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Jours tranquilles à Paris
8 septembre 2020

Lionel Jospin dresse l’inventaire des trois premières années du macronisme

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Par Solenn de Royer - Le Monde

Avec une sagesse teintée de mélancolie, l’ancien premier ministre socialiste analyse dans un livre, « Un temps troublé » (Seuil), la présidence d’Emmanuel Macron et les raisons de sa victoire en 2017.

Livre. C’est une voix qui vient de loin. Près de vingt ans après avoir quitté la vie politique, Lionel Jospin – qui a retrouvé sa liberté de parole après avoir passé quatre années au Conseil constitutionnel – s’invite dans le débat public avec un livre, Un temps troublé (Seuil, 256 pages, 19 euros), publié le 3 septembre.

L’ancien premier ministre socialiste (1997-2002), qui a été sèchement battu dès le premier tour de l’élection présidentielle de 2002 – ouvrant la voie à un second tour inédit et saisissant entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen – a voulu comprendre ce qui s’était passé en 2017 avec l’avènement surprise d’Emmanuel Macron, dans un paysage politique totalement bouleversé.

Dans ce livre court, net, précis, à l’écriture impeccable et fluide, celui qui a gardé une réserve quasi constante pendant dix-huit ans, refusant de se transformer en commentateur galvaudé de la vie politique, commence par dresser un inventaire implacable des vingt-cinq dernières années : depuis la trahison de Jacques Chirac, en 1995, qui a renoncé à réduire la fracture sociale comme il s’y était engagé, jusqu’aux désillusions de l’électorat socialiste pendant le quinquennat de François Hollande, en passant par les erreurs et les excès du sarkozysme.

Aux déceptions suscitées par trois présidents successifs se sont ajoutés le référendum perdu sur l’Europe en 2005 (suivi du déni de celui-ci) ainsi que la crise financière de 2008, ces deux événements ayant eu des conséquences économiques, sociales et politiques « rudes pour les peuples », observe l’auteur, contribuant à alimenter le scepticisme et les frustrations des Français.

Pour Lionel Jospin, âgé de 83 ans, l’avènement d’un quasi-inconnu de 40 ans est ainsi bien davantage le fruit des faillites du passé – et de circonstances particulières ayant entouré l’élection présidentielle de 2017 – que d’une véritable adhésion au projet de ce dernier. Faute de l’avoir compris, Emmanuel Macron et sa majorité feraient preuve, selon lui, d’une « confiance excessive », les conduisant à l’imprudence. « Le succès entraîne souvent une griserie et celle que procure la croyance d’avoir gagné seul est trompeuse », écrit M. Jospin.

« Le macronisme : le plus efficace des dégagismes »

L’ancien premier ministre n’hésite pas à se montrer sévère avec ce jeune président « énergique et talentueux », mais « sans attaches » ni expérience politique. Si Macron a prôné la « révolution », la rupture avec le passé et les forces politiques antérieures, c’était d’abord et avant tout par opportunisme, pour conquérir plus efficacement le pouvoir, relève Jospin. « Le macronisme est devenu le plus efficace des dégagismes », analyse-t-il.

Dans une partie du livre intitulée « La désillusion », l’ancien premier ministre dresse le bilan décevant des trois premières années du quinquennat, évoquant des mesures ayant largement profité aux plus riches, des performances économiques « contrastées et modestes », de « fortes tensions sociales » et des promesses d’exemplarité politique réduites à néant. Il juge aussi sévèrement la méthode et la gouvernance choisies par Emmanuel Macron, cette verticalité érigée en dogme, laquelle aurait mécaniquement entraîné une violente réplique horizontale venue du peuple, incarnée par les « gilets jaunes ».

« La promesse chimérique d’un “nouveau monde” est restée lettre morte, résume Lionel Jospin. Notre pays est loin d’adhérer à ce qu’on lui propose aujourd’hui : un néolibéralisme orné de progressisme. »

« NOTRE PAYS EST LOIN D’ADHÉRER À CE QU’ON LUI PROPOSE AUJOURD’HUI : UN NÉOLIBÉRALISME ORNÉ DE PROGRESSISME », SELON LIONEL JOSPIN

Pour le socialiste, le logiciel libéral de Macron et « l’idéologie de la réforme à tout prix » sont datés et anachroniques, alors que la dérégulation et la financiarisation de l’économie ont entraîné, au cours des dernières années, des crises et des désordres majeurs, « en même temps qu’elles creusaient profondément les inégalités ».

L’ex-animateur de la gauche plurielle pourfend également le « progressisme » porté haut par les macronistes. Ce concept ne serait qu’un paravent masquant les orientations néolibérales de la politique menée et une « facilité de langage destinée à construire une opposition politique commode » – et dangereuse – face au Rassemblement national (RN).

L’ancien premier secrétaire (1981-1988 ; 1995-1997) du Parti socialiste (PS) voit, en outre, le mouvement présidentiel, La République en marche (LRM), comme une coquille vide dans laquelle « ceux qui y adhèrent – par un clic ! – n’ont pas d’obligations et pas non plus de droits ».

Il souligne aussi le paradoxe existant entre la promesse de rénovation de la vie politique, d’un côté, et le manque de démocratie interne, de l’autre, avec des méthodes « relevant du centralisme démocratique jadis en usage dans les partis communistes ». Fuyant les débats de fond, LRM se bornerait à « gérer son capital électoral », poursuit-il.

Une victoire du RN à l’élection de 2022 non exclue

A l’égard de François Hollande, à qui il a confié le PS en 1997, Lionel Jospin n’est pas plus tendre. A son actif, il met la gestion des attentats, l’obtention de certains résultats économiques et l’accord de Paris de 2015 sur le climat. Mais il reproche au président socialiste un « défaut d’autorité » ainsi que son « surprenant changement de cap » en 2014 (le tournant de la politique de l’offre), ces deux caractéristiques ayant ouvert la voie aux frondeurs et accéléré la « désagrégation de l’identité politique » du PS.

L’ancien premier ministre observe aussi que le renoncement de François Hollande à se représenter en 2017 et le faible score obtenu par Benoît Hamon ont mécaniquement abouti à l’élection d’Emmanuel Macron. « Il est déconcertant de mesurer le peu qu’il est resté, au terme du quinquennat, de cette impressionnante réunion de forces », résume l’auteur d’Un temps troublé, en rappelant qu’en 2012 le PS détenait tous les leviers de pouvoir, exécutifs, législatifs et territoriaux.

Pour la présidentielle à venir, « incertaine », Lionel Jospin n’exclut rien, y compris une victoire du RN. En vieux sage, il livre ses conseils à une gauche fragile et éclatée, qui s’est perdue en laissant le socialisme se dissoudre dans le libéralisme. Une gauche écologique aurait une chance de l’emporter en 2022, si elle parvenait à s’unir, estime-t-il toutefois, plaidant pour la mise en œuvre d’un « mouvement économique, social et écologique » à la hauteur des enjeux.

Adoptant une position en surplomb, Lionel Jospin se permet même de distiller quelques conseils à la droite, qu’il appelle à « retrouver une identité cohérente », afin de stabiliser l’échiquier politique.

Des partis « irremplaçables » dans la vie démocratique

Dans ses adieux, en 2002, l’ancien premier ministre avait « assumé pleinement la responsabilité de [son] échec » à la présidentielle. Il ne se livre pourtant ici à aucune autocritique sur son propre bilan, évitant d’évoquer ce qui lui avait été alors reproché par une partie des Français, notamment une certaine rigidité et un aveuglément supposé sur l’insécurité. Ce qui, dans un contexte de profonde division de la gauche, avait contribué à sa brutale éviction du jeu présidentiel.

Dans son livre, il préfère rappeler les « performances plus qu’honorables » de sa « dream team » ministérielle : deux millions d’emplois créés en cinq ans, baisse du chômage, stabilité de l’emploi industriel et réduction du déficit budgétaire, sans compter des « avancées sociales », comme les 35 heures. A plusieurs reprises, il rend hommage à François Mitterrand, en dépit des relations délicates qu’il entretenait avec l’ancien président.

Plus largement, Lionel Jospin s’emploie à défendre les partis, qui sont pour lui « irremplaçables » dans la vie démocratique, tout comme le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, qui ont profondément changé la nature du régime, accentuant pour certains le malaise démocratique français.

Dans une quatrième partie consacrée aux désordres du monde, l’auteur d’Un temps troublé examine enfin « trois confrontations décisives » entre « démocratie et despotisme », « migrations et nations », « expansion de l’homme et sauvegarde de la vie sur Terre ».

Postface sur la pandémie de Covid-19

Il clôt son essai par une longue postface sur la pandémie de Covid-19. Loin des polémiques, loin aussi de toute amertume, Lionel Jospin adopte ici un ton calme et modéré, apaisé. Celui d’un « homme face aux incertitudes que ressentent aujourd’hui beaucoup de nos concitoyens et qui veut partager sa vision du temps qui vient, en disant ce qu’il voit, ce qu’il craint et ce qu’il souhaite ». Dans un long entretien accordé le 3 septembre à L’Obs, il le dit d’ailleurs lui-même, assurant qu’il n’a pas voulu écrire en « combattant ». Comme s’il livrait finalement ici une sorte de testament.

Certains, au PS, croient voir dans ce livre la promesse d’un retour. Mais alors que Lionel Jospin sera âgé de 85 ans à la prochaine présidentielle, il est permis d’en douter.

Bien au contraire affleure dans ces pages sobres et rigoureuses une certaine sagesse teintée de la mélancolie – douce mais poignante – de celui qui sait que son temps est passé. L’intéressé ne dit pas autre chose à la fin de son entretien à L’Obs : l’histoire qui reste à écrire le sera par d’autres que lui.

SEUIL - « Un temps troublé », de Lionel Jospin, Seuil, 256 pages, 19 €.

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