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Jours tranquilles à Paris
14 mai 2020

Macron en quête de « dépassement » pour l’après-Covid

Par Cédric Pietralunga

Le chef de l’Etat espère rebondir après la crise liée au coronavirus, avec le concept de « majorité de projet », brandi lors de la campagne de 2017 puis abandonné.

Officiellement, il n’est pas question de se projeter dans « l’après ». Ou en tout cas pas encore. Alors que le déconfinement vient de commencer et que l’opposition guette le moindre faux pas de l’exécutif, Emmanuel Macron a demandé à son gouvernement de focaliser toute son attention sur les aspects opérationnels de cet exercice inédit. « Le virus a reculé. Mais il est toujours là », a lui-même mis en garde le chef de l’Etat, dimanche 10 mai sur Twitter. « Il est trop tôt pour parler du monde d’après, les pièces du puzzle sont trop éparses », estime-t-on à l’Elysée.

Le président de la République en est persuadé : il n’aura d’avenir politique qu’à la condition que le pays recouvre un semblant de vie normale. Mais, il sait aussi qu’il doit préparer la suite. Dans les coulisses du pouvoir, une autre partition est donc déjà en cours d’écriture, celle de l’« acte III » du quinquennat, qui doit permettre à Emmanuel Macron de se projeter vers la prochaine élection présidentielle. Parmi les multiples options disposées sur la table émerge un concept en vogue lors de la campagne de 2017 mais remisé au placard depuis : celui de la « majorité de projet », c’est-à-dire le rassemblement d’élus issu de différents horizons mais capables de s’entendre sur un projet qui dépasse les clivages traditionnels. Un outil idoine pour sortir de la crise du Covid-19 tout autant qu’une arme de destruction massive des oppositions en vue de 2022.

« On a un peu oublié le dépassement »

Le premier à l’avoir évoqué est Stéphane Séjourné, député européen La République en marche (LRM) et ancien conseiller politique du chef de l’Etat. « Nous allons devoir créer une nouvelle majorité de projet : la majorité de l’après-crise. C’est une refondation. Cela doit être d’abord une méthode qui rassemble. C’est ce que le candidat Macron avait fait pendant l’élection présidentielle : rassembler en dépassant les clivages politiques », a expliqué, dans un entretien au Point fin avril, celui qui a quitté l’Elysée fin 2018 mais continue d’œuvrer en coulisses pour Emmanuel Macron.

Ce concept de « majorité de projet » fait partie du bréviaire de tous les macronistes. En 2016 et 2017, lors de la campagne pour l’élection présidentielle, le candidat d’En marche ! l’avait évoqué à plusieurs reprises. « La situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui est inédite : il y a une fracturation de la vie politique. Il faut donc construire une majorité de projet pour la renouveler », avait-il expliqué en mars 2017. Il en avait même fait son slogan lors de la présentation de la campagne de recrutement de ses candidats pour les législatives : « Construire une majorité de projet », avait-il écrit en tête de son discours, dans lequel il expliquait vouloir « s’affranchir des jeux d’appareils ».

« QUAND VOUS DISPOSEZ DE LA MAJORITÉ ABSOLUE, VOUS N’ÊTES PAS INCITÉ À ÉLARGIR VOTRE SOCLE. CELA A ÉTÉ TROP ÉPISODIQUE DEPUIS 2017 », REGRETTE SACHA HOULIÉ, DÉPUTÉ (LRM) DE LA VIENNE

Au final, le concept s’était avéré un formidable argument de campagne, permettant à Emmanuel Macron de rassurer ceux qui doutaient de sa capacité à disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale pour soutenir sa politique. Pour autant, il avait été ensuite abandonné. Le parti présidentiel étant majoritaire, il ne lui était plus nécessaire de trouver des alliés, même de circonstance, pour faire adopter ses textes. « Quand vous disposez de la majorité absolue, vous n’êtes pas incité à élargir votre socle. Cela a été trop épisodique depuis 2017 », regrette Sacha Houlié, député (LRM) de la Vienne. « On a un peu oublié le dépassement, abonde un élu proche de l’Elysée. C’est cela qu’il nous faut retrouver, cette envie de construire des terrains d’entente. La crise du coronavirus nous oblige à rebattre les cartes comme le président avait su le faire lors de sa campagne. »

Pour y parvenir, la majorité se dit prête à mettre sur la table un certain nombre de propositions. « Il nous reste peu de temps pour construire quelque chose d’ici à 2022, il va nous falloir concentrer l’action sur quelques thèmes et essayer d’obtenir le consensus le plus large sur ces dossiers prioritaires », explique Gilles Le Gendre, président du groupe LRM à l’Assemblée nationale. Sur les boucles WhatsApp de la majorité, plusieurs suggestions reviennent avec insistance, comme celle de « réarmer » le système de santé ou de lancer un grand plan dépendance, avec la prise en charge d’un cinquième risque par la Sécurité sociale. Certains verraient bien l’écologie devenir la ligne directrice de l’action gouvernementale, quand d’autres voudraient faire de la souveraineté, notamment industrielle, le nouveau mantra. « Sans culture et sans nature, on ne s’en sortira pas », plaide le député (ex-LRM) de Maine-et-Loire, Matthieu Orphelin.

Rigorisme budgétaire

A ce petit jeu, de nombreux élus issus de l’aile gauche comme de l’aile droite de la majorité tentent de faire pencher la balance de leur côté. « Le président doit retrouver un espace politique plus grand, avec une vision et une ligne politique qui parlent à ses électeurs de centre gauche de 2017 », estime Pierre Person, député (LRM) de Paris et numéro deux du parti présidentiel. « On doit garder l’électorat de droite conquis depuis 2017, croit au contraire un parlementaire réputé proche d’Edouard Philippe. On part de trop loin pour espérer remonter la pente sur le plan environnemental ou social. Il faut solidifier notre socle de centre droit pour espérer passer le premier tour en 2022. »

« LE PRÉSIDENT DOIT RETROUVER UN ESPACE POLITIQUE PLUS GRAND, AVEC UNE VISION ET UNE LIGNE POLITIQUE QUI PARLENT À SES ÉLECTEURS DE CENTRE GAUCHE DE 2017 », ESTIME PIERRE PERSON, DÉPUTÉ (LRM) DE PARIS ET NUMÉRO DEUX DU PARTI PRÉSIDENTIEL

Seule certitude, ce n’est qu’une fois ce travail programmatique effectué que la question des éventuels partenaires avec lesquels s’entendre doit être abordée, expliquent les stratèges de la Macronie. Comprendre : pas question de composer un nouveau gouvernement sans savoir quelle politique mener. « Si on commence par parler de casting, on n’y arrivera pas, estime Stéphane Séjourné. Il faut d’abord analyser les conséquences de la crise, voir ce que cela change pour nous, discuter avec nos partenaires, et élaborer des propositions pour les deux ou trois ans qui viennent. » « Les rumeurs autour de l’arrivée d’untel ou d’untel au gouvernement n’ont aucun sens, les choses ne sont pas décantées », abonde un proche d’Emmanuel Macron. « Si on décide de décaisser à tout-va à l’issue de la crise, il faudra poser la question à ceux qui dirigent aujourd’hui s’ils se sentent à l’aise avec ça », nuance pour autant Sacha Houlié, évoquant sans le citer le rigorisme budgétaire des équipes de Matignon.

La difficulté ? Les oppositions n’entendent pas se laisser une nouvelle fois détrousser par Emmanuel Macron, qui avait lui-même qualifié de « hold-up » son élection de 2017. Depuis le début de la crise du coronavirus, la droite comme la gauche ne ménagent pas l’exécutif, multipliant les déclarations critiques et les demandes de commissions d’enquête. Malgré les pressions et les procès en irresponsabilité, le plan de déconfinement du gouvernement n’a pas été voté par le Sénat, où le parti présidentiel est minoritaire. « On sent que tout le monde pense déjà à 2022 et qu’on ne nous fera pas de cadeau », s’inquiète un stratège de la majorité, qui dit ne pas croire à un hypothétique gouvernement d’union nationale.

« Clivages forts »

Pour tenter de forcer la main de leurs oppositions, les macronistes comptent s’appuyer sur l’opinion, qui pousserait aux compromis. « La situation va rendre difficile les positions idéologiques tranchées, calcule Gilles Le Gendre. Les Français feront payer très cher toute attitude qui n’irait pas vers l’efficacité. » « Le président de la République doit prendre les Français à témoin sur le dépassement, car certains ne voudront pas jouer le jeu en vue de 2022 », ajoute Stéphane Séjourné.

Seul bémol, la situation d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle de 2017. A l’époque, Emmanuel Macron était en position de force, face à un Parti socialiste usé par le mandat de François Hollande et une droite empêtrée dans les costumes de François Fillon. Aujourd’hui, le chef de l’Etat se trouve dans une position plus fragile. « Bien souvent, les opposants ne veulent pas servir de béquille ou de caution à un pouvoir qu’ils jugent en bout de course, décrypte Chloé Morin, spécialiste de l’opinion auprès de la fondation Jean-Jaurès. Début 2016, on avait vu la tentative de [Manuel] Valls de tendre la main à [Jean-Pierre] Raffarin sur l’emploi. Mais le pouvoir était alors trop faible pour réussir à forcer des oppositions, qui avaient déjà 2017 en ligne de mire, à venir à son secours… »

Il n’est d’ailleurs pas certain que cette idée de « majorité de projet » soit encore désirée par l’opinion. « Dans nos études, 61 % des Français se disent favorables à une union nationale, ce qui n’a rien d’un plébiscite, et seulement 51 % pensent que cela pourrait être efficace. L’idée d’une majorité de projet n’a pas beaucoup de résonance aujourd’hui. Les clivages n’ont au contraire jamais été aussi forts », pointe Bernard Sananès, président de l’institut Elabe. Dans son allocution du 13 avril, regardée par 37 millions de Français, Emmanuel Macron a assuré que c’est « avec toutes les composantes de notre nation » qu’il entendait « dessiner ce chemin » de « l’après ». Reste à savoir qui a envie de cheminer à ses côtés.

Plus de 60 plaintes déposées contre des membres du gouvernement. Soixante-trois plaintes contre des membres du gouvernement ont été déposées jusqu’ici auprès de la Cour de justice de la République (CJR) pour dénoncer leur gestion de la crise liée au coronavirus, selon un décompte annoncé, mardi, par le procureur général François Molins sur RTL. Cette commission, composée de dix hauts magistrats, peut « décider soit le classement sans aucune suite soit la transmission au procureur général qui serait alors tenu de saisir la commission d’instruction qui agira finalement comme un juge d’instruction », a-t-il expliqué. Ces plaintes concernent le plus souvent le premier ministre, Edouard Philippe, les deux ministres de la santé qui se sont succédé, Agnès Buzyn et Olivier Véran, ainsi que leurs homologues de la justice, Nicole Belloubet, du travail, Muriel Pénicaud, et de l’intérieur, Christophe Castaner.

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