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Jours tranquilles à Paris
19 septembre 2020

Couvrez ce nombril que le bahut ne saurait voir

tenues

lolita

Par Virginie Ballet — Libération

Collégiennes et lycéennes se mobilisent depuis lundi pour revendiquer le droit de porter jupes, crop-tops et décolletés. En cause : le flou juridique permettant à certains établissements d’interdire des tenues jugées provocantes.

Il est encore un peu tôt dans l’année scolaire, voire dans leur cursus, pour plancher sur le bac philo. Pourtant, depuis le début de la semaine, nombre de collégiennes et lycéennes ont entrepris de décortiquer d’épineux concepts. Qu’est-ce que la décence ? Et la norme ? Quid de la liberté ? Ces idéaux s’appliquent-ils de la même manière selon les sexes ? Lundi, des élèves se sont mobilisées partout en France pour revendiquer le droit d’arborer jupes, crop-tops (petits hauts qui dévoilent le nombril), shorts et autres tenues légères, à grand renfort de hashtags sur les réseaux sociaux (#Balancetonbahut, #Lundi14septembre), de pétitions, ou encore de storys Instagram et vidéos TikTok. En cause : des règles qui interdisent, dans plusieurs établissements, le plus souvent exclusivement aux filles, de dévoiler épaules, nombril et décolleté. De Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) à Dax (Landes), en passant par Paris et la Réunion, ces normes jugées aléatoires et sexistes suscitent une vague de ras-le-bol.

Grands principes

Ce n’est pas la première fois que cette thématique fait irruption dans le débat public : en octobre 2019, en Isère, une élève de troisième avait fait l’objet d’une procédure disciplinaire pour un débardeur jugé «provocant». Au début des années 2000, c’était la mode du string dépassant des pantalons qui mettait le feu aux poudres. Auparavant, les survêtements et pantalons baggy révélateurs de caleçons s’étaient retrouvés dans le viseur. Il faut dire qu’un certain flou règne dans les textes : depuis la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques, «le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit». Le reste est de la compétence du règlement intérieur propre à chaque établissement. Elaboré en collaboration entre direction, représentants de parents d’élèves, et personnels élus, voté en conseil d’administration puis transmis au rectorat, il exige souvent une «tenue correcte», notion souvent laissée à l’appréciation des personnels éducatifs.

Le ministère de l’Education nationale fournit toutefois quelques lignes directrices, sous la forme de grands principes tels que «la liberté d’expression», «le devoir de tolérance» ou encore «les garanties de protection contre toute agression physique». Dans une tentative de clarification maladroite, le ministre Jean-Michel Blanquer en a appelé lundi «au bon sens» et estimé que «les chefs d’établissement sont évidemment dans leur rôle à faire respecter des tenues normales, tout simplement». Encore faudrait-il expliciter «tenues normales»…

Pétition

Retour au bac philo. «Lundi, alors qu’il faisait 35 degrés, on m’a demandé de mettre un pull, parce que je portais un débardeur à fines bretelles, jugé vulgaire, s’insurge Shana, en quatrième dans un collège privé catholique de Lille (Nord). Les mecs ont droit à tout, y compris les shorts au-dessus du genou. Les profs mettent des jupes, et nous, on nous prive de plein de choses, soi-disant à cause des garçons !» Au-delà de sa tenue à l’école, Shana rêve que «filles et garçons soient égaux. Pourquoi un garçon ne pourrait pas lui aussi mettre un crop-top sans se faire insulter ? Pourquoi on se fait traiter de pute dans la rue l’été ? Pourquoi on change de trottoir parce qu’on a peur ?»

Isis, 17 ans, en terminale dans un lycée de Carrières-sur-Seine (Yvelines), a lancé une pétition pour «le droit au crop-top au lycée». Elle y voit «un symbole de la sexualisation du corps des femmes dans la société. Ce que dit Blanquer, c’est le signe que moins on voit notre peau, mieux c’est pour eux». Isis espère que la mobilisation permettra, «même si c’est un peu utopique», de sensibiliser les garçons sur le respect, les violences sexistes et sexuelles, le harcèlement de rue et la culture du viol. «Il reste encore un pourcentage dingue de Français pour qui la tenue d’une femme est une circonstance atténuante pour l’agresseur», se désole-t-elle. De fait, selon un sondage de juin 2019 (1), pour 42 % des Français, la responsabilité d’un violeur est atténuée si la victime a une attitude jugée provocante en public.

Pour Isis, la clé, c’est l’éducation. Mais au cours de sa scolarité, la jeune fille n’a reçu que deux heures de sensibilisation à l’éducation sexuelle, et si la notion de consentement a été abordée, «rien sur le respect dans l’espace public». Ce constat rejoint les résultats d’une enquête de 2016 du Haut Conseil à l’égalité, selon laquelle 4 % des collèges et 11,3 % des lycées ne respectent pas l’obligation (légale depuis 2001), de dispenser de telles séances. «On milite depuis longtemps pour mettre en place un brevet de la non-violence obligatoire à l’école, sur le modèle de la sécurité routière, et pour que soient renforcées les formations des personnels de l’éducation sur ces questions. C’est plus vrai que jamais», martèle Madeline Da Silva, du mouvement #NousToutes. Pour elle, la mobilisation en cours est le signe que «l’héritage de la pensée #MeToo rentre dans la société, imprègne une jeune génération qui se l’approprie dans son quotidien».

«Poids des réseaux»

Interrogée par Libération, Elisabeth Moreno, ministre déléguée à l’Egalité entre les femmes et les hommes, souligne que «les femmes ont mis des siècles à pouvoir s’affranchir de codes vestimentaires. Cette liberté conquise de haute lutte n’a pas de prix». Tout en insistant elle aussi sur «l’enjeu d’éducation des jeunes garçons», la ministre estime que se pose aussi «la question du poids des réseaux sociaux qui assignent parfois des jeunes à des diktats de beauté, de mode et qui peuvent créer des complexes et de l’isolement».

Lily Rose, 15 ans, en première au lycée Bellevue de Saintes (Charente-Maritime), a à l’inverse trouvé beaucoup de soutien sur ces réseaux, où sa lettre ouverte contre l’hypersexualisation des corps féminins, qui entraîne dans son lycée l’interdiction de se passer de soutien-gorge, a été très partagée. «A notre époque, alors que des voix courageuses se lèvent et parlent, alors que des femmes exemplaires se battent pour nous, on continue d’éduquer les nouvelles générations dans un contexte de culture du viol», écrit-elle. Elle précise ne pas vouloir «attaquer directement l’administration ou les profs, mais le système» responsable de leur mode de pensée. On ne sait pas sur la philo, mais sur la lutte contre le patriarcat, elle pourrait rafler un 20/20.

(1) Sondage Ipsos pour l’association Mémoire traumatique et victimologie réalisé sur 1 000 individus représentatifs de la population française de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.

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