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Jours tranquilles à Paris
6 mai 2020

Vu sur internet - j'aime bien

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6 mai 2020

Je n'ai besoin de personne...

jaime55

6 mai 2020

Libération - Covid-19 : le bâillon de culture

Par Didier Péron , Frédérique Roussel , Gilles Renault , Guillaume Tion , Julien Gester , Ève Beauvallet et Sandra Onana 

Librairies, théâtres et cinémas fermés, festivals annulés… Déjà sinistrés par le confinement, les milieux de l’art et du spectacle devraient pâtir après le 11 mai des règles de distanciation sociale. Ils guettent avec appréhension les annonces présidentielles de ce mercredi.

Le 6 mars tombait l’annonce de l’annulation pure et simple du Salon du livre 2020, un coup de semonce qui prévenait le monde de la culture encore insouciant de la violence de la tempête à venir. Onze jours plus tard, le confinement fermait par milliers salles de cinéma, théâtres, salles de concerts, musées, librairies, puis tombaient une à une les annonces d’annulation de festivals, plongeant le pays dans un spectaculaire black-out culturel. La crise est majeure et sans précédent par l’effarante synchronie des cessations d’activité et l’absence de perspectives à court et moyen terme qu’elle ouvre en même temps pour le monde du théâtre, de la danse, de l’art contemporain, du livre, de la musique… Déjà échaudé depuis des semaines par les non-réponses du ministère de la Culture sollicité sur la manière d’affronter la période et un Franck Riester évasif ou aphone, le milieu culturel a particulièrement mal vécu d’être tout simplement exclu des préoccupations d’Edouard Philippe dans son discours du 28 avril à l’Assemblée nationale. Celui-ci a ensuite tenté de se rattraper au Sénat, lundi, en évoquant la possibilité d’une réouverture des cinémas début juin.

Au désastre en marche qui accroît toutes les calamités et les effets de concentration ou de désinvestissement public qui avaient précédé la pandémie, quelles réponses ambitieuses ? Depuis plusieurs semaines, une multitude de voix s’élèvent pour réclamer une remise à plat des politiques en la matière, des investissements, voire un revenu minimum dont bénéficieraient indifféremment intermittents du spectacle et auteurs. Après un mois d’assourdissante atonie en la matière, Emmanuel Macron s’est laissé émouvoir par une tribune (parue jeudi dans le Monde), où une centaine de personnalités, parmi lesquelles quelques-unes des plus médiatiques et des moins mal loties, de Catherine Deneuve à Omar Sy, se faisaient les porte-voix du secteur - lequel, il faut le rappeler, par delà tout ce qu’il cultive de nourritures spirituelles, pèse autant dans l’économie française que l’industrie agroalimentaire. Alors que son ministre, Franck Riester, a beaucoup occupé l’espace ces dernières heures, à coups de tribunes et d’interviews, sans rien formuler de concret, et tandis que Jack Lang réclamait mardi dans le Monde un «New Deal» culturel, le Président doit annoncer ses «premières décisions» sur le sujet ce mercredi depuis l’Elysée, après une discussion «avec des artistes».

Or l’effondrement qui guette est si vaste et touche une telle variété d’acteurs dont les destinées semblent pourtant chaînées les unes aux autres, à des échelles économiques allant de la superproduction à l’artisanat local, que la réponse ne saurait être à la hauteur si elle se contente de prolonger les mesures de sparadraps et bouts de ficelle sans axe directeur des politiques culturelles depuis trente ans.

«Foire d’empoigne»

La rupture est là, béante. La crise a aussi ses bénéficiaires et ses effets d’aubaine, pour les tenants essentiellement américains de l’économie numérique (Netflix, Google, Amazon ou Disney) nous rivant aux écrans domestique. La culture «physique», celle qui requiert de sortir de chez soi, voit se dessiner des contraintes prophylactiques préconisées par un rapport de l’infectiologue François Bricaire (révélé par le JDD) remis vendredi à Emmanuel Macron. Deux sièges de séparation entre les spectateurs, port du masque obligatoire, ventilation de la salle, annulation des entractes pour les théâtres, distance minimale d’un mètre entre les acteurs. Et ce genre de phrases, lunaire : «En cas de rapprochements impératifs liés à des scènes de colère ou d’amour, les comédiens devraient se soumettre à des prises de température et à des tests sérologiques.» Ou encore des mesures de quarantaine pour les équipes de tournage avant le premier clap afin de s’assurer que tout le monde sur le plateau est safe ! Bon courage.

Depuis que les cinémas ont tiré le rideau, l’ensemble de la chaîne de production des films accuse des dommages et périls colossaux. En amont de la diffusion, les distributeurs ont investi pour des films reportés sine die, aux débouchés incertains. «Il va vite y avoir des victimes dans la distribution française, certifie Vincent Maraval, patron de la société de production et de distribution Wild Bunch, interrogé par Libération. Soit les distributeurs ne peuvent pas écouler leurs stocks de films faute de visibilité sur le marché de l’exploitation en salles, soit ils n’ont pas constitué de stocks et ne trouveront pas de quoi redémarrer. Il y a un effet domino qui entraîne toute la chaîne dans des difficultés presque insurmontables, sauf à envisager un chômage partiel sur deux ans.» Le refus persistant, en dépit des tractations en cours, des compagnies d’assurances de prendre en charge le risque épidémique sur les plateaux exclut actuellement toute hypothèse pérenne de reprise. Un fonds spécial abondé par l’Etat est douloureusement attendu par les producteurs, notamment les indépendants, dont le pronostic vital est engagé à mesure qu’ils creusent dans leur trésorerie en raison d’un calendrier de projets en tournage ou en postproduction à l’arrêt. L’horizon d’un redémarrage cahin-caha au 2 juin sera évalué à la fin du mois. Mais quels films pour essuyer les plâtres d’une reprise contrainte par la division des jauges des salles (mesures barrières obligent) et du nombre de séances, en sus d’un appétit incertain du public ? «Quand les salles rouvriront, ce sera la foire d’empoigne, pronostique Thomas Ordonneau, de la société de distribution Shellac. Chacun devra rattraper son chiffre d’affaires et la loi du marché régnera.» Au cœur d’un embouteillage de sorties, les grosses locomotives risquent de s’arroger la part du lion sur les écrans. Les contre-chocs du marasme annoncé - des hémorragies budgétaires, du chômage prolongé en masse, des annulations de contrats et faillites probables - sont vertigineux, et augurent un bouleversement du paysage à long terme.

Coma

Tout aussi gelé depuis début mars dans l’élan qui devait les conduire vers un été toujours riche en créations et premières entre Avignon, Montpellier, Marseille, Aix, le spectacle vivant compte ses pertes et boit la tasse. Tous ces festivals ont bien sûr fini par lâcher la rampe. Début avril, lors de sa présentation en plein déni du 74e Festival d’Avignon, Olivier Py n’a pas manqué de rappeler l’impact économique d’un événement représentant pour la ville et sa région 100 millions d’euros de retombées. Le directeur de l’Opéra de Paris, Stéphane Lissner, ne voyant pas comment accorder la Tétralogie de Wagner avec les impératifs de distanciation physique, à moins de chanter dans son coude, envisage de fermer trois mois l’Opéra Bastille à la rentrée pour ne reprendre qu’en janvier. Avec la lourdeur de ses charges fixes (le lieu perd beaucoup à l’arrêt), ce sont 40 millions d’euros de pertes, cumulées à celles enregistrées pendant les grèves de décembre, soit un cinquième du budget global annuel de l’institution. Quant au secteur privé, maintenir des représentations avec 20 % de la jauge de salle remplie revient soit à faire flamber le prix du billet, soit à couler la quasi-totalité des entreprises. Selon le Centre national de la musique, la perte en billetterie de la filière spectacle atteindra les 500 millions d’euros à la fin mai. «Le spectacle vivant est en danger absolu», observait mi-mars le Prodiss, syndicat des professionnels du secteur, estimant à 590 millions d’euros la perte en chiffre d’affaires, en imaginant un scénario catastrophe arrivant à échéance le… 31 mai. Pour l’heure, il s’agit donc d’un coma, avec plusieurs fonctions vitales touchées. Plus ou moins gravement selon qu’on est une salle subventionnée à 70 % comme la Comédie-Française ou le Théâtre national de Strasbourg, une salle mixte (50 % de subventions, 50 % de ressources propres) comme la Philharmonie de Paris, ou un théâtre subventionné à moins de 30 %.

Même s’ils seront peut-être les premiers à pouvoir rouvrir avec des systèmes prudents de flux de visiteurs (l’Institut Giacometti à Paris annonce une réouverture le 15 mai), les musées souffrent eux aussi des dix plaies d’Egypte. Le confinement a creusé un trou abyssal dans les revenus de leur billetterie (sans parler de ceux des boutiques et cafés), ils doivent reporter des expositions en chaîne - et en annuler d’autres, préparées pendant des années -, voire renvoyer des œuvres chèrement convoyées à leurs prêteurs sans qu’elles aient été vues, avec zéro visibilité pour la suite. Annuler les expos prévues ? Les reporter jusqu’à créer un embouteillage ? Et comment faire s’ils ne peuvent compter sur les prêts internationaux pour encore de longs mois ? Au centre Pompidou, les pertes de la billetterie sont estimées entre 1,2 et 1,5 million d’euros par mois (sans compter les manques à gagner pour ce qui est du mécénat, de la location d’espaces, des ventes de produits dérivés, etc.).

Soutien trébuchant

Pour sa part, toute la chaîne du livre est elle aussi à l’arrêt, soit 50 000 personnes, depuis la fermeture des librairies. «Le cœur du réacteur, ce sont elles, on bouffe tous grâce à elles», dit un éditeur. Conséquence immédiate : une perte de chiffre d’affaires, qu’Antoine Gallimard estimait le 16 avril sur France Info, de 90 % pour son groupe Madrigall pendant le confinement, et de 30 % sur l’année 2020. Des mesures de chômage partiel ont été mises en place à tous les maillons, comme chez Actes Sud ou Editis. Et le secteur n’a pas attendu pour demander du soutien trébuchant : l’Etat va débloquer 5 millions d’euros : très en deçà de ce que le secteur du livre réclame pour freiner le désastre. Il y a aussi la mise en place d’un fonds d’aides, des reports de charges, des délais de paiement, de prêts garantis par l’Etat… La baisse du chiffre d’affaires des libraires serait de l’ordre de 20 % à 30 % sur l’année. Si toute la profession réclame la réouverture le 11 mai, pour ne pas étouffer les étals, en sommeil depuis deux mois, des sorties ont été supprimées ou reportées, au moins à l’automne (Gallimard prévoit ainsi une coupe de 40 % de sa production et de nombreux ajournements). «Il y aura moins de titres. Et aussi certainement moins d’éditeurs», a pronostiqué Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition dans un entretien à Livres Hebdo. On risque de voir débouler dans la rentrée littéraire une majorité d’apprentis best-sellers et d’auteurs à succès lancés pour rattraper le manque à gagner. «Tout le monde cherche un livre qui va lui sauver son année», dit un éditeur.

On le voit, l’attente et l’angoisse sont énormes. Les décisions qui se font attendre ne sauraient consister seulement en une perfusion ponctuelle destinée à reconstituer les déséquilibres déjà à l’œuvre avant la catastrophe. A l’aune de ce qu’il reste de l’hypothèse d’une exception culturelle française, et par delà les logiques industrielles auxquelles on résume trop volontiers la portée de la création, tout un secteur attend aujourd’hui de l’Etat qu’il rende les arts et la culture à leur ambition et vocation première de trésor commun et de service public.

6 mai 2020

Toilet Paper

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6 mai 2020

Fanny Müller

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6 mai 2020

Vu sur internet

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6 mai 2020

Étonnant !

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6 mai 2020

Coronavirus : le déconfinement s’annonce très limité à Paris

Par Denis Cosnard - Le Monde

Les écoles s’apprêtent à accueillir 15 % seulement des élèves à partir du 14 mai. Les transports en commun ne pourront absorber que 20 % ou 30 % du nombre habituel de voyageurs. Et les masques manquent toujours.

C’est un vrai-faux déconfinement qui s’annonce à Paris et dans sa région. Sauf report, les habitants de la première région française devraient officiellement retrouver le 11 mai le droit d’aller et venir. Plus besoin d’attestation. Les commerces pourront rouvrir, sauf les cafés et les restaurants. Les marchés pourront aussi reprendre en espaçant bien les étals.

En pratique, toutefois, l’Ile-de-France entière se trouvant en « zone rouge », la situation ne va pas s’améliorer en un clin d’œil. Tous ceux qui télétravaillent sont incités à continuer. L’écrasante majorité des élèves ne pourra pas reprendre le chemin de l’école. Les transports en commun fonctionneront au ralenti. Les rassemblements de plus de dix personnes resteront interdits. Les embouteillages, eux, risquent de revenir en force…

Premier frein à une vraie reprise : l’enseignement. Dans l’immédiat, collèges, lycées et universités demeurent fermés. Seules les crèches, les écoles maternelles et primaires seront autorisées à rouvrir. Mais elles le feront à tout petits pas, pour respecter les nouvelles règles sanitaires et tenir compte du manque de personnel. A raison de cinq enfants par section, seuls 4 400 pourront ainsi être accueillis dans les crèches municipales à compter du 12 mai, indique la maire Anne Hidalgo dans un entretien au quotidien Le Parisien du mardi 5 mai. Soit 11 % des 40 000 places habituelles.

Repousser la rentrée pour éviter l’improvisation

Côté écoles, Anne Hidalgo avait, comme 328 autres élus d’Ile-de-France, demandé à ce que la rentrée soit repoussée, pour éviter l’improvisation. L’Etat n’a accepté de la différer que jusqu’au 14 mai. Ce jeudi-là, les écoles publiques parisiennes seront donc à nouveau accessibles. Mais la Mairie ne compte guère accepter plus d’une dizaine d’élèves par classe, dans celles qui seront ouvertes. Au total, environ 15 % seulement des élèves pourront ainsi être admis.

Lesquels ? La maire de Paris évoque trois critères. Comme aujourd’hui, les écoles accepteront les enfants des soignants, et plus largement de tous les parents indispensables à la reprise de la vie économique : instituteurs, agents de la ville, de la RATP, de la SNCF, etc. Il en ira de même pour les enfants en situation fragile (« décrocheurs », familles monoparentales, handicapés). Enfin, priorité sera donnée aux élèves de grande section de maternelle, de CP et de CM2. Comment le tri sera-t-il fait si trop d’enfants se présentent ? « C’est le rôle de l’éducation nationale », répond Anne Hidalgo au Parisien. Le repas de midi, lui, pourra avoir lieu dans la classe ou à la cantine, selon les cas.

En tout état de cause, Anne Hidalgo assure que les écoles seront désinfectées d’ici à la rentrée, et que les agents municipaux présents dans les écoles et volontaires seront testés pour vérifier qu’ils ne sont pas porteurs du virus. Les parents qui le souhaitent pourront aussi faire tester leurs enfants.

Les transports en commun, le deuxième verrou

Les transports en commun constituent le deuxième verrou impossible à faire sauter d’un coup. Peut-on respecter les règles de distanciation physique dans le métro, le bus, le tram, le RER ? Pas avec 5 millions de voyageurs par jour, comme avant l’épidémie. Valérie Pécresse, présidente de la région et d’Ile-de-France Mobilités, pense possible d’en transporter « 1,5 ou 2 millions, si on les répartit sur la journée », a-t-elle expliqué au Journal du dimanche. Et encore, à condition que tous les métros, bus, etc., roulent comme en temps normal – ce qui ne sera pas le cas au démarrage. D’autres sont plus pessimistes. Avec les nouvelles normes, qui imposent notamment de condamner un siège sur deux dans le métro, les élus communistes estiment que le réseau francilien pourra supporter « au maximum un million d’usagers par jour ». Soit 20 % du nombre habituel de voyageurs.

Malgré les appels à poursuivre le télétravail, et à étaler les arrivées et les sorties des entreprises, le risque paraît élevé que le déconfinement se traduise par des files d’attente inédites devant les stations, et de la cohue à l’intérieur. Avec un danger, celui que la promiscuité dans le métro et le RER ne provoque une deuxième vague épidémique. Pour Eric Azière, président du groupe UDI-MoDem au Conseil de Paris, il faut déjà envisager de réserver les transports en commun « à l’usage exclusif de quelques professions en première ligne ».

Pour éviter ce scénario noir et le retour massif des voitures, la Mairie de Paris, de son côté, veut faciliter les déplacements des vélos et des piétons, en réaménageant la voirie. « Au total, 50 km de voies, d’habitude réservées aux voitures, seront consacrées aux vélos », annonce Anne Hidalgo. Le nombre de places dans les parkings relais aux portes de Paris va être doublé. Une trentaine de rues supplémentaires seront réservées aux piétons.

Dernier obstacle qui risque de compliquer la fin du confinement : la pénurie de masques et de tests. En théorie, experts et politiques jugent nécessaire pour endiguer l’épidémie que tout le monde porte un masque dans l’espace public, et qu’un dépistage massif soit mené, afin d’identifier et isoler les malades. En pratique, les équipements indispensables manquent. « Anne Hidalgo avait promis 500 000 masques aux Parisiens pour le 30 avril. Où sont-ils ? », a lancé sa rivale (Les Républicains) Rachida Dati, lundi sur Franceinfo. « On a un peu de retard, les fournisseurs peinent à tenir les délais », admet-on à l’hôtel de ville. Mais « dès le 11 mai, plus de 250 000 masques en tissu seront disponibles pour les personnes de plus de 70 ans », assure à présent la maire. Le reste de la commande – soit plus de 2,2 millions de masques – suivra à une date encore incertaine.

6 mai 2020

2007-2010 : L’apogée du principe de précaution

bachelot

Gérard Davet Et Fabrice Lhomme

« Le Monde » revisite la stratégie nationale en matière d’épidémie depuis vingt ans. Une manière de mieux comprendre, documents inédits et témoignages à l’appui, les polémiques actuelles. Aujourd’hui, l’épisode décisif de la grippe H1N1 en 2009

La voix est claire, le ton incisif. Ce vendredi 3 avril, en fin de matinée, Claude Le Pen, 72 ans, considéré comme le meilleur économiste de la santé du pays, nous livre, lors d’un échange vidéo, les clés du « désarmement » sanitaire national, autrement dit la manière dont la France, dans les années passées, a baissé la garde face aux risques d’épidémie. Le 1er avril, déjà, pour Le Monde, il avait publié une tribune remarquée. Comment imaginer que, trois jours après cet entretien, le docteur en économie, rongé par un cancer, décéderait brutalement ? Emouvantes, ses confidences posthumes n’en prennent que plus de poids. « La crise de la grippe H1N1, en 2009, a joué un rôle tout à fait délétère, c’est devenu une terreur de ministre », nous avait alors expliqué Claude Le Pen, souriant et concentré.

Pour en avoir trop fait afin de contrer cette pandémie potentielle, la ministre de la santé de l’époque, Roselyne Bachelot, a été mise au ban. Et, avec elle, toute la politique sanitaire… Pour bien comprendre les rouages de ce processus, il faut revenir treize ans plus tôt, au mois de mai 2007. Nicolas Sarkozy referme alors brutalement la page des années Chirac. Encouragé par son premier ministre, François Fillon, il propulse au ministère de la santé la pétulante Roselyne Bachelot. Ministre de l’écologie entre 2002 et 2004, cette docteure en pharmacie est une personnalité chaleureuse, connue pour son langage fleuri et ses tenues qui ne le sont pas moins. Plans cancer et Alzheimer, réforme de l’hôpital, sans compter la gestion du déficit abyssal de la « Sécu » (de 10 milliards d’euros en 2008, il atteindra le plafond record de 27 milliards en 2010)… Sa feuille de route est bien remplie.

Alerte internationale

Au printemps 2009, un événement imprévu s’ajoute au programme et va changer le cours de l’histoire. En effet, le 24 avril, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) lance une alerte internationale au sujet de l’arrivée, en provenance du Mexique, d’un redoutable virus de la grippe A, baptisé H1N1. Dès le départ, Roselyne Bachelot s’empare de l’affaire avec sérieux : « On a pris toutes les initiatives nécessaires, contrôles aux frontières avec prise de température, équipement des Ehpad en masques, confinement total des malades, placés à l’isolement, ce qui d’ailleurs fait déjà ricaner certains. »

Très vite, la ministre de la santé essuie une contrariété dont elle mesurera l’importance bien plus tard : le processus gouvernemental alors en vigueur lui enlève de fait toute autorité ! « Il y avait, dans le plan pandémie de 2007, un virus sournois !, observe-t-elle malicieusement. En effet, il était précisé que, à partir du moment où une pandémie atteignait le niveau 4 – pour l’OMS, il y a sept niveaux dans l’échelle de gravité –, le pilotage de la crise revenait au ministère de l’intérieur. Quand, à l’annonce du niveau 4, début mai 2009, j’ai demandé qu’on laisse le leadership au ministère de la santé, il m’a été répondu que ce n’était pas ce qui était prévu dans le plan ! Et l’intérieur a donc pris les commandes. »

A en croire Bachelot, « ce virus sournois préparait insidieusement la prédominance des préoccupations d’ordre public sur les exigences sanitaires… ». Qui lui intima l’ordre de s’effacer ainsi derrière Michèle Alliot-Marie, alors en fonctions place Beauvau ? « C’était François Fillon, dans le Salon vert de l’Elysée, après une interministérielle autour de Nicolas Sarkozy », affirme-t-elle.

L’une des urgences prioritaires, déjà, concerne les masques. Qui fait quoi ? En début d’année, le 20 février 2009, le secrétariat général de la défense nationale (SGDN), structure interministérielle consacrée à l’anticipation des menaces et à la gestion des crises, avait prôné l’extension du port du masque FFP2 et encouragé la population à s’équiper, même avec les modèles dits « chirurgicaux », réputés moins filtrants.

A l’Elysée, une cellule de crise s’active. « On est en stratégie de défense maximum », résume Bachelot. Une défense efficace nécessite un armement considérable. C’est le cas. En phase avec la politique de ses deux prédécesseurs, Philippe Douste-Blazy et Xavier Bertrand, la ministre de la santé a continué à augmenter les stocks de masques. En ce mois de mai 2009, un rapport du Sénat portant sur l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) conclut que le stock est de 1 milliard de masques chirurgicaux et de 723 millions de FFP2.

Pour Bachelot, après l’épisode qui l’a vue perdre la conduite opérationnelle de la crise, une seconde alerte survient le 24 juin, lorsque la commission des finances du Sénat émet de « nettes réserves » concernant l’achat de masques par l’Etat du fait d’une « mauvaise gestion des stocks ». Qu’importe, l’Elysée accorde son soutien absolu à la ministre. « Mon interlocuteur, c’est Sarkozy, parce que c’est le chef, mais il est en accord avec son premier ministre, assure aujourd’hui Mme Bachelot. Autant il y a eu une opposition véritablement dogmatique entre Nicolas Sarkozy et François Fillon sur la retraite à 62 ou 63 ans, autant, là, ils étaient totalement en phase. » Même les contraintes financières, alors que la France continue de subir les violents contrecoups de la crise de 2008, ne pèsent pas, à l’en croire en tout cas : « Il n’y a eu aucune hésitation, Sarkozy m’a dit : “Il ne faut pas mégoter”, à aucun moment l’aspect budgétaire n’a joué. »

Les entreprises elles-mêmes sont mises à contribution. Le 3 juillet 2009, Jean-Denis Combrexelle, le patron de la direction générale du travail (DGT), signe une longue circulaire relative à la continuité des activités des entreprises et aux conditions de travail en cas de pandémie grippale. « Les perturbations susceptibles d’affecter les services publics et les activités économiques en cas de pandémie peuvent être limitées par des actions de préparation en amont », souligne la DGT.

Parmi celles-ci, la constitution d’une réserve de masques. L’acquisition de FFP2, les plus protecteurs, est recommandée pour « les salariés en contact étroit et régulier avec le public et ceux chargés de la gestion des déchets ou des ordures ménagères ». Les entreprises sont invitées à en acquérir sur leurs propres deniers par l’intermédiaire de l’UGAP (Union des groupements d’achats publics). Quant aux masques chirurgicaux, « ils seront distribués gratuitement » par le ministère de la santé en cas de pandémie.

Dès le début de la crise H1N1, Bachelot a passé de nouvelles commandes de masques, 500 millions au total. Alors secrétaire général de l’Eprus, Patrick Rajoelina est à la manœuvre. « Nous avons fait des achats de masques auprès de l’UGAP mais également lancé un certain nombre de marchés publics pour aller au-delà de ce 1,7 milliard de masques », raconte-t-il. Ainsi, fin 2009, la réserve sera évaluée à plus de 2,2 milliards d’unités ! C’est l’abondance…

Mais revenons à l’été. Le 30 juillet 2009, l’Institut de veille sanitaire (InVS) annonce le décès d’une adolescente de 14 ans hospitalisée au CHU de Brest. La jeune fille est la première personne en France à succomber au nouveau virus. L’inquiétude monte d’un cran, le danger se rapproche un peu plus. « Mais on a eu le temps de s’y préparer, environ trois mois », se souvient Roselyne Bachelot. Cette mauvaise nouvelle se télescope avec le vote, à la même période, de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST). Le texte modifie la gouvernance des établissements publics, avec la création des agences régionales de santé (ARS) et la réorganisation de la carte hospitalière.

Cette nouvelle loi, portée par Roselyne Bachelot, attise les critiques. L’ancien député (PS) du Rhône, Jean-Louis Touraine, spécialiste des questions sanitaires (il a été rapporteur de la loi santé en 2015), estime encore aujourd’hui qu’elle a eu des effets pernicieux. « Elle a malheureusement abouti à diminuer les capacités de l’hôpital, en en modifiant les conditions de fonctionnement, affirme ce professeur de médecine. C’est l’époque où les gens ont commencé à prétendre que l’hôpital, ça se gérait comme une entreprise. Nous, dans l’opposition, on hurlait, en disant : “Soigner des malades, c’est pas visser des boulons, donc ce n’est pas une entreprise et puis l’exercice des soins prévaut sur l’exercice comptable”, etc. Il n’empêche, la loi est passée, et il y a eu le développement d’une tarification à l’activité, donc augmentation des actes réalisés dans l’hôpital pour que les hôpitaux puissent être financés, et donc on n’est plus dans la recherche de la qualité des soins. »

« Logique de l’hôpital-entreprise »

Jean-Louis Touraine déplore que, depuis, « la logique de l’hôpital-entreprise » se soit imposée. « Mais un hôpital organisé comme une grande entreprise, avec un patron, des sous-chefs et des exécutants, ça ne marche pas !, s’exclame-t-il. Ensuite se sont ajoutées des contraintes budgétaires, le désir de diminuer les coûts, et ça a abouti à ce que l’hôpital soit maltraité, autant d’ailleurs dans les quinquennats Sarkozy et Hollande, et on en paye le prix aujourd’hui. »

Sur le front du virus, la fin de l’été 2009 apporte des nouvelles rassurantes. L’hécatombe redoutée n’est pas au rendez-vous. De fait, au fil des semaines, la menace de la grippe A se dissipe nettement. Malgré tout, le ministère de la santé continue de multiplier les commandes de matériels de protection, notamment des masques – à la fin de l’année sera même mis à disposition de tous les Français, dans les pharmacies, un kit gratuit comprenant un traitement antiviral et une boîte de masques antiprojections.

Ce n’est plus d’un équipement dont disposent les autorités sanitaires, mais d’un arsenal. Disproportionné ? « L’idée de commander au maximum, au cas où, bien sûr que Roselyne a eu raison, qu’est-ce que ça vaut un masque par rapport à la vie des gens ? », la défend l’un de ses prédécesseurs, Philippe Douste-Blazy. « On était équipés, opine Bachelot. J’avais aussi fait une politique d’achats de respirateurs, et doté les hôpitaux de matériel pour les services de réanimation. » Et puis, bien sûr, il y a les vaccins. Ah, ces vaccins… Longtemps, cette question l’a poursuivie, comme le symbole d’une politique dispendieuse, le dévoiement du principe de prudence… Bachelot, elle, était persuadée que vacciner en masse était le meilleur moyen de tuer l’épidémie dans l’œuf dans le cas où elle se développerait vraiment.

A l’origine, l’acquisition de ces vaccins n’allait pas de soi, à en croire M. Rajoelina, l’ancien patron de l’Eprus : « Ça a posé un problème budgétaire au début, parce que nos camarades de Bercy n’avaient pas tout à fait compris qu’il s’agissait d’une pandémie et ils ont fait leur œuvre rapidement ! On leur a cassé les genoux pour leur dire : “Il faut être sérieux, vous allez nous mettre à disposition un certain nombre de financements”… »

L’obstacle budgétaire levé, Bachelot a les mains libres pour obtenir ses vaccins. Avec un total de 94 millions d’unités commandées à partir de la mi-juillet et jusqu’à la fin de l’été 2009, pour un coût de plus de 600 millions d’euros, la ministre a vu grand. Trop ? Alors secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant ne le pense pas. « Le souvenir que j’ai de la présidence de Nicolas Sarkozy est que, sur ces questions sanitaires, la politique conduite a toujours été de prendre le maximum de précautions, pour preuve la gestion de cette épidémie de H1N1, rappelle-t-il. Puisqu’un vaccin était disponible, il n’y avait pas pour nous d’autre option que de le proposer à la totalité de la population. De fait, près de 6 millions de personnes ont été vaccinées. » Mais tout de même, 94 millions de vaccins…

« C’est plus compliqué que ça, se défend Bachelot. D’abord, il s’agit en fait de 47 millions, puisqu’il faut deux doses pour chaque personne, le vaccin nécessitant un rappel. Ensuite, avec un taux de déperdition, inévitable, évalué à 10 %, on arrive en fait à 42 millions. » Ce qui reste considérable. Au fait, comment est-elle parvenue à ce chiffre ? « On calcule le coefficient d’attrition, précise Bachelot, c’est-à-dire le pourcentage de Français qui ne se feront pas vacciner en tout état de cause, on l’a fixé à 33 %, et on arrive aux 42 millions. » « On » ? Derrière le pronom indéfini se cache Didier Houssin, l’incontournable directeur général de la santé (DGS), le puissant « numéro deux » du ministère, en poste de 2005 à 2011.

« J’ai souvent été à des réunions avec Sarkozy et Fillon pour les décisions importantes, parce que ce n’est pas moi qui décide, rapporte ce dernier. Et j’ai proposé d’acheter 94 millions de doses. J’ai dit pourquoi il en fallait 94 millions, mais ce n’est pas moi qui prends la décision. En tout cas, ils étaient convaincus qu’il fallait faire le maximum pour protéger la santé de la population. Sachant qu’on parle de sommes qui sont relativement modestes, par rapport aux avions de combat Rafale par exemple. Avec les systèmes d’armement, on ne joue pas dans la même cour ! » Le coût politique, lui, va être exorbitant pour Roselyne Bachelot.

La suite est connue : ces gymnases et écoles réquisitionnés à partir du 20 octobre 2009, ces Français qui boudent la campagne de vaccination, ces médecins vexés d’être contournés, ces vaccins hors de prix… Les critiques pleuvent sur le thème de la gabegie de l’Etat. « Des vents contraires se sont mis en œuvre, constate Roselyne Bachelot. La décision d’acheter des vaccins est prise très très vite et les commandes sont passées pour être servis rapidement, mais on est dans des difficultés considérables, car il y a une concurrence terrible pour les achats de vaccins, en particulier de la part des Etats-Unis. » Surtout, dès la fin de l’année 2009, il s’avère que l’épidémie est finalement beaucoup moins grave qu’anticipé – elle fera « seulement » quelques centaines de victimes dans le pays.

« On a été servis par la chance, elle s’est arrêtée d’un coup en janvier 2010 », glisse Claude Guéant. Néanmoins, dix ans plus tard, il continue de penser que la stratégie de vaccination à tout-va imaginée par Roselyne Bachelot était la bonne. « Nul doute que cette mesure a contribué à limiter le nombre de décès, témoigne-t-il. J’ai le souvenir très clair de plusieurs réunions autour du président qu’il a conclues en prenant la décision de la précaution maximale. Et n’oublions pas que cette épidémie était dangereuse, contrairement à l’idée dominante d’aujourd’hui. On a mal vécu les critiques qui ont suivi, elles étaient injustes. »

La controverse prend un tour très politique, l’opposition voyant là l’occasion de s’en prendre au pouvoir sarkozyste. A la tête de l’entreprise Bacou-Dalloz-Plaintel, principal fabricant de masques (il en produit des millions chaque jour à l’époque), Roland Fangeat se souvient qu’« il y a eu une campagne de dénigrement contre Bachelot venant du camp politique adverse et des médias sur le thème du gaspillage de l’argent public… Mais les masques, c’est comme une assurance, quand vous n’en avez pas besoin, ça coûte cher, mais quand vous en avez besoin… ».

« Je me suis trouvée bien seule »

Roselyne Bachelot, depuis, a confié à quel point cette période avait été éprouvante. « Je me suis trouvée bien seule, je n’ai pas souvenir d’un seul soutien, mais le ventilateur à merde était tellement puissant, c’était tellement violent… », confie celle dont l’action a été – tardivement – réhabilitée, à la faveur de la crise due au Covid-19.

Au début de l’année 2010, la pandémie s’éloigne, la France se retrouve avec des millions de vaccins sur les bras. Dans l’urgence, le ministère de la santé tente de revendre à l’étranger une partie du stock, afin de limiter les pertes financières. Bachelot est tancée par l’opposition, épinglée par la presse, raillée par les humoristes… Le vent tourne, il est de bon ton de stigmatiser les excès du principe de précaution. La révélation, à la même époque, du scandale du Mediator, du nom de ce médicament des laboratoires Servier qui a tout du poison, n’arrange rien.

Pour Claude Le Pen, « l’idée d’avoir fait gagner de l’argent aux labos, en pleine crise du Mediator, c’est terrifiant pour un ministre vis-à-vis de l’opinion publique. Et 2009, c’est aussi les subprimes, le déficit abyssal de la Sécurité sociale… Les priorités ont “shifté”, la crise sanitaire passe au second plan ».

Le 24 février, l’Assemblée nationale donne son feu vert à la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la campagne de vaccination. Elle a été réclamée par le groupe Nouveau Centre, ancêtre de l’UDI, au grand dépit de l’UMP, qui y voit un geste « inamical » de la part de son allié.

Futur conseiller « santé » du président Hollande, le professeur Olivier Lyon-Caen, qui avait défendu Bachelot à l’époque, porte toutefois un jugement nuancé sur son action : « Il n’y avait aucun reproche à lui faire sur les stocks, j’avais dit qu’il était toujours délicat sur ce genre d’épidémies d’avoir des projections à terme, d’anticiper. Un ministre de la santé n’en fait jamais trop, son rôle est de prévoir le pire, c’est juste la mise en place de la réponse qui n’était pas adaptée. Ce qui m’avait interpellé, ce sont les modalités de la campagne de vaccination, la création d’un système parallèle, avec la réquisition des gymnases, etc., à celui, traditionnel, des médecins, des infirmiers. Cela avait déstabilisé tout le système de santé. »

Alors député socialiste, Gérard Bapt avait lui aussi focalisé ses critiques sur les vaccins. « Je n’avais pas mis en cause le fait qu’il y ait beaucoup de masques, car les masques, ça se conserve, pas comme les vaccins, qu’on avait commandés outre mesure et sans aucune garantie d’arrêter la commande si des fois les besoins se tarissaient, raconte ce cardiologue de formation. C’était une folie de Bachelot, mais, en fait, j’ai découvert que c’était le directeur de son cabinet qui avait signé les commandes de vaccins, ce qui est contestable… »

Surtout, l’ex-député de Haute-Garonne (1997-2017) a découvert récemment que l’entreprise Paul Boyé Technologies, un fabricant de masques basé dans sa circonscription, « avait arrêté d’en fabriquer pendant le mandat de Sarkozy », l’exécutif ayant alors privilégié, selon lui, des commandes en Chine. L’entreprise Boyé a remis en route sa chaîne de production en urgence ces dernières semaines, à l’occasion de la crise due au Covid-19…

Autre ancien député socialiste parfaitement au fait des questions de santé publique, Jean-Marie Le Guen avait, lui aussi, eu la dent dure pour Roselyne Bachelot. « Mais je n’ai jamais critiqué la quantité de moyens », corrige-t-il aujourd’hui. Non, pour l’ancien secrétaire d’Etat de François Hollande, le problème n’est pas là. De son point de vue, cet épisode a surtout agi comme un révélateur, celui d’un tournant décisif : il aurait entériné la « prise de pouvoir » du secrétariat général de la défense nationale (SGDN) sur la politique sanitaire française en temps de crise. Signe de sa montée en puissance, cet organisme interministériel rattaché à Matignon est d’ailleurs devenu, en 2009, le SGDSN (secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale). Son patron de l’époque, Francis Delon, comme son successeur (en 2014), Louis Gautier – membre du conseil de surveillance du Monde –, n’ont pas souhaité s’exprimer.

« Culture de l’autorité »

« Le problème, argumente donc Le Guen, c’est que ce n’est pas Bachelot qui a géré la crise épidémique, elle a été mise en avant parce que ministre de la santé, mais la décision qui a été prise par Sarkozy a été de faire le choix du SGDSN, c’est-à-dire de l’Etat préfectoral, donc une culture de l’autorité, plutôt qu’une approche de santé publique. Ce n’était d’ailleurs pas trop un problème pour Bachelot dont le directeur de cabinet était un préfet. » Selon Le Guen, l’approche du SGDSN se distinguerait par « une vision de protection de l’Etat, une psychologie qui s’inspire de la problématique bioterroriste, et non pas pandémique. Et c’est toute la classe politique qui n’a pas compris alors ce qui se passait, d’ailleurs Bachelot a raison de dire que la gauche l’a critiquée sur la débauche de moyens, alors que ce n’était pas le sujet. Le sujet, c’est l’“Etat-profond”… ».

Le « sujet » dont parle Jean-Marie Le Guen, il commence en fait à agiter les spécialistes à l’époque, mais dans le plus grand secret, pour ne pas dire la plus totale opacité. Il est même au cœur d’un rapport du 6 avril 2010, estampillé « confidentiel », dont Le Monde a pu prendre connaissance. Jamais dévoilé jusqu’alors, ce document consacré à « la gestion territoriale des crises » a été remis au président Nicolas Sarkozy par l’ancien sénateur (UMP) de l’Aisne, Paul Girod. Il lui avait été commandé par le chef de l’Etat un an plus tôt.

Dans sa lettre de mission, datée du 16 avril 2009, soit une semaine avant l’alerte de l’OMS sur la menace H1N1, le président priait celui dont il soulignait l’« expertise reconnue en matière de gestion des crises sanitaires, climatiques ou terroristes » de réaliser « un audit des dispositifs de gestion de crise ». Pour aboutir à ce document de 256 pages, Paul Girod s’était entouré de deux rapporteurs issus de l’inspection générale de l’administration (IGA) : Philippe Sauzey, déjà auteur d’un rapport sur le même thème cinq ans plus tôt et un certain… Florian Philippot, qui n’avait pas encore investi le champ politique à la droite de la droite.

S’il se révèle extrêmement technique, le rapport Girod se distingue toutefois par sa longue introduction : une sorte de réquisitoire contre la technostructure, le fameux « Etat profond » dénoncé aujourd’hui par Jean-Marie Le Guen. « L’ensemble du dispositif étudié souffre de plusieurs défauts majeurs », préviennent ainsi les rapporteurs, évoquant notamment « une excessive confiance en soi de nos administrations centrales et, au premier rang de celles-ci, du corps préfectoral », leur tendance « à vouloir tout faire elles-mêmes, dans une atmosphère de méfiance mutuelle et de guerre budgétaire et/ou de pouvoir ».

D’ailleurs, Paul Girod observe que sa mission « a été marquée par des difficultés, qui sont autant d’enseignements ». « Je ne peux passer sous silence le manque d’implication du ministère de l’intérieur », déplore-t-il par exemple. L’ancien sénateur dresse enfin « le constat d’une faible prise de conscience de ce que seraient les effets induits et cumulatifs (économiques, écologiques, sanitaires, sociaux et bien entendu financiers) d’une véritable crise de grande ampleur ». En clair, ce rapport, auquel nulle suite ne semble avoir été donnée, prévenait, il y a plus de dix ans, que la France n’était pas prête à affronter un péril tel qu’une pandémie de grande ampleur, de la gestion de laquelle la haute administration serait désormais chargée…

Conclusion attristée de Roselyne Bachelot : « Mon affaire a amené un désarmement général, cela a décrédibilisé la parole politique. Les gens se sont dit : “On en fait trop.” Et pour nous, politiques, le risque d’en faire trop est devenu plus grand que de ne pas en faire assez. » En écho, Damien Abad, président du groupe LR à l’Assemblée nationale, confie : « Bien sûr, l’effet Bachelot, avec l’épilogue des vaccins notamment, fait que du coup il y a eu une réaction inverse, on est quasiment passés d’un extrême à l’autre. » Après s’être massivement armée, la France va, subrepticement, commencer à baisser sa garde, le principe de circonspection se substituant à la doctrine de précaution. Le « virus sournois » va bientôt produire ses premiers effets.

6 mai 2020

Une politique publique doit défendre ses créateurs »

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Jack Lang, à Paris, lundi 4 mai. SAMUEL KIRSZENBAUM POUR « LE MONDE »

Propos Recueillis Par Michel Guerrin

Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe, plaide pour un « new deal » dans la culture

ENTRETIEN

Jack Lang, ministre de la culture emblématique de François Mitterrand à partir de 1981, aujourd’hui président de l’Institut du monde arabe, à Paris, appelle à un sursaut culturel pour un secteur fortement touché par la crise sanitaire.

Pensez-vous, pendant cette crise du Covid-19, que la culture fasse partie des produits de première nécessité ?

La culture a beaucoup à perdre dans une telle compétition. Survivre, se nourrir sont des exigences absolues. La culture peut paraître moins vitale quand autant de gens souffrent et meurent. Et pourtant, les artistes et les créateurs ont témoigné, au cours de cette période, d’une inventivité étonnante et ont montré que la culture est une nécessité de l’âme, une source de bonheur, de générosité.

Les librairies n’ont pas voulu rester ouvertes alors que le gouvernement l’avait envisagé. Est-ce une occasion ratée ?

C’était une erreur. On a pourtant trouvé des solutions pour que les gens puissent acheter à manger dans une supérette… Les libraires sont de fabuleux trésors de vie. Parfois, ils sont divisés entre eux. Quand nous avons instauré le prix unique du livre, en 1981, pour les défendre face aux grosses surfaces, il s’en est trouvé une partie qui était contre… Aujourd’hui, la principale menace pour les librairies est Amazon. Je trouve choquant que les librairies soient fermées tandis que l’on ne se résout pas à imposer des boucliers et des taxes élevées pour que ce géant américain répare les dommages qu’il fait subir à la France culturelle.

Pourquoi les milieux culturels sont-ils agacés contre l’Etat ?

Les millions de personnes qui animent les lieux et les festivals, dans les villes comme les villages, dans le privé comme le public, trouvent la réponse publique floue. Ce qui ajoute de l’angoisse à l’angoisse, tant la mise à l’arrêt peut devenir une mise à mort. Après les mesures qui valent pour l’ensemble du pays, comme le chômage partiel, ils attendent des mesures spécifiques, un calendrier clair, secteur par secteur. D’abord rapides pour éviter les naufrages, et d’autres à long terme pour repartir sur de nouvelles bases. Le président leur apportera mercredi des réponses, qui je le crois, seront fortes et claires.

Une centaine de grands noms de la culture n’ont pas attendu et ont dénoncé, dans « Le Monde » du 30 avril, « un oubli de l’art ». Qu’en pensez-vous ?

Ces personnalités ressentent à juste titre un abandon. Il faut leur répondre. N’oublions pas cependant que les premiers touchés sont aussi auteurs, plasticiens, saisonniers, animateurs associatifs, indépendants, inventeurs de festivals, les invisibles de la culture qui donnent vie à nos territoires. Ils sont trop peu présents dans cette tribune.

Est-ce normal que ce soit Emmanuel Macron qui réponde et non le ministre de la culture ?

A situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle.

Avec une telle défiance envers le ministre Franck Riester, celui-ci peut-il s’en relever ?

Je ne participe pas à ce petit jeu. Demandons-nous plutôt pourquoi, depuis vingt ans, tous les ministres de la culture font office de punching-ball ? Ils sont les boucs émissaires de l’indifférence, de la désertion des gouvernements successifs depuis vingt ans. Vingt ans que le budget de la culture baisse alors que les charges fixes augmentent et que son périmètre s’élargit. On peut changer dix fois de ministre, la valse continuera. L’exemple le plus navrant fut Aurélie Filippetti, qui, à peine nommée par François Hollande en 2012, a été « flinguée » par le ministre du budget Jérôme Cahuzac.

C’est aussi cela que le virus met en lumière. La France était un modèle, elle ne l’est plus tout à fait. Pendant ce temps, l’Allemagne, les pays scandinaves ou l’Italie vont de l’avant. Le plus désolant, c’est l’impuissance de l’Etat depuis longtemps face aux groupes industriels et financiers qui étendent leur emprise sur la culture, l’urbanisme et notre mode de vie.

Par exemple ?

N’est-il pas choquant que des musées fassent appel à Google pour numériser leurs collections ou abandonnent aux géants américains la visite virtuelle de leurs expositions ? Choquant que le secteur des musiques populaires soit toujours plus dominé par des conglomérats anglo-saxons qui favorisent l’inflation des cachets et des tickets, ce qui tue la création ? Choquant que des salles comme les Zéniths, qui ont été imaginées pour découvrir des talents musicaux, ont été dévoyées pour devenir parfois des garages commerciaux ? Choquant encore les abus du marché de l’art, et les rapports incestueux entre musées et investisseurs privés ?

Mettez-vous dans le lot le Pass culture, un chèque de 500 eurospour les jeunes, le jour de leurs 18 ans, que souhaite M. Macron ?

J’étais réservé sur ce dispositif qui coûte cher, réduit la culture à de la consommation, entretient le danger de la gratuité alors que les auteurs ne vivent pas d’eau fraîche, et risque de ne profiter qu’aux plus favorisés et à certaines entreprises de l’industrie culturelle. Par bonheur, le Pass semble faire l’objet d’une réorientation en faveur des pratiques artistiques, de la lecture et des expérimentations culturelles.

Vous avez appelé à un « new deal » pour la culture dans « Le Parisien » du 27 avril. Que voulez-vous dire ?

A chaque grande crise ou rupture politique, la culture a accompli sa révolution. En 1936 avec le Front populaire, à la Libération, en 1958, en 1981 avec François Mitterrand. Le modèle, à mes yeux, c’est le New Deal de Roosevelt au début des années 1930. L’investissement dans la culture fut massif. L’Etat a fait travailler 7 000 écrivains, 16 000 musiciens, 13 000 comédiens, a soutenu le cinéma. La bascule de leadership culturel de la France au profit des Etats-Unis vient de là. Nous devons faire preuve de la même audace. M. Macron devrait en être l’initiateur.

Les priorités seront énormes dans la santé et l’économie…

Ce discours, qui fait de la culture la dernière roue du carrosse, je l’entends depuis toujours, notamment chez certains responsables politiques qui bégaient une phrase punitive : « Il y a d’abord les gens modestes à aider et les entreprises à soutenir. » Mais la culture n’est pas étrangère à ces deux préoccupations ! Si on comprend l’enjeu, on trouvera les milliards d’euros pour la culture.

Sauf qu’une partie des Français ne profite pas de la culture, jugeant même ses acteurs comme des enfants gâtés…

S’il y a défiance, c’est aussi parce que nous avons abandonné l’éducation populaire de terrain, la pratique amateur, les réseaux culturels locaux. On a séparé le peuple de la création. Je suis contre la dictature de l’Audimat mais favorable à un état des lieux de la politique culturelle, sans anathème ni partis pris. La France culturelle doit être exemplaire et ne doit pas avoir peur de faire son introspection.

Le « new deal » que j’appelle de mes vœux doit précisément restaurer l’esprit de service public. Je rêverais qu’Emmanuel Macron fasse sien ce beau mot de Jean Vilar : « La culture c’est comme l’eau, le gaz et l’électricité : un service public. » Ce « new deal » qui renverserait la table devrait être le fruit d’une mobilisation de tout le pays, d’une sollicitation de l’imagination des créateurs et chercheurs. Le « new deal » devrait aussi inclure un investissement massif en faveur de l’art à l’école. On bavasse sur le sujet depuis vingt ans dans une hypocrisie totale. On s’enthousiasme sur d’excellentes initiatives ponctuelles, qui ne sont que des pincées de paprika. Il appartiendrait au président de proposer un grand dessein : l’art proclamé comme un des fondamentaux de l’école de la République au même titre que les mathématiques et la lecture.

Le virus, en favorisant les circuits courts, est-il une occasion pour que la France défende mieux ses créateurs ?

Je suis un indécrottable universaliste, mais oui, toute politique publique doit défendre ses créateurs. Le faisons-nous moins bien que d’autres pays ? Le sujet n’est pas tabou. D’autant que le virus oblige à poser la question.

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