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Jours tranquilles à Paris
12 juin 2020

Comment le confinement a modifié les comportements alimentaires des Français

Par Mathilde Gérard

Loin d’avoir entraîné une réponse uniforme, les restrictions mises en place le 17 mars ont eu des effets contrastés sur la nutrition et l’activité physique de la population.

Les étagères vides de paquets de farine ou de biscuits dans les grandes surfaces ont-elles été le signe d’une razzia de sucreries et de snacking pendant les huit semaines de confinement strict imposé en France ?

Alors que les restrictions décrétées le 17 mars ont été partiellement levées le 11 mai, l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN, équipe mixte de l’Inserm, l’Inrae, le CNAM et l’université Sorbonne Paris Nord) s’est attachée à comprendre comment cette période hors-norme, qui a profondément bousculé les modes de vie, a affecté l’alimentation et l’activité physique des Français.

L’étude conduite par la directrice de recherche Mathilde Touvier et mise en ligne début juin sur le serveur MedRxiv (sans révision par des pairs) met en lumière deux tendances nettement opposées. Pour une partie de la population, les habitudes alimentaires ont été moins favorables, avec une moindre consommation de produits frais, une chute de l’activité physique, une hausse du grignotage et in fine, une prise de poids ; tandis que pour un autre groupe, le confinement a été l’occasion de passer plus de temps en cuisine, faire plus d’achats en circuits locaux et manger plus équilibré.

Pour mener ces travaux, les chercheurs se sont appuyés sur la base de données NutriNet-Santé, une vaste enquête au long cours sur la nutrition et la santé lancée en 2009, qui compte 170 000 « nutrinautes » régulièrement consultés. Pendant le confinement, 37 000 d’entre eux ont ainsi participé à une enquête détaillée sur leurs modes de vie, renseignant leurs menus sur plusieurs journées, leur poids au début et à la fin du confinement, détaillant leurs modes d’achat et différents paramètres.

Manger plus pour compenser l’ennui et combattre le stress

Beaucoup de Français ont dû réorganiser leur quotidien en raison de la fermeture des lieux de travail et des établissements scolaires. Habitués pour certains à manger en partie à l’extérieur du domicile, ils ont vu leurs journées s’articuler autour du casse-tête des trois repas par jour pour l’ensemble du foyer et ont dû repenser leurs achats en tenant compte des restrictions de déplacement et des contraintes économiques.

Selon les profils – passage en télétravail ou non, arrêt ou maintien de leur activité professionnelle, présence d’enfants à la maison… –, les conséquences n’ont pas été les mêmes pour toute la population.

Un tiers (35 %) des participants à l’étude a pris du poids – soit 1,8 kg en moyenne – pendant ces deux mois ; 63 % ont vu leur sédentarité augmenter, passant plus de sept heures par jour assis ; 18 % ont déclaré manger plus pour compenser l’ennui et 10 % pour combattre le stress ; 17 % ont réduit leurs rations de fruits et légumes frais – remplacés pour ces derniers par des achats de conserves et de surgelés – et un tiers a mangé moins de poisson ; 10 % ont eu des difficultés à conserver un rythme régulier des repas. Parmi ce « cluster » ayant eu une alimentation moins équilibrée (un tiers des participants en combinant les différents paramètres), on trouve davantage de femmes, en télétravail, avec des enfants à la maison et un niveau de revenus plus faible.

A l’inverse, le groupe ayant eu un comportement alimentaire plus favorable (20 % des participants) rassemble davantage d’hommes, sans enfants, des étudiants (principalement ceux qui ont rejoint leurs familles) et des personnes en chômage partiel. Ainsi, 23 % de ceux ayant répondu ont ainsi perdu du poids – soit 2 kg en moyenne – ; les répondants ont été 40 % à passer plus de temps à cuisiner des plats « faits maison » ; 17 % ont cherché à équilibrer leur alimentation pour compenser la perte d’activité physique ; près d’un sur cinq a même pu augmenter son activité physique.

Inégalités nutritionnelles

Un troisième groupe (42 %), plus âgé, vivant dans des petites villes ou des zones rurales, ou qui a continué à travailler en dehors du domicile, a connu peu de modifications dans son alimentation et n’a pas vu son poids évoluer. Il s’agit de ceux dont le mode de vie a été le moins bousculé par la pandémie, qui ne travaillaient pas avant le confinement, ou qui ont continué à exercer leur activité sans changement.

Aucun de ces groupes n’est homogène et plusieurs facteurs ont pu avoir des effets ambivalents, comme le surpoids : pour certains individus, les informations liant l’obésité aux formes graves du Covid-19 les ont encouragés à rééquilibrer leur alimentation ; pour d’autres au contraire, l’anxiété leur a fait prendre du poids.

Le télétravail a pu lui aussi jouer dans les deux sens : les télétravailleurs avec enfants ont été plus fréquemment dans des situations défavorables, tandis que ceux sans enfants ont pu davantage mettre à profit la période pour mieux s’alimenter. « Sur l’interprétation de ces résultats, on ne peut qu’émettre des hypothèses, souligne Mélanie Deschasaux, première auteure de l’étude. La présence des enfants au domicile a pu être liée à un manque de temps pour la préparation des repas, ou au fait de grignoter davantage, notamment lors du goûter. On a ainsi pu observer que le temps passé en cuisine a été utilisé pour faire de la pâtisserie. »

Les inégalités nutritionnelles ne se sont pas résorbées avec la crise sanitaire, bien au contraire : les travaux de l’EREN montrent que le niveau de revenus a été un facteur influant fortement les comportements.

« Certaines habitudes prises peuvent perdurer »

En revanche, la précarité alimentaire qui a frappé une partie de la population ne ressort pas nettement dans la cohorte NutriNet-Santé. En raison de son mode de recrutement en ligne, elle comporte certains biais statistiques, surreprésentant les femmes (52,3 %) et les catégories socioprofessionnelles élevées.

« Les résultats ont été redressés pour corriger ces biais, détaille Mélanie Deschasaux, mais la cohorte NutriNet n’est pas très adaptée pour capter les situations de précarité. Par exemple, dans notre étude, les étudiants ont été plutôt associés à des améliorations de comportements alimentaires, notamment car leurs familles n’étaient pas en difficulté financière. »

Malgré ces limites, les résultats présentés par l’EREN incitent à la vigilance en raison même des biais de la cohorte : si une part importante des participants – pourtant plus sensibilisés à la nutrition que la moyenne – a vu son alimentation se déséquilibrer, la proportion risque d’être encore plus forte pour la population générale.

« Certaines habitudes prises peuvent perdurer, met en garde Mélanie Deschasaux. Les personnes qui ont cessé de consommer du poisson vont-elles en remanger ? Celles qui ont fait moins de sport vont-elles se relancer ? Si la sédentarité, le grignotage et la prise de poids perdurent, cela peut poser problème à l’avenir. »

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