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Jours tranquilles à Paris
2 novembre 2019

En Algérie, manifestations massives contre le régime pour une nouvelle « indépendance »

Par Zahra Chenaoui, Alger, correspondance

Des centaines de milliers de personnes ont manifesté à Alger et dans d’autres villes du pays pour renouveler leur opposition au régime, à l’occasion de l’anniversaire du déclenchement de la guerre d’indépendance.

« Indépendance ! Indépendance ! » Des centaines de milliers de personnes ont manifesté vendredi 1er novembre dans le centre-ville d’Alger, une mobilisation inédite depuis mai.

Ce jour férié, fête nationale, anniversaire du début de la guerre d’indépendance – le 1er novembre 1954 –, a donné une tonalité particulière à ce 37e vendredi de protestation, nouvelle illustration de la profondeur du Hirak, le mouvement populaire contestant le régime en place. Outre la capitale, des foules massives se sont rassemblées à Oran, Constantine, Annaba, Mostaganem, Blida, Tipaza, Dellys, Bejaïa, Tizi-Ouzou, Sidi Bel Abbès…

« L’ADMINISTRATION CIVILE N’EST QU’UNE FAÇADE. LE PEUPLE VEUT UN ETAT CIVIL, PAS MILITAIRE »

« On a eu une indépendance confisquée, explique Madjid, 62 ans, venu de Kouba, banlieue d’Alger. C’est toujours l’armée qui dirige. L’administration civile n’est qu’une façade. Le peuple veut un Etat civil, pas militaire. » « Les gens veulent de la justice sociale et une justice qui ne fonctionne pas par téléphone », ajoute le sexagénaire alors que résonne sur la rue Hassiba-Ben-Bouali un slogan sans équivoque : « Le peuple veut la chute [du chef d’état-major] Gaïd Salah ! »

« Libérer la patrie »

Le général Salah est devenu la cible des manifestants depuis qu’il insiste pour organiser une élection présidentielle le 12 décembre, échéance que rejettent les protestataires au motif qu’elle ne présente pas les garanties de transparence nécessaires. Signe de la nervosité du climat ambiant, ce nouveau vendredi de mobilisation survient alors que les magistrats sont entrés en grève « illimitée » afin de protester contre la « mainmise de l’exécutif sur le pouvoir judiciaire ».

Des manifestants sont venus d’autres régions. Des centaines portent sur le visage un masque en papier cartonné, où est imprimé le visage de l’ancien combattant Lakhdar Bouregaa, arrêté fin juin. La veille, le moudjahid avait diffusé par l’intermédiaire de ses avocats un message à la jeunesse : « Chaque génération choisit son parcours. [Celle] de la révolution a choisi de libérer la terre et les jeunes du Hirak ont choisi de libérer la patrie. »

« M. BOUREGAA A 86 ANS, IL EST EMPRISONNÉ DEPUIS PLUS DE QUATRE MOIS PARCE QU’IL A DONNÉ SON AVIS SUR GAÏD SALAH »

Nombreux étaient les manifestants de vendredi qui s’en réclamaient. « Nous sommes un groupe de jeunes, nous avons imprimé et distribué [le masque de M. Bouregaa], affirme Aziz, un homme de 37 ans. M. Bouregaa a 86 ans, il est emprisonné depuis plus de quatre mois parce qu’il a donné son avis sur Gaïd Salah. C’est de l’injustice pure. Lui passe le 1er novembre en prison alors qu’il a participé à libérer le pays. »

Une vielle dame en robe traditionnelle berbère jaune tient le masque à bout de bras. « C’est un grand homme et il est enfermé, s’indigne-t-elle. Les mafieux, eux, ils sont dehors. » Des hommes crient « Ali », en référence à Ali la Pointe [figure du FLN dans la bataille d’Alger], et les femmes se joignent aux cris à grand renfort de youyous. Puis la foule scande « Tahia el Djazaïr ! » (« vive l’Algérie ! »).

« Non aux élections »

Des portraits encadrés de Didouche Mourad ou du « Groupe des six », les six hommes qui se sont réunis pour déclencher la guerre, circulent de main en main. Dans le carré féministe, les militantes d’Alger ont fait imprimer des portraits d’anciennes combattantes. Deux hommes âgés abordent un manifestant vêtu d’une veste de survêtement bleue, sur laquelle il est écrit « Equipe de France », et lui demandent de la retirer en souriant.

Hommes comme femmes portent leurs drapeaux autour des épaules. Deux jeunes se prennent en photo avec un drapeau berbère avant de vite le cacher dans leur sac à dos. D’autres, plus téméraires, le brandissent en criant : « Venez le prendre ! » Depuis juin, plus d’une vingtaine de personnes sont en détention provisoire pour avoir porté ce drapeau, accusés d’« atteinte à l’unité nationale ».

Sur les pancartes, il est écrit « Non aux élections », « Je ne voterai pas ». Ni l’annonce le 27 octobre des noms des vingt-deux candidats à l’élection présidentielle, ni les messages répétés des autorités affirmant que le scrutin était nécessaire n’ont calmé la contestation.

« Il n’y aura pas de vote. Ils ne vont pas faire aux jeunes ce qu’ils nous ont fait à nous, dit une vieille dame en voile blanc traditionnel. Ce sont tous des voleurs ! Ils ne voient pas qu’on vit dans des poubelles ? Ils ne voient pas que les jeunes sont au chômage ? Que les routes sont cassées ? Ils ne voient que le vote. Et il n’y aura pas de vote. »

« Nos parents sont morts pour qu’on soit libres »

Des groupes de jeunes reprennent les chansons les plus célèbres des manifestations : La Casa del Mouradia, du groupe de supporteurs du club de l’USMA d’Alger ; Liberté, du rappeur Soolking. L’une des chansons adressées au chef d’état-major a été adaptée : « Dites-leur que la jeunesse est à bord des bateaux, dites-leur que ce sont les policiers qui vont voter. »

Houria porte une photographie de son père, mort en combattant pendant la guerre d’indépendance : « Nos parents sont morts pour qu’on soit libres, mais on n’a rien gagné, clame-t-elle. Aujourd’hui, on est fiers de nos jeunes. Gaïd Salah et la mafia, on espère qu’ils s’en iront tous. »

En arrivant près de la Grande Poste, où se rejoignent les cortèges venus des différents quartiers d’Alger, un homme lance : « Quelques éléments ! Il a dit quelques éléments ! Regardez les quelques éléments. » L’expression « quelques éléments » avait été utilisée par le président par intérim Abdelkader Bensalah lors de son entretien avec le président russe Vladimir Poutine – pendant le sommet Afrique-Russie de Sotchi les 23 et 24 octobre –, pour affirmer que les manifestations ne mobilisaient plus vraiment.

Un autre homme, casquette sur la tête, rit : « A la télévision, ils sont capables de dire que tous ces gens, c’est pour fêter le 1er novembre. » La couverture médiatique, ou plutôt son absence, est régulièrement critiquée par les manifestants. Dans la soirée, la télévision publique a diffusé sans les dater des images enregistrées la veille, dans un petit rassemblement de partisans de l’armée qui appelaient à se mobiliser pour le scrutin.

Sur les réseaux sociaux, aux côtés des vues plongeantes qui montrent l’importance de la mobilisation dans tout le pays, des images du 1er novembre 2018 sont partagées à tout va. Ce jour-là, il y a à peine un an, Abdelaziz Bouteflika, sur son fauteuil roulant, engoncé dans un manteau noir, déposait une gerbe de fleurs au pied du monument des martyrs. Avec le mouvement de protestation, les Algériens se sont aussi approprié cette fête, qui était jusqu’ici réservée aux hommages officiels et aux parades.

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