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Jours tranquilles à Paris
29 octobre 2020

Caricaturé en une de «Charlie», le président turc renchérit

erdohan

C’est un dessin qui met de l’huile sur le feu en pleine crise diplomatique entre la France et la Turquie. En cause cette fois : la une du nouveau numéro de Charlie Hebdo. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, en tee-shirt et sous-vêtements, y tient une cannette dans une main et de l’autre soulève la robe d’une femme portant le voile. Devant ses fesses nues rebondies, le président turc, langue pendue, s’amuse : «Ouuuh ! Le Prophète !» «Erdogan, dans le privé, il est très drôle», se moque le journal satirique.

La caricature fait référence à la colère et aux invectives répétées d’Erdogan contre son homologue français. Emmanuel Macron est dans le viseur d’Ankara pour avoir réaffirmé la liberté de publier des caricatures du prophète Mahomet en France, dont celles de Charlie Hebdo, après l’assassinat de Samuel Paty. Erdogan est allé jusqu’à mettre en doute «la santé mentale» de Macron à propos de ses prises de position sur l’islamisme radical et la liberté d’expression. Le gouvernement français a réagi en rappelant «pour consultation» son ambassadeur en Turquie. Ces derniers jours, le président turc a franchi une nouvelle étape en relayant l’appel au boycott des produits français vendus dans les pays musulmans.

Sans surprise, le dessin de Charlie a provoqué la fureur de la Turquie. Mercredi matin, la communication de la présidence turque s’est fendue d’un communiqué, en français pour que les choses soient très claires : «Les actions judiciaires et diplomatiques nécessaires seront entreprises contre ladite caricature», peut-on y lire. Le parquet d’Ankara a par la suite annoncé l’ouverture d’une enquête contre les dirigeants de Charlie Hebdo. «Je n’ai pas regardé cette caricature. […] Il est inutile de dire quoi que ce soit au sujet de ces vauriens», a déclaré Erdogan lors d’un discours à Ankara. «Ma colère n’est pas due à l’attaque ignoble contre ma personne, mais aux insultes contre le prophète» Mahomet, a-t-il cru utile de préciser.

Dès mardi soir, la colère des autorités turques était totale quand la une de Charlie a été publiée sur Twitter en avant-première. Cette nouvelle caricature est pour le principal conseiller pour la presse du président turc, Fahrettin Altun, le résultat du «programme antimusulman du président français Macron». «Nous condamnons cet effort tout à fait méprisable de la part de cette publication pour répandre son racisme culturel et sa haine», a-t-il déclaré sur Twitter.

La réaction du ministre turc délégué à la Culture a été plus virulente : «Vous êtes des bâtards. Vous êtes des fils de chiennes», a-t-il tweeté, en français, en mentionnant Charlie Hebdo. En France, le délégué interministériel à la lutte contre le racisme (Dilcrah) a annoncé mercredi à l’AFP avoir saisi la justice après ces propos.

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29 octobre 2020

Analyse - Entre Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan, les relations n’ont jamais été aussi délitées

macron decisions difficiles

Par Marie Jégo, Istanbul, correspondante - Le Monde

Le président turc souffle sur les braises des vieilles rancœurs et des conflits mal éteints. Faire du président français un parangon de l’islamophobie est un chiffon rouge qu’Erdogan aime à agiter pour rehausser sa popularité.

Insulter le président français, Emmanuel Macron, est décidément la nouvelle marotte du président turc, Recep Tayyip Erdogan, actuellement en tournée dans les provinces du centre et de l’est de la Turquie pour rehausser son prestige. Dimanche 25 octobre, dans un discours prononcé à Malatya, dans l’est du pays, M. Erdogan s’en est pris une nouvelle fois à son homologue français, qu’il soupçonne d’avoir un « problème » envers l’islam, et à qui il recommande « de subir des examens médicaux ».

Réitérant ses doutes sur la santé mentale d’Emmanuel Macron, il a posé son diagnostic : « Il est obsédé par Erdogan, jour et nuit. » La veille, il avait déjà préconisé « des examens de santé mentale » pour le président français. « Quel est le problème de cette personne qui s’appelle Macron avec les musulmans et l’islam ? », avait-il interrogé dans son discours à l’adresse des délégués de son Parti de la justice et du développement (AKP, islamo conservateur), à Kayseri, au centre de la Turquie.

Jugeant ces propos « inacceptables », l’Elysée a décidé de rappeler son ambassadeur à Ankara pour consultation, un acte assez inédit dans les relations diplomatiques franco turques. Un précédent avait eu lieu en 1909, quand Jean Antoine Ernest Constans, ambassadeur de France auprès de la Sublime Porte, avait été rappelé à Paris mais pour une tout autre raison, en l’occurrence une créance non payée. Dans le cas présent, la France a voulu envoyer un signal fort. « L’outrance et la grossièreté ne sont pas une méthode », a fait savoir la présidence française, exigeant du numéro un turc « qu’il change le cours de sa politique car elle est dangereuse à tous points de vue ».

« Islamophobie » et « fascisme » de la France

Par ailleurs, l’Elysée a déploré dans son communiqué « l’absence de toute marque officielle de condamnation ou de solidarité des autorités turques après l’attentat terroriste de Conflans-Sainte-Honorine », en référence à Samuel Paty, l’enseignant décapité il y a une semaine par un islamiste fanatisé pour avoir montré des caricatures du prophète Mahomet dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression. L’ambassadeur de Turquie en France a présenté ses condoléances, a assuré dimanche le ministère des affaires étrangères turc.

Ce drame est passé inaperçu en Turquie où le récit officiel distillé par les médias s’articule autour de « l’islamophobie » et du « fascisme » de la France. « La France a récemment lancé une vaste chasse aux sorcières contre la communauté musulmane », écrivait dimanche le quotidien Sabah, le porte-voix du pouvoir, qui informe ses lecteurs de « la fermeture de nombreuses ONG et mosquées tandis que les agressions contre les musulmans ont atteint un pic ». L’Allemagne aussi est conspuée depuis que la police allemande a perquisitionné la mosquée Mevlana à Berlin, dont les dirigeants font l’objet d’une enquête pour corruption.

Ces derniers jours, une rumeur colportée par les réseaux sociaux a échauffé les esprits. Des municipalités françaises auraient projeté des caricatures du prophète sur les murs de bâtiments d’Etat, « une provocation de plus » selon les internautes. Vendredi, des manifestants brandissant des drapeaux ouïgours ont protesté sur l’esplanade de l’université de Beyazit à Istanbul contre « la projection des caricatures du prophète ». Dimanche, des réfugiés syriens se sont mobilisés à Istanbul, à Gaziantep, à Izmir, contre les caricatures du prophète et son corollaire, l’islamophobie.

Les relations franco turques n’ont jamais été aussi délitées. La tension est montée graduellement au fil des mois entre les deux présidents, d’abord sur la guerre en Libye, puis au sujet des explorations turques en Méditerranée orientale, récemment à propos du soutien d’Ankara à l’Azerbaïdjan, reparti en guerre contre l’Arménie pour le contrôle du Haut-Karabakh. Dans tous ces dossiers de politique étrangère, le président turc joue les trublions, souffle sur les braises des vieilles rancœurs et des conflits mal éteints. En filigrane, il y a aussi sa volonté de s’affirmer en défenseur mondial de l’islam sunnite et des musulmans opprimés.

Popularité en baisse

Faire du président français un parangon de l’islamophobie est un chiffon rouge qu’il aime à agiter pour rehausser sa popularité urbi et orbi. Il en a besoin. Selon l’institut d’études de l’opinion Avrasya, si l’élection présidentielle, prévue pour juin 2023, devait se tenir ces jours-ci, M. Erdogan obtiendrait 38,7 % des voix contre 41,9 % pour Ekrem Imamoglu, le maire d’Istanbul, son principal rival. L’économie est en berne et le projet de révolution culturelle, cher au président, est un échec. Il l’a reconnu en inaugurant vendredi le campus de l’université Ibn Khaldoun à Istanbul. « Dans les domaines de l’éducation et de la culture, nous n’avons pas réussi à faire avancer nos idées », a-t-il regretté. Sa déception s’est portée sur les journalistes. « Nos médias ne reflètent pas notre voix. »

Pourtant, la plupart des médias gouvernementaux reflètent fidèlement la pensée du « Grand homme », l’un des surnoms de M. Erdogan. Ils n’ont eu de cesse ces derniers temps de fustiger la France, un pays « colonialiste », « raciste », où les musulmans sont persécutés de la pire manière. Vue d’Ankara, cette persécution s’apparente « à la diabolisation des juifs européens dans les années 1920 », a expliqué dimanche sur son compte twitter, Fahrettin Altun, le directeur de la communication de la présidence turque, convaincu que « l’Europe est un endroit de plus en plus dangereux pour les musulmans ».

En filigrane, les autorités turques n’ont pas digéré le fait qu’Emmanuel Macron cherche à renforcer le contrôle des lieux de culte musulmans sur le sol français et décide, à cet effet, d’en finir avec les envois d’imams et de prêcheurs étrangers en France. La Turquie est le pays le plus investi dans la gestion de l’islam en France puisqu’elle envoie à elle seule la moitié des 300 imams détachés de l’étranger. Elle craint de perdre son influence si la loi sur le renforcement de la laïcité en France est votée. L’Union des affaires culturelles turco-islamiques (Ditib), financée par Ankara pour faire rayonner l’islam turc à l’étranger, risque de perdre son fond de commerce. Le discours du président français aux Mureaux (Yvelines), le 2 octobre, son allusion à « l’islam en crise », avait tout particulièrement ulcéré le président Erdogan, qui y avait décelé « de l’abus de pouvoir », un syndrome qu’il connaît bien.

« La liberté, nous la chérissons », écrit Macron sur Twitter. Dimanche soir, Emmanuel Macron s’est exprimé sur Twitter en trois langues, fait rare. « Notre histoire est celle de la lutte contre les tyrannies et les fanatismes. Nous continuerons », a écrit le président de la république. « La liberté, nous la chérissons ; l’égalité, nous la garantissons ; la fraternité, nous la vivons avec intensité. Rien ne nous fera reculer, jamais », a tweeté le chef de l’Etat, avant d’ajouter ce message – traduit aussi en arabe et en anglais : « Nous continuerons. Nous respectons toutes les différences dans un esprit de paix. Nous n’acceptons jamais les discours de haine et défendons le débat raisonnable. »

29 octobre 2020

Insultes d’Erdogan : entre Paris et Ankara, la diplomatie en carafe

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Par Jérémie Berlioux, Correspondant à Istanbul — Le Monde

Paris a rappelé «pour consultation» son ambassadeur en Turquie. Une réponse aux propos du président turc, qui invitait Emmanuel Macron à suivre des «soins mentaux» après la réponse de la France à l’attentat de Conflans.

Rien ne va plus entre la France et la Turquie. Samedi soir, le gouvernement français a décidé de rappeler «pour consultation» son ambassadeur en Turquie. Ce signal se veut une réponse forte aux propos tenus samedi par le président Erdogan. «Quel problème a cette personne dénommée Macron avec les musulmans et l’islam ? Macron a besoin de soins au niveau mental», a-t-il déclaré.

Pour le pouvoir turc, les velléités du gouvernement français de «structurer l’islam» et de lutter contre l’islamisme radical équivalent à de l’islamophobie. Pour Paris, le timing de ces propos, juste après l’hommage rendu à Samuel Paty, et l’absence de condoléances de la part de la présidence turque ne passent pas. Dimanche, le Quai d’Orsay a dénoncé ces insultes, de même qu’une «propagande haineuse et calomnieuse» qui viserait à «attiser la haine contre nous et en notre sein».

«Manipulation»

Si, en 2015, le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, avait été dépêché à Paris après l’attentat à Charlie Hebdo, l’attitude du pouvoir est aujourd’hui bien différente. Après l’attentat de Conflans, nulle compassion dans la presse aux ordres d’Ankara. Certains sont allés jusqu’à avancer la thèse d’un complot orchestré contre les musulmans. Dimanche, Fahrettin Altun, le tout-puissant directeur de la communication présidentielle, écrivait sur Twitter que «l’Europe est un endroit de plus en plus dangereux pour les musulmans. La politique de la manipulation [dog-whistle politics en VO, ndlr] avec des caricatures injurieuses, des accusations de séparatisme contre les musulmans et des raids contre les mosquées n’a rien à voir avec la liberté d’expression».

L’offensive du gouvernement français contre le «séparatisme islamiste» provoque aussi l’ire de Recep Tayyip Erdogan. Début octobre, il s’en était déjà pris à Emmanuel Macron pour ses propos sur l’islam «en crise». Au centre des tensions, on trouve les ressources engagées par la Turquie pour contrôler sa diaspora via des associations culturelles et politiques, et pour exercer une influence sur le culte musulman par le biais d’imams détachés et de financements. Un problème aussi source de tensions entre Ankara et plusieurs capitales européennes.

Ce regain de tensions s’inscrit aussi dans la longue dégradation des relations entre les deux pays. La Turquie dénonce depuis des années l’aide apportée par Paris aux forces kurdes en Syrie. Vu d’Ankara, Paris exige hypocritement de ses alliés une unité totale dans la lutte contre le jihadisme, mais soutient le pire ennemi de l’Etat turc, les groupes armés autonomistes kurdes. A cela s’ajoutent désormais les dossiers libyens, de la mer Méditerranée orientale et de la guerre au Haut-Karabakh. Pour la propagande turque, la France est la marraine d’un «axe de malveillance» qui inclut l’Egypte, Israël, les Emirats arabes unis et la Grèce, ligués contre la Turquie.

Les insultes proférées par Ankara à l’égard de ses voisins européens n’avaient pas suscité autant de réactions par le passé. Ce changement s’inscrit dans la stratégie de durcissement du ton de Paris face à une Turquie qui a fait du recours à la force armée un pilier de sa politique étrangère. Le gouvernement français tente de mobiliser les Européens en traçant des lignes rouges.

Gesticulations

Au-delà des conflits autour des intérêts contradictoires des deux pays dans la région, ce sont deux représentations qui s’opposent. Tandis que la Turquie est décriée comme «expansionniste», voire «impérialiste» en France, elle se perçoit quant à elle comme assiégée. Face aux accusations d’empiétements (réels) en mer Méditerranée orientale et en mer Egée, Ankara dénonce la présence à ses yeux illégitime de Paris dans la région.

La surenchère sécuritaire, voire raciste, de nombreux politiques et personnalités médiatiques en France ces dernières semaines entre en résonance directe avec la vision du monde dominante à Ankara. Les adeptes français du «choc des civilisations» et du fantasme de l’«invasion musulmane» ont leurs pendants en Turquie. A «l’islam sans gêne» de la droite française correspond l’«Occident croisé» des islamo-nationalistes turcs. Le régime d’Erdogan, qui se veut le défenseur des musulmans, joue à plein sur ce registre.

Mais force est de constater, à Istanbul, que les gesticulations des différentes parties et les invectives ne passionnent que les partisans inconditionnels du Président et les franges les plus nationalistes de l’opposition. Malgré le soutien en général d’une large partie de la population à la politique étrangère d’Erdogan, d’autres sujets préoccupent davantage : l’épidémie de coronavirus et la crise économique qui s’annoncent longues et douloureuses.

29 octobre 2020

Turquie : Une caricature d’Erdogan en Une de Charlie Hebdo provoque la colère d’Ankara

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Le dessin montre le président turc en train de boire une bière et de soulever la jupe d’une femme portant le voile

La tension entre Ankara et Paris n’est pas près de retomber. La Turquie a vivement réagi mardi à une caricature de son président à paraître en Une ce mercredi de Charlie Hebdo. Le dessin, diffusé en ligne mardi soir, montre Recep Tayyip Erdogan, en tee-shirt et sous-vêtements, en train de boire une bière et de soulever la jupe d’une femme portant le voile, dévoilant ainsi ses fesses nues.

27 octobre 2020

Diplomatie - Le président brésilien Jair Bolsonaro serait-il trop fidèle à Trump ?

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EL PAÍS BRASIL (SÃO PAULO )

Pro-Trump affiché, le président Jair Bolsonaro ne sera guère enclin à accepter avec pragmatisme une victoire éventuelle du candidat démocrate Joe Biden. Au risque d’envenimer les relations entre les deux pays et d’isoler le Brésil.

À quelques semaines du scrutin présidentiel aux États-Unis, la réélection du président sortant Donald Trump est de moins en moins évidente. La surprise de 2016, qui avait vu Trump passer devant Hillary Clinton au dernier moment, invite certes à la plus grande prudence, mais l’avance de Biden dans la plupart des États décisifs conforte le scénario d’une victoire du candidat démocrate. Or le Brésil, dont le président a tout misé sur son rapprochement avec Trump, serait parmi les plus désavantagés par une élection de Joe Biden. Certes, le partenariat entre Bolsonaro et Trump peut ne rien apporter de tangible à Brasilia, mais dans l’hypothèse d’un changement à la Maison-Blanche, le chef de l’État brésilien perdrait celui autour duquel il a articulé toute sa politique extérieure.

Plusieurs spécialistes s’accordent à penser que la victoire de Biden ne signerait pas nécessairement une rupture des relations entre les États-Unis et le Brésil. Comme l’a écrit dernièrement Roberto Simon, éditorialiste au quotidien Folha de São Paulo, “un antagonisme profond semble peu plausible”, dans la mesure où Biden est “un pragmatique conscient de l’importance de la relation [des États-Unis] avec le Brésil”. Il ne serait effectivement pas dans l’intérêt du démocrate d’isoler le Brésil et de le pousser ainsi dans les bras de la Chine – car on s’attend à ce que Biden maintienne la stratégie adoptée par Trump avec Pékin.

Pour autant, cette théorie optimiste nécessiterait une forte dose de pragmatisme de la part de Bolsonaro, une qualité pour laquelle il n’a témoigné jusqu’à présent que peu d’intérêt, ou de talent. La défaite [du président sortant] Mauricio Macri en Argentine fin 2019 constitue en la matière un précédent préoccupant. La majorité des observateurs s’attendait à voir un Bolsonaro plus pragmatique quand il est devenu évident qu’Alberto Fernández, allié de Cristina Kirchner, ennemie jurée du bolsonarisme, allait accéder à la présidence à Buenos Aires. C’est tout l’inverse qui s’est produit : le président brésilien a dénoncé le retour au pouvoir des “bandits de gauche” et prédit un afflux de réfugiés argentins au Brésil, dans l’État frontalier du Rio Grande do Sul. À ce jour, Jair Bolsonaro ne s’est toujours pas entretenu une seule fois avec Alberto Fernández. La relation bilatérale entre les deux plus grands pays d’Amérique du Sud connaît sa pire crise depuis les années 1980.

Avec les États-Unis, rien ne porte à croire que le gouvernement Bolsonaro agira autrement. C’est que la politique étrangère est pour Bolsonaro un instrument clé de mobilisation de sa base la plus radicale, et il l’utilise pour s’ériger en grand protecteur du Brésil contre les innombrables menaces venues de l’étranger. Malgré la longueur d’avance qu’affiche actuellement Biden, [le député et fils du président] Eduardo Bolsonaro n’a pas hésité à partager sur les réseaux sociaux une vidéo de soutien à Trump, poussant le président de la commission des affaires étrangères du Congrès étasunien, à majorité démocrate, à s’élever contre cette prise de position.

Le Brésil n’est pas une priorité pour Washington

Comme le soulignait récemment Brian Winter, spécialiste américain du Brésil, pour que la relation bilatérale reste constructive sous un tandem Bolsonaro/Biden, il faudrait d’abord que le président brésilien se tienne à l’écart du débat public étasunien. Ce qui à première vue n’a rien d’impossible, car le Brésil n’a jamais été une priorité de la politique étrangère de Washington. Pourtant, trois facteurs laissent penser qu’il ne sera pas si facile pour Bolsonaro de rester loin des projecteurs américains.

D’abord, pour imaginer la réaction de Bolsonaro à une éventuelle victoire de Biden, il faut d’abord se rappeler que Trump lui-même aura du mal à accepter ce résultat. Souvenons-nous qu’en 2016, alors même qu’il l’avait emporté, il assurait sans la moindre preuve à l’appui que des milliers d’“immigrés clandestins” avaient voté pour les démocrates. Aujourd’hui encore, sans fondement, il affirme que les élections de 2020 seront “les plus corrompues de l’histoire”. Un grand nombre d’électeurs optant pour le vote par courrier, il faudra des jours, sinon des semaines, pour mener à bien le décompte des voix.

Or selon une récente enquête conduite par NBC News et le Wall Street Journal, près de la moitié des Américains favorables à Biden voteront par courrier, contre 10 % seulement des électeurs de Trump. Un scénario qui accroît la probabilité de voir Trump sortir favori des premières évaluations à la sortie des urnes, alors même que de nombreux démocrates auront déjà voté. De là à imaginer Trump exploitant la situation pour crier victoire avant même que le décompte du vote postal n’ait pu commencer, il n’y a qu’un pas que l’on franchit sans peine.

Pendant ces semaines ou ces mois d’incertitude tout au long desquels Trump refusera de céder et se répandra en accusations de fraude infondées, comment réagiront Bolsonaro et son entourage ? Les antimondialistes favorables à Trump tels [le gourou intellectuel] Olavo de Carvalho et [le ministre des Affaires étrangères] Ernesto Araújo auront certainement du mal à résister à cette théorie du complot qui voudrait que mondialistes et communistes, Biden, le président vénézuélien Maduro, le Parti des travailleurs brésilien, le milliardaire philanthrope George Soros, les athées et les Chinois conspirent tous pour voler à Trump sa victoire. Et si Bolsonaro et ses proches défendent publiquement Trump pendant la période d’incertitude, il restera peu de place pour le pragmatisme une fois Biden à la présidence.

Des divergences annoncées

Deuxième point sensible, la déforestation et le changement climatique inquiètent non seulement le monde politique traditionnel partout en Occident, mais aussi les forces armées du monde entier, qui y voient désormais une menace pour la sécurité. À supposer que Bolsonaro n’infléchisse pas sa position sur les questions environnementales, il serait naïf de croire que Biden restera les bras croisés – et la crise diplomatique qu’avaient suscitée les incendies en Amazonie en 2019 nous a donné un aperçu de la réponse que fait le président brésilien aux critiques venues de l’étranger.

Troisième et dernier point, on aurait tort de penser que le trumpisme disparaîtra avec une défaite de Trump. Même chassé de la Maison-Blanche, Trump conservera sa domination sur le Parti républicain et poussera sa fille Ivanka à l’investiture pour la présidentielle de 2024. Divers stratèges, à l’image de [l’ancien conseiller de Trump, arrêté en août dernier] Steve Bannon, se mobiliseront en vue des législatives de mi-mandat, en 2022. Il ne fait aucun doute qu’Eduardo Bolsonaro entretiendra ses liens au sein des réseaux d’extrême droite aux États-Unis. Rester pragmatique dans un tel contexte relèverait de l’exploit pour Biden.

Si la vie politique brésilienne des dernières années a bien montré une chose, c’est qu’il ne faut jamais sous-estimer le président de la République. Il faudra se féliciter si, en cas de victoire de Biden, Bolsonaro parvient à choisir la voie du pragmatisme. Mais si l’on se fie à ce qu’il a montré en politique étrangère jusqu’à présent, c’est à une crise de la relation entre le Brésil et les États-Unis qu’il faut s’attendre – et à un Brésil de plus en plus isolé.

Oliver Stuenkel

Source

El País Brasil

SÃO PAULO http://brasil.elpais.com/

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27 octobre 2020

Réprobations et boycott de produits français dans le monde arabe

S’ils ont condamné l’assassinat de Samuel Paty, des pays arabes critiquent la position de Macron sur les caricatures du prophète Mahomet

BEYROUTH - correspondant

De la cuisine française sans les produits français. Voilà ce que les clients du restaurant Le Train bleu, à Doha, trouveront désormais dans leur assiette. La réplique qatarie de la célèbre brasserie de la gare de Lyon, incarnation du chic parisien, a décidé de retirer de ses plats tous les ingrédients en provenance de l’Hexagone. La mesure fait partie d’une série d’initiatives et de déclarations critiques de la France, qui ont éclos durant le week-end en divers endroits du monde arabe, suite aux propos d’Emmanuel Macron sur les caricatures de Mahomet.

Mercredi 21 octobre, durant la cérémonie d’hommage à Samuel Paty, l’enseignant décapité pour avoir montré à ses élèves des dessins de Charlie Hebdo consacrés au prophète de l’islam, le président français avait déclaré que « nous ne renoncerons pas aux caricatures ». Alors que l’assassinat lui-même avait été fermement condamné par plusieurs Etats arabes, notamment l’Arabie saoudite, qui avait exprimé sa solidarité avec le peuple français, ces quelques mots, venant après les annonces de l’Elysée contre le « séparatisme islamiste », ont suscité un flot de réprobations, officielles et non officielles, du Maghreb au Golfe.

« Atteinte délibérée à l’islam »

La réaction la plus significative est venue du Conseil suprême des oulémas saoudiens. La plus haute autorité religieuse du royaume a déclaré que « diffamer les prophètes (…) ne fait que servir les extrémistes (…) et que ces insultes n’ont rien à voir avec la liberté d’expression ». En Jordanie, un autre allié de la France, le ministre des affaires étrangères, Ayman Safadi, peu suspect de sympathies islamistes, a lui aussi condamné la publication de caricatures de Mahomet. « Nous devons tous rejeter les actions qui alimentent la haine, la violence et le terrorisme, que nous condamnons sous toutes leurs formes », a déclaré le diplomate sur Twitter. Le ministère des affaires étrangères marocain a affirmé pour sa part que « la liberté des uns s’arrête là où commencent la liberté et les croyances des autres ».

Au Qatar, plusieurs chaînes de supermarché ont retiré les produits français de leurs rayonnages. Fustigeant une « atteinte délibérée à l’islam et à ses symboles », l’université du Qatar a reporté sine die une série d’activités prévues cette semaine dans le cadre de l’année culturelle Qatar-France. « Macron est maladroit, il prend le risque de se mettre toute une partie du monde arabe à dos, juge un expatrié français joint à Doha. Comment réagirions-nous en France si les médias du Golfe se moquaient du Christ en croix ? »

Au Koweït, une soixantaine de coopératives œuvrant dans le secteur de la grande distribution ont pris des mesures de représailles économiques du même genre. « Les poulets surgelés Doux et les fromages La Vache qui rit ont disparu des rayons, mais les boutiques Chanel et Dior sont toujours ouvertes », ironise un expatrié arabe contacté sur place. De petits rassemblements hostiles à la position française se sont déroulés en Libye, en Tunisie, en Israël et dans la bande de Gaza.

Le Quai d’Orsay a réagi dans un communiqué diffusé dimanche soir, qui se concentre sur les appels au boycott et à manifester. Le texte demande aux gouvernements des pays concernés de faire « cesser immédiatement » ces initiatives « sans objet », « instrumentalisées par une minorité radicale », et qui « dénaturent les positions défendues par la France ».

25 octobre 2020

Erdogan s’attaque à Macron, Paris dénonce la « propagande haineuse » de la Turquie

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Le président turc s’est interrogé samedi et dimanche sur la « santé mentale » d’Emmanuel Macron. Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a dénoncé une volonté d’Ankara « d’attiser la haine » contre la France et a rappelé son ambassadeur.

Des tensions en Méditerranée au conflit en Libye, en passant par le Haut-Karabakh, les sujets de désaccord sont nombreux entre la Turquie et la France. La tension est encore montée d’un cran, ce week-end, après une passe d’armes entre Paris et Ankara à propos des caricatures de Mahomet et de la réaction des autorités françaises après l’attentat qui a coûté la vie au professeur d’histoire-géographie Samuel Paty.

Analyse : La France contre la Turquie, aux racines de l’affrontement

Samedi, le président turc s’était attaqué directement à son homologue français, Emmanuel Macron : « Tout ce qu’on peut dire d’un chef d’Etat qui traite des millions de membres de communautés religieuses différentes de cette manière, c’est : “Allez d’abord faire des examens de santé mentale” », a déclaré Recep Tayyip Erdogan lors d’un discours télévisé. Il y a deux semaines, M. Erdogan avait dénoncé comme une provocation les déclarations du président français sur le « séparatisme islamiste » et la nécessité de « structurer l’islam » en France, alors que l’exécutif présentait un projet de loi sur ce thème.

Le Drian dénonce un « comportement inadmissible »

Dimanche 25 octobre, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a dénoncé de la part de la Turquie « une volonté d’attiser la haine » contre la France et son président Emmanuel Macron, soulignant que l’ambassadeur de France en Turquie, rappelé « pour consultation », selon l’expression consacrée, sera de retour dès ce dimanche.

Le rappel d’un ambassadeur est un acte diplomatique rare et serait une première, semble-t-il, dans l’histoire des relations franco-turques. Le précédent rappel d’un ambassadeur français remonte à février 2019 quand Paris avait voulu protester contre une rencontre entre Luigi Di Maio, alors vice-premier ministre italien, et des « gilets jaunes ».

Depuis l’avion qui l’emmenait vers le Mali, le ministre des affaires étrangères a fustigé « un comportement inadmissible, a fortiori de la part d’un pays allié ». « A l’absence de toute marque officielle de condamnation ou de solidarité des autorités turques après l’attentat terroriste de Conflans-Sainte-Honorine, s’ajoute désormais depuis quelques jours une propagande haineuse et calomnieuse contre la France », a déclaré M. Le Drian, dans un communiqué.

La France a noté un manque de solidarité de certains autres pays, après l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty, à sa sortie du collège où il enseignait en région parisienne, pris pour cible par un Russe tchétchène radicalisé pour avoir montré des caricatures de Mahomet en classe dans un cours sur la liberté d’expression.

Chronique : « Qui a perdu la Turquie ? La question risque de se poser aux Européens »

M. Le Drian a dénoncé aussi des « insultes directes contre le président [Emmanuel Macron], exprimées au plus haut niveau de l’Etat turc ». « L’ambassadeur de France en Turquie [Hervé Magro] a en conséquence été rappelé et rentre à Paris dès ce dimanche 25 octobre 2020 pour consultation », ajoute le ministre.

« Rien ne nous fera reculer, jamais », écrit Macron

Dimanche soir, Emmanuel Macron a écrit sur son compte Twitter : « Notre histoire est celle de la lutte contre les tyrannies et les fanatismes. Nous continuerons ». Et d’ajouter en anglais et en arabe :

« Nous continuerons. Nous respectons toutes les différences dans un esprit de paix. Nous n’acceptons jamais les discours de haine et défendons le débat raisonnable. Nous continuerons. Nous nous tiendrons toujours du côté de la dignité humaine et des valeurs universelles. »

L’UE appelle la Turquie à cesser « cette spirale dangereuse »

De son côté, le haut représentant de l’Union européenne (UE) pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a dénoncé dimanche des « propos inacceptables » de la part du président turc. Il a appelé « la Turquie à cesser cette spirale dangereuse de confrontation ».

Les propos du président turc avaient déjà été jugés « inacceptables », samedi, par l’Elysée, cité par l’Agence France-Presse (AFP) : « L’outrance et la grossièreté ne sont pas une méthode. (…) Nous exigeons d’Erdogan qu’il change le cours de sa politique car elle est dangereuse à tous points de vue. Nous n’entrons pas dans des polémiques inutiles et n’acceptons pas les insultes. » La présidence française relevait aussi les « déclarations très offensives [de Recep Tayyip Erdogan] de ces derniers jours, notamment sur l’appel au boycott des produits français », alors que ces appels se multiplient au Moyen-Orient.

Pour la présidence turque, les caricatures visent à « intimider » les musulmans

Nouvelle riposte d’Ankara, dimanche. Un responsable de la présidence turque a affirmé sur Twitter que les « caricatures offensantes » du prophète Mahomet étaient utilisées pour intimider les musulmans en Europe sous le prétexte de la liberté d’expression.

Fahrettin Altun, directeur de la communication de la présidence, a accusé l’Europe de diaboliser les musulmans. « La politique insidieuse des caricatures offensantes, des accusations de séparatisme contre les musulmans et des perquisitions de mosquées ne sont pas liées à la liberté d’expression », a affirmé M. Altun en anglais sur Twitter. « Il s’agit d’intimider les musulmans et de leur rappeler qu’ils sont les bienvenus pour continuer à faire fonctionner l’économie de l’Europe, mais qu’ils n’en feront jamais partie – sur fond de discours sur l’intégration », a-t-il ajouté.

« Certains dirigeants européens aujourd’hui ne visent pas seulement les musulmans parmi eux. Ils attaquent nos valeurs et nos textes sacrés, notre Prophète et nos dirigeants politiques – tout notre mode de vie », a ajouté M. Altun. Il a affirmé que les Européens devaient réaliser que « les musulmans ne partiront pas parce que vous ne voulez pas de nous. Nous n’allons pas tendre l’autre joue quand vous nous insultez. Nous allons nous défendre et défendre les nôtres à tout prix ». Il a encore soutenu que cette attitude à l’égard des musulmans était « étrangement familière » et ressemblait à « la diabolisation des juifs européens dans les années 1920 ».

M. Erdogan a quant à lui de nouveau attaqué dimanche Emmanuel Macron, réitérant ses doutes sur sa santé mentale proférés samedi. Lors d’un discours télévisé, le président turc a accusé M. Macron d’être « obsédé par Erdogan jour et nuit ». « C’est un cas, et en conséquence, il a vraiment besoin de subir des examens », a-t-il ajouté.

Nombreux contentieux entre Paris et Ankara

Ce contentieux vient s’ajouter à une longue liste de désaccords entre MM. Macron et Erdogan. Des tensions en Méditerranée avec la Grèce au conflit en Libye, en passant par les violences dans le Haut-Karabakh (où la Turquie soutient l’Azerbaïdjan contre l’Arménie), de nombreux dossiers opposent actuellement Paris et Ankara. « Depuis [qu’il a mené] son offensive en Syrie, la France n’a cessé de dénoncer le comportement du président Erdogan ; les dernières semaines nous ont donné raison », avait déclaré l’Elysée samedi à l’AFP.

La France réclame par ailleurs à nouveau « que la Turquie mette fin à ses aventures dangereuses en Méditerranée et dans la région », au même titre qu’elle dénonce le « comportement irresponsable » d’Ankara dans le Haut-Karabakh. « Des exigences sont posées. Erdogan a deux mois pour répondre. Des mesures devront être prises à la fin de cette année », précise l’Elysée à propos de la Méditerranée orientale.

Le Monde avec AFP

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25 octobre 2020

L’Elysée dénonce les propos « inacceptables » d’Erdogan sur la « santé mentale » de Macron

Il y a deux semaines, le président turc avait dénoncé les déclarations du président français sur le « séparatisme islamiste ». L’Elysée note de son côté « l’absence de message de condoléances » d’Erdogan après l’assassinat de Samuel Paty.

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’en est pris avec virulence, samedi 24 octobre dans un discours télévisé, à son homologue français, Emmanuel Macron. L’homme fort d’Ankara a fustigé son attitude envers les musulmans de France, mettant en doute sa « santé mentale » et l’invitant à « se faire soigner ».

« Tout ce qu’on peut dire d’un chef d’Etat qui traite des millions de membres de communautés religieuses différentes de cette manière, c’est : “Allez d’abord faire des examens de santé mentale” », a déclaré M. Erdogan, qui, il y a deux semaines, avait dénoncé comme une provocation les déclarations du président français sur le « séparatisme islamiste » et la nécessité de « structurer l’islam » en France.

Les propos du président turc ont pour leur part été jugés « inacceptables » par l’Elysée : « L’outrance et la grossièreté ne sont pas une méthode. (…) Nous exigeons d’Erdogan qu’il change le cours de sa politique car elle est dangereuse à tous points de vue. Nous n’entrons pas dans des polémiques inutiles et n’acceptons pas les insultes », poursuit la présidence française, qui a annoncé le rappel de son ambassadeur à Ankara pour consultation.

Longue liste de contentieux diplomatiques

L’Elysée a par ailleurs noté « l’absence de message de condoléances et de soutien du président turc après l’assassinat de Samuel Paty », l’enseignant décapité il y a une semaine dans un attentat islamiste, à proximité de son collège de la banlieue parisienne. La présidence française relève aussi les « déclarations très offensives [de Recep Tayyip Erdogan] de ces derniers jours, notamment sur l’appel au boycott des produits français ».

Ce contentieux vient s’ajouter à une longue liste de désaccords entre MM. Macron et Erdogan. Des tensions en Méditerranée avec la Grèce au conflit en Libye, en passant par les violences dans le Haut-Karabakh (où la Turquie soutient l’Azerbaïdjan contre l’Arménie), ce sont de nombreux dossiers qui opposent actuellement Paris et Ankara.

« Depuis [qu’il a mené] son offensive en Syrie, la France n’a cessé de dénoncer le comportement du président Erdogan ; les dernières semaines nous ont donné raison », poursuit l’Elysée. Ce samedi, la France réclame de nouveau « que la Turquie mette fin à ses aventures dangereuses en Méditerranée et dans la région », au même titre qu’elle dénonce le « comportement irresponsable » d’Ankara dans le Haut-Karabakh.

Plusieurs pays du Moyen-Orient appellent au boycott des produits français. Les appels au boycott des produits français se multiplient depuis vendredi dans plusieurs pays arabes en réaction au discours présidentiel à la Sorbonne. Aux yeux de Paris, « il y a une campagne islamiste contre la France. Elle est organisée, elle n’est pas le fait du hasard, et les émetteurs sont très largement turcs ». Au Qatar, les chaînes de distribution Al-Meera et Souq Al-Baladi ont ainsi annoncé qu’elles « retiraient » les produits français des magasins jusqu’à nouvel ordre. Au Koweït, des images montrant les fromages Kiri et Babybel retirés des rayons de certains magasins ont été relayées sur les réseaux sociaux. Quelque 430 agences de voyages du Koweït ont par ailleurs suspendu les réservations de vols vers la France, a fait savoir le chef de la Fédération des agences de voyages de l’émirat. En Jordanie, le Front d’action islamique, un parti d’opposition, a appelé les citoyens à boycotter les produits français.

23 octobre 2020

Liban Retour à la case Saad Hariri

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Un an après, retour à la case départ. Alors que les Libanais ont célébré la semaine dernière le premier anniversaire de leur soulèvement pacifique contre les élites dirigeantes, le Premier ministre démissionnaire Saad Hariri prendra à nouveau la tête du prochain gouvernement. Désigné de justesse jeudi par 65 députés sur 118, ce milliardaire de 50 ans endosse pour la quatrième fois le rôle de Premier ministre. Malgré son image d’homme de compromis, il incarne aux yeux des Libanais une classe dirigeante incompétente et corrompue qui a mis le pays à genoux et contre laquelle ils se sont révoltés il y a un an. Après dix jours de concertations, cette nomination témoigne donc de l’impasse politique qui paralyse le Liban, sans gouvernement depuis la démission de Hassan Diab. Saad Hariri a déclaré jeudi vouloir «former un cabinet d’experts indépendants avec pour mission de présenter des réformes économiques, financières et administratives, contenues dans la feuille de route à l’initiative de la France», et ce «rapidement».

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Au Liban, Saad Hariri de retour dans le rôle improbable du sauveur

Par Benjamin Barthe, Beyrouth, correspondant Le Monde

Le chef de file de la communauté sunnite, renversé par la rue il y a un an, va tenter de former le gouvernement de sauvetage financier réclamé par Emmanuel Macron.

Lorsque Saad Hariri avait démissionné de son poste de premier ministre du Liban, le 29 octobre 2019, après treize jours de manifestations antisystème, il avait présenté sa décision comme une « réponse à la volonté des nombreux Libanais descendus dans la rue ». Jeudi 22 octobre, quasiment un an jour pour jour après ce retrait forcé, le même Saad Hariri a accepté, à l’invitation du président Michel Aoun, de former un nouveau gouvernement, en remplacement de Hassan Diab, démissionnaire depuis l’explosion du port de Beyrouth, début août. Le peuple libanais aurait-il changé d’avis en douze mois ?

Le chef de file des sunnites – la communauté à qui revient le poste de chef du gouvernement en vertu du système confessionnel libanais – se présente comme « l’unique et dernière chance » de sauver le pays du Cèdre du gouffre économique et social dans lequel il s’enfonce. Le jeune quinquagénaire, premier ministre à déjà trois reprises depuis 2009, serait converti à l’urgence des réformes exigées par le président français Emmanuel Macron lors de son double déplacement estival au Liban. Des mesures sans lesquelles les bailleurs de fonds du pays ne sortiront pas leur chéquier.

Le réprouvé de 2019 serait-il donc devenu l’homme providentiel ? Non, ce qui a changé en un an, c’est que « la rue » devant laquelle Saad Hariri avait prétendu s’incliner s’est vidée. Usés par les bastonnades et les gaz lacrymogènes des forces de sécurité, pris à la gorge par l’effondrement de la monnaie nationale, qui a anéanti leur pouvoir d’achat, démoralisés aussi par leurs propres carences, les indignés de l’automne 2019 ont baissé les bras. Samedi 17 octobre, seulement deux ou trois mille manifestants se sont retrouvés sur la place des Martyrs, dans le centre de Beyrouth, pour célébrer les un an du soulèvement.

La peur grandissante d’un scénario à la Vénézuelienne

Mercredi soir, des partisans du Courant du futur, le mouvement de Saad Hariri, se sont même permis d’incendier le « poing de la thawra » (révolution), la construction érigée sur cette esplanade, en hommage aux centaines de milliers de personnes qui ont rêvé d’un nouveau Liban. Le symbole a certes été reconstruit dans les heures qui ont suivi, mais dans les rangs des révolutionnaires, l’amertume est grande. « Hariri n’est pas aimé tandis que nos revendications bénéficient d’un large soutien populaire, mais nous n’y pouvons rien, le régime est trop fort, confie Karim Safieddine, membre de Mada, un collectif étudiant, qui milite pour un système plus égalitaire, libéré du carcan communautaire. C’est un moment de désenchantement terrible ».

L’homme d’affaires, héritier de l’empire politico-financier de son père, l’ancien premier ministre Rafic Hariri, assassiné en 2005, a habilement manœuvré pour récupérer son poste. Après avoir échoué à se succéder à lui-même en décembre 2019, ses ex-partenaires de gouvernement refusant de le laisser diriger un exécutif de technocrates où ils ne seraient pas représentés, il a su discrètement savonner la planche de Mustafa Adib, le diplomate à qui la tâche de remplacer Hassan Diab avait initialement échu. Celui-ci a jeté l’éponge fin septembre, victime des sempiternelles querelles de portefeuilles entre le pôle sunnite (le Futur) et le camp chiite (le Hezbollah pro-iranien et le parti Amal).

La peur grandissante d’un scénario à la Vénézuelienne, alimentée par une inflation à plus de 100 % sur un an et un taux de pauvreté autour de 50 %, a servi les ambitions de Saad Hariri, de même que le durcissement de la conjoncture diplomatique. Les Etats-Unis ont étendu leurs sanctions anti-Hezbollah à des personnalités alliées à ce mouvement, fragilisant Gebran Bassil, le chef du Courant patriotique libre (CPL, droite chrétienne), partenaire de la formation chiite et principal opposant au retour du cacique sunnite.

« Aussitôt après le renoncement d’Adib, Hariri a surgi et offert ses services pour sauver le Liban. La vérité, c’est qu’il ne voulait laisser personne d’autre que lui devenir premier ministre », soutient Hilal Khashan, professeur de sciences politiques à l’université américaine de Beyrouth. « L’incapacité du mouvement révolutionnaire à s’accorder sur un programme unifié et un leadership alternatif pour le pays aide la classe politique traditionnelle à se maintenir au pouvoir », estime Ali Hamadé, éditorialiste au quotidien de centre droit An-Nahar.

Soutien a minima

Les blocs parlementaires ont soutenu la candidature de Saad Hariri par une courte majorité de 65 députés sur 118. La chambre libanaise compte 128 sièges, mais deux élus ont boycotté les consultations organisées par le président Michel Aoun et huit ont démissionné après la déflagration du 4 août.

Le revenant a fait quasiment le plein des voix sunnites, obtenu le soutien du parti Amal du président du Parlement Nabih Berri et du bloc druze de Walid Joumblatt. En revanche, les grandes formations chrétiennes – CPL et Forces libanaises – et le Hezbollah n’ont pas voté pour lui, en s’abstenant toutefois de désigner un candidat alternatif.

Ce soutien a minima augure de tractations compliquées dans la phase à venir, celle de l’attribution des ministères souvent sujette à d’interminables marchandages. Conformément à la feuille de route d’Emmanuel Macron, que tous les partis libanais jurent, la main sur le cœur, vouloir appliquer, le premier ministre désigné entend former une équipe d’experts, sans attache partisane. Mais à l’instar de Gebran Bassil, plusieurs responsables politiques font valoir qu’un gouvernement dirigé par le chef du Courant du futur peut difficilement se prétendre indépendant.

Le leader du CPL est d’autant plus susceptible de vouloir placer ses hommes dans le futur cabinet, qu’il espère succéder dans deux ans à Michel Aoun, son beau-père, à la présidence de la République. Or à ce poste, réservé à un maronite, Hariri préférerait voir l’un des rivaux communautaires de Bassil, Sleiman Frangié. « Le confessionnalisme a pénétré le système politique libanais jusqu’à la moelle, impossible d’y échapper, prévient Hilal Khashan. Pour assembler son gouvernement, Hariri va devoir faire des concessions, qui risquent de ruiner par avance toute tentative de réforme. »

21 octobre 2020

Arabie Saoudite - Affaire Khashoggi : un procès intenté contre le prince ben Salmane aux États-Unis

affaire khashoggi

COURRIER INTERNATIONAL (PARIS)

La fiancée du journaliste saoudien et une organisation de défense des droits de l’homme ont intenté ce 20 octobre une action devant la justice américaine contre le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane. Ce dernier est accusé d’avoir ordonné en 2018 l’assassinat de Khashoggi, qui plaidait en faveur de réformes démocratiques dans le monde arabe.

La fiancée de Jamal Khashoggi, Hatice Cengiz, et une organisation de défense des droits de l’homme que le journaliste avait fondée peu avant sa mort ont décidé d’accuser formellement le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (surnommé MBS) “d’avoir ordonné le meurtre de Khashoggi”, rapporte le Washington Post.

Dans un procès intenté devant la justice fédérale ce mardi 20 octobre à Washington, Hatice Cengiz et l’association Democracy for the Arab World Now (Dawn) ont en effet allégué que Khashoggi avait été torturé, assassiné et démembré “conformément à une directive de Mohammed ben Salmane”.

Selon le quotidien de la capitale américaine, le prince héritier saoudien et une vingtaine de suspects sont accusés d’avoir perçu “les actions de Khashoggi aux États-Unis comme une menace existentielle pour leurs intérêts financiers” et, en conséquence, d’avoir “conspiré” pour “faire taire définitivement” le journaliste, qui plaidait en faveur de réformes démocratiques dans le monde arabe.

Les avocats d’Hatice Cengiz et de l’association Dawn ont déclaré que leur objectif était de faire en sorte qu’un tribunal américain tienne MBS “responsable du meurtre de Khashoggi” et obtienne des documents “qui révèlent la vérité”, précise le Washington Post.

Jamal Khashoggi a été tué le 2 octobre 2018, après s’être rendu au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul pour obtenir des documents afin de se marier. Dans les mois précédant cette visite, il avait écrit des articles pour le Washington Post critiquant sévèrement le prince héritier ben Salmane, “qui dirige effectivement l’Arabie Saoudite et qui a mené une sévère répression contre ses rivaux et dissidents”, note le journal américain.

La CIA a conclu en 2018 que MBS avait ordonné l’assassinat de Khashoggi, qui avait été révélé pour la première fois par le gouvernement turc.

Un juge américain est-il compétent ?

Selon le Washington Post, le travail de Khashoggi aux États-Unis est essentiel “au succès ou à l’échec du procès”, qui doit établir que les événements de tout complot menant à sa mort se sont produits sur le territoire américain et “qu’un juge américain est compétent”.

Les dirigeants étrangers bénéficient généralement d’une immunité contre les poursuites devant les tribunaux américains pendant leur mandat, mais selon les avocats des plaignants, cités par le quotidien, le prince héritier n’est “ni chef d’État ni chef du gouvernement saoudien”.

L’action en justice contre ben Salmane a en outre été engagée en vertu d’une loi de 1991 appelée Torture Victim Protection Act. Et cette dernière prévoit des recours devant les tribunaux américains pour les victimes de “violations flagrantes des droits de l’homme”, y compris la torture et les exécutions sommaires à l’étranger.

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