellement hébergés par Ankara seront installés.

Pour permettre aux forces kurdes de se retirer, « sous 120 heures, toutes les opérations militaires dans le cadre de l’opération “Source de paix” seront suspendues et l’opération cessera complètement une fois ce retrait achevé », a déclaré M. Pence à la presse à l’issue de sa rencontre avec le numéro un turc.

Débandade américaine

Jubilation du ministre turc des affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, selon lequel les Etats-Unis se sont inclinés face à « l’importance et la fonctionnalité » de la « zone de sécurité » voulue par Ankara. Se refusant à parler de « cessez-le-feu », il a évoqué « une pause », censée permettre aux combattants kurdes d’abandonner leurs armes lourdes, de détruire leurs positions et de se retirer.

« La pause ne signifie pas que nos soldats et nos forces se retireront. Nous restons », a t il fanfaronné. Les islamo-conservateurs ne peuvent que se féliciter des larges concessions accordées à la Turquie par l’administration américaine. « Nos succès militaires sont rehaussés par une victoire diplomatique », soulignait, jeudi, Ismaïl Çaglar, le directeur du groupe de réflexion SETA, inféodé au pouvoir à Ankara.

Mais au-delà des rodomontades, l’accord pose plus de questions qu’il n’en résout. Des doutes subsistent sur sa mise en œuvre. Les Etats-Unis sont allés au-devant des exigences turques sans avoir aucune possibilité d’influencer de manière significative les faits sur le terrain. Qui veillera à l’application de l’accord ? Certainement pas les forces américaines, qui, jadis alliées aux combattants kurdes, ont déserté dès les premiers jours de l’offensive turque leurs bases du nord-est de la Syrie ; celles-ci sont occupées désormais par les Russes et par l’armée de Bachar Al-Assad.

Le retrait des forces des Etats-Unis du nord-est de la Syrie s’est fait dans une telle débandade que le temps a manqué pour évacuer une partie du matériel. Mercredi, des F-15 américains ont bombardé l’ancien QG des GI sur place, la cimenterie Lafarge située au sud de Kobané, pour que les munitions abandonnées ne tombent aux mains des Turcs et de leurs alliés rebelles syriens, actifs dans la région.

Sauver la face

Un point semble positif, les forces kurdes ont annoncé qu’elles acceptaient l’accord. Mais il y a un bémol. Mazlum Kobane, l’un de leurs chefs en Syrie, l’interprète à sa façon. Tout en affirmant avoir été associé aux tractations, il a assuré que le cessez-le-feu se limitera aux régions situées entre Tal Abyad, ville frontalière récemment conquise par les Turcs et Ras Al-Ain, où des combats avaient lieu ces derniers jours entre l’armée d’Ankara et les combattants kurdes.

Pas question selon lui que les Turcs prennent le contrôle de l’ensemble de la frontière, pas question non plus que des « modifications démographiques » aient lieu, une allusion au plan du président Erdogan de réinstaller dans cette zone les réfugiés syriens de Turquie (3,6 millions de personnes), dont les Kurdes ne veulent pas.

En réalité, l’accord est un habillage qui permet aux présidents Trump et Erdogan de sauver la face vis-à-vis de leurs opinions publiques. Le second pense aussi avoir ainsi échappé aux sanctions que les sénateurs américains, ulcérés par les impérities de l’administration Trump, veulent imposer à Ankara.

Bâclé, vide de sens, impossible à appliquer, l’accord n’est pas définitif. La trêve est censée durer cinq jours, soit jusqu’au 22 octobre. C’est précisément à cette date que les vraies négociations vont commencer.

Elles auront lieu à Sotchi, en Russie, où M. Erdogan a été invité par son homologue russe et « ami », Vladimir Poutine. Moscou, qui tire désormais toutes les ficelles en Syrie, tracera les lignes de partage entre les belligérants. Un futur accord doit garantir « l’intégrité territoriale de la Syrie et les intérêts de sécurité de la Turquie », a déclaré Sergueï Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères, après l’annonce de l’accord turco-américain.

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