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Jours tranquilles à Paris
6 juillet 2020

Face à l’imposition de la loi sécuritaire à Hongkong, l’UE ne peut offrir qu’une riposte timide

Par Jean-Pierre Stroobants, Bruxelles, bureau européen

Il est probable que les ministres des affaires étrangères des vingt-sept Etats membres, réunis le 13 juillet à Bruxelles se contenteront d’un rappel des principes.

Poser des questions, demander des comptes et « calibrer un message qui, peut-être, fera bouger les lignes » : c’est, selon un haut responsable de la diplomatie européenne, tout ce que les Vingt-Sept pourront faire alors que la Chine impose à Hongkong sa loi sur la sécurité nationale. Un dispositif qui fait sentir ses premiers effets pour le mouvement prodémocratie, décrit par Pékin comme « une petite minorité ». « Les Européens sont en fait, comme d’autres acteurs, réduits à un rôle d’observation », confirme Pierre Vimont, ex-ambassadeur de France aux Etats-Unis et chercheur associé au centre de réflexion bruxellois Carnegie Europe.

Fin mai, déjà, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, exprimait la « vive préoccupation » des Vingt-Sept face à des mesures « qui ne sont conformes ni aux engagements internationaux de la Chine, ni à la loi fondamentale de Hongkong ». Bruxelles évoquait des relations nécessairement basées sur « la confiance et le respect mutuels » et promettait de soulever la question dans le cadre de son « dialogue permanent » avec la Chine.

Lundi 22 juin, à l’issue d’un sommet avec le président Xi Jinping, les présidents du Conseil européen et de la Commission répétaient leurs « graves préoccupations » pour le territoire mais Charles Michel et Ursula von der Leyen ne détaillaient aucun élément d’une éventuelle riposte. Il est probable que les ministres des affaires étrangères, réunis à Bruxelles le 13 juillet, se contenteront aussi d’un rappel des principes avec, peut-être, une mention que la loi sécuritaire risque, par ses conséquences, de faire perdre à Hongkong son statut de septième place financière internationale.

Un « appendice de l’Eurasie »

Soucieuse d’affirmer sa position sur la scène internationale et de ne pas se laisser enfermer dans le conflit entre Pékin et Washington, l’Union européenne (UE) ne trouve pas pour autant sa voie. « Sans la relation transatlantique, vous ne serez qu’un appendice de l’Eurasie », lança un jour l’ancien secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger à ses interlocuteurs européens. Lors d’un discours qu’elle tenait à Berlin, en janvier, Angela Merkel s’est référée à cette sentence pour appeler ses partenaires à « réfléchir très profondément » à la manière dont ils comptent se positionner sur la scène mondiale.

SELON UN DIPLOMATE, « MERKEL N’A PAS DE PROBLÈME AVEC LE FAIT DE RIPOSTER À LA CHINE, À CONDITION QUE CE NE SOIT PAS L’ALLEMAGNE QUI RIPOSTE »

La chancelière compte-t-elle profiter du fait que son pays a pris, le 1er juillet, la présidence de l’Union pour accélérer cette réflexion et appuyer le principe d’une Europe entrant vraiment dans l’ère de la géopolitique et capable, par exemple, de se profiler clairement face au pouvoir chinois ? Pour cela, il faudrait d’abord que les partenaires de l’Allemagne sachent quelle est exactement la position de Berlin. Car si une source française affirme que « sur la Chine nous sommes unis, à vingt-sept », la chancelière a, à diverses reprises, exprimé plus d’une nuance.

Noah Barkin, chercheur invité et membre du programme Asie de la Fondation Carnegie, affirme qu’elle a, en fait, « soigneusement évité » toute confrontation avec Pékin au cours des derniers mois. En se rendant en Chine – pour la 12e fois – en septembre 2019, à la tête d’une délégation d’industriels, alors que la contestation battait son plein à Hongkong et que de nouvelles révélations sur la répression au Xinjiang émergeaient. En repoussant les critiques qui montent, y compris dans son propre parti, sur le risque sécuritaire posé par la possible mainmise du géant Huawei sur le réseau de télécommunications mobile 5G. En se démarquant, en janvier, de Paris et Londres, qui félicitaient la présidente de Taiwan, Tsai Ing-wen, pour sa réélection. Une source bruxelloise évoque aussi la « faiblesse » de la critique allemande quant à la gestion de la crise du Covid-19 par les autorités chinoises. En fait, « Merkel n’a pas de problème avec le fait de riposter à la Chine, à condition que ce ne soit pas l’Allemagne qui riposte », a récemment confié un diplomate à M. Barkin.

Rival systémique

Cette position médiane constitue, selon un expert bruxellois, un réel handicap en vue de la définition d’une position commune des Vingt-Sept, celle que la chancelière espère offrir lors du sommet que les chefs d’Etat européens devraient tenir avec les dirigeants chinois, à la fin de l’année. Cette réunion à Leipzig, prévue initialement en septembre, a été reportée, officiellement en raison de la pandémie. Le gouvernement allemand compte toujours sur cette occasion pour réaffirmer le choix européen du multilatéralisme et renforcer la coopération avec Pékin dans le domaine climatique, de la santé ou du développement de l’Afrique. Une évidence s’impose toutefois : Mme Merkel envisage d’abord la relation sous l’angle économique et a le souci que son pays ne paie pas le prix d’une affirmation, par les Vingt-Sept, d’une position trop ferme sur le respect des droits humains.

En mars 2019, Bruxelles réorientait sa position jugée « naïve » à l’égard de la Chine en affirmant qu’elle était un partenaire de négociation, un compétiteur économique mais aussi un rival systémique. Un propos largement influencé par la publication, deux mois plus tôt, d’un document de la puissante fédération allemande des industriels (BDI), inquiète de la mainmise d’un groupe chinois sur l’entreprise de robotique Kuka et celle – bloquée in extremis – d’Aixtron, un fabriquant de composants électroniques. Depuis, si Mme von der Leyen et Emmanuel Macron reprennent le terme de « rival », Mme Merkel se montre plus prudente, craignant que cela réduise trop le champ de l’indispensable coopération avec Pékin. Jeudi 2 juillet, dans sa conférence de presse inaugurant la présidence allemande, la chancelière prenait soin de souligner que le dialogue avec la Chine devait se maintenir « dans toutes ses dimensions ».

D’autres « facteurs polluants »

Fidèle à son approche prudente et pragmatique, Berlin espère en fait que le maintien d’une relation équilibrée, centrée d’abord sur les questions économiques et commerciales, permettra ensuite d’aborder d’autres questions. Le problème étant qu’en dehors d’un possible entérinement d’un accord sur les indications géographiques de produits, on voit mal quels sont les terrains sur lesquels Pékin et Bruxelles pourront s’entendre à bref délai.

« EN RÉALITÉ, PERSONNE N’A ENCORE TROUVÉ LA MANIÈRE D’AMENER LE RÉGIME CHINOIS À FAIRE MARCHE ARRIÈRE », PIERRE VIMONT, EX-AMBASSADEUR DE FRANCE.

Les négociations sur un accord d’investissement et les règles applicables aux entreprises publiques ne progressent pas. Elles ont été retardées, tant par la pandémie que par les campagnes de désinformation sur la gestion de la crise qu’ont menées des sources chinoises. Les polémiques sur le développement de la 5G, comme les tentatives de division du camp européen auxquelles se livre Pékin, au travers notamment des initiatives de la « nouvelle route de la soie » – elles impliquent des pays du Sud, de l’Est et des Balkans – sont d’autres « facteurs polluants », comme le qualifie un diplomate.

Autant dire que sur Hongkong ou les camps d’internement du Xinjiang, l’UE s’en tiendra sans doute aux formules habituelles. D’éventuelles sanctions – et lesquelles d’ailleurs ? – n’y changeraient rien. A l’époque du massacre de la place Tiananmen, en 1989, elles n’avaient abouti qu’à diviser le camp européen. La France allait batailler plus tard pour leur suppression en jugeant notamment « dépassé » l’embargo sur les livraisons d’armes.

« En réalité, personne n’a encore trouvé la manière d’amener le régime chinois à faire marche arrière », confirme Pierre Vimont.

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