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Jours tranquilles à Paris
24 mai 2020

Chronique - Emmanuel Macron face à la peur des outsiders

Par Solenn de Royer

L’émergence d’une figure populiste hors des partis traditionnels inquiète l’Elysée, observe dans sa chronique, Solenn de Royer, journaliste au « Monde ».

« Ça fout la trouille. » C’est un puissant conseiller de l’exécutif qui le dit. Au sommet de l’Etat, l’hypothèse de l’émergence d’une figure populiste hors parti, est un véritable objet d’inquiétude, dans la perspective de 2022, alors que la défiance contre le pouvoir s’est encore épaissie pendant la crise sanitaire. « Un Zemmour, un Raoult, un Hanouna, pourquoi pas une Elise Lucet, qui incarnent chacun à leur manière cette rupture entre le peuple et les élites, peuvent faire irruption dans le jeu et tenter de poursuivre la vague de dégagisme de 2017 », veut ainsi croire un poids lourd du gouvernement.

A l’Elysée, la fiction Baron noir, qui met en scène un professeur blogueur, Christophe Mercier, cristallisant soudain la colère des Français, est d’ailleurs dans toutes les têtes. Certains conseillers sont d’autant plus troublés que la série écrite par Eric Benzekri, et tournée au palais, a imaginé une présidente élue sur un axe central (« La France unie ») hors des partis traditionnels, un positionnement proche de celui de Macron. « Le président redoute notamment qu’un François Ruffin, par exemple, fasse la passerelle entre extrême gauche et extrême droite, confie un stratège du chef de l’Etat. Pour lui, c’est un Christophe Mercier potentiel. D’ailleurs, Ruffin fait du Mercier, il se filme dans sa cuisine… »

D’où l’attention particulière portée à des figures populaires, se posant en défenseur du peuple contre les élites. Il y a quelques jours, M. Macron a appelé Jean-Marie Bigard, par l’intermédiaire de Patrick Sébastien. L’humoriste, soutien des « gilets jaunes », avait critiqué le gouvernement, peu avant le déconfinement. « J’en ai marre de voir des guignols nous diriger », s’indignait-il sur Instagram, en plaidant pour la réouverture des « bistrots ». L’humoriste a assuré que le chef de l’Etat lui avait donné « raison », en lui promettant un « échéancier ».

Forte impopularité

Le 9 avril, Macron avait également créé la surprise en rendant visite à Didier Raoult, défenseur de l’hydroxychloroquine contre le Covid-19. L’infectiologue controversé s’en était félicité, louant un « homme intelligent » qui « comprend tout ». M. Macron l’avait qualifié de « grand scientifique ». « En allant le voir, il a délégitimé sa posture », positive un proche du président. Dans un registre différent, le chef de l’Etat a décroché son téléphone le 1er mai pour appeler Eric Zemmour, agressé dans la rue. L’information a fuité dans Valeurs actuelles. « Entre un Bigard, un Zemmour, un Raoult ou un Philippe de Villiers [à qui Macron a promis la réouverture du Puy du Fou, en Vendée], il y a un lien : la France populaire », note un conseiller.

Lui-même plongé dans une forte impopularité, dont personne ne semble pour le moment profiter dans le champ politique traditionnel, le président de la République fait le choix de « traiter » ces figures plutôt que de les ignorer. Une façon de montrer qu’il considère ce qu’elles représentent. « Il sent la marmite qui bout, tente de reconquérir ces gens-là, même en transgressant », observe le sondeur Jérôme Fourquet. Même constat du côté du spécialiste de l’opinion Jérôme Sainte-Marie, qui note que le chef de l’Etat s’emploie ainsi à « capter la popularité » de ces « porte-parole de la contestation ».

S’il prend le risque de leur donner une aura plus grande encore, le chef de l’Etat fait au contraire le pari que cette stratégie contribuera à leur faire perdre une partie de leur pouvoir d’attraction auprès des « antisystèmes ». En 1907, le viticulteur Marcelin Albert, surnommé le « Rédempteur », était devenu le porte-voix des vignerons d’Argeliers, pendant la grande crise viticole du Midi. Jusqu’au jour où Georges Clemenceau l’avait reçu à Paris. Le leader s’était retrouvé soudain conspué par la foule qui l’avait adoré.

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