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Jours tranquilles à Paris
30 novembre 2019

Quand Luc Besson se rêvait nabab du cinéma français

besson

Par Maroussia Dubreuil

Printemps 2000. Auréolé de ses succès populaires, le cinéaste monte EuropaCorp, un studio qui doit lui permettre de rivaliser avec les géants américains. Vingt ans plus tard, le petit empire est criblé de dettes tandis que dix mois de prison viennent d’être requis contre son fondateur pour licenciement abusif.

Ce jour de printemps 2000, Luc Besson rumine une mauvaise nouvelle. Dans le petit bureau de sa société de production, Leeloo, du nom de l’héroïne de son film Le Cinquième élément, sorti trois ans plus tôt, le réalisateur aux cheveux blond oxygéné est furieux : Nicolas Seydoux, président-directeur général de Gaumont, a refusé de lui laisser acquérir les 5 % de parts de son groupe. De quoi échauffer le champion du box-office, qui, à 40 ans, a rempli les caisses de la plus ancienne société cinématographique au monde, avec Le Grand Bleu (1988), Nikita (1990), Léon (1994) et Le Cinquième élément (1997). De quoi faire enrager celui qui s’est toujours voulu autant producteur que réalisateur, au point de fonder sa première boîte dès 1979.

C’est donc tout ouïe que, les jours suivants, il accueille la proposition de Michèle et Laurent Pétin, ses deux amis de longue date, dirigeants de la société de distribution ARP, avec qui il a produit les deux premiers volets des Taxi (1998 et 2000). Le couple envisage de fonder avec lui une société indépendante de production et de distribution. Leur plan ? ARP (alors 80 films à son actif et deux Palmes d’or : Adieu ma concubine, de Chen Kaige, en 1993, et Rosetta, des frères Dardenne, en 1999) se chargerait des films d’auteur et Luc Besson des films grand public. Du 50-50. « Pas la peine de sortir de Saint-Cyr pour avoir cette idée de mêler les genres, reconnaît Laurent Pétin. Elle vient du producteur Claude Berri avec qui j’ai travaillé pendant quinze ans. » A la table du restaurant Asia, avenue George-V, à Paris, Luc Besson fond en larmes : « On ne m’a jamais fait un cadeau pareil ! »

Très coûteuse Cité du cinéma

Mais, quelques semaines plus tard, il réajuste le deal en sa faveur et pose sur la table un nouveau schéma : 50 % pour lui, 40 % pour ARP et 10 % pour Pierre-Ange Le Pogam (à l’époque patron de la distribution chez Gaumont). « Je me souviens avoir comparé la situation à la scène d’Astérix et Obélix : mission Cléopâtre dans laquelle Obélix donne à ses amis deux mini-parts de gâteau et se garde la plus grosse, ironise Michèle Pétin. « Bah, quoi, j’ai coupé en trois ! », s’excusait Obélix ! » Ils se retirent. Mais Besson développe leur idée : mettre la main sur toute la chaîne transversale du cinéma pour prendre une marge un peu partout avant la remontée des recettes des films (production et distribution cinématographiques, mais aussi vidéo, musique, salles, vente des droits télé pour la France, vente des droits internationaux et jeux vidéo) en construisant une alternative au monopole hollywoodien : EuropaCorp.

C’est cette même entreprise qui aujourd’hui, après avoir produit un peu plus de la moitié des plus importants succès français au box-office mondial (Le Transporteur 3, la franchise des Taken et Lucy), connaît une perte de 109,9 millions d’euros sur l’exercice 2018-2019, la même qui n’est guère parvenue à faire marcher sa très coûteuse Cité du cinéma à Saint-Denis, surnommée « Hollywood-sur-Seine », ni à connaître le succès avec son grand œuvre intergalactique, Valérian et la Cité des mille planètes, en 2017. Placée sous procédure de sauvegarde par le tribunal de commerce de Bobigny, le 13 mai, pour une durée initiale de six mois, la société s’est vu, le 30 octobre, octroyer un délai supplémentaire d’un semestre pour restructurer sa dette.

Les déboires ne s’arrêtent pas là. Mercredi 27 novembre, le parquet du tribunal correctionnel de Bobigny a requis dix mois de prison et 30 000 euros d’amende contre le producteur et 50 000 euros d’amende contre EuropaCorp pour harcèlement moral à l’encontre de Sophie F. « Je devais retranscrire tous ses scénarios à partir de textos sur mon téléphone personnel. C’est quelqu’un qui ne me parlait pas, qui ne m’aimait pas. (…) J’étais devenue pour lui comme le Siri d’Apple, son esclave », a expliqué l’ancienne assistante de direction, durant l’audience à laquelle ne s’est pas présenté Luc Besson. Le cinéaste était convoqué pour licenciement abusif, début 2018, alors que Sophie F. était en arrêt maladie.

Aucun des efforts pour renflouer les caisses n’a fonctionné. EuropaCorp espérait gagner son salut avec Anna, variante moscovite de Nikita, réalisée par Luc Besson, mais la sortie du film, l’été dernier, a été ébranlée par les accusations d’agression sexuelle qui touchent son producteur-réalisateur. Alors que les deux premières plaintes pour viol déposées les 18 mai et 6 juillet 2018 par l’actrice belgo-néerlandaise Sand Van Roy, avec laquelle il a eu une liaison, ont été classées sans suite par le parquet de Paris, une enquête a été rouverte le 2 octobre, lorsque la jeune femme s’est portée partie civile.

Mis sur la touche, Luc Besson, qui dément les accusations, a mis à profit son temps libre pour suivre une psychothérapie et écrire ses Mémoires, Enfant terrible (XO Éditions), parues le 10 octobre dernier. Passée plutôt inaperçue, cette autobiographie revient sur sa jeunesse en manque d’amour et ses premiers pas dans le cinéma. Sur le plan financier, alors que des discussions sont en cours quant à l’avenir d’EuropaCorp, Luc Besson aurait refusé, en juillet, l’offre de reprise de Pathé et opté pour celle du fonds américain Vine Alternative Investments, selon Le Journal du dimanche du 14 juillet. Une issue amère pour celui qui, vingt ans plus tôt, s’était rêvé un destin de nabab.

Présider le jury du Festival de Cannes

En mai 2000, si aucune annonce n’a officialisé le grand projet de Luc Besson, la profession est sur le qui-vive. « Gaumont restait sur ses gardes, Pathé avait peur, Thomas Langmann [producteur et fils de Claude Berri] était impressionné, décrit Laurent Lufroy, affichiste attitré de Luc Besson depuis Le Grand Bleu. Inquiets ou subjugués, tous me posaient des questions, même des producteurs de majors américaines. » D’autant que Besson, dont les films sont souvent méprisés par la critique, se voit attribuer l’honneur de présider le jury du Festival de Cannes en cette année si symbolique. « Il nous emmène résolument vers l’avenir », justifiait alors Gilles Jacob, ancien délégué général du Festival. Pourtant, à la différence de ses prédécesseurs (Francis Ford Coppola, Martin Scorsese et David Cronenberg), ses films n’ont jamais concouru en Sélection officielle et Luc Besson garde un mauvais souvenir de la projection du Grand Bleu, en ouverture, douze ans plus tôt : « Grand blues sur la grande bleue : Luc Besson traite l’écran de cinéma comme la vitre d’un aquarium » avait écrit Libération.

Pour réussir sa quinzaine, le jeune président a pris le temps de réviser. « Avec mon mari, nous lui avons conseillé des films à visionner avant le Festival », se souvient Michèle Pétin. Heureux de découvrir des œuvres qu’il n’aurait pas vues ailleurs, « Président Camembert » (son surnom sur la Croisette, sans doute en raison de ses goûts culinaires) profitera également de son règne pour évoquer en filigrane son avenir : « J’ai envie de créer une maison des artistes où les jeunes et les moins jeunes pourraient se croiser », livre-t-il, le 5 mai, à la revue spécialisée Le Film français. De retour à Paris, après avoir donné la Palme d’or à Dancer in The Dark, la comédie musicale de Lars von Trier, il retrouve son look jeans-baskets pour lancer la production du premier film qui sortira, un an plus tard, sous le label Europa (Corp s’ajoutera par la suite) : Yamakasi.

Eviter un mauvais procès médiatique

Soit les aventures de sept jeunes de banlieue qui, super-héros du bitume, jouent à saute-mouton entre deux tours HLM. « Il voulait relancer la comédie d’action, qui avait été totalement abandonnée, commente un de ses anciens employés qui souhaite garder l’anonymat. En montrant des jeunes de quartier qui n’étaient pas des dealeurs ni des voleurs de Mobylette, il souhaitait aussi donner une visibilité à une jeunesse qui n’allait plus voir les films français. » Luc Besson fait appel à des acteurs inconnus et confie l’écriture et la réalisation de Yamakasi à un jeune homme de 29 ans, Julien Seri. Ce champion de kyokushinkai (un style de karaté) est aussi un réalisateur de publicité multiprimé. Le jeune sportif au crâne rasé est alors plein d’estime pour son mentor qui parle régulièrement au téléphone avec ceux qui comptent, tantôt le réalisateur David Fincher, tantôt le président Jacques Chirac. Mais leur collaboration va mal tourner.

Sur le tournage, Julien Seri dénonce une manière de faire « dont la rentabilité est le mot d’ordre », selon l’enquête détaillée de Geoffrey Le Guilcher, Luc Besson. L’homme qui voulait être aimé. La biographie non autorisée (Flammarion, 2016), et refuse de retourner des plans à la manière Besson (qui privilégie les scènes d’action). Il est renvoyé. L’affaire finira aux prud’hommes : Julien Seri touchera la fin de ses salaires non payés, soit 54 130 euros. Luc Besson passera un accord avec lui au sujet des droits d’exploitation pour s’éviter un mauvais procès médiatique.

Avant la sortie du film, le producteur doit rapidement trouver un logo signifiant pour le monde entier. « Je veux qu’il ait tous les attraits d’une major américaine et qu’on ait l’impression qu’il a toujours existé », demande-t-il à son affichiste, Laurent Lufroy. Ce dernier se penche d’abord sur les représentations de la princesse Europe dans la mythologie grecque avant de se raviser : « Columbia avait déjà sa femme ! » Et pourquoi pas une carte de l’Europe ? Mais cela fait près d’un siècle qu’Universal fait tourner son globe terrestre.

« Le dauphin, c’est son identité. Enfant, il m’offrait toujours des babioles en forme de dauphin. » Jacotte Perrier, ancienne amie de la famille Besson

Finalement, le sigle retenu par Luc Besson trouve son inspiration dans le dernier plan de Microcosmos. Le Peuple de l’herbe (1996), de Claude Nuridsany et Marie Pérennou, dans lequel un moustique naît dans un plan d’eau. « Comme je suis aussi fan des illustrations d’Alan Lee [concepteur visuel et directeur artistique de la trilogie du Seigneur des anneaux], j’ai remplacé le moustique par une fée qui sortait de l’eau », raconte Laurent Lufroy. « Et si quelque part on pouvait mettre des dauphins ? », réclame Luc Besson. « Le dauphin, c’est son identité. Enfant, il m’offrait toujours des babioles en forme de dauphin, sourit Jacotte Perrier, 72 ans, ancienne amie de la famille Besson. Comme ses parents étaient instructeurs de plongée au Club Med pendant l’été, il passait son temps dans l’eau avec un tuba. Luc était fier de sa mère et racontait souvent qu’elle était la seule à pouvoir nager au milieu d’un banc de dauphins. »

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EuropaCorp est officiellement créée le 27 novembre 2000 par Luc Besson et son associé Pierre-Ange Le Pogam, qui détient 8 % des parts. Pour chapeauter la trentaine d’employés (pour la plupart intermittents), les deux patrons constituent une petite équipe capable de monter des films, mais aussi de les placer auprès de gros distributeurs, quitte à les survendre (comme la comédie Wasabi à Universal, en 2001), de faire du placement de produits Audi ou Nokia. Le rythme de travail est soutenu : il faut produire beaucoup pour répartir le risque. " On travaillait dans une ambiance start-up où tout était possible, explique Olivier Doyen, ancien directeur marketing. Dès qu’une idée était bonne, on y allait. "

« En créant sa major, Luc Besson s’est rendu compte que les mauvais films faisaient plus d’argent que les bons », formule un ancien collaborateur. A la réalisation, Luc Besson engage le plus souvent des inconnus : un assistant, Patrick Alessandrin (15 août, 2001), un débutant, Chris Nahon (Le Baiser mortel du dragon, 2001), puis offre sa chance à un stagiaire, Louis Leterrier (Le Transporteur, 2002), qu’il prend soin d’entourer de ses plus fidèles techniciens : « Le machino répétait à Luc Besson tout ce que je disais, pointait quand j’allais aux chiottes ou quand j’allais déjeuner », s’émeut un ancien poulain, qui a mal vécu la surveillance du grand chef.

Dès sa première année, la société lance en production un long-métrage capable de rivaliser avec Hollywood : les aventures d’un chauffeur spécialisé dans les opérations violentes, tourné dans le sud de la France avec l’acteur britannique Jason Statham. Le Transporteur rapportera quarante millions d’euros. « Luc Besson appliquait la méthode américaine au budget français, explique William Pruss, premier assistant réalisateur sur plusieurs productions EuropaCorp. Son système s’inspire du studio américain Nu Image, fondé en 1992, qui arrive à faire des films d’action avec un budget serré, des réalisateurs débutants et le final cut pour le producteur. Mais il dépensait vingt à trente millions quand les Américains en dépensaient cinq fois plus. »

Si Luc Besson vise le marché américain et engage des acteurs anglophones, il refuse néanmoins d’y délocaliser ses productions, gardant un mauvais souvenir des conditions drastiques imposées par un syndicat américain de techniciens du cinéma sur le tournage de Léon à New York, en 1993. « Comme ce syndicat décide du nombre de techniciens par film, il a été obligé d’engager un cadreur alors qu’il cadrait lui-même. Le type a passé ses journées assis sur un cube », explique Thierry Arbogast, chef opérateur de Luc Besson depuis Nikita. Un autre marché va rapidement l’intéresser : la Chine. Aussi produit-il, dès 2001, Le Baiser mortel du dragon, avec Jet Li dans le rôle principal.

Entièrement dédié au développement de sa multinationale jusqu’en 2005 (année où il tourne Angel-A), Luc Besson ne réalise plus. « Il pouvait devenir un cadreur supplémentaire quand il estimait qu’un réalisateur avait besoin d’aide », nuance néanmoins William Pruss. EuropaCorp aurait-elle eu raison de son inspiration créatrice ? « Avant l’âge de 40 ans, il avait une compréhension incroyable du monde des ados, analyse un ancien employé qui reste anonyme. Le Grand Bleu, Nikita, Léon, Jeanne d’Arc, ce sont toutes des histoires d’ados qui ne veulent pas rentrer dans le monde des adultes. Mais, après 40 ans, il n’arrive plus à exprimer cela. » En réalité, Jeanne d’Arc (1999) aurait scellé la fin de sa première époque de cinéma motivée par ses amours et muses, Anne Parillaud, Maïwenn et, enfin, Milla Jovovich.

« L’expérience a été compliquée pour lui, car Milla Jovovich l’a quitté pendant le montage de Jeanne d’Arc. Après, il disait qu’il était fatigué, qu’il voulait lever le pied, confie Michèle Pétin. Il était raide dingue d’elle ! Quand ils étaient ensemble, c’est d’ailleurs la seule fois où je l’ai vu mince. Comme elle n’arrêtait pas de lui dire qu’il mangeait mal, il avait pris un coach sur le tournage de Jeanne d’Arc, qui lui apportait une assiette avec trois fraises pour le goûter. à chaque fois, je me disais que Luc allait l’emplâtrer, mais, non, il mangeait ses trois fraises. Et, quand elle fumait des pétards à table avec des copains, Luc ne disait rien alors qu’il déteste la drogue et qu’il emmerde tout le monde pour une cigarette. Cette rupture l’a anéanti. »

Enfermé dans son domaine

En 2000, désormais en couple avec une productrice, Virginie Silla, ancienne stagiaire de la Gaumont devenue sa collaboratrice (puis son épouse, en 2004, et la mère de trois de ses enfants, Thalia, Sateen et Mao), il se consacre à la production et s’enferme dans son domaine en Normandie, le château des Lettiers, acheté à l’origine pour Milla Jovovich qui voulait monter à cheval. « Quand elle l’a quitté, il s’est demandé comment ça pouvait lui coûter le moins cher possible, raconte Laurent Pétin. Je me souviens qu’il voulait virer une sublime allée de boules de buis de deux mètres de haut. Je lui ai dit de m’avertir du passage du jardinier, car j’étais partant pour les reprendre. « Ah bon ? Ça a de la valeur, ça ? », me lança-t-il. Comme ces buis valaient de l’argent, il les a gardés. C’est comme ça qu’il pense. »

Mais il n’est pas question de villégiature dans ce château, au parc traversé par des cerfs, que la Fédération des chasseurs de l’Orne voudrait voir abattus, ayant attaqué, début novembre, Luc Besson, au motif qu’ils abîmeraient les champs voisins. Dans la propriété se mêlent travail et vie privée. Le château devient le studio Digital Factory d’EuropaCorp : un lieu d’écriture et de postproduction destiné aux films EuropaCorp. « A son échelle, il fait avec son château normand comme Stanley Kubrick dans son manoir anglais ou George Lucas dans son ranch californien [qu’il a visité à 18 ans] : en reconstruisant une place forte personnelle, il se donne les moyens de sa liberté économique, tout en consolidant les digues qu’il juge nécessaires à sa solitude et à sa protection », formulait le critique Olivier Séguret, dans Libération, le 6 mars 2000, après une interview sur place.

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En Normandie, la mère de Luc Besson, Danièle Plane, « Dadou » pour les intimes, s’est occupé de la déco – baignoires en zinc, lits à baldaquin, une chambre s’appellerait « Gérard Philippe ». Sur le site résidentiel de deux cents hectares, le Moulinsart en brique rouge est réservé à l’usage personnel et familial du maître des lieux et, tout autour, des dépendances hébergent les employés. « Quand j’y suis allé pour répéter, j’avais l’impression que c’était une des planques de Mesrine parce que ce château est introuvable ! », plaisante Edouard Montoute, acteur récurrent de la série de films Taxi.

« Luc Besson avait une idée par jour, comme les ados. C’était toujours les mêmes sortes d’idées. Elles tenaient sur une page, mais il arrivait à en faire des scénarios. » Nathalie Chéron, amie d’enfance

« Luc a tellement manqué quand il était enfant qu’il est devenu très malin avec l’argent, sourit Jacotte Perrier. Avant que sa mère ne refasse sa vie avec François Guerre-Berthelot, un pilote de formule 2, elle menait une vie de bohème et n’avait pas un rond. Quand elle n’était pas monitrice de plongée, elle travaillait comme mannequin junior pour l’agence Catherine Harlé et habitait avec Luc, sous les toits, boulevard Sébastopol, à Paris. Quand le petit sortait de l’école, il traînait dans le parc en face, où il croisait les putes de la rue Saint-Denis qui lui donnaient à manger. Il a toujours eu un peu honte de cette vie-là. Depuis, il règle ses comptes en voulant prouver à la France qu’il existe. »

Les premières années d’EuropaCorp filent à toute allure et la start-up se meut en petit empire du cinéma. « Luc Besson avait une idée par jour, comme les ados, décrit Nathalie Chéron, amie d’enfance, devenue sa directrice de casting sur une dizaine de films. C’était toujours les mêmes sortes d’idées. Elles tenaient sur une page, mais il arrivait à en faire des scénarios. » Fort en pitch, il obtient facilement des financements, notamment auprès de Canal+. A peine cinq ans après la mue de Leeloo Productions en EuropaCorp, le siège de la rue Ampère, à Paris, dans le 17e arrondissement, déménage pour une adresse plus prestigieuse, un hôtel particulier surnommé « le petit Elysée », au 137, rue du Faubourg-Saint-Honoré, dans le chic 8e arrondissement.

Tous les ans, il descend à Cannes, pendant le Festival, où il invite les musiciens électros 2 Many DJ’s ou David Guetta à ambiancer ses fêtes. « En 2003, pour l’avant-première de Haute Tension, d’Alexandre Aja, il nous avait installés sur des transats avec des couvertures de survie devant un écran géant au bord de sa piscine, se souvient une invitée. On nous servait du champagne à la fraise pendant la projection. On était choyés ! »

Des collaborateurs fâchés

Dès la création d’EuropaCorp, il envisage de l’introduire en Bourse. « C’est son voisin dans le Midi, Achille Delahaye, un millionnaire de 35 ans, qui lui a mis cette idée en tête », retrace Laurent Pétin. Attiré par le monde de la finance, le producteur devient alors de plus en plus inaccessible au sein même de sa société. S’il peut toujours compter sur ses fidèles piliers, le chef opérateur Thierry Arbogast ou bien le directeur de production Bernard Grenet, les jeunes réalisateurs qu’il a formés sont partis parce qu’ils rêvaient d’Amérique ou parce qu’ils ne supportaient plus la pression.

D’autres collaborateurs, fâchés, ont tiré une croix sur lui. « Sa méthode, c’est celle du professeur sadique dans le film Whiplash [de Damien Chazelle, 2004] : il vous pousse dans vos retranchements, mais, si vous ruez dans les brancards, vous êtes puni, regrette la directrice de casting Nathalie Chéron. Moi, j’ai été punie après Valérian parce qu’il a décidé que j’avais fait courir le bruit qu’il couchait avec des mannequins sur le tournage… Comme si j’étais la seule à avoir travaillé sur ce plateau de 250 personnes ! »

Nombreux sont ceux qui parlent de lui avec amertume, encore étonnés par la personnalité mystérieuse de l’homme qui rêvait de bousculer le cinéma français. Et Nathalie Chéron d’ajouter : « Ce qui est très troublant chez lui, c’est qu’il a beau être un homme d’affaires redoutable pour monter des deals, diriger et embobiner des gens, quand il raconte une histoire ou des blagues, au fond, c’est un mec qui a 12 ans. » Le 6 juillet 2007, jour d’entrée en Bourse d’EuropaCorp, quand tous sabrent le champagne, Luc Besson n’entend pas les mises en garde de certains de ses collaborateurs essorés par les sept premières années de l’entreprise. Certains murmurent que c’est le début de la fin. Heureux comme un enfant parmi les adultes, Luc Besson, qui n’aime pas l’alcool, trinque avec un verre de jus d’orange.

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