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Jours tranquilles à Paris
1 septembre 2020

Fiction raciste : «Valeurs actuelles» au bout de sa logique

Par Jérôme Lefilliâtre — Libération

On aurait donc mal compris le texte de Valeurs actuelles sur Danièle Obono. «Ce n’est pas un texte raciste», a tenté de plaider, en réponse à la condamnation unanime de son dernier fait de gloire journalistique, le directeur du magazine d’extrême droite, Geoffroy Lejeune. On aurait manqué, nous autres ignares, de perspicacité, de hauteur de vue, de connaissance de l’histoire.

Car il se serait seulement agi de rappeler que l’esclavage avait bénéficié de complicités de trafiquants africains - une vieille coutume de l’extrême droite est de minorer la responsabilité des Occidentaux en mettant en avant celle de certains Noirs. Si cet infâme article imaginant la députée de La France insoumise dans un village tchadien du XVIIIe siècle donne la nausée, ce ne serait pas parce qu’il est bêtement à vomir, mais parce que l’esclavage est une horreur, dont Valeurs aurait tenu à nous rappeler l’affreuse réalité. Rien à voir, donc, avec les préjugés ou les obsessions du magazine, a affirmé Geoffroy Lejeune, qu’on a pourtant senti plus péteux que jamais à la télévision ce week-end.

Publier un texte anonyme sur une femme noire contenant des phrases comme «Danièle fut échangée avec des Toubous prévenus par un tam-tam» ou «elle était pour sa part heureuse d’être trop âgée pour subir ce douloureux écartèlement des lèvres permettant d’y glisser ces plateaux de bois qui leur donnaient ce profil qui l’effrayait malgré elle» n’aurait rien de raciste pour le directeur de l’hebdomadaire. C’est raciste, absolument. On imagine le sourire de l’auteur au moment d’écrire ces lignes, ravi d’adresser un clin d’œil complice, bien entendu, à son lecteur… Interrogé par Libé sur l’identité de ce mystérieux rédacteur, nommé «Harpalus», Geoffroy Lejeune répond : «Je ne veux pas le dire car c’est inutile. J’assume la responsabilité dans cette histoire.»

Qui lit Valeurs actuelles de temps à autre sait parfaitement à quoi s’en tenir avec cet ex-magazine conservateur roupillant, qui a dérivé vers la radicalité à partir de 2012 sous la direction d’Yves de Kerdrel (qui a condamné publiquement le texte sur Danièle Obono). Son successeur nommé en 2016, Geoffroy Lejeune, qui rêve d’union des droites par l’extrême et a promu Zemmour «homme de l’année» en une début août, a poussé les feux plus loin encore dans une direction militante, plus convaincue par la cause. Le fait est que le jeune patron de Valeurs, bientôt 32 ans, se sent assez fort pour imprimer des articles aussi répugnants que ce «voyage» de Danièle Obono dans l’Afrique esclavagiste.

Comment l’injustifiable a-t-il été rendu possible ? Geoffroy Lejeune ne peut pourtant pas s’appuyer sur un bilan commercial étincelant : la «diffusion payée individuelle» de son journal, propriété de l’industriel Iskandar Safa, est tombée de 114 000 exemplaires en moyenne en 2016 à 76 000 en 2019. Ni sur les succès électoraux des candidats qu’il a soutenus, tel François-Xavier Bellamy, en déroute aux européennes. D’où vient alors l’incroyable assurance de Valeurs ? Nul doute que l’interview «exclusive» accordée par Emmanuel Macron en octobre au magazine a beaucoup contribué à ce processus d’autolégitimation et d’autopersuasion.

Mais c’est aussi l’accueil réservé à cet hebdomadaire pas du tout comme les autres dans les médias audiovisuels qui a joué. Chose impensable il y a dix ans, ses journalistes ont envahi les plateaux et studios. La nouvelle garde, composée de Charlotte d’Ornellas, Tugdual Denis, Louis de Raguenel ou Raphaël Stainville, squattent les émissions de débats construites sur la culture du clash, à l’invitation de chaînes très conciliantes. Ex-éditorialiste politique numéro 1 de LCI, Geoffroy Lejeune vient d’être appelé par Cyril Hanouna à la table des chroniqueurs de Balance ton post ! On arrête quand le délire ?

obono

Large soutien à Danièle Obono contre « Valeurs actuelles »

Service Politique Le Monde

De nombreuses voix ont dénoncé le « racisme » des dessins représentant la députée LFI dans le magazine conservateur

Représentation « abjecte et inacceptable »,« apologie du racisme » : la « politique fiction » du magazine conservateur Valeurs actuelles sur la députée La France insoumise (LFI) Danièle Obono, dépeinte en esclave, a suscité, samedi 29 août, une vague de condamnations, jusqu’au chef de l’Etat. Dans ce récit fiction de sept pages publié dans le cadre d’une série d’été où des personnalités politiques « voyagent dans les couloirs du temps », la députée de Paris, à la peau noire, « expérimente la responsabilité des Africains dans les horreurs de l’esclavage » au XVIIIe siècle, selon la présentation qu’en fait le magazine. Des dessins de Danièle Obono, collier en fer au cou, accompagnent ce « roman de l’été ».

Le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, qui avait accordé un entretien exclusif à Valeurs actuelles fin 2019, a appelé la députée en fin de matinée pour lui faire part de sa « condamnation claire de toute forme de racisme », a indiqué l’Elysée à l’Agence France-Presse.

Le premier ministre avait déjà réagi plus tôt dans la journée : « Cette publication révoltante appelle une condamnation sans ambiguïté », a écrit sur Twitter Jean Castex, qui « partage l’indignation de la députée » et « l’assure du soutien de l’ensemble du gouvernement ». « La lutte contre le racisme transcendera, toujours, tous nos clivages », a ajouté le chef du gouvernement. « Le racisme est un mal nocif. Il détruit. Il est un délit », a aussi rappelé la ministre déléguée chargée de la ville, Nadia Hai, sur le réseau social. « On est libre d’écrire un roman nauséabond, dans les limites fixées par la loi. On est libre aussi de le détester. Moi je le déteste et suis [aux] côtés » de la parlementaire, a écrit pour sa part le ministre de la justice, Eric Dupond-Moretti.

« Une souillure »

Dénonçant « une insulte à [ses] ancêtres, sa famille » et « à la République », Danièle Obono a dit samedi soir sur BFM-TV « réfléchir » à porter plainte. Cette publication est selon elle « une souillure qui ne s’effacera pas », mais surtout « l’aboutissement d’un acharnement médiatique » contre elle. Le chef de file de LFI, Jean-Luc Mélenchon, s’est élevé contre un « harcèlement nauséabond » envers la députée. Réprouvant vivement un « cortège de haines, comme l’ont déjà expérimenté beaucoup de responsables politiques noirs ou d’origine maghrébine ces dernières années », l’association SOS Racisme a indiqué dans un communiqué étudier « les suites judiciaires envisageables ».

Le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand (La République en marche), a critiqué une « ignoble représentation d’une parlementaire ». « Tout mon soutien personnel et celui de l’Assemblée nationale face à ces abjections », a-t-il tweeté, suivi par de nombreux députés de tous bords. Depuis Malo-les Bains (Nord), lors de la journée d’été du Parti communiste français, son numéro un, Fabien Roussel, a lui aussi épinglé un écrit « particulièrement scandaleux ». Tout comme son homologue du Parti socialiste Olivier Faure ou l’ancienne ministre écologiste Cécile Duflot.

A l’extrême droite, un responsable du Rassemblement national, Wallerand de Saint-Just, a également condamné, toujours sur Twitter, la publication « d’un mauvais goût absolu » de Valeurs actuelles : « Le combat politique ne justifie pas ce type de représentation humiliante et blessante d’une élue de la République », selon lui.

Damien Abad, président du groupe Les Républicains de l’Assemblée, a condamné une publication « dégradante » et « inutilement polémique », mais il a estimé en revanche que Valeurs actuelles n’avait pas eu la volonté de « faire quelque chose de raciste ».

Des excuses à la députée

Le magazine d’opinion a fait valoir qu’« il s’agit d’une fiction mettant en scène les horreurs de l’esclavage organisé par des Africains au XVIIIe siècle », « terrible vérité que les indigénistes ne veulent pas voir ». « J’invite chacun à lire le texte et à voir ce qu’il contient, a expliqué au Parisien Tugdual Denis, directeur adjoint de la rédaction. Il vise à expliquer que l’esclavage n’est pas uniquement le fait des Européens mais également d’Africains. » Ce dernier reconnaît que le dessin représentant l’élue en esclave est « violent » : « C’est une image horrible car la thématique est horrible, assume Tugdual Denis, mais ce n’est pas du racisme. » Samedi, l’hebdomadaire a publié un communiqué présentant ses excuses à la députée. « Si nous contestons fermement les accusations (…), nous avons aussi suffisamment de clairvoyance pour comprendre que Danièle Obono ait pu se sentir personnellement blessée par cette fiction. Nous le regrettons et lui présentons nos excuses. »

Des militants de la Ligue de défense noire africaine se sont introduits, samedi soir, dans les locaux de Valeurs actuelles pour dénoncer « l’incitation à la haine anti-Noirs », selon une vidéo qu’ils ont diffusée sur Twitter. Les locaux étaient désertés par les employés du magazine pendant l’intrusion, selon ce mouvement qui se présente comme défenseur des « droits des Afrodescendants et des Africains ».

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