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Jours tranquilles à Paris
10 novembre 2019

Lors de son premier meeting d’homme libre, Lula se positionne en « sauveur » du Brésil face à l’extrême droite

Par Bruno Meyerfeld, Sao Bernardo do Campo, envoyé spécial

L’ancien président brésilien, libéré à la faveur d’une décision de la Cour suprême, a prononcé un discours vibrant devant le syndicat des métallurgistes de Sao Bernardo do Campo.

Le retour à la liberté fut donc aussi un retour aux sources. Après 580 jours passés derrière les barreaux, Luiz Inácio Lula da Silva a choisi le lieu très symbolique du syndicat des métallurgistes de Sao Bernardo do Campo, près de Sao Paulo au Brésil, pour tenir son premier meeting, devant une foule de partisans euphoriques.

C’est là, depuis ce quartier légendaire dit de « l’ABC paulista », triangle d’or de l’industrie brésilienne, qu’entre 1978 et 1980, celui qui était alors seulement président du syndicat des métallos, conduisit et incarna les grandes grèves ouvrières de la fin de la dictature. Là aussi, qu’il se retrancha plusieurs jours, entouré de ses fidèles, en avril 2018, avant de se rendre à la police et de prendre le chemin de la prison.

« Je suis de retour, (…) libre comme un oiseau ! », a lancé le leader de la gauche dans un discours enflammé. Face à lui, une marée humaine de milliers de sympathisants a envahi la rue et se presse aux fenêtres des immeubles, et jusqu’au toit du syndicat. Malgré la garoa (la bruine pauliste) et la brume, l’ambiance est bouillonnante. Volcanique, même. « Le peuple de Lula », comme il aime s’appeler, s’est drapé de rouge magmatique. Pour l’occasion, il a sorti les casquettes mao, les bannières à faucille et marteau et les vieux drapeaux du Che, dans une ambiance de kermesse doucement anachronique.

« J’ai plus de courage pour lutter qu’avant [la prison] ! »

« Je dors avec la conscience tranquille des hommes justes et honnêtes ! », a affirmé l’ancien président, de son inimitable voix gutturale. Evacuant rapidement son actualité judiciaire pour parler du futur du Brésil, il s’en est pris directement au gouvernement de Jair Bolsonaro. « Il a été élu pour gouverner le peuple et pas pour les milices de Rio. (…) Nous ne pouvons pas permettre que les miliciens en finissent avec notre pays ! », tonne Lula, dans une référence limpide à l’assassinat non élucidé de la militante Marielle Franco, tuée le 14 mars 2018 ; une affaire dans laquelle le nom de M. Bolsonaro est aujourd’hui cité.

Pour lui, l’objectif n’est rien de moins que de « sauver » le Brésil contre le « projet de haine » de l’extrême droite. Dans une langue claire, et un propos parfois simpliste, Lula a affirmé vouloir « se battre pour un pays heureux ». Un pays, « où les mères peuvent emmener leur fils au supermarché et acheter suffisamment de choses à manger. Où le travailleur a un emploi et arrive à ramener de l’argent chez lui tous les mois ». Au pouvoir, « nous allons distribuer des livres, nous allons distribuer des emplois, nous allons distribuer un accès à la culture » dans un Brésil plongé dans le marasme économique, a promis l’ancien chef de l’Etat, sans détailler davantage la manière d’y parvenir.

A 74 ans, le tribun n’a rien perdu de sa verve, ni de son étoile. « J’ai plus de courage pour lutter qu’avant [la prison] ! », soutient-il même. Le propos ravit la foule, en liesse et souvent en larmes. « C’est la joie générale », s’enthousiasme Isabela, 19 ans, qui n’avait que 2 ans lors de la première élection de Lula à la tête du Brésil. Malgré les affaires qui pèsent sur l’ancien chef de l’Etat, « il n’ira plus jamais en prison, il n’y aura pas de retour en arrière », croit-elle. Plus loin, issu d’une autre génération, Luis, 70 ans, retraité de la fonction publique, queue-de-cheval et pin’s à l’effigie du leader, pense dur comme fer que « Lula va réaliser l’union de la gauche, qui est fondamentale pour résister. J’avais 14 ans quand la dictature s’est installée dans ce pays. Aujourd’hui, il faut se préparer à toutes les situations ».

Le retour de la « caravane » de Lula

Pour Lula, il s’agit aussi de commencer à tracer les contours d’une stratégie de reconquête du pouvoir. Sur la scène, autour de lui, se tient ainsi la nouvelle génération de la gauche : Fernando Haddad, candidat malheureux du Parti des travailleurs (PT) à la dernière présidentielle ; Gleisi Hoffmann, présidente du même parti ; Marcelo Freixo, député de Rio du parti alternatif PSOL (Partido Socialismo e Liberdade) ; ou encore Guilherme Boulos, lui aussi ex-prétendant à la fonction suprême en 2018.

A la réunion de la « famille de gauche », il ne manque guère que Ciro Gomes, troisième homme de la dernière présidentielle (avec 12,47 % des voix), qui refuse toujours à Lula la place de chef de l’opposition. « Un peuple ne peut dépendre d’une seule personne », a cependant reconnu Lula, qui s’est bien gardé d’annoncer ses intentions au sujet du prochain scrutin de 2022.

Mais dans la foule, tous ne jurent que par Lula. « On a besoin d’une nouvelle génération, c’est vrai, mais aujourd’hui on n’a personne avec son charisme. Il n’y a que lui qui puisse créer l’euphorie », regrette Daisy, 57 ans, comptable, venue avec des amis à Sao Bernardo. Que vaudrait l’opposition aujourd’hui sans son leader charismatique ? « La dépendance du PT a l’égard de Lula est révélatrice de la fragilité de ce parti. Rappelons que ses dons messianiques n’ont pas permis à Fernando Haddad d’être élu l’an dernier », rappelle Fernando Limongi, professeur en sciences politiques à l’université de Sao Paulo.

De l’autre côté de l’échiquier, le président Jair Bolsonaro a mis fin à un silence pesant et fait une référence directe à son farouche adversaire sur Twitter, implorant les Brésiliens de « ne pas donner de munitions à la crapule » Lula, « momentanément libre, mais chargée de culpabilité ». Pas de quoi déconcerter le leader de la gauche, qui a signifié sa volonté de parcourir le Brésil à la tête d’une « caravane » dans les jours à venir, tout en prenant un peu de temps pour lui. « A partir de la semaine qui vient, je vais prendre soin de ma vie », a expliqué l’ex-président, donnant rendez-vous à ses partisans pour un nouveau grand meeting d’ici à une vingtaine de jours.

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