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Jours tranquilles à Paris
30 janvier 2020

Ce soir à la télévision : François Fillon, la vie après le crash

Par Solenn de Royer, Vanessa Schneider - Le Monde

Le candidat malheureux de la droite à la présidentielle de 2017, qui doit être jugé du 24 février au 11 mars devant le tribunal correctionnel de Paris, sort de sa réserve : il est l’invité, jeudi 30 janvier, de « Vous avez la parole », sur France 2.

Il tend sa carte d’embarquement à l’hôtesse d’Air France et s’installe dans la cabine business. Ce 17 avril 2019, François Fillon vient de passer trois jours au Liban pour sa fondation Agir pour les chrétiens d’Orient. En attendant le décollage, il repense avec tristesse à Notre-Dame de Paris, dont il a suivi l’incendie dévastateur deux jours plus tôt, alors qu’il dînait sur le port de Beyrouth. Son officier de sécurité le sort brutalement de sa rêverie : « Robert Bourgi est dans l’avion ! » M. Fillon racontera plus tard à un ami : « A cet instant, je me suis dit : “Si je le croise, pas sûr que je sois capable de ne pas lui mettre ma main dans la figure.” »

Par le plus mauvais des hasards, l’avocat franco-libanais, proche de Nicolas Sarkozy, qui avait achevé de plomber sa campagne en révélant à la presse avoir offert à M. Fillon de coûteux costumes, se trouvait dans le même hôtel que lui, à Beyrouth. Les deux hommes ne se sont pas croisés. Cette fois, François Fillon se sent coincé. Quand une hôtesse vient lui proposer un surclassement en première, à côté d’un siège encore vide, il hésite : « C’est gentil, mais je préfère ma place seule en business. » L’hôtesse sourit et murmure élégamment : « Soyez tranquille, M. le premier ministre. M. Bourgi se trouve en business. »

Près de trois ans après le fiasco présidentiel, le candidat malheureux de la droite reste hanté par la tragédie politico-judiciaire qui, pense-t-il, lui a coûté l’Elysée. Il sera jugé, du 24 février au 11 mars, devant le tribunal correctionnel de Paris, dans l’affaire des emplois présumés fictifs dont aurait bénéficié son épouse, Penelope, quand il était député. L’ancien premier ministre devra notamment répondre de « détournement de fonds publics », « complicité et recel » de ce délit, « complicité et recel d’abus de biens sociaux », ainsi que de « manquement aux obligations déclaratives de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ».

Une échéance majeure, qui l’a décidé à sortir de sa réserve : jeudi 30 janvier, il est l’invité de « Vous avez la parole », sur France 2. M. Fillon a préparé ce retour avec sa communicante, Anne Méaux, l’influente patronne d’Image 7, sa plume et conseiller depuis trente ans, Igor Mitrofanoff, et son avocat, Antonin Lévy. Une réunion de stratégie a eu lieu le 16 janvier, dans les bureaux de l’agence. « Il y a une impatience chez lui de pouvoir s’expliquer directement et non face à un juge, dont certains propos fuitent sans qu’il puisse se défendre, explique Me Lévy. Il veut parler sans intermédiaires, dire sa vérité. »

La page est tournée

Depuis son effondrement, l’ancien premier ministre s’est fait discret. Sa première apparition publique, après l’« affaire », date du 3 juillet 2018. Impeccable dans un costume bleu marine à rayures, il a croisé ce jour-là le Tout-Paris des médias, de la politique et des affaires dans les jardins du Cercle Interallié, où Image 7 fêtait ses 30 ans. « Il avait l’air très tranquille, s’étonne encore un invité. Il a choisi de faire de l’argent dans le privé. Ce qu’il a fait à la droite ne semble pas l’empêcher de dormir… »

« BEAUCOUP L’ONT MAUVAISE. ILS DISENT : “IL NOUS A CONDUITS AU CIMETIÈRE, ON N’IRA PAS FLEURIR LA TOMBE.” »

BRICE HORTEFEUX, ANCIEN MINISTRE DE L’INTÉRIEUR

Tous ceux qui l’ont aperçu depuis le décrivent en effet « détaché », ayant « tourné la page de la politique », « heureux de sa nouvelle vie » comme senior partner dans la société de gestion et d’investissements Tikehau Capital. C’est Anne Méaux qui l’a présenté aux deux fondateurs du fonds, Antoine Flammarion et Mathieu Chabran.

Depuis l’automne 2017, l’ex-chef du gouvernement travaille au neuvième étage d’un immeuble chic et aseptisé, près du parc Monceau. Pour le compte de cette société cotée en Bourse, qui pèse 3 milliards d’euros, il parcourt le monde à la recherche d’investisseurs potentiels. En octobre 2019, il se trouvait à Milan pour séduire des industriels de l’automobile dans lesquels Tikehau veut investir. L’an passé, il a œuvré à la création de l’International Advisory Board, auquel il a associé son ami l’ancien premier ministre italien Enrico Letta. « Il s’est remis à niveau en anglais et s’est reformé de A à Z pour son nouveau métier, raconte Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains (LR) au Sénat. Il voulait se prouver à lui-même qu’il y avait une vie après la politique, en s’immergeant complètement dans son job. »

M. Flammarion et M. Chabran ont demandé à leur associé de bannir toute incursion dans le champ politique. « Dès qu’il y a un article sur lui, ils grimpent aux rideaux », raconte un proche des deux dirigeants, qui ne sont guère enthousiastes à l’idée de voir leur nouvelle recrue sur un plateau de télévision. L’arrivée de l’ex-candidat à la présidentielle, mis en examen en pleine campagne, n’aurait d’ailleurs pas été du goût de tous les clients de la société. Mais « nous en avons 60 000 », relativise-t-on rue de Monceau. « M. Fillon apporte son expérience, ses connexions, sa connaissance du tissu économique et son envergure internationale », explique-t-on chez Tikehau.

« Maintenant, j’ai mes week-ends »

Après cette campagne « cauchemar », François Fillon s’est recentré sur sa famille, son clan. Son frère, Pierre, président de l’Automobile Club de l’Ouest, qui a la charge des 24 Heures du Mans, a épousé Jane Clark, la sœur de Penelope. Les deux couples sont inséparables, se retrouvent parfois le week-end à Solesmes, dans la Sarthe, où François et Penelope ont acquis, en 1984, le ravissant manoir de Beaucé ; l’été, ils louent des maisons voisines en Toscane. Il est aussi très lié à son frère Dominique, musicien de jazz. « Ils ont fait bloc, constate Igor Mitrofanoff. La douleur était telle, dans et autour de la famille, qu’ils ont géré cela ensemble dans le silence, en dressant une muraille avec le monde extérieur. »

fillon

A ceux qu’il croise désormais, il assure qu’il est heureux d’avoir retrouvé sa liberté. « Tu sais, maintenant, j’ai mes week-ends », a-t-il ainsi glissé cet automne au député (LR) du Bas-Rhin Patrick Hetzel, lors d’un déjeuner au Divellec, restaurant de poissons du 7e arrondissement de Paris. Celui qui a laissé sa famille politique en lambeaux, déçu ses amis et déboussolé ses soutiens semble décidé à profiter de la vie, de la sienne surtout.

Dès le lendemain de son échec au premier tour de la présidentielle, le 24 avril 2017, il a appelé son ami le financier Arnaud de Montlaur, qui avait levé des fonds pour sa campagne : « Il faut voir le bon côté des choses, lui lance-t-il, ça fait des années que tu me parles de moto, maintenant, je peux venir avec toi. » A la fin de l’été, Fillon part désormais chaque année faire des excursions de moto-cross dans les Pyrénées ou le Massif central. L’ex-premier ministre, qui s’est initié à la photo à Matignon, est aussi devenu le photographe attitré du petit groupe d’amis.

Il n’a pas délaissé sa passion pour les courses automobiles pour autant. En 2017, le patron de la Fédération internationale de l’automobile (FIA), Jean Todt, lui a proposé la présidence de la « commission constructeurs » de l’institution. Début janvier, l’ancien patron de Ferrari a dîné avec M. Fillon et M. Flammarion et leurs épouses respectives. Heureux de voir son ami, Jean Todt n’a pas osé insister sur le procès qui vient. « Je ne l’ai jamais vu se plaindre. Il est fier », confie M. Todt, qui le croise parfois sur les circuits.

Ni remords ni regrets

Décidément bien loin des tourments qui agitent ses anciens amis politiques, François Fillon a décidé de s’adonner à un nouveau hobby, la chasse. C’est Henri de Castries qui l’y a initié. L’ancien patron d’Axa l’a invité une première fois à chasser le gros gibier en Ecosse, le week-end du 13 mai 2017, pour lui changer les idées. Au même moment, à Paris, le vainqueur de la présidentielle descendait les Champs-Elysées. Le groupe de chasseurs, parmi lesquels l’avocat d’affaires Antoine Gosset-Grainville, ex-bras droit de M. Fillon à Matignon, n’a vu aucune image du triomphe d’Emmanuel Macron, leur hôtel étant dépourvu de télévision.

« J’essaye de vivre de façon agréable, confortable, a récemment confié M. Fillon à un proche. On a pu dire que j’étais hédoniste, ce n’est pas totalement faux. Je fais des trucs que j’aime, qui m’amusent. Je n’ai pas de remords. »

Ni remords ni regrets, une posture d’apparente indifférence qui a laissé un sentiment d’amertume et de colère à ceux qui ont fait sa campagne. L’ancienne ministre Roselyne Bachelot, qui avait toujours une anecdote amusante à raconter sur son « ami François », ne veut plus en parler. Le président (LR) du Sénat, Gérard Larcher, serait encore « ulcéré, profondément blessé », raconte l’ancien directeur de campagne du candidat LR, Patrick Stefanini, qui a quitté l’équipe au lendemain du meeting du Trocadéro et ne veut plus le voir.

Chez LR, François Fillon a disparu des conversations. « Qui sème le vent, récolte la tempête, puis l’indifférence », soupire un membre de la nouvelle direction du parti. « Il a disparu du jour au lendemain de la politique, du parti, de ses amis, observe l’ancien ministre sarkozyste Brice Hortefeux. Beaucoup l’ont mauvaise. Ils disent : “Il nous a conduits au cimetière, on n’ira pas fleurir la tombe.” »

Impavide, perçu comme « perso », solitaire, l’ancien premier ministre n’a pas hésité à brutalement couper avec le monde politique, sans se retourner. Bruno Retailleau est le seul qu’il revoit vraiment. Un appel tous les quinze jours, un dîner de temps en temps. « C’est un grand brûlé de la politique, ça reste très douloureux pour lui, mais il ne dit rien, assure le sénateur de Vendée. On sent qu’il cherche à enfouir tout ce qui s’est passé. »

Affronter ses fantômes

Même Jérôme Chartier, l’un de ses derniers soutiens, ne l’a pas revu depuis un an. « Le temps a fait son œuvre », confie sans amertume l’ex-député du Val-d’Oise, qui a connu une période difficile après la défaite. Mais avec ce fidèle lieutenant, qui semblait aller si mal, François Fillon s’est montré prévenant. Il l’a appelé, emmené déjeuner. Un an après, M. Chartier lui a envoyé un SMS, en guise d’au revoir : « Je me sens en pleine forme. Je te remercie d’avoir été là. » Depuis, ils ne se sont plus revus.

Le 12 décembre 2019, clôturant au Sénat un colloque sur les chrétiens d’Orient, la voix du candidat défait s’est légèrement voilée au moment d’évoquer publiquement le crash, pour la première fois depuis la présidentielle : « J’ai tout donné. J’aurais voulu faire mieux et plus encore… Il ne faut pas ruminer le passé. »

Le perdant nie toute nostalgie. « Ce n’est peut-être pas bon signe, d’ailleurs, a-t-il admis devant un proche. Certains peuvent me le reprocher… le fait que je n’ai pas envie de continuer le combat. Mais quarante ans, c’est long… Faire autre chose, c’est bien ! »

Enrico Letta, qui a, lui aussi, changé de vie en devenant le doyen de l’Ecole des affaires internationales de Sciences Po Paris, abonde : « Parmi les ex-premiers ministres que je connais, c’est celui qui a tourné la page le plus nettement. Sans regrets, sans volonté de retourner en arrière. » L’intéressé soupire parfois : « S’il n’y avait pas les sujets judiciaires, la vie serait parfaite. »

Dans un mois, François Fillon va en effet devoir affronter ses fantômes. « L’approche du procès ravive la blessure », admet une proche. Ses amis sont inquiets pour lui. Lui s’inquiète pour Penelope. « Elle n’arrive pas à dépasser cette histoire », répète-t-il à ses interlocuteurs, qui sentent bien qu’il « culpabilise ». « Il ne peut pas dire : “J’ai mal”, alors il dit : “Penelope va mal” », analyse l’un de ses amis, en décrivant cette dernière – qui comparaîtra à ses côtés – comme « réservée, mais plus costaud qu’on ne croit ».

Me Lévy le dit « concentré », « combatif » : « Il sait que le procès va être un moment compliqué. » « Il y allait comme un mouton à l’abattoir, ajoute l’un de ses amis. Il a finalement décidé de s’exprimer avant le procès. Car s’il est condamné, il ne pourra plus parler. Il a quarante ans de vie politique derrière lui. Il ne pouvait pas s’en aller comme ça. »

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