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Jours tranquilles à Paris
16 septembre 2020

LA CRISE EN BIÉLORUSSIE - Loukachenko dans les mains de Poutine

bielorussie poutine

Article de Benoît Vitkine

Le président russe a reçu, lundi, son homologue biélorusse, qui affronte une forte contestation. Moscou met la pression sur l’autocrate en attendant de voir l’évolution de la situation

MOSCOU - correspondant

Alexandre Loukachenko a effectué en Russie, lundi 14 septembre, son premier déplacement à l’étranger depuis sa réélection contestée du 9 août. Rien ne dit que sa rencontre avec Vladimir Poutine aura un effet décisif sur son maintien au pouvoir. Mais au moins le président biélorusse a-t-il pu montrer qu’il était plus qu’un autocrate enfermé dans son palais assiégé, kalachnikov à la main. Comme si tout revenait à la normale, M. Loukachenko s’est même permis, dans les échanges diffusés par la télévision russe, de disserter sur la sévérité de la deuxième vague de Covid-19, lui qui s’était distingué en niant l’existence de la pandémie.

L’image qu’aura donnée M. Loukachenko est surtout celle de sa déférence. Reçu à Sotchi, le sort réservé aux amis ou aux obligés, il a été accueilli sur le tarmac par un simple gouverneur régional. Au cours de leur bref échange devant les caméras, le chef de l’Etat biélorusse a remercié à six reprises son homologue russe, à tous propos, et redit l’amitié de son peuple pour le « grand frère » russe, une formule éculée mais qui ne peut que sonner doux aux oreilles de Vladimir Poutine.

A Sotchi, M. Loukachenko a pu exposer une nouvelle fois sa vision très personnelle de la crise : « Chez nous, le week-end, les gens sortent dans la rue, et nous leur libérons une partie de Minsk pour qu’ils puissent circuler. » Malgré cette présentation bonhomme, qui oublie de mentionner la répression impitoyable des manifestations, leur caractère massif ou encore les tortures commises en prison, le Biélorusse continue de voir dans ces « sorties » le résultat d’un complot ourdi par l’OTAN, une manœuvre face à laquelle il convient de « ne pas répéter les erreurs de la seconde guerre mondiale en tentant d’apaiser l’ennemi » – autre douceur adressée à M. Poutine.

Pour les observateurs, cette visite vaut confirmation : c’est à Moscou et uniquement à Moscou que M. Loukachenko voit son salut. Oubliées, donc, les accusations d’ingérence russes qui avaient précédé le scrutin du 9 août, oubliées les tentatives de se concilier les bonnes grâces des Européens et les années passées à éviter de se mettre dans la main du Kremlin. La reddition est complète, sans que son prix ne soit exorbitant pour Moscou.

« Ne pas être du côté du perdant »

Le président biélorusse a eu droit aux encouragements de rigueur de la part de M. Poutine : « Je suis convaincu qu’avec votre expérience politique vous allez atteindre de nouveaux horizons dans le développement du pays », a dit le président russe. Pour le reste, la partie russe avait averti qu’aucun accord ne serait signé, et aucune conclusion rendue publique. Au titre des annonces concrètes, Vladimir Poutine a seulement annoncé un prêt de 1,3 milliard d’euros, qui pourrait s’accompagner d’une restructuration de l’importante dette biélorusse. Les négociations engagées la semaine passée autour d’une reprise des livraisons d’hydrocarbures à prix réduits, qui ont depuis des années permis à la Russie de subventionner son voisin et d’acheter sa loyauté, vont dans le même sens.

Depuis le début de la crise, le soutien russe au régime vacillant de M. Loukachenko, au pouvoir depuis vingt-six ans, faisait peu de doute. Pour le Kremlin, l’idée qu’un président élu, qui plus est un allié, puisse être renversé par une contestation populaire est inacceptable, tout autant que de laisser le champ libre aux Occidentaux, sommés de « ne pas s’ingérer » dans ce qui semble relever d’une affaire intérieure russe.

Il a toutefois fallu attendre que M. Loukachenko démontre sa détermination et sa capacité à garder le pouvoir pour que Moscou s’engage. « Poutine ne veut pas être du côté du perdant », résume le politiste Mikhaïl Vinogradov. Le président russe a clairement fait part de ses intentions le 27 août, lorsqu’il a indiqué avoir formé une « réserve d’agents des forces de l’ordre » prêts à intervenir en soutien des forces biélorusses. Lundi soir, le Kremlin a indiqué que cette force était renvoyée à ses casernes, sans qu’il soit possible d’y voir un signe de confiance ou au contraire de défiance vis-à-vis de Minsk.

De fait, ces grands principes posés, la stratégie russe ne paraît pas encore totalement définie. Moscou n’a jamais fermé la porte à une solution négociée, voire à une transition contrôlée. C’est ainsi que peuvent être interprétés les appels réguliers à lancer une « réforme constitutionnelle ». L’expression, certes vague, est régulièrement employée par le ministère russe des affaires étrangères, et elle a été reprise lundi soir par Vladimir Poutine. Du côté de M. Loukachenko, qui aurait, selon le Kremlin, donné son accord, une telle réforme relèverait plutôt de la manœuvre dilatoire.

« Moscou n’est pas contre le dialogue, mais pas dans les termes proposés par l’Occident, et pas avec les représentants actuels de l’opposition », souligne le professeur Dmitri Souslov, de l’Ecole supérieure d’économie de Moscou. M. Loukachenko exile ou met en prison toute personnalité qui pourrait incarner un tel dialogue, avec d’autant plus d’empressement qu’elle paraît acceptable au Kremlin.

Parallèlement existe à Moscou la tentation d’obtenir le maximum d’un Loukachenko finissant, et de lui arracher les abandons de souveraineté auxquels il s’est toujours refusé. Cette position défendue en particulier par les « faucons », s’appuie sur le traité d’union signé entre les deux pays en 1999, et dont M. Poutine a toujours voulu tirer le maximum. Le très court menu de la rencontre de Sotchi mentionnait bien « les perspectives d’une intégration plus poussée » entre Moscou et Minsk et l’approfondissement des « coopérations ».

Un atlas de l’année 1866 en cadeau

Dans le même temps, le 10 septembre, l’ambassadeur russe à Minsk faisait à M. Loukachenko un cadeau très remarqué : un atlas de l’année 1866, époque où une partie des provinces biélorusses appartenaient à l’Empire tsariste. De quoi relativiser les assurances du porte-parole du Kremlin selon lequel aucune « absorption » n’est à l’ordre du jour.

Ces craintes ont poussé la chef de l’opposition biélorusse, Svetlana Tsikhanovskaïa, à avertir M. Poutine, lundi, que « toutes les discussions que vous pourrez avoir et tous les accords que vous pourrez conclure avec un président illégitime n’auront aucune valeur légale et seront reconsidérés par le peuple biélorusse ».

On ignore le contenu des discussions entre les deux dirigeants, mais ces mises en garde illustrent bien le risque, pour Moscou, d’un tel jeu : celui de s’aliéner une population biélorusse qui n’est pour l’heure pas hostile. Soit la répétition des erreurs commises en Ukraine ou en Géorgie, pour ne prendre que les exemples les plus récents. « Ce serait trop tôt et trop risqué pour les deux parties de parler publiquement de nouveaux accords, ou même de l’approfondissement des accords existants, confirme Dmitri Souslov. Cela ne veut pas dire que de tels projets n’existent pas, mais en attendant la priorité russe est de stabiliser au maximum la situation. »

En clair, comme les autres acteurs, Moscou est condamné à attendre de voir le rapport de force évoluer en Biélorussie même, où quelques milliards ne suffiront pas à étouffer la contestation. Le politiste russe Kirill Rogov résume cet état de fait en se référant à un jeu, les échecs, que les deux présidents connaissent. « Les trois acteurs – Loukachenko, la Russie, les manifestants – sont en situation de pat, écrit-il. Aucun des trois ne peut gagner seul, mais personne ne peut se permettre de laisser la victoire à l’un des deux autres. »

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