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Jours tranquilles à Paris
24 septembre 2020

Le Kremlin se prépare au retour en Russie d’Alexeï Navalny

navalny photo

Par Benoît Vitkine, Moscou, correspondant - Le Monde

Encore convalescent, l’opposant est sorti de l’hôpital berlinois de la Charité, mercredi 23 septembre, où il était traité après son empoisonnement.

Si l’avion qui le transportait à Moscou n’avait pas atterri en urgence, le 20 août au matin, malgré une alerte à la bombe opportunément annoncée à l’aéroport d’Omsk, en Sibérie, Alexeï Navalny serait peut-être mort. Celui dont Vladimir Poutine se refuse à prononcer le nom aurait bel et bien été effacé de la scène politique russe – un mauvais moment à passer pour le Kremlin, mais un souci de moins.

Un mois plus tard, c’est lui, Alexeï Navalny, qui dicte l’ordre du jour – politique, médiatique, diplomatique. Cloîtré dans l’hôpital berlinois de la Charité, l’opposant empoisonné était déjà incontournable. Sa sortie de cet établissement, mercredi 23 septembre, rend encore un peu plus délicate la confrontation du pouvoir russe avec son nouveau « problème Navalny ».

Le retour au pays n’est toutefois pas encore d’actualité : si les médecins allemands qui ont annoncé que M. Navalny avait pu quitter l’hôpital jugent « possible » une guérison complète, ils restent prudents quant à d’éventuelles conséquences de long terme. L’opposant lui-même, âgé de 44 ans, a posté sur les réseaux sociaux une photo de lui dans un parc, amaigri, regard hagard et cerné : « Dans l’immédiat, les plans sont simples, écrit-t-il. Physiothérapeute, réhabilitation. Tenir sur une jambe. Retrouver le contrôle de mes doigts. »

Quelques jours plus tôt, M. Navalny avait déjà fait part de sa faiblesse physique, mais aussi de celle de son cerveau, de sa difficulté à nommer les choses et les personnes. La chronique de son rétablissement est suivie avec ferveur sur les réseaux sociaux ; ses publications récoltent régulièrement plus d’un million de « j’aime ».

Enquête sur lui-même

Chacune d’elle vient annihiler la stratégie du Kremlin consistant à faire comme s’il n’y avait pas d’affaire Navalny, pas plus qu’il n’aurait existé un opposant nommé Navalny. La justice russe refuse même d’ouvrir une enquête, arguant que rien dans ce qui lui est arrivé ne laisse supposer un crime.

Mercredi 23 septembre, la porte-parole du ministère des affaires étrangères a aussi assuré que ni l’URSS, ni la Russie, n’avaient développé une substance de type « Novitchok », le poison utilisé contre M. Navalny, selon des laboratoires allemand, suédois et français. Jusqu’à présent, les officiels russes, y compris le patron du renseignement extérieur, une semaine plus tôt, expliquaient plutôt que les stocks de ce poison avaient été détruits.

Quand Le Monde a révélé, mardi 22 septembre, que Vladimir Poutine avait, dans un entretien téléphonique avec Emmanuel Macron, évoqué entres autres hypothèses celle d’un auto-empoisonnement, M. Navalny a commenté avec humour : « J’ai fait cuire le Novitchok dans ma cuisine, j’ai avalé le contenu de ma flasque dans l’avion et je suis tombé dans le coma. Mon plan astucieux était de mourir dans un hôpital d’Omsk où, à la morgue, l’autopsie aurait conclu : “Cause de la mort : a assez vécu.” » L’ancien avocat se pose aussi comme le premier enquêteur sur son propre empoisonnement : lundi, il a réclamé que la Russie lui rende ses habits, sur lesquels pourrait être trouvé du poison.

Ces sorties donnent un aperçu du casse-tête que constituera, à terme, le retour en Russie de cet opposant déterminé et maîtrisant les codes de la communication.

Celui-ci, qui a toujours su se mettre en scène dans ses rigoureuses enquêtes sur la corruption, continue aussi de le faire. Il y a quelques jours, il dédiait un post à sa femme, pour leurs vingt ans de mariage. Au-delà des mots d’amour, l’épisode rappelle deux choses : que M. Navalny est de la race, inexistante en Russie, des politiciens modernes ; qu’il est prêt à retourner contre ses auteurs le harcèlement permanent dont il a fait l’objet, ces dix dernières années, jusque dans sa vie privée.

L’agenda russe perturbé

Dans le même temps, le tabou Navalny a sauté dans l’espace médiatique. Certes, les « experts » invités à discourir à la télévision sur son cas le font en avançant des versions toujours plus farfelues ou en présentant des versions truquées de ses vidéos, mais le fait est là : le phénomène Navalny ne peut plus être ignoré. Son retour achèvera de le mettre au centre du jeu, alors que les Russes ont toujours eu la dent dure contre leurs émigrés, quelles que soient les causes de l’exil.

Le constat est similaire s’agissant de la diplomatie. On ne peut qu’imaginer l’irritation de Vladimir Poutine face aux questions du président français concernant celui qu’il ne considère guère plus que comme un agitateur, comme il l’a dit lui-même à M. Macron. Le nom de M. Navalny a aussi été cité plusieurs fois à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies. Le ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, se voit obligé de répéter jour après jour les mêmes arguments : si empoisonnement il y a eu, celui-ci est intervenu après le départ de Russie de Navalny, quand bien même celui-ci était déjà dans le coma.

Autrement dit, et avant même son retour, cet opposant supposément inexistant perturbe jusqu’à l’agenda international de la Russie, et pourrait être la cause de nouvelles sanctions.

« Le mythe du Kremlin selon lequel Navalny est un marginal ne tient plus, note Lioubov Sobol, l’une de ses alliées. Tout le monde a vu que le pouvoir le craignait, et maintenant sa notoriété est encore plus importante. L’intérêt et l’empathie pour son action ont augmenté, à lui de transformer cela en soutien, après son retour. » Pour Mme Sobol, « le plan reste le même : faire battre les candidats du pouvoir aux élections législatives de l’année prochaine, auxquelles on ne nous laisse pas participer, et lutter pour qu’Alexeï puisse être candidat à la présidentielle de 2024. »

« La pression va encore augmenter »

Le politiste Fiodor Kracheninnikov estime lui aussi que M. Navalny a d’ores et déjà acquis une stature nouvelle : « Maintenant, aux yeux des Russes comme de l’étranger, c’est Poutine contre Navalny. Le Kremlin a prouvé qu’il était prêt à tout, Navalny aussi. Et puis, il y a ce trait russe : on aime ceux qui ont souffert. » Pour M. Kracheninnikov, le pouvoir pourrait être tenté d’avancer au mois de mars 2021 les élections législatives programmées à l’automne pour éviter au maximum que l’opposant puisse s’engager dans la campagne.

Selon la politiste Tatiana Stanovaïa, du think tank R.Politik, le retour de M. Navalny posera un problème important au pouvoir, « si tant est que celui-ci retrouve 100 % de ses forces ». Mais contrairement à d’autres observateurs, Mme Stanovaïa ne voit pas dans la médiatisation accrue du cas Navalny une garantie de sécurité : « Les enjeux sont devenus trop importants pour que le pouvoir le laisse tranquille, estime-t-elle. La pression sur lui et sur sa famille va encore augmenter, et sa vie en Russie deviendra encore plus difficile, avec des poursuites judiciaires relancées. S’il est passé à tabac en bas de chez lui, il y aura des protestations... Et alors ? »

Mercredi, interrogé après la sortie de l’hôpital d’Alexeï Navalny, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a souhaité au « patient » de guérir rapidement. « Quant à son retour à Moscou, comme tout citoyen de la Russie, il est libre de le faire à tout moment », a précisé M. Peskov.

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