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Jours tranquilles à Paris
26 mars 2020

Réflexion - Le Covid-19 et le mythe d’un nouveau départ

AL-MODON (BEYROUTH)

Du déluge de Noé aux menaces écologiques, les religions tout comme les idéologies ont toujours rêvé de purifier la terre. La pandémie actuelle conforte ceux qui rêvent d’un monde meilleur, écrit Al-Modon.

L’histoire de Noé occupe une place centrale dans les monothéismes. Derrière le mythe du déluge, il y a le désir de nettoyer la terre des fautes, de la purifier et de la laver, afin de pouvoir recommencer à zéro, avec des survivants désignés par Dieu.

Et cela pour une vie meilleure, plus harmonieuse et mieux ordonnée. Nous sommes toujours tentés par cette idée du déluge en vue d’un nouveau départ.

Certes, nous craignons la mort et l’anéantissement, mais nous craignons autant la multitude, cette croissance démographique qui menace d’épuiser les ressources naturelles. C’est ce qu’a exprimé Thomas Malthus [1766-1834, économiste anglais et père des fameuses politiques malthusiennes]. Il s’agit de la vieille peur de la faim, de l’effondrement de la cité et de l’extinction de l’humanité.

Face au problème de l’inadéquation entre la production agricole et l’augmentation de la population, Malthus pensait qu’il fallait passer outre la morale et miser sur des “régulateurs” pour mettre un frein à l’exubérance démographique.

Il s’agit d’une litote. Car pour lui, ces “régulateurs” ne sont rien d’autre que la guerre, la famine, les épidémies et les maladies.

Hâter le retour du Messie

En Iran, des croyants exaltés ont appelé à laisser libre cours au coronavirus pour hâter le retour du Messie, ou du Mahdi [selon la terminologie musulmane]. Mais ils ne sont pas les seuls.

Dans chaque religion, il y a des gens qui sont convaincus de l’imminence de la fin des temps et qui s’attendent à l’apparition du sauveur qui établira le règne de la justice sur terre.

Cela n’est pas l’apanage des croyants. Certains écologistes aussi sont adeptes du fantasme d’une nature qui prendrait sa revanche sur l’humanité.

Pour eux, il est souhaitable que les hommes soient frappés d’une catastrophe majeure pour que l’univers retrouve son équilibre.

La logique de la solution finale

Puis il y a les idéologies totalitaires. Elles aussi comportent un désir de renouveau purificateur, mû par des idées proches de celles de Malthus et des idéaux d’une “société saine” et productive, débarrassée des vieux, des handicapés, des malades et des déséquilibrés mentaux.

Sans parler de l’élimination des “races inférieures”. Tous les racismes ont une tendance exterminatrice, c’est-à-dire une propension à vouloir procéder à un déluge exterminateur qui n’épargne que le groupe qui aura “mérité” la survie. C’est la logique de la solution finale.

[Durant la deuxième moitié du] XXe siècle, l’idée d’un holocauste nucléaire a pu traverser l’esprit de quelques fanatiques des deux camps, capitaliste d’un côté et communiste de l’autre. Cette variante de la solution finale était une possibilité qui pouvait se réaliser à tout moment.

Dans ce sens, l’idée d’un déluge, c’est-à-dire d’une refondation, n’a jamais été absente de notre imaginaire, même si nous tenons par ailleurs à la sacralité de la vie humaine.

Désir enfoui d’un néant régénérateur

Ce n’est jamais totalement gratuit quand on se fait des frayeurs en parlant de l’arrivée d’une météorite géante ou de l’extinction des dinosaures.

De la même manière, nous ressentons une redoutable fascination en regardant les images de villes où il semble n’y avoir âme qui vive, avec des rues vidées de leurs passants, qui donnent l’impression que c’est le silence qui règne sur la terre et dans les cieux.

Il y a même quelque chose de beau dans ce silence et dans ce monde qui tourne au ralenti, loin de la frénétique course qui dominait nos vies.

L’attente d’une météorite, l’évocation de l’extinction des dinosaures et l’imaginaire du coronavirus ne sont pas seulement l’expression d’une peur profondément ancrée.

Cela correspond aussi à un désir enfoui d’un néant régénérateur, d’une fin du monde ancien qui permette un nouveau départ, épuré, à partir de zéro.

Youssef Bazzi

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