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Jours tranquilles à Paris
18 octobre 2020

Début du couvre-feu : « On se croirait dans un film, sauf que ce n’est pas du cinéma »

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Par Laurie Moniez, Lille, correspondance, Gilles Rof, Marseille, correspondant, Richard Schittly, Lyon, correspondant, Sylvia Zappi, Nicolas Chapuis, Marie-Béatrice Baudet - Le Monde

Paris et huit métropoles de l’Hexagone se sont pliées, samedi, à l’obligation de couvre-feu, une situation que la capitale n’avait pas connue depuis 1961.

Le père et le fils se tiennent debout place Saint-Michel, à Paris, au cœur de ce Quartier latin si souvent embrasé par la fièvre du samedi soir. Tous deux attendent, tous deux observent et jettent de temps en temps un coup d’œil à l’horloge située à quelques mètres plus loin sur le quai de Seine. Il est 20 h 40. « C’est le premier jour du couvre-feu, c’est un événement, on veut être là, on habite juste à côté, on aura le temps de rentrer… », déclare fièrement le père.

Plus que vingt minutes à tenir et soudain, la vie s’accélère comme dans un vieux film de Charlot. Les commerces baissent rideau, les garçons de café se dépêchent de rentrer les terrasses, les passants hâtent le pas. Il est bientôt l’heure. Tic-tac, tic-tac. Quelque 20 millions de Français ont désormais l’obligation de rester chez eux entre 21 heures et 6 heures du matin afin de contenir la deuxième vague de Covid-19, comme leur a expliqué le gouvernement. Et oui, ils ont obéi et suivi les consignes.

20 h 43. La ville de Saint-Denis semble déjà endormie. La rue Gabriel-Péri, principale artère de la ville s’est dépeuplée. Même les portes du « 129 », un kebab célèbre dans tout le département de cette banlieue populaire sont fermées. D’habitude, des jeunes venus de tout le « 93 » y font la queue. Le trottoir, ce soir, est désert.

20 h 45. Paris, du côté de Beaubourg. Samuel termine de ranger des tables à l’intérieur du café où il travaille depuis dix ans. Il râle, on l’entend s’énerver. « Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Allez, je vais faire l’hypocrite. Vous voyez, je ferme, je respecte cette formidable loi, et tout va bien… » Mais lutter contre le Covid-19, c’est fondamental non ? « Je vais vous dire une chose et une seule : j’espère que l’avenir va donner raison au gouvernement parce que sinon, pour nous, les cafés et les restaurants, le prix à payer va être très lourd. »

« Difficile de dîner en regardant sa montre »

20 h 48. A Lyon, Frédérique, 50 ans, est attablée avec deux couples d’amis au restaurant corse « A Cantina », dans le quartier de l’Hôtel de ville. C’est bientôt l’heure de partir. Les cinq convives ont calculé leur temps de trajet. Ils se montrent prudents.

« Cela fait partie de notre quotidien maintenant, on doit s’adapter, cela risque de durer », explique Dominique ; ses amis acquiescent. Une trentaine de clients sont répartis dans les salles très cosy de l’établissement. « D’habitude le samedi, on en accueille quatre fois plus, on sert environ 120 couverts, mais c’est difficile de dîner ici en regardant sa montre », confie le jeune patron Garry Blaisonneau, 32 ans, tandis qu’il prépare des fiches de dérogation pour que ses douze employés puissent regagner leur domicile sans problème. « Les clients, témoigne Steve, l’un des serveurs, consomment différemment. Ils nous demandent de choisir à leur place pour gagner du temps. »

La fermeture approche. « Mesdames, messieurs, ici la police, il reste dix minutes. Attention au compte à rebours », lance haut et fort Garry. Eclats de rire dans le restaurant. Dehors, des passants courent en direction du métro comme s’ils voulaient éviter un orage. « On se croirait dans un film au temps de la prohibition, s’amuse le restaurateur, sauf que ce n’est pas du cinéma. »

20 h 50. Karim, grand Marseillais élégant, hésite à suivre la petite centaine de protestataires opposés au couvre-feu qui se dirigent vers la préfecture des Bouches-du-Rhône en empruntant la rue Saint-Ferréol, à l’angle de la Canebière. « Je buvais un verre sur une terrasse avec des amis. Et quand ça a commencé à fermer, j’ai suivi la manifestation. Sur le fond, je suis d’accord avec eux, mais je ne vais pas prendre de risques et me retrouver avec une amende à 135 euros. J’ai ma redevance télé à payer », s’amuse le jeune homme de 20 ans, en repartant sagement vers son domicile. Le défilé n’ira pas très loin. C’est un acte de rébellion fugitif et festif sans conséquences.

20 h 55. Jonathan, 33 ans et Teva, 35 ans, sortent du Bloempot. Ce restaurant est une véritable institution lilloise. Situé rue des Bouchers, sa carte propose du maquereau en gravlax et des cèpes fermentés accompagnés d’escargots de Comines. Au Bloempot, c’est toute la richesse du terroir des Flandres qui est magnifié. Ici, on est « locavore », tous les produits viennent de petits fournisseurs du coin.

« Je vais finir à servir le thé comme chez la reine d’Angleterre »

Jonathan et Teva ont le sourire, le dîner fut délicieux. Mais en cuisine, les visages sont graves. Le chef Florent Ladeyn est désabusé. « En mars, quand il y a eu le confinement, on s’est battu, on s’est adapté et puis dès juin, on a vu des établissements qui ne respectaient rien, aucune règle de distanciation sociale. On a compris que cela allait péter de nouveau ». Dès dimanche, Florent Ladeyn va devoir mettre sa vingtaine de salariés en chômage partiel. « On a fait notre part, mais là… Pourquoi des boîtes comme Uber peuvent continuer ? Est-ce qu’on a demandé aux grandes surfaces de désinfecter leurs articles, d’agrandir leurs rayons ou de porter des gants ? », soupire-t-il.

21 heures. Place Saint-Michel, les taxis pris d’assaut détalent. Des retardataires inquiets de la présence de six cars de gendarmerie mobile garés le long de la Seine accélèrent le pas, les cyclistes appuient à fond sur les pédales de leur Vélib’. Papa et fiston, les deux badauds du début de soirée, sont rentrés chez eux. Le gérant d’un des cafés de la place éteint les dernières lumières : « D’habitude, je ferme à 1 heure du matin, puis on m’a demandé de terminer à 22 heures, puis maintenant 21 heures… Je vais finir à servir le thé comme chez la reine d’Angleterre », se désole-t-il.

21 h 20. Paris, quartier Château-Rouge, près de la gare du Nord. « Qu’est-ce que vous faites là ? Vous devriez être rentré chez vous… », lance à un passant la commissaire divisionnaire Emmanuelle Oster. L’homme dégaine une attestation. « Parfait », répond la patronne des policiers du 18e arrondissement. Un deuxième homme qui rentre du travail n’a pas eu le temps de télécharger son attestation. Les agents le laissent repartir après quelques secondes. « On va faire preuve de discernement ce soir mais la pédagogie ne peut pas durer trop longtemps », explique la gradée.

21 h 50. A Saint-Denis, les tramways circulent presque à vide. D’une fenêtre de la rue de la République, près de la halle du marché, on entend des rires et des éclats de voix. Des jeunes font la fête et écoutent un tube de Cheb Khaled. Le son n’est pas très fort mais dans la rue désertée, le refrain résonne comme si le son était décuplé.

22 heures. Marseille est calme, très calme. « Je tiens à remercier les professionnels qui ont parfaitement respecté l’heure prévue. Et merci à la population qui a suivi la règle », salue le préfet de police Emmanuel Barbe sur le Vieux-Port. « On préférerait se concentrer sur autre chose, mais il faut le faire car c’est la priorité de la nation ». En début de soirée, les forces de l’ordre avaient eu peur. Autour du stade Vélodrome où l’OM affrontait Bordeaux à huis clos, les supporteurs avaient accompagné leur équipe dans un halo de fumigènes.

Un curieux ballet

22 h 30. Paris est vide. Dans les rues, les SDF s’apprêtent à survivre une nuit de plus. Sophie, une Américaine dort depuis trois ans en face de l’ancien palais de justice, île de la Cité. Elle ne se plaint pas, montre son masque et dit « qu’elle refuse d’aller dans un refuge car elle est sûre d’y attraper le virus ».

Paris est vide et commence alors un curieux ballet. Les livreurs de sushi et de pizza ont pris possession du bitume. Ils zigzaguent, écoutent de la musique à fond, heureux de rouler en toute liberté. Ils ont beaucoup de travail ce soir, confie Ali qui porte sur son dos un lourd sac réfrigéré fluorescent.

A Paris, les lumières aux fenêtres sont allumées. Les restaurants sont fermés mais la nuit ne fait que commencer. Faire la fête jusqu’à six heures du matin ? « Ben, oui, comme on fait d’habitude », expliquaient en début de soirée dans le métro Lola et deux de ses copines qui venaient d’acheter à elles trois neuf litres de bière pour tenir toute la nuit. Plus sages, Louis, Bastien et Julien, rencontrés avant 21 heures imaginaient plutôt une soirée pyjama pour respecter ce premier soir de couvre-feu.

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