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Jours tranquilles à Paris
13 mai 2020

Autonomie sanitaire, revenu universel, télétravail : les propositions citoyennes pour « le jour d’après »

Par Audrey Garric, Alexandre Lemarié

Les résultats de la consultation citoyenne lancée par 66 parlementaires de tous bords, de la majorité et de l’opposition, sont publiés mercredi.

Ce fameux « monde d’après », qu’ils ont eu le loisir d’imaginer pendant les huit semaines de confinement, les Français le souhaitent plus écologique, plus solidaire, plus sobre et plus démocratique. Voilà ce qui ressort de la consultation citoyenne « Le Jour d’après », lancée par 66 parlementaires de tous bords, de la majorité et de l’opposition, dont les résultats sont publiés mercredi 13 mai. Une démarche qui s’inscrit dans un foisonnement d’initiatives participatives, visant à réfléchir collectivement à un vaste plan de transformation de la société et de l’économie pour sortir de la crise du Covid-19.

Créée sous la houlette des députés Matthieu Orphelin et Paula Forteza (ex-La République en marche) et du « marcheur » Aurélien Taché, la plate-forme a enregistré, depuis le 4 avril, 26 000 inscriptions de citoyens mais aussi de syndicats et d’associations, qui ont déposé 8 700 propositions.

Plafonner les hauts salaires

Parmi les 50 propositions qu’ils ont le plus votées, les citoyens se prononcent d’abord en faveur d’une autonomie sanitaire et d’une réorientation « vers une société du care » : ils appellent notamment à relocaliser la production de matériels et de produits stratégiques de santé (gel, masques, etc.) et à revaloriser les salaires du personnel médical. Concernant le travail, ils souhaitent massivement mettre en place un revenu universel à partir de 18 ans, développer le télétravail, valoriser les « métiers essentiels » (santé, agriculture, recherche, etc.) et plafonner les hauts salaires.

Les citoyens ont également voté pour une « végétalisation d’ampleur » de l’alimentation en restauration collective publique et privée, un soutien aux circuits courts, la création d’un enseignement obligatoire au climat et à l’environnement ou encore le développement du vélo. Enfin, concernant le financement de cette reconstruction, ils sont favorables à l’abandon des subventions publiques aux énergies fossiles, la mise en place d’une taxe sur les transactions financières ou encore la lutte contre l’optimisation et l’évasion fiscales.

« Il y a une volonté des citoyens que la sortie de crise ne soit pas qu’une relance économique mais un véritable changement de modèle de société », analyse Paula Forteza, députée (non-inscrite) des Français de l’étranger.

L’hôpital, une priorité nationale

A partir de ces propositions citoyennes, les parlementaires du « Jour d’après » ont élaboré 30 mesures autour de la santé, de la sobriété, de la solidarité et de la souveraineté, qu’ils s’engagent à porter politiquement via des propositions de loi et des amendements. Ils veulent par exemple faire de l’hôpital une priorité nationale, revaloriser de 200 euros par mois le salaire des soignants, ouvrir 200 000 postes supplémentaires en trois ans dans les établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les services d’aide à domicile, mettre en place un grand plan de rénovation énergétique des bâtiments ou encore « aller vers le revenu universel » en commençant par élargir le revenu de solidarité active (RSA) aux 18-25 ans.

Officiellement, les responsables de la majorité disent accueillir de manière positive le travail de fond mené par « Le Jour d’après ». « Je ne vois pas d’un mauvais œil de formuler des propositions pour l’après », estime le délégué général de La République en marche (LRM), Stanislas Guerini. « La légitimité de cette démarche, je ne la conteste en aucun cas », abonde le patron des députés LRM, Gilles Le Gendre, en se disant prêt à « intégrer » au logiciel macroniste des idées issues du collectif.

Mais cela ne les empêche pas de formuler de sérieuses réserves vis-à-vis de cette initiative. Aux yeux de M. Guerini, le diagnostic du « Jour d’après » n’est pas réaliste. « Je suis réservé sur l’idée qu’il y aurait une bascule dans le monde de l’après-crise, décorrélée du contexte actuel. Comme si on arrivait dans un monde sans contrainte et qu’on pouvait repartir d’une feuille blanche », observe le patron des marcheurs, qui préconise de « partir du réel pour ne pas paraître déconnecté ». Une manière polie de dire que les propositions formulées par le collectif lui paraissent quelque peu utopiques.

Création d’un neuvième groupe à l’Assemblée

M. Le Gendre, lui, estime que « des arrière-pensées politiques existent » chez les promoteurs du « Jour d’après », en lien avec le projet de création d’un neuvième groupe à l’Assemblée nationale. « Il y a des intersections » entre les deux initiatives, selon lui. Le lancement du « Jour d’après » étant perçu comme une manière de structurer le nouveau groupe en préparation au Palais-Bourbon, qui regrouperait des marcheurs dissidents, tels Guillaume Chiche, Aurélien Taché, Barbara Pompili ou Emilie Cariou. Les cadres de la majorité auraient préféré, enfin, que cette initiative soit coordonnée à l’intérieur de la majorité, plutôt qu’en dehors.

Au-delà des logiques partisanes, le politologue Loïc Blondiaux voit dans l’initiative une tentative de relégitimation d’un travail parlementaire plus que jamais contesté. « En recréant un espace de dialogue avec les citoyens, il s’agit de montrer que le Parlement continue de faire un vrai travail de représentation et pas seulement de chambre d’enregistrement », juge le professeur de science politique à la Sorbonne (Paris I).

Si le public est au rendez-vous, c’est que dans le même temps une partie croissante de la population désire s’exprimer sur les politiques publiques. « Beaucoup de citoyens ont le sentiment qu’un changement de société ne pourra passer que par un changement radical des règles du jeu démocratique », avance-t-il, alors que les citoyens du « Jour d’après » soutiennent par exemple l’expérimentation du tirage au sort dans les institutions représentatives ou la mise en place de référendums d’initiative citoyenne.

D’où la multiplication des plates-formes prenant le pouls des citoyens − « Notre nouvelle vie », « Nous les premiers », « Demain est près de chez vous », « reCOVery », etc. − ainsi que leur succès : la consultation « Comment inventer tous ensemble le monde d’après ? », lancée le 10 avril par la Croix-Rouge française, le WWF France, Make.org et le Groupe SOS, dont les résultats seront publiés le 29 mai, a par exemple réuni 100 000 participants, qui ont déposé 20 000 propositions appelant essentiellement à protéger l’environnement et à repenser les modes de production et de consommation.

Si elles témoignent d’une vitalité démocratique, ces nombreuses consultations citoyennes interrogent quant à leur capacité à être traduites en actions politiques, d’autant plus qu’elles coexistent avec la Convention citoyenne pour le climat, qui a proposé 50 propositions de sortie de crise mi-avril. Loïc Blondiaux voit plusieurs limites à leur portée politique : le manque de représentativité des contributeurs dont « tout laisse à penser qu’il s’agit de citoyens plus éduqués et urbains que la moyenne » et « la polyphonie et l’horizontalité des opinions qui, faute de synthèse, empêche de peser efficacement en politique ».

« Ces démarches, très intéressantes, masquent les clivages politiques (gauche-droite) et sociaux qui persistent dans la société sur le soutien à la transition écologique », ajoute Maxime Gaborit, sociologue et doctorant à l’université Saint-Louis de Bruxelles. Il juge en outre que contrairement à la Convention citoyenne pour le climat, le format des consultations en ligne, plus participatif que délibératif, « rend difficile l’élaboration de mesures articulées les unes avec les autres qui permettraient d’avoir une véritable rupture ».

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