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Jours tranquilles à Paris
29 avril 2020

Covid-19 : la réa jusqu’à quel âge ?

Par Véronique Fournier , médecin, fondatrice du Centre d’éthique clinique et de l’association Vieux et chez soi

Deux bioéthiciens américains de renom, âgés de 75 ans, s’interrogent : en période de tension, ne faut-il pas faire preuve de sobriété médicale et limiter l’accès à la ventilation au-dessus d’un certain âge ? Un devoir éthique des plus âgés au nom de la solidarité intergénérationnelle ? Le débat est ouvert.

Tribune. Le Hastings Center est un haut lieu de la réflexion éthique et philosophique outre-Atlantique. Il y a quelques semaines, un forum de discussion Covid-19 a été ouvert sur son site internet. On y trouve des contributions fort intéressantes. Deux ont particulièrement attiré mon attention parce que légitimant la raison d’âge pour limiter l’accès aux soins en situation de pénurie, position qui reste fortement contestée dans notre pays. L’une d’elles est signée par Larry R. Churchill, bioéthicien réputé, attaché à l’université de Vanderbilt. Elle est parue le 13 avril sous le titre «Etre vieux en situation de pandémie». L’auteur, 75 ans, se pose la question de savoir si les personnes de son âge, non atteintes, ont des obligations éthiques spécifiques vis-à-vis de la société du fait de l’épidémie. Oui, répond-il, et la première d’entre elles consiste à faire en sorte d’utiliser de la façon la plus parcimonieuse possible les ressources sanitaires disponibles, puisqu’il y a risque de rareté. Il adhère, écrit-il, aux préconisations de Miller - autre bioéthicien remarquable, ayant commis une contribution dans le même forum, pour défendre l’idée qu’il était au plan éthique légitime en cas de tension, de limiter l’accès à la ventilation artificielle des personnes au-dessus d’un certain âge. Mais Churchill va plus loin. Il estime que, dans son cas, se comporter «éthiquement» consiste à faire acte de sobriété à tous les étages de la consommation médicale courante, compte tenu de ces circonstances épidémiques exceptionnelles. Il fonde sa position sur une conception de l’éthique qui se doit, selon lui, d’être évolutive et repensée différemment aux différents âges de la vie. A 75 ans révolus, après une vie bien remplie, riche en opportunités et occasions d’épanouissement personnel, «j’estime, dit-il, que mes obligations sont les suivantes : ne pas être un poids pour le système et respecter pour cela, encore plus que les plus jeunes les précautions et le confinement préconisés ; consommer le moins possible de médecine : ne pas aller me faire tester si les tests sont rares, même si j’ai des connexions pour y accéder plus facilement que d’autres ; si l’hôpital est surchargé, éviter d’y aller si ce n’est pas indispensable ; si je dois y aller tout de même, et qu’il y a pénurie ou risque de pénurie de ventilateurs, en refuser l’accès ; et si un vaccin devient disponible, ne pas me précipiter, m’inscrire en dernier sur la liste, pour le cas où il n’y en aurait pas suffisamment pour tous. Ce n’est pas une question de "sacrifice", conclut-il, ni même de "générosité", il s’agit de "justice intergénérationnelle" : contribuer à ce que le plus possible de vies jeunes puissent être sauvées alors que pour ma part, j’ai déjà largement vécu la mienne».

Les recommandations de Miller sur l’accès à la ventilation artificielle en situation de tension suivent la même logique. Il les justifie non seulement du fait que plus on avance en âge, moins on supporte une réanimation agressive et longue, d’autant plus si on a un organisme fatigué par des comorbidités, mais aussi, comme Churchill, en ayant recours à des arguments de justice intergénération-nelle : «Les jeunes ont plus à perdre que les moins jeunes à ne pas pouvoir accéder à la réanimation, en termes d’années de vie gagnées», dit-il.

Pour conclure, les deux auteurs soulignent, avec insistance, l’un comme l’autre, que «s’il peut être admis que le droit de tous les patients de recevoir les traitements les plus indiqués selon la science, ainsi que le devoir des médecins de les leur fournir soient limités en situation exceptionnelle de pandémie, fournir à tous des soins palliatifs adéquats, y compris à domicile, devient en contrepartie un impératif moral incontournable».

Comme c’est étrange d’entendre ainsi des Américains prôner des arguments de solidarité collective à l’heure où chez nous les «vieux» s’offusquent de se sentir discriminés et revendiquent d’être considérés comme ayant exactement les mêmes droits d’accès aux soins que les plus jeunes ! C’est le monde à l’envers ! Deviendrions-nous plus individualistes qu’eux ? N’y a-t-il pas un certain bon sens dans leurs réflexions ? Au fond, il s’agit probablement d’une autre façon de concevoir l’égalité. Là où nous sommes férocement attachés à l’égalité de tous en toutes choses, sans considération ni d’âge ni de tout autre critère social ou démographique, eux estiment inégalitaire de ne pas tenir compte des arguments de justice intergénérationnelle qu’ils avancent. Selon eux, c’est un argument éthique fort - si ce n’est politique - qui prend tout son poids avec l’âge, quand d’autres pèsent au contraire moins lourds avec les années, comme par exemple l’argument d’autonomie, car ce qui fait sens au plan éthique à 20 ans ne pèse pas le même poids à 70 ans et réciproquement.

Qui a raison ? Au moins, pourrions-nous en débattre, sans clouer si vite au pilori ceux qui osent chez nous ouvrir la question ! Combien parmi ceux dont d’aucuns ont pensé qu’il serait sage de les inciter à continuer de se confiner au-delà du 11 mai seraient prêts à souscrire aux obligations éthiques proposées par Churchill ? Peut-être beaucoup plus que l’on imagine ? Et que pensent les jeunes générations de cet argument de justice intergénérationnelle, car enfin pour se déterminer de façon démocratique sur la question, leur avis est au moins aussi important que celui des âgés. Quel drôle de pays qui se fait prier pour développer les soins palliatifs ou les ressources humaines en Ehpad, mais rechigne à lésiner sur l’argent dépensé en réanimation pour les mêmes personnes âgées !

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