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Jours tranquilles à Paris
14 décembre 2019

Grève : à Paris, la ruée sur les pistes cyclables et les limites des vélos et trottinettes en libre-service

Par Olivier Razemon

L’afflux de deux-roues permet d’observer en accéléré la transformation des mobilités dans une grande ville et de mettre en lumière les déficiences du libre-service.

« Inauguration du Vélopolitain ». Les lettres capitales ont été tracées au pochoir sur le morceau de carton que brandit un militant le long de la piste cyclable de la rue de Rivoli, en plein cœur de Paris. Jeudi 12 décembre, au matin du huitième jour de grève dans les transports, les associations Mieux se déplacer à bicyclette et Paris en selle « inaugurent » officieusement le réseau cyclable qu’elles appellent de leurs vœux pour la capitale et sa proche banlieue. Puisque les lignes du métropolitain fonctionnent au ralenti, autant créer des lignes de vélo.

Les activistes effectuent un marquage au sol, à la craie, en respectant le code couleur utilisé par la RATP, noir sur fond jaune pour la ligne 1, V blanc (au lieu du M de métro) sur fond noir. Les dessins s’effaceront rapidement au cours de la matinée. Car sur cette piste à double sens qui longe l’Hôtel de ville, le flux de vélos et trottinettes est incessant. Le compteur installé au bord de la piste s’affole : déjà 1 000 passages à 9 heures du matin. Il avait atteint les 9 000 la veille, un record.

La fréquentation exceptionnelle des pistes cyclables, + 96 % entre le 28 novembre et le 5 décembre, ne nourrit pas seulement les ambitions des associations de cyclistes. Cela constitue une expérience inédite, permettant d’observer en accéléré la transformation des mobilités dans une grande ville.

Le premier constat porte sur les comportements. Il suffit de se poster au bord d’une de ces nouvelles pistes cyclables à double sens pour remarquer que, contrairement à ce que l’on avait l’habitude d’observer jusque-là, rares sont les scooters et motos à emprunter délibérément ces voies réservées. Les radars automatiques disposés à certains carrefours ont fini par forger les habitudes.

Par la même observation attentive, on constate que la plupart des trottinettes empruntent les pistes, avec les vélos, sans heurts majeurs. Le sujet était très discuté ces derniers mois, y compris au ministère des transports et au Parlement : les usagers de la trottinette devaient-ils rouler sur la chaussée, sur les pistes, voire sur le trottoir ? Le bridage de la vitesse maximale à 20 km/h, réclamé par la Mairie de Paris en juin, facilite sans doute cette cohabitation.

Enfin, selon un comptage empirique, les vélos semblent bien plus nombreux que les trottinettes électriques. Celles-ci demeurent pourtant très demandées. Lime, premier opérateur parisien, annonce depuis le début de la grève une progression moyenne de 90 % du nombre de trajets quotidiens par rapport à une journée normale. Dott, qui a disposé 3 000 exemplaires dans Paris intra-muros, effectue un constat similaire : « + 50 % le jeudi 5 décembre, premier jour de grève, par rapport au jeudi précédent, + 100 % le week-end et même + 230 % lundi 9 », indique Matthieu Faure, responsable du marketing.

« Challenge opérationnel » pour les opérateurs

Pour les opérateurs, « c’est un vrai challenge opérationnel », relève M. Faure : « Chaque trottinette est utilisée six à huit fois par jour. Elles se déchargent plus rapidement, en une matinée plutôt que trois jours. » Les nouveaux modèles de Lime, mis en service en septembre, affichent une autonomie de 50 km et « sont rechargés quotidiennement », signale l’opérateur. Pour faire face à cet afflux, les deux sociétés mobilisent tout leur personnel, 100 personnes chez Dott, 300 chez Lime.

Côté vélo, l’application de guidage Geovelo enregistre « deux à trois fois plus de téléchargements qu’en temps normal », indique Antoine Laporte Weywada, directeur du développement. Le nombre de kilomètres parcourus avec l’aide de l’application a bondi de 300 % mardi par rapport à une journée équivalente en novembre. « Par ailleurs, les trajets sont plus longs que d’habitude. Les gens viennent de loin », souligne le responsable.

Une partie des usagers se sont équipés d’un Véligo, la bicyclette électrique bleu turquoise proposée par la région Ile-de-France pour un forfait de 40 euros par mois. Leur nombre a bondi, de 3 200 juste avant la grève à 4 000 le 12 décembre. D’autres ont recours au service Vélib’ : 160 000 courses ont été enregistrées mardi, mais c’est moins que le 13 septembre, première journée de fronde à la RATP contre la réforme des retraites, lorsque 180 000 trajets avaient été effectués.

Le « free-floating » ne fait plus recette

De nombreux utilisateurs, dont une part de néocyclistes qui ne disposent pas de leur propre vélo, se retrouvent face à des stations vides ou avec un vélo endommagé ou aux pneus crevés. A certaines stations fréquentées, des files d’attente se forment. Le service montre ses limites. Le vandalisme à l’encontre des Vélib’ n’est pas un problème nouveau à Paris, mais il est exacerbé par la surutilisation du parc ces derniers jours, ainsi que par les stations fermées en prévention des manifestations. « La grève a un impact direct sur la régulation du parc », admet l’opérateur Smovengo.

Le « free-floating », en outre, ne fait plus recette. Lors de leur disposition dans les rues, début 2018, ces vélos en libre-service, Gobee, Mobike ou Ofo, étaient présentés comme des acteurs susceptibles de dominer le marché de la mobilité. Ils ont pratiquement disparu. Seuls ont survécu les vélos rouge écarlate estampillés Jump, proposés par le transporteur Uber sur son application.

Sur les pistes, mais aussi les avenues, aux carrefours, aux portes de Paris, on voit surtout une masse de vélos personnels, sortis des caves ou dénichés sur Leboncoin. Il y en a de toutes sortes, plus ou moins customisés, plus ou moins grinçants, avec ou sans assistance électrique, pas toujours éclairés, parfois dépourvus de garde-boue, ce qui n’est pas du tout recommandé quand on roule sur une chaussée mouillée.

Cet afflux inattendu amène les associations franciliennes à réclamer avec davantage d’insistance la concrétisation du réseau Vélopolitain, ainsi que l’installation d’arceaux de stationnement. « En l’état, l’infrastructure n’est pas faite pour accueillir un doublement de la pratique », déplore Charles Maguin, président de Paris en selle.

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