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Jours tranquilles à Paris
12 mai 2020

Chronique : « Au lieu de galvaniser les Français, les interventions d’Emmanuel Macron semblent accroître leur inquiétude »

Par Françoise Fressoz, Editorialiste au « Monde »

Plus le président de la République invite son peuple à l’optimisme, plus il semble l’enfoncer dans le malheur. Dénouer cette situation suppose de retrouver le moyen de s’accorder, collectivement, sur un diagnostic, analyse dans sa chronique Françoise Fressoz, éditorialiste au « Monde ».

« Les Jours heureux ». Ainsi se nommait le programme que le Conseil national de la Résistance avait élaboré à partir du milieu de l’année 1943, et qui fut mis en œuvre à compter de septembre 1944. On lui doit quelques grandes nationalisations, comme celles de Renault, des chemins de fer, du gaz, de l’électricité et, surtout, la mise sur pied de la Sécurité sociale telle que nous la connaissons encore aujourd’hui.

Dans l’imaginaire collectif, ce programme reste comme un moment mythique, celui de l’oubli de la drôle de guerre et de la collaboration, celui de la communion nationale autour de l’Etat reconstructeur. Fortement inspiré par les communistes, avalisé par l’homme du 18 juin, il a, de fait, contribué à forger les acquis sociaux du XXe siècle, même si, politiquement, ce moment de concorde nationale a été de courte durée. Dès janvier 1946, le général de Gaulle décidait en effet de se retirer, vaincu par le retour des caciques de la IIIe République qu’il avait contribué à réinstaller.

Depuis que l’épidémie provoquée par le coronavirus a précipité le pays dans une triple crise sanitaire, économique et sociale dont nul ne peut prédire la durée ni l’ampleur, Emmanuel Macron est contraint, une nouvelle fois, de réinventer son quinquennat. Il le fait à sa manière, avec force mots et sans jamais se départir de l’optimisme qui avait fait sa force durant la campagne présidentielle de 2017. Après avoir décrété l’état de guerre, le 16 mars, le président de la République a fait miroiter, dans son discours du 13 avril, la perspective de « jours meilleurs », de « jours heureux » en se fixant pour mission « dans les prochaines semaines » de dessiner « avec toutes les composantes de la Nation » le « chemin qui rend cela possible ».

Mais au lieu de galvaniser les Français, ses interventions semblent au contraire accroître leur inquiétude. Au point que celui qui rassure au sein de l’exécutif est désormais le premier ministre, devenu plus populaire que le président, ce qui n’est jamais bon signe pour la pérennité du couple. A la veille d’un déconfinement à haut risque, les Français avaient le choix entre deux discours. L’un, ultra-volontariste, d’Emmanuel Macron, mercredi 6 mai, consistant à proclamer qu’« il faut enfourcher le tigre, le dompter » ; l’autre, beaucoup plus prudent, d’Edouard Philippe, prévenant le lendemain « qu’on ne peut pas faire le malin avec le virus ». Nul besoin d’un dessin pour comprendre dans lequel ils se sont reconnus.

Absence de perspective

En révélant les défaillances de l’Etat protecteur, celui-là même que le Conseil national de la Résistance avait contribué à construire il y a soixante-seize ans, la crise du coronavirus a amplifié le malheur français et, ce faisant, creusé un peu plus le fossé entre les Français et leur président. De tous les Européens, ce sont eux les plus sévères à l’égard de leurs dirigeants, indiquent tous les sondages.
Dans une interview à L’Express (8 mai), l’historien et philosophe Marcel Gauchet recense avec une précision d’horloger « les démons » français qui, « un moment mis en sourdine » ont resurgi comme un diable à l’occasion de cette épreuve collective : « la défiance » endémique envers les gouvernants ; la judiciarisation « qui fournit à une société vindicative un instrument de contestation indéfini de toute autorité publique par les individus » ; ou encore « les démagogies de tous ordres, notamment autour de la dépense publique, supposée pouvoir tout financer ». « En forçant le trait, constate-t-il avec malice, cela donne le nouveau programme de la gauche radicale : le salaire à vie, sans travail, pour tout le monde ! »
Certes, beaucoup d’erreurs ont été commises par l’exécutif ces derniers mois. La plus grave a été de n’avoir pas dit la vérité sur l’état calamiteux des stocks de masques au moment du déclenchement de l’épidémie. La plus excusable a été de n’avoir pas tenu un langage parfaitement clair, mais qui peut y prétendre face à une maladie que personne ne sait encore dompter ?

Cependant, ces erreurs n’expliquent pas, à elles seules, l’ampleur du pessimisme français qui se nourrit depuis des années de la peur d’un triple déclassement social, européen et mondial. La comparaison peu flatteuse avec l’Allemagne n’a fait qu’accentuer le trouble, si bien que tous les ingrédients de la crise politique qui préexistaient à l’élection d’Emmanuel Macron et avaient contribué à la rendre possible demeurent. La gauche ne s’est toujours pas relevée de son échec de 2017. La droite, trop éclatée, n’a pas encore réussi à faire émerger un leader et Marine Le Pen campe toujours en embuscade. A ce stade, aucun prétendant n’est jugé plus crédible que le chef de l’Etat pour gérer la crise.

Cette absence de perspective rend la situation actuelle particulièrement complexe. Les chefs des partis de l’opposition refusent de se laisser enfermer dans le piège de l’unité nationale, car ils font le pari qu’Emmanuel Macron sera battu en 2022, voire dans l’incapacité de se représenter. Cependant, aucun d’entre eux n’est en mesure d’imposer son jeu ou de forcer le calendrier.

D’ici à 2022, il reste deux années que le pays ne peut se permettre de perdre au regard de la somme des défis qui l’attendent. Certains l’ont compris, comme Nicolas Hulot qui s’exaspère des jeux politiciens et croit en la possibilité de faire émerger, comme en 1944, un monde nouveau, à la faveur de cette crise.

Mais pour qu’un travail commun puisse s’engager, encore faut-il s’accorder sur le diagnostic. Tout l’enjeu de la reconstruction repose sur la légitimité de l’instance qui sera chargée, le moment venu, de raccorder les points de vue. Pour l’heure, le pays souffre de deux superlatifs : il a un président beaucoup trop optimiste et un peuple complètement neurasthénique.

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