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Jours tranquilles à Paris
26 avril 2020

CULTURE CHRONIQUE - Le confinement tue la culture

Par Michel Guerrin

Pour le dire trivialement, la culture est-elle un produit de première nécessité, aussi vital pour l’esprit que les fruits et légumes le sont pour le corps ? C’est un sujet de colloque. Mais qui pèse lourd, tant le secteur accumule les millions d’euros de pertes à cause du coronavirus. Et là, on voit que la question cache une bonne dose de boursouflure et d’hypocrisie.

Déjà, pendant ce confinement, on entend de belles paroles sur l’art qui aurait sauvé les gens en quarantaine. On ressort une formule incertaine de Churchill pendant le second conflit mondial, alors qu’on lui proposait de couper le budget culturel : « Si nous sacrifions notre culture, pourquoi nous faisons la guerre ? »

C’est juste mais cassons l’ambiance. D’abord, le confinement tue la culture et amplifie une fracture. L’immense majorité des gens, on peut les comprendre, plongent dans le zapping, le clip potache, la lecture digest, le divertissement rapide, tout un magma amplifié par l’Internet. Une minorité, toujours la même, suit les conseils de films, spectacles ou livres à déguster sur écran en privilégiant la perle. Et puis ça se saurait si la culture était essentielle. Elle n’existe pas dans une campagne électorale, elle est marginale dans le budget de l’Etat, elle pèse peu dans les débats de société. Elle nourrit mais ne sauve pas.

L’expression « produit de première nécessité » que l’on colle à la culture a pourtant été brandie un peu partout en Europe, même aux Etats-Unis, et chaque fois elle a volé en éclats. Les pays ont établi leur liste de commerces qui échappent au confinement. Sans la culture. Sauf en Allemagne où des librairies n’ont jamais fermé. Parce que les ravages du virus y sont plus faibles. Du reste, la culture ne rouvrira partout que lorsque les conditions sanitaires le permettront, pas parce qu’elle est vitale.

En France, au tout début du confinement, Emmanuel Macron a évoqué le caractère essentiel du livre. Mais sans aider les librairies. Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, qui a écrit huit livres, a alors estimé que c’est « un commerce de première nécessité ». Il a tendu une perche aux librairies, envisageant leur ouverture. Elles ont répondu non. Pas envie de jouer les grognards au front. Pas envie de mettre en danger les personnels, le public et les livreurs, alors que les Français doivent rester chez eux.

L’argument se défend. Mais il a fait des dégâts. Il a divisé la profession, certains étant prêts à jouer le jeu. Il laisse le champ libre à des hypermarchés qui vendent de quoi manger mais aussi des livres, notamment ceux qui font les grosses ventes. Concurrence déloyale, ont hurlé les libraires. Tant pis pour eux – et pour nous – ont réagi, passablement agacés, des éditeurs, ajoutant que les libraires ont raté une sacrée occasion d’inscrire la culture dans les produits de première nécessité.

Cet épisode a fait culpabiliser les libraires. Mais ils ont dit non pour une autre raison. Depuis des années, ils vont mal, des dizaines d’enseignes ont fait faillite, ils se sentent abandonnés. Quand ils souffrent, on les laisse mourir, et quand le pays souffre, on dit qu’ils sont indispensables.

Il s’est passé la même chose en Italie, où les librairies ont été invitées à rouvrir à la mi-avril. « C’est la reconnaissance que le livre est un bien essentiel », a plaidé le ministre Dario Franceschini. 160 libraires ont dit non, pour des raisons de sécurité. Mais aussi pour une autre, cernée par l’écrivaine Caterina Soffici, dans La Stampa du 14 avril : quelle « démagogie » d’un gouvernement qui, depuis des lustres, tient le monde culturel dans la pauvreté, notamment les libraires, isolés dans le pays d’Europe où on lit le moins.

En Espagne, le ministre de la culture, Rodriguez Uribes, a fait fort en citant Orson Welles, le 7 avril. A savoir : « La vie d’abord et ensuite le cinéma. » Soignons d’abord, on verra bien pour la culture. Indignation générale. Jamais je n’ai été autant « méprisé » en quarante ans, a réagi en substance le metteur en scène Lluis Pasqual. Le ministre a rétropédalé, la culture devenant huit jours plus tard « un bien de première nécessité ». Sauf que le secteur en Espagne subit des coupes budgétaires depuis des années.

Soumis aux lois de l’économie

Ce n’est donc pas pendant une catastrophe, mais avant et après, que la culture doit être un produit de première nécessité. La France a fait de la culture un objet à part avec des politiques fortes et avec l’exception culturelle : des règles qui échappent au marché (prix unique du livre, taxes dans le cinéma ou la musique, quotas…) afin que les formes les plus diverses puissent vivre, même non rentables.

Faut-il placer dans ce climat le geste narcissique et baroque d’Olivier Py du 8 avril ? Alors que l’été des festivals était déjà condamné, et cinq jours avant qu’Emmanuel Macron ne le confirme, le directeur du Festival d’Avignon a dévoilé son programme sur Internet, comme si de rien n’était, donnant au passage des entretiens. Irresponsable !, ont réagi certains, l’accusant d’amplifier l’image d’enfants gâtés qui colle à la culture. On peut y voir aussi le geste d’un artiste pour qui le théâtre est à part dans un monde culturel de plus en plus aligné sur le modèle de l’entreprise.

Car depuis une douzaine d’années, la culture est autant une forme qui nourrit les esprits qu’un produit soumis aux lois de l’économie. Ce n’est pas un hasard si ce basculement a eu lieu à mesure que les subventions publiques baissaient. Avec pour conséquence de rentrer dans le rang, donc d’échapper à la première nécessité.

Les chiffres de l’après-virus diront si la culture est redevenue indispensable. Emmanuel Macron a promis qu’elle fera partie du gâteau nommé « plan de relance ». La taille de la part dépendra de lui, de la façon dont il arbitrera avec Bercy, qui a une longue tradition de fossoyeur de la culture. En tout cas le match est lancé.

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