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Jours tranquilles à Paris
29 janvier 2020

Municipales 2020 : à Paris, “le Marais gay est en train de mourir”

gay marais elections municipales

Vu du Royaume-Uni

THE GUARDIAN (LONDRES)

Dans le quartier du Marais touché par la spéculation immobilière et le tourisme de masse, de plus en plus de petits commerces et de bars gays historiques sont forcés de mettre la clé sous la porte. En témoigne le départ de la célèbre librairie Les Mots à la bouche, s’attriste The Guardian.

Dans la vitrine de la plus célèbre librairie gay de l’Hexagone, au-dessus des livres d’art consacrés à Lucian Freud, des mémoires de Maria Callas et d’un ouvrage retraçant l’histoire du mouvement gay, une affiche en grosses lettres rouges proclame : “Patrimoine culturel en danger.” Sur la porte, une affichette implore : “Nous avons besoin de votre aide !”

Véritable institution parisienne depuis 40 ans, ‘Les Mots à la bouche’ est la première librairie LGBT de France et, dit-on, l’une des meilleures au monde – une adresse phare du Marais, le quartier gay de Paris. Mais, à l’heure où la spéculation immobilière bat son plein dans le centre de la capitale (à certaines périodes de l’année, on dénombrerait plus de locations Airbnb que d’habitants dans le Marais), la librairie se voit boutée hors du quartier par la hausse des loyers.

“Le Marais gay est en train de mourir”

Son départ est un coup dur pour la communauté gay de Paris, et les militants redoutent que le cœur de Paris ne soit en train de perdre son identité, à mesure que les boutiques de mode haut de gamme, ciblant les touristes fortunés, chassent les petits commerces, dont les bars gays.

Pour la vedette locale de cabaret, Yvette Leglaire, “le Marais gay est en train de mourir”. L’office du tourisme de Paris a beau vendre le quartier comme “un petit village authentique mais branché”, sa scène gay, qui date des années 1980, à l’époque où le quartier était encore ouvrier, miteux et bon marché, s’étiole peu à peu. Plusieurs bars gays historiques ont baissé le rideau ces dernières années, remplacés par des enseignes de mode comme Lacoste ou Chanel.

Le Marais juif, autour de la rue des Rosiers, n’est pas épargné, le montant des loyers commerciaux y ayant doublé entre 2012 et 2018. Certains craignent que, comme à Barcelone ou Venise, la spéculation immobilière et l’appât du gain né de l’afflux de touristes, ne dépossèdent le cœur de Paris de son originalité et de son attrait. Un habitant de vieille date déplore de voir l’invasion de boutiques de mode transformer peu à peu le Marais en “duty free géant en plein air”.

Sébastien Grisez, le gérant des ‘Mots à la bouche’, soupire :

La mairie de Paris vante l’histoire gay du Marais et a fait peindre les carrefours aux couleurs de l’arc-en-ciel, mais ça paraît absurde de ne plus avoir notre librairie ici.”

L’établissement, installé dans le Marais depuis 1983, est ouvert sept jours sur sept jusqu’à 23 heures et possède plus de 16 000 titres. Mais, comme bon nombre de bars gays historiques qui ont fermé sous la pression des loyers, il se voit obligé de trouver une nouvelle adresse à Paris, avant le mois de mars. Si l’on en croit la rumeur, c’est une boutique de chaussures Doc Martens qui prendrait sa place.

La fin d’une époque

Sébastien Grisez se souvient :

Il y a dix ans, il y avait bien plus de bars gays ici. Aujourd’hui, il n’en reste que quelques-uns. C’est vrai que la sociologie gay est en train de changer – les gens sont plus éparpillés. Comme on peut se rencontrer sur des applis, on ressent peut-être moins le besoin de se rencontrer dans les bars. Mais il n’empêche que les gens regrettent la disparition des lieux de rencontre du quartier.”

Alain Lesturgez travaille à la Fédération nationale des communes forestières et fréquente la librairie depuis vingt ans. Il explique : “Ce déménagement marque la fin d’une époque. C’est un endroit où le libraire prenait le temps de vous conseiller. Autrefois, ça grouillait de vie dans le Marais. Aujourd’hui, à cause des enseignes de luxe, le quartier ressemble à plein d’autres dans le monde.”

Le quartier perd son âme

À l’Open Bar, une adresse gay historique, Sébastien Fossa, militant des droits LGBT et patron des lieux, commente : “Le quartier perd son âme à vue d’œil. Au départ, c’était un quartier ouvrier. Petit à petit, l’arrivée des marques de luxe a cassé la dynamique qu’il y avait ici.”

Fayçal Khiatine, le patron du Cox, le bar gay voisin, renchérit : “Quand une librairie s’en va, c’est la vie quotidienne du quartier qui en pâtit.”

Christian Ducou, qui est né et qui a grandi dans le Marais ouvrier des années 1950 et 1960, avise par la fenêtre de sa cuisine une boutique Calvin Klein flambant neuve, sur deux étages. L’homme a connu l’époque où les enfants jouaient dans la rue et où la plupart des appartements avaient des salles d’eau communes sur le palier et pas de toilettes. “Le premier riche que j’ai vu, c’était le photographe Helmut Newton, quand il a emménagé ici”, se souvient-il.

Spéculation immobilière et tourisme de masse

Son épouse, Liliane, soupire :

Curieusement, ces boutiques de luxe sont souvent vides. C’est comme si elles avaient uniquement été ouvertes pour avoir une adresse dans le Marais. Le quartier n’a tout simplement pas l’air de convenir à ce type de boutiques. On a des petites rues étroites où les limousines ne peuvent pas se garer et ils mettent des boutiques hors de prix qu’on attendrait plutôt sur les boulevards, où les voitures avec chauffeur peuvent attendre dehors.”

À l’approche des municipales qui auront lieu au printemps, les politiques se demandent comment sauver l’âme du cœur de Paris de la spéculation immobilière et du tourisme de masse – à supposer qu’il soit encore temps.

La fin du cocon

Pour David Belliard, candidat écologiste, le fait que ‘Les Mots à la bouche’ soit obligé de partir du Marais montre bien que la capitale française se dénature et “ne s’adresse plus aujourd’hui qu’aux touristes”.

Le maire socialiste du IVe arrondissement a promis d’aider la librairie à trouver une nouvelle adresse mais, alors que la date butoir de mars approche, on ne voit toujours rien venir.

Comédien de profession, Sébastien Raymond témoigne : “Cette librairie a toujours fait l’effet d’un cocon. On savait qu’on serait accepté ici. On se sentait à l’abri.”

Angelique Chrisafis

Source

The Guardian

LONDRES www.theguardian.com

L’indépendance et la qualité caractérisent ce titre né en 1821, qui abrite certains des chroniqueurs les plus respectés du pays. The Guardian est le journal de référence de l’intelligentsia, des enseignants et des syndicalistes. Orienté au centre gauche, il se montre très critique vis-à-vis du gouvernement conservateur.

Contrairement aux autres quotidiens de référence britanniques, le journal a fait le choix d’un site en accès libre, qu’il partage avec son édition dominicale, The Observer. Les deux titres de presse sont passés au format tabloïd en 2018. Cette décision s’inscrivait dans une logique de réduction des coûts, alors que The Guardian perdait de l’argent sans cesse depuis vingt ans. Une stratégie payante : en mai 2019, la directrice de la rédaction, Katharine Viner, a annoncé que le journal était bénéficiaire, une première depuis 1998.

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