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Jours tranquilles à Paris
7 décembre 2019

Bayrou mis en examen : le point sur l’affaire des assistants parlementaires du MoDem

bayrou

Par Yann Bouchez, Simon Piel

Le patron du parti centriste est poursuivi pour « complicité de détournement de fonds publics ». Devant les enquêteurs, il avait tenté de prendre ses distances avec la gestion administrative de son mouvement.

Il s’était préparé au pire. Le 28 novembre, sur le plateau de BFMTV, François Bayrou relativisait : « Tout le monde est mis en examen ou à peu près dans la vie politique française. »

Au MoDem, la phrase est d’actualité. Alors que depuis un mois, au moins une dizaine d’anciens élus ou cadres du mouvement ont été mis en examen dans le cadre de l’affaire des assistants parlementaires européens, le président du parti centriste, convoqué vendredi 6 décembre par les juges du pôle financier de Paris, vient de connaître le même sort judiciaire. Il est visé du chef de « complicité de détournement de fonds publics ».

« Cette mise en examen, annoncée à l’avance dans les journaux, a été décidée à l’encontre de tous les éléments de preuves produits. La suite de l’instruction montrera qu’elle est totalement infondée », a déclaré à l’Agence France-presse (AFP) Pierre Cornut-Gentille, l’avocat de François Bayrou.

Qu’il semble loin, le temps de l’assurance affichée. Le temps où François Bayrou, éphémère ministre de la justice du premier gouvernement d’Edouard Philippe, expliquait, catégorique, à l’été 2017, au moment de son départ : « Toutes celles et tous ceux qui ont travaillé au MoDem avaient un contrat de travail et une fiche de paie, et cela sera aisé à prouver. » Et d’insister : « La gestion de la ressource humaine dans notre mouvement a été régulière, normale, légale et, je l’affirme, morale. »

Deux ans plus tard, loin de l’image d’un chef de parti sûr de son fait et au courant de son fonctionnement, c’est un tout autre visage que François Bayrou a livré aux policiers qui l’ont auditionné le 11 septembre. Celle d’un dirigeant mal informé sur les rouages internes de son parti. Il affirme ainsi ne pas avoir su que le directeur administratif et financier du MoDem, Alexandre Nardella, était le tiers payant de la majorité des eurodéputés centristes, poste central dans la gestion des enveloppes parlementaires. « Je n’ai pas la compétence sur la gestion des assistants parlementaires », a-t-il résumé, mi-septembre.

Face à des enquêteurs soupçonnant une « pratique institutionnalisée du “prêt” d’assistant parlementaire », M. Bayrou a parfois peiné à répondre aux questions allant même jusqu’à soutenir que « bien loin de financer le parti, les députés européens étaient aidés par celui-ci ».

Les témoignages d’eurodéputés

Dès 2007, certains eurodéputés sont mécontents de s’être vu imposer des assistants parlementaires qui ne travaillent pas assez pour eux et trop pour le parti. Dans un mail du 12 décembre 2007, la députée européenne Claire Gibault se plaint auprès d’une permanente du parti dont elle prend en charge 60 % du salaire : « Vous savez aussi bien que moi que vous consacrez bien plus qu’un tiers de votre temps de travail à vos activités au sein du MoDem. »

Cette même année, le directeur financier, Alexandre Nardella décide d’octroyer une prime de 6 000 euros à cette permanente sur l’enveloppe parlementaire de Mme Gibault, suscitant la colère de cette dernière. « Ce sont leurs affaires, répond M. Bayrou. Je ne comprends pas cette histoire. » Le président du MoDem ajoute : « On ne peut pas être plus étranger que je le suis à cette affaire. (…) L’idée que je doive moi, président du mouvement m’occuper des assistants parlementaires et de leur disponibilité n’a pas de sens. »

Le maire de Pau ne s’explique pas non plus comment l’ex-eurodéputée Janelly Fourtou (1999-2009) a pu avoir comme assistante à temps partiel Quitterie de Villepin pendant environ trois ans – 40 000 euros pris sur l’enveloppe parlementaire –, sans que ni l’une ni l’autre ne se souviennent avoir collaboré ensemble. Quitterie de Villepin affirme avoir travaillé pour le parti, ce que nie M. Bayrou : « Elle était une militante revendicative et pas du tout une salariée. »

Le patron du parti centriste savait-il qu’elle avait aussi été payée comme assistante parlementaire à 50 % par l’eurodéputé Thierry Cornillet, de février 2007 à juin 2009 ? « Non, je n’en savais rien. Mais il apparaît de plus en plus que cette jeune femme avait le don de se faire engager. » Il l’assure, aucune pression du MoDem n’a été exercée sur les eurodéputés centristes : « Un parlementaire européen, il n’y a pas de moyen de lui forcer la main. »

La note du 15 février 2011

Une note découverte par les enquêteurs pourrait pourtant laisser penser le contraire. En date du 15 février 2011, elle a été rédigée par Bernard Lehideux, ancien député européen (2004-2009) et conseiller de M. Bayrou à l’époque. A l’intention de Jean-Jacques Jégou, alors trésorier du parti, M. Lehideux écrit : « Les députés européens se sont engagés immédiatement après les dernières élections, et ceci comme l’avaient fait leurs prédécesseurs, à consacrer un tiers de la dotation mise à disposition pour payer leurs assistants, aux salaires et charges de collaborateurs travaillant “ensemble” au siège du MoDem et recrutés parmi le personnel maison. » M. Bayrou affirme n’avoir jamais vu ce document, même s’il en avait entendu parler : « Je pense qu’il s’agit d’une confusion. »

La note laisse apparaître un Bernard Lehideux agacé. « Je n’arrive plus à rien, écrit-il, et je suis obligé de dire que j’en assez d’aller tendre la main auprès de gens qui ne veulent pas en fait respecter les engagements qu’ils ont pris. » M. Bayrou interprète ainsi ces propos : « Les parlementaires ayant leur bureau au siège [du MoDem], c’était pour nous exprimer une obligation morale d’avoir au siège aussi la présence de leurs assistants locaux. »

Car le patron du MoDem tient à le souligner : son parti traitait bien les eurodéputés. Au siège de son parti, rue de l’Université, à Paris, ceux-ci pouvaient bénéficier de « bureaux vastes, bien équipés », et de « postes pour les assistants ». « Aucun ne payait de loyers, précise-t-il. C’est le mouvement politique qui fournissait les locaux, le téléphone, la bureautique, l’affranchissement, l’électricité, etc. C’était une occupation à titre gracieux, déclarée au Parlement européen. (…) Le parti ne leur a jamais rien demandé. »

La position du Parlement européen

Interrogés en tant que partie civile en décembre 2018, les représentants du Parlement européen ont assuré que « l’analyse et l’exploitation des éléments transmis nous ont permis d’identifier neuf assistants parlementaires pour lesquels nous envisageons, sauf à ce que d’autres explications nous soient apportées, d’initier une procédure de prérecouvrement consistant à se faire rembourser les frais dont l’usage serait contestable ».

Depuis cette audition, plusieurs ex-eurodéputés centristes se sont vus réclamer des sommes par l’institution. L’éphémère ministre des armées, Sylvie Goulard, a ainsi dû rembourser près de 45 000 euros. Jean-Luc Bennahmias, ancien des Verts élu sous l’étiquette du MoDem entre 2009 et 2014, devra rembourser environ 45 000 euros. Enfin, Nathalie Griesbeck, eurodéputée centriste de 2004 à 2019, devra payer près de 100 000 euros.

Interrogé sur la note du 15 février 2011, le directeur général des finances du Parlement européen, Didier Klethi, a livré son interprétation : « La teneur de la note me paraît démontrer l’existence d’un accord interne. Il y est expressément fait référence à l’engagement des députés de consacrer un tiers de la dotation mise à leur disposition pour payer leurs assistants au parti. »

Les représentants du Parlement européen ont par ailleurs tenu à faire part de leur surprise quant à l’utilisation de cadres du MoDem comme tiers payant des assistants parlementaires européens. « [Michel] Mercier [ancien trésorier du parti] d’abord, puis M. Nardella apparaissent comme également piloter ces questions, et notamment l’allocation budgétaire des fonds dédiés à l’assistance parlementaire. Ce n’est pas interdit mais cela est étrange », estiment-ils.

Un règlement de comptes politique ?

Tout au long de leurs auditions par la police judiciaire, Marielle de Sarnez comme François Bayrou ont expliqué que cette affaire relevait en fait d’une série de règlements de comptes politiques menés par plusieurs de leurs accusateurs. Ainsi ont-ils tenu à rappeler que l’ouverture de l’enquête judiciaire reposait notamment sur une dénonciation portée en mars 2017 par l’ex-eurodéputée frontiste Sophie Montel auprès du parquet de Paris.

Puis que l’enquête avait ensuite été nourrie par Matthieu Lamarre, un ancien assistant parlementaire du MoDem, passé avec armes et bagages dans l’équipe de la maire (PS) de Paris, Anne Hidalgo, adversaire politique.

L’ancienne eurodéputée Corinne Lepage est aussi pointée du doigt par les dirigeants du MoDem. En 2015, celle-ci avait publié un ouvrage, intitulé Les Mains propres, dans lequel elle expliquait que, à la suite de son élection comme députée européenne en 2009, la direction du MoDem lui avait demandé de signer un document engageant les élus à mettre à la disposition du parti un de leurs assistants parlementaires.

Marielle de Sarnez a tenu à rappeler que Mme Lepage avait assez vite quitté les rangs du MoDem après son élection. A une question de son avocat au cours de son audition sur « une rivalité politique » qui aurait pu conduire certains, dont Corinne Lepage, à « déformer les faits », elle a répondu : « Oui, sans aucun doute. Leur carrière politique ne leur a sûrement pas apporté les satisfactions qu’ils en attendaient. Ceci peut expliquer cela. »

Les pressions de François Bayrou

Malgré une sérénité affichée, François Bayrou a montré en coulisses une certaine fébrilité face à l’avancée de l’instruction. Le 7 juin 2017, toujours ministre de la justice, il appelle le directeur de l’investigation de Radio France, Jacques Monin, pour se plaindre d’une enquête journalistique sur les assistants du MoDem au Parlement européen.

« Voici ce qu’il me dit en substance : “Des gens de chez vous sont en train de téléphoner à des salariés du MoDem, de les harceler de manière inquisitrice, et de jeter le soupçon sur leur probité. C’est inacceptable.” », a raconté M. Monin à Mediapart.

Enfin, plus récemment, comme l’a révélé Le Canard enchaîné, M. Bayrou, qui s’est procuré le numéro de téléphone portable de Charlotte Bilger, la juge d’instruction chargée de l’enquête sur le MoDem, grâce à un commissaire divisionnaire de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (Oclciff), n’a pas vu de difficulté à l’appeler pour « se plaindre de la teneur des informations communiquées par la presse » puis à lui envoyer un SMS pour demander à ce que son informaticien assiste à l’ouverture du scellé contenant son ordinateur saisi en perquisition.

Avec la mise en examen de M. Bayrou, ce sont désormais plus d’une dizaine d’anciens élus ou de cadres du MoDem qui sont visés par la justice, dont les anciens députés européens Marielle de Sarnez, Sylvie Goulard, ou encore Jean-Luc Bennahmias, ainsi que l’ancien garde des sceaux Michel Mercier, un temps trésorier du parti.

Eric Morain, l’avocat de l’ancienne eurodéputée Anne Laperrouze (2004-2009), a regretté « une série de mises en examen à marche forcée qui ne permet pas une appréciation individualisée des responsabilités ».

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