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Jours tranquilles à Paris
21 mai 2020

POLITIQUE - De Gaulle, Giscard, les deux modèles d’Emmanuel Macron

Par Alain Duhamel 

De Montcornet à l’appel conjoint avec Angela Merkel, le Président se réclame à la fois du souverainisme de Charles de Gaulle et de l’européisme de Valéry Giscard d’Estaing.

Dimanche dernier, Emmanuel Macron a inauguré le semestre De Gaulle en commémorant la bataille de Montcornet (17 mai 1940) à l’occasion de laquelle le tout récent commandant de la IVe division cuirassée a réussi à freiner très provisoirement l’avance des panzers. Ce fait d’armes n’était qu’une opération de retardement mais, suivi aussitôt par les combats de Crécy et surtout d’Abbeville, il a enraciné le prestige militaire de Charles de Gaulle (promu jeune général valeureux en pleine débâcle nationale) et lui a ouvert les portes du gouvernement de Paul Reynaud, lançant son fabuleux et romanesque destin politique.

Qu’Emmanuel Macron, si féru de mémoire nationale et si attaché au culte des héros, ait ainsi voulu ouvrir et incarner le cycle De Gaulle (appel du 18 juin il y a 80 ans, naissance il y a 130 ans, mort du Général il y a 50 ans), rien d’étonnant à cela. Les présidents de la Ve République ont tous, sauf François Mitterrand, rendu hommage à Charles de Gaulle et ont tenté de recueillir au passage quelques bribes de son héritage. L’année 2020 s’y prête particulièrement, même si la crise du coronavirus et ses conséquences économiques et sociales éclipsent le moment De Gaulle. Mais justement, c’est aussi l’ampleur sans précédent, la brutalité, la violence de la crise civile actuelle qui rappelle immanquablement la plus grande crise militaire et politique de notre histoire moderne, celle de 1940. Face à l’épreuve d’aujourd’hui, le Président se tourne vers l’épreuve d’hier. Il cherche à en recueillir les leçons et les répliques, non pas pour s’identifier si peu que ce soit au Général - d’où viendrait sa légitimité ? - mais pour en observer les principes. Chez De Gaulle, ils étaient bien connus dès 1940 et se sont épanouis en 1958. Pour l’essentiel, la trilogie souveraineté-autorité-unité et son halo non transmissible de prestige.

Emmanuel Macron ne peut pas imaginer les reproduire à l’identique. Le Général était un souverainiste glorieux et imaginatif, rien à voir avec les souverainistes mesquins et vétilleux d’aujourd’hui. L’actuel chef de l’Etat n’a, lui, rien d’un souverainiste sinon que, face à la pandémie, il ressuscite des fragments nécessaires de souveraineté, qu’il s’agisse de la reconquête d’une industrie nationale de la santé, de la défense de nos entreprises contre des investisseurs prédateurs ou de la volonté d’imposer des normes fiscales équitables aux Gafa. A l’expérience douloureuse du coronavirus, des pans de souveraineté économique ou financière retrouvent une place aux côtés de l’éternelle souveraineté diplomatique. De Gaulle incarnait et revendiquait aussi l’autorité. Sur le plan institutionnel, Emmanuel Macron se place résolument dans son sillage, poursuivant la présidentialisation de la Ve République, affichant son engagement et sa responsabilité politique personnelle. En revanche, malgré ses appels réitérés à la «concorde nationale», face à la crise monstrueuse qui menace, on ne peut pas dire qu’il a suscité quelque écho que ce soit. Les oppositions le combattent âprement et l’attaquent personnellement, en ordre dispersé mais sans relâche. Il est vrai que le Général lui-même est très loin, sur ce point, d’avoir réussi. Il y a donc dans le macronisme quelques fragments épars du legs gaullien.

En revanche, l’initiative conjointe franco-germanique du pacte de solidarité européenne relève directement de la tradition giscardienne. Face à la pire crise économique et sociale qui s’installe, c’est le recours à la double souveraineté qui s’impose : souveraineté nationale, avec un plan de soutien économique et souveraineté sociale d’une ampleur sans précédent dans toute notre histoire (balayant au passage sans hésitation tous les totems et préceptes de l’orthodoxie) ; souveraineté européenne aussi avec une proposition fracassante négociée avec Angela Merkel, introduisant enfin, là encore contre toute orthodoxie, une forme concrète et ambitieuse de solidarité européenne. Reste, certes, à le faire accepter à nos partenaires, aux 25 autres gouvernements, aux parlements nationaux et au Parlement européen. Mais, face au risque bien réel de dislocation de l’Europe et de l’euro, c’est le retour du couple franco-germanique, c’est aussi une première victoire de l’audace et de l’imagination. Banque centrale européenne, Commission de Bruxelles, initiative Macron-Merkel, face à l’abîme, l’Europe se ressaisit et se réinvente. Adepte depuis toujours de la double souveraineté, Emmanuel Macron met ainsi ses pas dans ceux de Valéry Giscard d’Estaing qui, lors de crises pétrolières - certes moins monstrueuses que la crise actuelle - avait su imaginer des réponses constructives avec son partenaire favori, le chancelier Helmut Schmidt. De plus, la pratique du pouvoir d’Emmanuel Macron - présidentialisation, exposition médiatique, innovations aventureuses, modernisme idéaliste, complémentarités avec son Premier ministre - ressemble au tandem Giscard-Barre plus qu’à tout autre. L’année De Gaulle est engloutie dans l’année coronavirus. Emmanuel Macron, voulant entretenir en 2020 le culte gaullien, retrouve en fait le chemin giscardien.

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