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Jours tranquilles à Paris
6 avril 2020

Canards dans les rues de Paris, coyotes à San Francisco : « On remarque des espèces que l’on ne voyait pas »

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Par Perrine Mouterde

Le confinement, lié au coronavirus, et l’arrêt des activités humaines dans les villes devraient avoir un impact limité sur la biodiversité.

Des canards se dandinant près de la Comédie-Française dans le centre de Paris ; des groupes de dauphins, des fous de Bassan ou des hérons cendrés observés avec une fréquence et une densité « inédite » par les agents du Parc national des calanques ; des coyotes dans les rues de San Francisco aux Etats-Unis… Les images, souvent vraies mais parfois fausses – il n’y a pas eu de dauphins dans les canaux de Venise, en Italie, ni d’éléphants saouls dans un village de Yunnan, en Chine –, d’animaux visibles dans des lieux inattendus, d’ordinaire fréquentés par des humains, ont largement circulé depuis le début de la pandémie de Covid-19. Si ces scènes ont pu procurer un certain réconfort à voir la nature « profiter » de cette période, les effets du confinement sur la biodiversité restent à mesurer et devraient, selon toute vraisemblance, n’être que marginaux.

« Il y a des canards toute l’année à Paris, des sangliers dans les forêts juste à côté de Barcelone, décrit Benoît Fontaine, biologiste de la conservation au Centre d’écologie et des sciences de la conservation du Muséum national d’histoire naturelle. Les animaux sont simplement plus visibles dans des espaces libérés par l’homme, mais tout cela est assez anecdotique par rapport aux dégradations subies par la nature depuis des dizaines d’années. »

« Cette plasticité de la nature, cette capacité de certains poissons ou oiseaux à fréquenter rapidement des espaces quand ils sont délaissés, c’est un phénomène que l’on connaît, ajoute Jean-David Abel, le vice-président de France Nature Environnement. Mais la nature ne reprend pas sa place. On regarde juste mieux : on remarque des espèces qui étaient à côté de nous mais que l’on ne voyait pas. »

L’utilisation de pesticides se poursuit

Pour les spécialistes, il faudrait que le confinement se prolonge pendant des mois pour induire des changements de cycle ou de comportements de certaines espèces et avoir un impact structurel sur l’état de la faune. En ville, Benoît Fontaine estime toutefois que les insectes sont les plus à mêmes de bénéficier de cette parenthèse. « Comme les parcs et les espaces verts vont être moins entretenus, il y aura peut-être un peu plus de fleurs et donc d’insectes, dit-il. Les insectes ont un cycle de vie court donc les changements peuvent être plus rapides. Pour les oiseaux en revanche, leur reproduction en ce printemps dépend des populations qui sont déjà présentes, donc on devrait être dans la continuité. »

Une baisse de la pollution lumineuse nocturne pourrait également avoir des effets bénéfiques pour certains insectes et pour les chauves-souris. L’impact de la diminution du bruit sur la faune est, lui, difficile à mesurer. Les oiseaux, par exemple, sont souvent davantage sensibles à la présence humaine qu’au niveau sonore. L’aéroport de Montpellier, bruyant mais peu fréquenté, est ainsi connu pour héberger l’outarde canepetière, un oiseau au cou noir rayé d’une étroite bande blanche et menacé d’extinction.

Par ailleurs, si le silence peut indiquer aux animaux l’absence de prédateur, il marque aussi l’absence de congénères et de contacts sociaux, notamment celle de parents pouvant offrir protection et ressources. « Les rats perçoivent ainsi l’immobilité d’un groupe et l’absence de sons due aux mouvements comme l’expression d’un danger », ont précisé des chercheurs de l’Institut de systématique, évolution, biodiversité du Muséum au site The Conversation.

En dehors des villes, les activités agricoles, et avec elles l’utilisation de pesticides et d’autres substances chimiques polluant les sols et les eaux, n’ont pas été mises à l’arrêt par la crise sanitaire. Selon le rapport de 2018 de la Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui alertait sur le risque d’extinction d’un million d’espèces, les changements d’usage des terres et les pollutions sont deux des cinq principaux facteurs de dégradation de la nature.

« Si on pouvait arrêter immédiatement l’agriculture intensive, dont les corollaires sont l’uniformisation des milieux et l’usage déraisonné des pesticides, ça aurait un impact très rapide sur les plantes, les oiseaux et les insectes, assure Benoît Fontaine. Par exemple, selon les derniers chiffres, depuis la fin des années 1980, près de 40 % des oiseaux communs spécialistes des milieux agricoles ont disparu en France. C’est une hécatombe qui est avant tout liée à ce type d’agriculture. »

Un enjeu pour la recherche scientifique

Si ce confinement ne va pas inverser la tendance concernant la perte de biodiversité, il constitue néanmoins une situation unique et inédite, et donc un enjeu pour la recherche. « Pour tous les programmes de long terme de suivi de la biodiversité, c’est particulièrement intéressant. Que vont nous dire les résultats de cette année ? », s’interroge Benoît Fontaine. Le programme collaboratif Silent Cities, qui vient d’être lancé par des chercheurs du CNRS et de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) vise, lui, à mesurer l’effet de la diminution du bruit dans les villes sur la présence ou l’absence de certaines espèces, et sur leur activité. « On sait par exemple que des oiseaux ont modifié leurs chants pour s’adapter à l’environnement sonore en ville, précise Amandine Gasc, chargée de recherche à l’IRD. Vont-ils de nouveau modifier l’heure ou la fréquence à laquelle ils chantent ? »

D’autres programmes scientifiques participatifs et adaptés au confinement ont également démarré. La Ligue de protection des oiseaux (LPO) et le Muséum d’histoire naturelle appellent à contribuer à un comptage des espèces d’oiseaux depuis sa fenêtre, son balcon ou son jardin. Une façon de récolter des données, de pallier le manque d’observateurs sur le terrain mais aussi de sensibiliser la population à la protection de la nature.

« On sait que ceux qui participent à ce type de programmes changent ensuite leur façon d’entretenir leurs jardins, en utilisant moins de pesticides et en laissant plus de fleurs, explique Benoît Fontaine. Peut-être va-t-il y avoir, lors de ce confinement, une prise de conscience de l’importance d’avoir un peu de nature autour de nous pour aller bien. » Jean-David Abel pense aussi que cette situation peut amener des urbains à s’interroger sur la place qu’ils laissent d’ordinaire aux animaux, dans le bruit et l’agitation. « Certains auront peut-être touché du doigt le fait que l’on peut vivre un peu autrement, en profitant davantage du silence, du calme et de cette faune qui est juste autour de nous », dit-il.

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