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Jours tranquilles à Paris
18 octobre 2019

Espoir le matin, coup de pompe à midi… La dernière ligne pas tout à fait droite du Brexit

Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante, Virginie Malingre, Bruxelles, bureau européen

Il a fallu six jours de discussions entre Bruxelles et Londres pour accoucher d’un traité de divorce. Reste à savoir si cet accord à une chance d’être approuvé par les députés britanniques.

Il est à peine 18 heures, jeudi 17 octobre. Boris Johnson rentre dans une salle de presse pleine à craquer, au deuxième étage du Justus Lipsius, le bâtiment qui abrite le Conseil européen, à Bruxelles. Tout le monde veut voir « Boris », qui a réussi, contre toute attente, à décrocher son « deal » le matin même.

« Nous avons un superbe accord », assure le premier ministre britannique, toujours aussi énergique. « Nous avons un bon “deal” », confirme la chancelière allemande Angela Merkel, deux salles à côté, à sa manière, plus sobre. Tout le monde semble content. Soulagé au moins.

Les textes de l’accord de divorce entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni viennent d’être rendus publics ; les diplomates des pays membres n’ont même pas eu le temps de les lire. Certains s’inquiètent. Tous les négociateurs savent que le diable se cache dans les détails. Et, tout le monde en a conscience, le plus dur reste à faire : que le « deal » soit approuvé par les députés britanniques. « Je ne suis pas responsable de la ratification par la Chambre des communes. C’est le travail de Boris », lance pince-sans-rire, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne.

Montagnes russes

Le Luxembourgeois n’a pas beaucoup dormi. « J’ai téléphoné deux fois à Boris pendant la nuit », a-t-il confié. Car jusqu’au milieu de matinée, rien n’était plié. Sur la fin, les négociations européennes ressemblent souvent à cela : des montagnes russes. Espoir le matin, coup de pompe à midi, regain d’espoir en fin d’après-midi, découragement en soirée… La dernière ligne droite du Brexit n’a pas dérogé à la règle.

Mercredi soir, le « deal » semblait à portée de mains. Les négociateurs s’étaient entendus sur les sujets majeurs des contrôles douaniers, du droit de veto nord-irlandais et de la déclaration politique censée esquisser la relation future entre le Royaume-Uni et ses ex-partenaires de l’UE. Restait la question de la TVA.

Mais jeudi matin, le Democratic Unionist Party (DUP) nord-irlandais a estimé qu’« en l’état », les conditions n’étaient pas réunies pour qu’un accord soit viable. Or sans les unionistes protestants, Boris Johnson n’a aucune chance de faire ratifier le texte à la Chambre des communes… « Il y aura un “deal” ou il n’y aura pas de “deal” », commentait-on, laconiquement, au Conseil jeudi en fin de matinée. Il y a donc eu « deal ».

Cela peut paraître long : c’est en réalité extrêmement court. Il n’aura fallu que six jours de discussions entre Bruxelles et Londres pour accoucher d’un traité de divorce. Le deuxième. Le premier, celui de Theresa May, agréé à l’automne 2018 après dix-huit mois de négociations, est mort au printemps. A trois reprises, la Chambre des communes l’a rejeté. « C’est un peu injuste », commente un proche des pourparlers, côté bruxellois. « Mais s’il y en a un qui peut vendre un accord à la Chambre des communes, c’est Boris », poursuit cette source.

Boris Johnson n’a choisi de s’engager sérieusement dans les discussions avec Bruxelles qu’au début du mois d’octobre, après avoir davantage mené campagne au Royaume-Uni, en vue d’élections générales à venir, que fait le siège des institutions européennes. Quand il est arrivé à Downing Street fin juillet, des sources bruxelloises glissaient qu’il ne serait pas question de lui donner, à lui, ce qui avait été refusé à Theresa May, appréciée pour sa droiture et son sérieux.

Concessions de Boris Johnson

Et pourtant… La rencontre décisive fut celle entre le chef du gouvernement irlandais Leo Varadkar, garant avec Londres de l’accord du Vendredi saint – signé en 1998, il a apporté la paix sur l’île – et Boris Johnson, le 10 octobre à Wirral, dans le nord-ouest de l’Angleterre, dans un manoir reconverti en home de luxe pour réceptions huppées.

C’est là que le premier ministre britannique a fait ses concessions les plus importantes. Plus question d’accorder un droit de veto sur une solution nord-irlandaise au DUP ; pas question non plus de tolérer des contrôles douaniers entre les deux Irlandes.

C’est aussi à Wirral que M. Varadkar a fait un pas décisif, et donné un signal au reste de l’UE, en acceptant la ligne rouge de Londres. L’Irlande du Nord pourrait rester dans une union douanière britannique, si tant est qu’une frontière n’apparaisse pas entre la province britannique et la République d’Irlande, membre de l’UE. De cette manière, l’intégrité du territoire britannique serait respectée après le divorce, conformément à la volonté des Brexiters et du DUP.

Le 11 octobre, avec l’assentiment de Michel Barnier – le négociateur en chef de l’UE pour le Brexit –, les Européens sont entrés dans un « tunnel » de négociations, alors qu’une semaine plus tôt, ils avaient presque fait une croix sur un accord avant l’échéance du 31 octobre.

Passer à autre chose

Trois ans après le référendum sur le Brexit, ils veulent passer à autre chose et ne savent plus ce qui, d’un troisième report ou du « no deal », les angoisse le plus. « Quelle que soit la manière dont on les regardait, les perspectives n’étaient pas meilleures que ce que l’on pouvait avoir maintenant. Elles pouvaient même être pires », commente un diplomate.

Les Européens vont donc, à leur tour, faire une concession : accepter que le dispositif imaginé pour l’Irlande du Nord puisse être remis en cause, dans quelques années, par les élus de la province britannique. Sous condition : le DUP ne doit pas être le seul arbitre. « On ne va pas tout bloquer pour un territoire qui compte 1,5 million d’habitants et qui n’est pas une zone économique particulièrement dynamique », s’exclame alors un proche des négociations.

Le week-end est studieux, mais infructueux. Enfermés au Berlaymont (le siège de la Commission européenne), les négociateurs ne profitent pas du beau soleil qu’il fait à Bruxelles. Et dimanche soir, Michel Barnier annonce qu’il reste « beaucoup de travail ». Les experts et les médias, eux, se découragent : à ce train, on n’aura jamais fini avant le Conseil des 17 et 18 octobre, qui doit entériner l’accord si on veut un Brexit au 31 octobre comme l’a promis Boris Johnson.

barnier

L’ultimatum de Michel Barnier

Car durant un sommet il n’est plus question de négocier, disent les diplomates, mais de trancher. Certes, les trois quarts de l’accord obtenu par Theresa May – sur le traitement des citoyens européens, Euratom, etc. – sont inchangés, mais il faut rédiger un texte légal pour l’union douanière nord-irlandaise, et réécrire la vingtaine de pages de la déclaration politique, qui esquisse la relation future entre l’UE et le Royaume-Uni.

Tout le monde a envie d’en finir avec ce dossier qui empoisonne la vie européenne depuis trois ans. Lundi passe, mardi, mardi soir… Un ultimatum de M. Barnier à minuit ce soir-là n’est pas respecté par Londres, mais les négociateurs ont finalement bien avancé et les signaux positifs se multiplient.

Les dernières heures de discussions sont éprouvantes. Mercredi, les négociateurs n’ont pas beaucoup dormi, ils ont encore mangé des pizzas dans les bureaux de la Commission.

Ils continuent pourtant d’éplucher les quelques points encore en contentieux. Dans ce contexte, le programme du Conseil européen n’est pas arrêté, il est suspendu aux négociations en cours. Entre la guerre menée par la Turquie contre les Kurdes en Syrie, la mise en place laborieuse de la nouvelle Commission de Bruxelles, ou encore le budget pluriannuel européen, le sommet des dirigeants de l’UE ne manque pourtant pas de matière.

De mémoire de diplomate, on n’a jamais vu ça : un Conseil européen, dont on ne connaît pas le déroulé, la veille. « On connaît les briques, pas leur agencement », confie un diplomate. Comme ses collègues, il devra ajuster trois fois son programme dans la journée, en raison d’une réunion des ambassadeurs des Vingt-Sept sans cesse retardée. Prévue à 14 heures, elle s’est finalement tenue à 19 h 30. Michel Barnier y explique que les discussions ne butent plus que sur la question de la TVA, un sujet apparu sur le tard.

Céder du terrain sans perdre le soutien des Brexiters durs

A Dublin, très bon baromètre de la négociation, le ton reste très prudent. En début d’après-midi, mercredi, « il y a un chemin vers un possible accord, mais beaucoup de points encore à résoudre », précise M. Varadkar, après un coup de fil à M. Johnson.

Cela bloque aussi à Londres, où le premier ministre britannique est engagé dans un exercice difficile : céder du terrain aux Vingt-Sept sans perdre le soutien des Brexiters durs, dont les voix sont indispensables pour qu’un accord passe à la Chambre des communes – les dix élus du DUP à Westminster et l’aile droitière des tories, membres de l’European Research Group (ERG). Ils ont rendez-vous quasi quotidiennement au 10 Downing Street depuis le week-end. Mercredi encore, Arlene Foster, la patronne du DUP, et Nigel Dodds, son adjoint, ont été aperçus sortant de la résidence du premier ministre. Steve Baker, éminent membre de l’ERG, et quelques collègues, ont eux aussi revu M. Johnson. Il leur a dit dans l’après-midi, à sa manière fleurie, que « le sommet est en vue, mais il reste dans les nuages ».

En fin d’après-midi, les feux repassent au vert, côté Bruxelles. En direct de Toulouse, où il assiste avec Angela Merkel à un conseil des ministres franco-allemand, le président français, Emmanuel Macron, parle de la possibilité de conclure « dans les prochaines heures ». « Nous sommes dans les derniers mètres de négociations », lâche la chancelière allemande Angela Merkel, d’ordinaire très prudente.

Côté Européens, des proches des négociations expliquent que le DUP a cédé. Mais à Londres, le Parti unioniste reste silencieux. La seule information un peu concrète, c’est cette livraison, en fin d’après-midi, d’une pleine caisse d’oranges et de chips aux oignons à Downing Street…

Jeudi matin, l’accord à peine annoncé, toutes les attentions bruxelloises sont déjà tournées vers l’après. Ce « deal » a-t-il la moindre chance d’être approuvé à la Chambre des communes ? A l’automne 2018, pour la finalisation de l’accord de Theresa May, l’heure était à l’optimisme. Mais après un an de chaos à Wesminster, elle est désormais à l’extrême prudence.

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