Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante
Le premier ministre Boris Johnson va pouvoir rester à Downing Street cinq ans, et surtout réaliser comme promis le Brexit au 31 janvier 2020, ayant totalement renouvelé un Parlement jusqu’alors dans l’impasse.
On l’aime ou on le déteste, avec sa fausse allure brouillonne, son mépris des détails et surtout pour son slogan « Get Brexit done » (« réalisons le Brexit »), simpliste, répété ad nauseam durant toute la campagne des élections générales au Royaume-Uni. Pour autant, Boris Johnson a magistralement réussi son pari. Son camp conservateur a remporté une victoire historique, jeudi 12 décembre, avec 362 sièges à la Chambres des communes (évaluation à 5 heures du matin, heure de Londres), soit 36 sièges au-delà de la majorité absolue (326), une avance jamais vue depuis 1987, lors de la troisième victoire d’affilée du parti sous le leadership de Margaret Thatcher.
Le premier ministre sortant va pouvoir rester à Downing Street cinq ans, et surtout réaliser comme promis le Brexit au 31 janvier 2020, ayant totalement renouvelé un Parlement jusqu’alors dans l’impasse, sans majorité pour (ou contre) le divorce avec l’Union européenne (UE). Les nouveaux députés feront leur entrée à Westminster dès mardi 17 décembre et pourraient avoir à se prononcer sur le « Withdrawal bill », l’acte législatif de retrait de l’Union européenne (UE) avant Nöel. « On nous a donné un mandat fort pour unir ce pays et réaliser le Brexit » a martelé Boris Johnson vers 3 h 45 du matin, depuis sa circonscription d’Uxbridge, dans le nord-ouest de Londres.
Débâcle du parti travailliste
Le parti travailliste, deuxième force politique du pays, encaisse en revanche une véritable débâcle, passant juste au-dessus des 200 sièges (selon les estimations du début de la matinée, vendredi), contre 262 jusqu’en novembre dernier. Il paie lourdement un message flou sur le Brexit – le parti s’engageait à renégocier l’accord de divorce puis à organiser un référendum, un programme très radical (plus de 400 milliards de livres de dépenses publiques supplémentaires, environ 482 milliards d’euros) et surtout, l’image très dégradée de son chef, Jeremy Corbyn, accusé de n’avoir pas sérieusement lutté contre l’antisémitisme rampant dans le parti. A 3 h 30 du matin, juste après avoir appris sa réélection dans le nord de Londres, à Islington, M. Corbyn a d’ailleurs annoncé qu’il renonçait à mener d’autres campagnes électorales et qu’il quitterait la tête du parti, mais « après une période de réflexion » au sein de ce dernier. C’est la quatrième élection générale d’affilée perdue par le parti travailliste.
Les Libéraux démocrates (Libdem) qui en début de campagne espéraient capter l’essentiel du vote Remain, ont complètement raté leur pari, reculant de sept sièges (à treize sièges, évaluation de 5 heures du matin). Leur promesse d’annuler purement et simplement le Brexit s’est révélée une erreur tactique majeure : les électeurs ont jugé que c’était antidémocratique. Cruellement symbole : Jo Swinson, leur jeune leader, qui prétendait vouloir devenir première ministre en début de campagne, a perdu son siège de Dunbartonshire East, au sud-ouest de l’Ecosse, à 150 voix près, au profit d’une toute jeune candidate du SNP, le parti indépendantiste écossais. Combien de temps tiendra t-elle à la tête de sa formation, s’interrogeaient déjà les commentateurs politiques vendredi matin ?
« Une note de bas de page dans l’histoire »
Nigel Farage, ex-fondateur du Ukip, grand promoteur du Brexit, n’a une fois de plus décroché aucun siège pour son « parti du Brexit » à Westminster, les Britanniques s’en détournant largement pour le parti conservateur. Il devrait aussi, logiquement, perdre son poste de député européen, une fois le Brexit réalisé. « Vous allez rester comme une note de bas de page dans l’histoire » lui a lancé Andrew Neil, le redoutable interviewer de la BBC.
Les Britanniques ont donc tranché : ils ont largement confirmé le résultat du référendum de 2016, confirmé qu’ils voulaient le Brexit ou du moins que le résultat du référendum devait enfin être honoré, après trois années et demi d’atermoiements. On a aussi assisté jeudi à un grand réalignement de la politique britannique autour de la fracture du Brexit. Le fameux « mur rouge » du centre et nord de l’Angleterre, bastion travailliste depuis des décennies, mais ayant voté en majorité pour quitter l’UE en 2016, a préféré le vote conservateur.
Sur ces terres traumatisées par les années Thatcher, paupérisées par la fermeture des mines et des usines dans les années 1980, les votants n’ont même pas fait payer le parti Tory pour ses neufs années de politique d’austérité. Première circonscription rouge à tomber, jeudi dans la nuit : Blyth Valley, dans l’extrême nord est de l’Angleterre, était aux mains du Labour depuis les années 1970. Puis sont successivement devenues bleues (la couleur des conservateurs) : Bolsover, Workington ou Leigh. A Bishop Aukland, dans le nord-est, une toute jeune candidate Tory, Dehenna Davison (25 ans), a même gagné avec 8 000 voix de majorité sur la députée labour sortante. « Ce vote prouve qu’on ne peut pas oublier la démocratie [et le référendum de 2016] » a déclaré Ian Lavery, président du Labour.
Le parti travailliste ne s’est maintenu que dans le Pays de Galles et sur Londres, qui avait largement voté pour rester dans l’UE. Mais même dans la capitale, le parti a échoué à décrocher l’énorme trophée d’Uxbridge et South Ruislip, la circonscription de Boris Johnson. Le Premier ministre n’y a quasiment pas mis les pieds de toute la campagne, mais son jeune concurrent travailliste Ali Milani n’a pas réussi à le défaire, malgré la très forte mobilisation des activistes du Labour sur le terrain.
Election « focalisée sur le Brexit »
M. Corbyn réussira t-il à maintenir son leadership dans les jours qui viennent ? John McDonnell, un de ses très proches, ministre des finances de son cabinet fantôme, a tenté de ralentir sa chute, vendredi dans la nuit, en mettant l’échec de son camp sur le dos d’une élection « focalisée sur le Brexit », une manière de ne pas parler du programme, très radical et de la personnalité de Jeremy Corbyn, très mal perçue sur les pas-de-porte un peu partout dans le pays.
Mais la guerre de succession a commencé dans le parti de la gauche britannique. Caroline Flint, députée sortante de Don Valley, qui a perdu son poste jeudi, twittait dans la nuit : « nous allons entendre les Corbynistas blâmer le Brexit, et les Remainers du Labour, blâmer Corbyn. Mais tous ont tord et cette nuit est affreuse pour le parti. » Pour Gloria De Piero, ex-députée Labour ayant renoncé à se représenter le 12 décembre, « mon parti n’a pas tenu compte des signaux d’alerte […] et a échoué à reconnaître que les gens qui ont voté pour quitter l’UE méritaient que leur voix soit entendue ». Très remonté, Ian Murray, le seul élu Labour à avoir réussi à conserver son poste en Ecosse, a fait remarquer vendredi matin : « à toutes les portes auxquelles j’ai frappé durant la campagne, mon équipe et moi avons parlé à 11 000 personnes, tous ont mentionné Corbyn. Pas le Brexit, mais Corbyn. Le résultat, c’est que nous avons laissé tomber le pays, nous devons changer de direction et vite ».
La victoire écrasante de Boris Johnson et de son « Get Brexit done », signifie aussi la fin de l’espoir pour beaucoup de Britanniques proeuropéens, qui depuis trois ans et demi, refusaient la fatalité du résultat du référendum de 2016, réclamaient un deuxième référendum. En raison de la résistance d’une partie d’entre eux à Westminster, la date du Brexit avait été déjà repoussée trois fois. Significatif : même Kensington, circonscription très remainer du centre de Londres (elle a voté à 69 % pour rester dans l’UE en 2016), a choisi une députée conservatrice pro-Brexit, Felicity Buchan. Le candidat Libdem, Sam Gyimah a probablement fait perdre des points à la députée sortante travailliste, signant une défaite cuisante pour le camp du Remain.
Mains libres
Boris Johnson a désormais les mains libres, avec une majorité assurée, un Parlement renouvelé, des leaders des partis d’opposition sur le départ ou très affaiblis. Le traité de retrait de l’UE est prêt, il a été négocié en octobre entre Londres et Bruxelles, il avait même passé la barre de la première lecture à la Chambre des communes avant sa dissolution. Il doit être définitivement validé à la majorité par le Parlement dans les jours qui viennent – peut-être même avant Nöel. Le Parlement européen aura encore à le ratifier de son côté, mi-janvier. Dès début février, le Royaume-Uni sera devenu un « pays tiers », et entamera la négociation de sa relation future avec l’UE. Boris Johnson a assuré qu’il l’aura bouclée avant fin 2020.
Saura t-il tenir ce délai ? Surtout : pour quel type de relation optera t-il ? Personne n’en sait encore rien. Une chose, cependant : sa majorité aux Communes lui permettra de renier des promesses, pour, par exemple, réclamer plus de temps à Bruxelles afin de négocier la relation future. Il pourrait aussi passer outre les exigences des plus extrêmes des brexiters, qui exigent un Brexit dur et une relation la plus distante possible avec Bruxelles. Après tout, M. Johnson n’était-il pas considéré comme un conservateur « libéral » quand il était maire de Londres ?
Il ne devrait plus non plus dépendre du DUP, les unionistes irlandais, qui ont tenu la dragée haute à Theresa May pendant deux ans (elle dépendait d’eux pour sa majorité), mais sont sortis abîmés du scrutin de jeudi : Nigel Dodds, leur tête de file à Westminster, a perdu son siège au profit du Sinn Fein.
Mais jeudi soir, tous les commentateurs s’interrogeaient sur ce que signifiait cette impressionnante vague bleue en Angleterre alors que le SNP, le parti indépendantiste écossais, a enregistré de son côté une très belle performance, regagnant le terrain perdu lors des élections générales de 2017, et trustant 48 des 59 sièges réservés à l’Ecosse à Westminster. M. Johnson avait beau insister, vendredi aux aurores, sur le concept de parti conservateur « One Nation », tous les commentateurs politiques s’inquiétaient d’un risque accru d’éclatement du Royaume-Uni.
Nicola Sturgeon réclame depuis des mois un deuxième référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, pour cause de Brexit, après celui de 2014 (perdu au profit de l’Union). Le résultat de jeudi va donner de très forts arguments à la cheffe du SNP. Au détail près qu’elle a besoin d’une majorité à Westminster pour que son deuxième référendum soit autorisé. Boris Johnson a déjà fait savoir, qu’il refuserait ce nouveau scrutin aux Ecossais. Mais combien de temps pourra t-il résister ? « Les conservateurs ont perdu des voix en Ecosse, j’ai un mandat pour offrir aux Ecossais le choix, cela ne fait pas de doute » a réagi Mme Sturgeon, vendredi matin.