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Jours tranquilles à Paris
15 février 2020

La macronie secouée par le « séisme politique » de l’affaire Benjamin Griveaux

Par Cédric Pietralunga, Olivier Faye, avec Sofia Fischer et Raphaëlle Besse Desmoulières

Au-delà des municipales, cette annonce vient entraver l’opération de reconquête de l’opinion publique qu’Emmanuel Macron venait de lancer pour sortir du marasme généré par l’interminable réforme des retraites.

De l’avis d’un député marcheur, l’annonce du retrait de Benjamin Griveaux de la course à la Mairie de Paris, vendredi 14 février, a agi comme un « séisme politique » pour la majorité et l’exécutif. Impossible de réserver de la « bande passante », comme on dit en macronie, pour autre chose tant l’événement secoue le pouvoir en place. De par son caractère inédit, d’abord : l’immixtion d’une affaire privée – la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo intime du candidat – dans le débat public aura rarement eu un tel impact politique. De par la personnalité du protagoniste, ensuite : Benjamin Griveaux est depuis bientôt quatre ans l’un des visages les plus connus de l’aventure ayant conduit Emmanuel Macron à l’Elysée.

Impossible, dans ces conditions, de mener une activité politique tout à fait normale. Vendredi matin, le premier ministre, Edouard Philippe, qui présentait une partie des candidats figurant sur sa liste pour les élections municipales au Havre, s’en est même agacé. « La décision prise par Benjamin Griveaux, je la respecte, j’aurai l’occasion de lui exprimer directement ma sympathie et mon soutien. Mais comme il ne vous a pas échappé, et comme peut-être trouvez-vous un peu frustrant, lorsque je suis au Havre, je parle du Havre », a-t-il lancé à la presse. Quelques minutes plus tard, le chef du gouvernement affinait son propos via Twitter : « Je pense à Benjamin Griveaux qui a pris une décision en conscience. Une décision difficile. A présent, il est urgent de laisser l’homme et sa famille en paix ».

« Décision extrêmement courageuse »

Le même inconfort habitait Sibeth Ndiaye et Marlène Schiappa, en milieu de journée, au ministère de la santé, où les deux femmes avaient rejoint leur collègue secrétaire d’Etat, Laurent Pietraszewski, pour parler des retraites en présence de députés. Lors du point presse organisé à l’issue de la rencontre, c’est la première, porte-parole du gouvernement, qui s’est acquittée de la tâche délicate de poser des mots sur cette « décision extrêmement courageuse » de M. Griveaux. « Une décision qu’il a prise seul, ou tout du moins dans un cercle intime familial », a souligné cette proche de l’ancien porte-parole du gouvernement, tout en dénonçant « une campagne de bassesse » et de « boules puantes ».

Visage fermé, Mme Schiappa s’est, quant à elle, éclipsée sans s’exprimer sur le sujet. Pressentie comme un possible recours, la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui figure sur la liste de La République en marche (LRM) dans le 14e arrondissement de Paris, a fait savoir qu’elle ne comptait pas remplacer M. Griveaux. « Non », avait-elle répondu, un peu plus tôt, lunettes de soleil sur le nez, face aux caméras qui l’interrogeaient sur une possible candidature comme tête de liste.

Sa collègue ministre de la santé, Agnès Buzyn, déjà présentée ces derniers mois comme un possible « plan B » pour remplacer M. Griveaux, s’est montrée quant à elle moins catégorique. « Je n’ai pas de commentaire utile à faire sur cette histoire. Ça n’est ni le lieu ni le moment pour penser à ça », a-t-elle déclaré en marge d’une visite à Carry-le-Rouet (Bouches-du-Rhône), où des Français rapatriés de Wuhan, centre de l’épidémie du coronavirus en Chine, sont logés. Relancée par une journaliste au sujet d’une possible candidature, Mme Buzyn a éludé : « Je n’y ai pas réfléchi. » L’hypothèse serait en tout cas appréciée au sein de la majorité. « Le nom d’Agnès revient régulièrement », souligne une figure de la macronie.

Le candidat sera connu en début de semaine prochaine

Tout au long de la journée, de 12 h 30 à 20 h 30, le délégué général de LRM, Stanislas Guerini, a tâché pour sa part d’organiser la suite en recevant des cadres de la campagne parisienne, ainsi que des membres de la commission d’investiture du parti ou des représentants de mouvements partenaires des macronistes. Avec un objectif en tête : aller vite. Une nouvelle réunion devait se tenir, samedi, au siège du parti pour poursuivre les négociations. Dans un communiqué diffusé vendredi soir, M. Guerini a assuré vouloir que le nom « du/de le/la candidat(e) choisi(e) pour porter le projet de la majorité présidentielle à Paris soit connu, au plus tard, en début de semaine prochaine ».

« Il y a deux scénarios, décrypte un ténor de la majorité. L’un acte le grand risque de défaite, et vise juste à faire en sorte d’avoir une campagne digne. Le deuxième, qui a moins de chance de se produire, vise à renverser la table. » En clair, à réaliser un rassemblement plus large que celui initialement prévu autour de Benjamin Griveaux, en incluant le dissident macroniste Cédric Villani ainsi que les écologistes. Un scénario qui aurait l’heur de plaire à l’ex-secrétaire d’Etat et député LRM de Paris, Mounir Mahjoubi, présenté comme un potentiel recours. « Beaucoup de marcheurs me demandent d’être candidat. Mais ce candidat ne sera pas que celui d’En marche, c’est un candidat du rassemblement », a-t-il souligné.

Des contacts entre l’équipe de Cédric Villani et LRM ont en tout cas eu lieu vendredi. Selon un haut cadre de la macronie, les chances de les voir aboutir seraient minces, néanmoins. Un autre scénario évoqué mènerait, quant à lui, à une candidature de la maire (ex-Les Républicains) du 9e arrondissement de Paris, Delphine Bürkli.

L’opération de reconquête de l’opinion publique entravée

Au-delà des municipales, cette affaire vient entraver l’opération de reconquête de l’opinion publique qu’Emmanuel Macron venait de lancer pour sortir du marasme généré par l’interminable réforme des retraites – le texte doit arriver en séance publique à l’Assemblée nationale, lundi. Lancé dans une précampagne présidentielle en vue de 2022, le chef de l’Etat comptait alterner ces prochaines semaines les séquences liées à l’écologie, pour reconquérir l’électorat de centre gauche, comme il l’a fait jeudi sur les pentes du mont Blanc, et d’autres consacrées au régalien, pour conforter les électeurs de centre droit. Le président de la République doit notamment se rendre à Mulhouse, mardi 18 février, pour commencer à décliner son plan de lutte contre le communautarisme.

L’Elysée a bien senti le danger, et assure que M. Macron n’entend pas procrastiner malgré la violence du coup qui lui a été porté. « Le président est concentré sur les deux chantiers prioritaires que sont l’écologie et le régalien. Il est le chef de l’Etat, il doit continuer à avancer, il ne peut pas s’attarder sur des péripéties politiques, quand bien même elles touchent un de ses grognards historiques, tombé comme d’autres avant lui au champ d’honneur », assure un conseiller.

Des propos repris en cœur au sein de la majorité, où l’on plaide pour ne rien changer à l’agenda de l’exécutif, voire à l’accélérer « On ne peut pas rester là-dessus pendant une semaine, on doit avancer », estime ainsi Aurore Bergé, députée (LRM) des Yvelines, pour qui cette affaire Griveaux doit néanmoins « nous interroger sur ces méthodes de déstabilisation et le risque sur la présidentielle ». « Je prie pour que la société politique et médiatique ait la réaction adaptée à cet événement. Il faut organiser un cordon sanitaire autour de la société démocratique », abonde Gilles Le Gendre, président du groupe LRM à l’Assemblée nationale.

D’aucuns, en tout cas se félicitent, du mouvement de désapprobation général, du chef de file de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon à la présidente du Rassemblement national Marine Le Pen, qui s’est exprimé face à la divulgation des vidéos de M. Griveaux. « Il y a un sentiment de nausée. Cela fait longtemps qu’on est sur les questions de violences, d’incivilités, de la dégradation du débat. Si on se dit tous que le torrent de boue des réseaux sociaux ne peut pas être la norme, il y aura peut-être un débat sain là-dessus », veut croire un conseiller de l’exécutif.

Restera, alors, à tourner la page très vite pour Emmanuel Macron. « Cela va écraser l’actualité trois jours et ensuite ça ira », veut croire un stratège de la majorité. Un optimisme que d’autres élus douchent volontiers. « La majorité a besoin d’oxygène. Une fois terminés les épisodes des municipales et des retraites, il faudra ouvrir rapidement la nouvelle page proposée par le président de la République pour repartir sur une dynamique positive, estime un député LRM. Là, nous sommes entraînés dans une spirale assez sombre dont on n’arrive pas à sortir… »

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