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Jours tranquilles à Paris
12 janvier 2020

Portrait - Alexandre Hezez, celui par qui les scandales pédophiles au sein de l’Eglise ont été révélés

Par Richard Schittly, Lyon, correspondant

Victime du père Preynat, Alexandre Hezez a brisé l’omerta sur les actes de pédophilie de l’ex-prêtre du diocèse de Lyon, qui doit être jugé à partir du 13 janvier.

C’est par lui que tout a commencé. Alexandre Hezez, 45 ans, est à l’origine de l’affaire qui a secoué le diocèse de Lyon. C’est lui qui a déclenché l’instruction judiciaire visant le père Bernard Preynat, en déposant plainte le 5 juin 2015, contre l’ex-prélat de Sainte-Foy-lès-Lyon. Lorsqu’il a su par hasard que le vieux curé exerçait encore, son passé est remonté. Une enfance chez les scouts, dans les années 1980, les déviances du curé sous les tentes ou dans le labo photo. Les attouchements, la sidération, l’isolement, la culpabilité. Il a choisi de le dénoncer, après un quart de siècle de silence plombé. « Quand j’ai découvert qu’il était encore en vie, ça m’est devenu insupportable. Pendant des mois, j’entendais des enfants crier la nuit dans mes cauchemars, il fallait que j’en parle », témoigne Alexandre Hezez, la voix posée, au débit clair et rapide.

Après cinq ans de procédure, les victimes du curé pédophile seront sur les bancs de la partie civile, au procès qui s’ouvre lundi 13 janvier au tribunal correctionnel de Lyon. Mais pas lui. Paradoxa­lement, le tout premier plaignant ne sera pas dans la procédure. Les faits qu’il a subis entre l’âge de 7 ans et 12 ans sont prescrits depuis juin 1989, juste avant la loi du 10 juillet 1989 qui a rallongé les délais de prescription pour les infractions sexuelles. Sur trente-cinq victimes entendues par les enquêteurs, dix seront parties civiles au procès, les autres sont « prescrites ».

« Ce sera le temps des victimes, enfin, elles pourront s’exprimer pleinement, et j’espère de tout cœur qu’on pourra encore apprendre des choses, comment tout cela a pu arriver », confie Alexandre Hezez. Il sera présent dans la salle d’audience, le premier jour. Symboliquement au moins, pour voir l’aboutissement d’un engagement personnel dont il ignorait l’ampleur au départ. Puis il retournera à ses activités de cadre supérieur dans la banque, à Paris.

La chute du cardinal Barbarin

Avant sa plainte, il a voulu alerter l’Eglise. Catholique fervent, il avait « une confiance aveugle dans l’institution ». Il a échangé des e-mails, rencontré le cardinal Barbarin, organisé une rencontre avec le père Preynat dont il est ressorti anéanti. La scène est saisissante dans Grâce à Dieu, le film de François Ozon, fidèlement inspiré des personnages de l’affaire Preynat. Sous les traits de Melvil Poupaud, le personnage d’Alexandre traverse doutes et colère pour mener un combat solitaire, avec le soutien essentiel de son épouse, enseignante dans un lycée catholique, et l’appui de ses enfants.

Sur les écrans en 2018, en plein procès Barbarin, le film produit un troublant jeu de miroirs avec l’affaire en cours, entre écran et salle d’audience. Alexandre Hezez garde de l’expérience un effet cathartique : « Mettre de l’art dans cette histoire, cela nous a permis d’ancrer ce que nous avions vécu de manière très forte. J’ai vu la puissance du cinéma dans les débats qui suivaient les projections, les personnages parlaient à l’intimité des spectateurs, mais pour moi c’était l’effet inverse, je laissais la lourdeur du passé au personnage, j’ai vécu le film comme une libération. »

Au bout d’un an de vains échanges avec le diocèse, il a choisi la voie judiciaire. Au moment où les déviances sexuelles au sein de l’Eglise se découvraient dans le monde entier. « J’ai eu l’impression de croiser un courant généralisé de prises de conscience, comme si toute une génération se levait. » Par secousses successives, le scandale a provoqué le retrait du cardinal Philippe Barbarin, et son procès pour « non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs ». La décision finale est attendue le 30 janvier à la cour d’appel. A l’audience, l’accusé a affirmé qu’il avait conseillé à Alexandre de rechercher d’autres victimes pour activer une enquête. Et ses avocats ont mis en exergue les e-mails et la carte postale où Alexandre remercie le cardinal pour son aide. « C’est toujours difficile de penser qu’un évêque ment », a-t-il rétorqué à la barre.

Les victimes ont fini par se retrouver, puis par se fédérer au sein de l’association La Parole libérée. « C’était très troublant, j’étais soulagé de voir que je n’étais pas seul, et en même temps tellement triste de voir toute la souffrance qui s’était répandue », se souvient Alexandre Hezez. Une génération d’enfants maltraités, dans une véritable complicité ambiante : Alexandre Hezez voit une similitude évidente avec ce que dénonce aujourd’hui Vanessa Springora, sur les agissements de l’écrivain Gabriel Matzneff. Pour lui, c’était les scouts et l’Eglise, pour elle, le milieu littéraire.

« Dire que “tout le monde savait”, c’est la défense classique de ceux qui se sont accommodés de tout ça, c’est une façon de déresponsabiliser l’individu de ce qu’il doit faire », estime-t-il. La page ne va pas se tourner avec le procès Preynat. Alexandre Hezez compte poursuivre débats et actions auprès d’associations et d’institutions. « Il y a tellement de souffrance, de maltraitance d’enfants, qu’il y a un devoir de continuité. »

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