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Jours tranquilles à Paris
14 décembre 2019

Société. La Colombie ne veut plus d’amalgames avec la cocaïne

colombie

Source COURRIER INTERNATIONAL 

Un pull vendu sur le site de Walmart montrant un père noël qui s’apprête à consommer de la drogue a provoqué une forte indignation dans la presse colombienne. En effet, la publicité fait référence à la cocaïne “de bonne qualité” que l’on peut trouver dans le pays sud-américain.

C’est une blague de mauvais goût qui a donné vie à un petit conflit diplomatique. Mardi 10 décembre, la Colombie a découvert l’existence d’un pull commercialisé par un vendeur tiers sur le site canadien de Walmart montrant un père noël en passe de consommer – à l’aide d’une paille –, trois “lignes” d’un produit blanc. Une image accompagnée de la phrase “la neige tombe”. Il ne s’agirait là que d’un jeu de mots plutôt banal, mais la description du produit a soulevé un tourbillon de polémiques.

“Le père Noël aime bien savourer l’instant quand il met la main sur de la neige colombienne de très bonne qualité”, pouvait-on lire sur le site canadien de Walmart. Du côté de Bogota, la plaisanterie n’a pas été appréciée, puisque comme le rapporte le quotidien El Tiempo, un représentant de l’Agence de défense juridique de l’État colombien a demandé des réparations :

Le pull de Walmart est une insulte au pays qui génère un dommage à tous les produits légaux de la Colombie et à la réputation d’un pays entier. C’est un dommage qu’on ne peut pas laisser passer, et même si Walmart a demandé pardon, le mal est fait.”

Il ne s’agit pas de la première fois que l’image du pays sud-américain est liée au trafic de drogue. El Tiempo, cite d’autres exemples récents et essaye donc de décortiquer objectivement les raisons de cet amalgame qui est si souvent fait :

Récemment, un rapport d’Europol a été rendu publique, et dans celui-ci, on indique que la Colombie reste le principal producteur et exportateur de cocaïne vers les pays membres de l’Union européenne. De plus, des laboratoires de transformation de cocaïne administrés par des Colombiens ont été découverts en Espagne et en Pologne, ainsi que des narco sous-marins pleins de drogue colombienne.”

7 grammes de cocaïne sur 10 dans le monde viennent de Colombie

Néanmoins, tempère le quotidien de Bogota, il serait injuste de ne pas mentionner les efforts fournis par l’exécutif pour essayer de contenir le trafic de drogue. En effet, “le gouvernement a révélé il y a une semaine que l’objectif d’éradication des narcocultures fixé pour cette année à 80 000 hectares, a d’ores et déjà été dépassé”, souligne El Tiempo, qui note tout de même que – selon les statistiques des Nations unies –, “Pour 10 grammes de cocaïne qui sont consommés dans le monde, en moyenne, plus de 7 viennent de Colombie”.

De son côté, le journal El Heraldo, se montre bien plus véhément, puisque le quotidien de Barranquilla publie un éditorial indigné au sujet du cas Walmart. “Cet incident nous apprend qu’il existe des créateurs de vêtements et des publicistes avec de la sciure à la place du cerveau. Mais cela nous montre surtout la survie de vieux préjugés contre notre pays”.

“Faire comprendre cette réalité tragique au reste du monde”

Le journal pointe également du doigt l’hypocrisie des pays occidentaux, car – si les Colombiens sont conscients de l’ampleur du trafic de drogue venant de leur pays –, “au même temps notre peuple est celui qui souffre le plus de ce fléau qui a causé la mort de tant de Colombiens qui ont lutté contre ces mafias”. Ainsi, conclut El Heraldo :

Nous devons faire comprendre cette réalité tragique au reste du monde, et en particulier à ces pays qui génèrent ce trafic de drogue par leur consommation. Des pays qui sont aussi ceux qui nous critiquent le plus ouvertement ou qui tentent de nous humilier. Et pour faire ça, ils utilisent même ce bon vieux père Noël.”

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13 décembre 2019

Algérie : abstention record à l’élection présidentielle contestée

Des milliers de personnes sont descendues jeudi dans les rues d’Alger et d’autres villes du pays aux cris de « Pas de vote ! Nous voulons la liberté ! » pour dénoncer la tenue de l’élection.

Plus de six Algériens sur dix ont boudé les urnes jeudi 12 décembre, une abstention record, lors de la présidentielle fermement rejetée par le mouvement populaire de contestation ayant emporté en avril le président Abdelaziz Bouteflika, dont ils étaient appelés à élire le successeur.

Seuls 39,93 % des inscrits ont voté jeudi, selon les chiffres annoncés en fin de soirée à la télévision nationale par Mohamed Charfi, président de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE). Selon M. Charfi, le taux de participation au niveau national s’établit à 41,41 % et celui des Algériens de l’étranger à 8,69 %, a-t-il ensuite expliqué.

Ce taux est le plus faible de toutes les présidentielles pluralistes de l’histoire de l’Algérie. Il est inférieur de plus de 10 points à celui du précédent scrutin – le plus faible jusqu’ici –, qui en 2014 avait vu la 4e victoire de M. Bouteflika.

Election rejetée par le Hirak

Le Hirak, le « mouvement » de contestation populaire massif et inédit du régime qui a contraint M. Bouteflika à la démission, rejetait catégoriquement la tenue de cette élection, vue comme un moyen de se régénérer pour le « système » au pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1962. Ce mouvement exige la fin de ce « système » et le départ de tous les anciens soutiens ou collaborateurs des vingt ans de présidence Bouteflika. Ce que sont les cinq candidats : Abdelaziz Belaïd, Ali Benflis, Abdelkader Bengrina, Azzedine Mihoubi et Abdelmajid Tebboune.

Après une première tentative d’élection avortée en juillet, le haut commandement de l’armée, pilier du régime, ouvertement aux commandes depuis le départ de M. Bouteflika, a tenu coûte que coûte à organiser ce scrutin pour sortir rapidement de l’actuelle crise politico-institutionnelle, qui a aggravé la situation économique. Le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée, assurait depuis des semaines que la participation serait « massive ».

« Pas de vote ! »

Aucune projection de résultat n’a été publiée, mais le camp d’Abdelmadjid Tebboune, ancien bref premier ministre de M. Bouteflika en 2017, a revendiqué dans la soirée la victoire au 1er tour. « Selon les premiers éléments en notre possession (…), Abdelmadjid Tebboune a remporté la présidentielle avec un score de 64 % » des votants, a déclaré Abdelatif Belkaim, directeur adjoint de la communication du candidat. L’ANIE annoncera les résultats du 1er tour vendredi à 15 heures, a indiqué son président. Un éventuel second tour se déroulera entre le 31 décembre et le 9 janvier, selon l’ANIE.

Morne dans de nombreux bureaux de vote, la journée a été marquée à Alger par une démonstration de force du Hirak qui a bravé un très fort déploiement policier pour défiler en masse. Une foule estimée à plusieurs dizaines de milliers de personnes est parvenue à envahir les rues du centre de la capitale, malgré les interventions systématiques et souvent brutales de la police à chaque tentative de rassemblement. « Makache l’vote » (pas de vote !), a scandé la foule qui s’est séparée en fin d’après-midi, avant que la police ne disperse à coups de matraque la centaine de protestataires restants, selon une journaliste de l’AFP. Dans la journée, un petit groupe de manifestants est parvenu à s’introduire dans un centre électoral du centre-ville, entraînant une brève suspension du vote pour les évacuer.

Affrontements

Mercredi, des personnalités proches du « Hirak » avaient mis en garde sur le contexte de « vives tensions » et rendu le pouvoir « responsable de tout dérapage éventuel ». Elles avaient exhorté les contestataires à « demeurer pacifiques » en refusant de « répondre aux provocations » et en veillant à « ne pas empêcher l’exercice par d’autres citoyens de leur droit à s’exprimer librement » – un mot d’ordre respecté à Alger.

Globalement, le vote s’est également déroulé normalement à travers le pays sauf dans la région traditionnellement frondeuse et majoritairement berbérophone de Kabylie, théâtre de graves incidents.

Le scrutin a été interrompu, parfois à peine ouvert, dans les trois principales localités de la région : un centre de vote a été saccagé, une antenne de l’ANIE a été incendiée et les forces de l’ordre ont dû repousser à coup de grenades lacrymogènes des manifestants tentant de pénétrer au siège de la wilaya (la préfecture) de Tizi-Ouzou (90 km à l’est d’Alger). Des affrontements entre forces de l’ordre et manifestants, qui ont fait plusieurs blessés dans les deux rangs, s’y sont poursuivis dans la soirée, a indiqué à l’AFP un élu local.

A Tichy, près de Béjaïa (180 km à l’est de la capitale), des affrontements ont opposé dans la soirée des manifestants à des gendarmes, a indiqué à l’AFP Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme.

Selon une source sécuritaire, ayant requis l’anonymat, les gendarmes ont dû employer la force pour repousser des manifestants ayant pénétré dans la gendarmerie et ces heurts ont fait six blessés dans les rangs des forces de l’ordre.

13 décembre 2019

Royaume-Uni : victoire historique pour les conservateurs aux législatives

brexit libé

Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

Le premier ministre Boris Johnson va pouvoir rester à Downing Street cinq ans, et surtout réaliser comme promis le Brexit au 31 janvier 2020, ayant totalement renouvelé un Parlement jusqu’alors dans l’impasse.

On l’aime ou on le déteste, avec sa fausse allure brouillonne, son mépris des détails et surtout pour son slogan « Get Brexit done » (« réalisons le Brexit »), simpliste, répété ad nauseam durant toute la campagne des élections générales au Royaume-Uni. Pour autant, Boris Johnson a magistralement réussi son pari. Son camp conservateur a remporté une victoire historique, jeudi 12 décembre, avec 362 sièges à la Chambres des communes (évaluation à 5 heures du matin, heure de Londres), soit 36 sièges au-delà de la majorité absolue (326), une avance jamais vue depuis 1987, lors de la troisième victoire d’affilée du parti sous le leadership de Margaret Thatcher.

Le premier ministre sortant va pouvoir rester à Downing Street cinq ans, et surtout réaliser comme promis le Brexit au 31 janvier 2020, ayant totalement renouvelé un Parlement jusqu’alors dans l’impasse, sans majorité pour (ou contre) le divorce avec l’Union européenne (UE). Les nouveaux députés feront leur entrée à Westminster dès mardi 17 décembre et pourraient avoir à se prononcer sur le « Withdrawal bill », l’acte législatif de retrait de l’Union européenne (UE) avant Nöel. « On nous a donné un mandat fort pour unir ce pays et réaliser le Brexit » a martelé Boris Johnson vers 3 h 45 du matin, depuis sa circonscription d’Uxbridge, dans le nord-ouest de Londres.

Débâcle du parti travailliste

Le parti travailliste, deuxième force politique du pays, encaisse en revanche une véritable débâcle, passant juste au-dessus des 200 sièges (selon les estimations du début de la matinée, vendredi), contre 262 jusqu’en novembre dernier. Il paie lourdement un message flou sur le Brexit – le parti s’engageait à renégocier l’accord de divorce puis à organiser un référendum, un programme très radical (plus de 400 milliards de livres de dépenses publiques supplémentaires, environ 482 milliards d’euros) et surtout, l’image très dégradée de son chef, Jeremy Corbyn, accusé de n’avoir pas sérieusement lutté contre l’antisémitisme rampant dans le parti. A 3 h 30 du matin, juste après avoir appris sa réélection dans le nord de Londres, à Islington, M. Corbyn a d’ailleurs annoncé qu’il renonçait à mener d’autres campagnes électorales et qu’il quitterait la tête du parti, mais « après une période de réflexion » au sein de ce dernier. C’est la quatrième élection générale d’affilée perdue par le parti travailliste.

Les Libéraux démocrates (Libdem) qui en début de campagne espéraient capter l’essentiel du vote Remain, ont complètement raté leur pari, reculant de sept sièges (à treize sièges, évaluation de 5 heures du matin). Leur promesse d’annuler purement et simplement le Brexit s’est révélée une erreur tactique majeure : les électeurs ont jugé que c’était antidémocratique. Cruellement symbole : Jo Swinson, leur jeune leader, qui prétendait vouloir devenir première ministre en début de campagne, a perdu son siège de Dunbartonshire East, au sud-ouest de l’Ecosse, à 150 voix près, au profit d’une toute jeune candidate du SNP, le parti indépendantiste écossais. Combien de temps tiendra t-elle à la tête de sa formation, s’interrogeaient déjà les commentateurs politiques vendredi matin ?

« Une note de bas de page dans l’histoire »

Nigel Farage, ex-fondateur du Ukip, grand promoteur du Brexit, n’a une fois de plus décroché aucun siège pour son « parti du Brexit » à Westminster, les Britanniques s’en détournant largement pour le parti conservateur. Il devrait aussi, logiquement, perdre son poste de député européen, une fois le Brexit réalisé. « Vous allez rester comme une note de bas de page dans l’histoire » lui a lancé Andrew Neil, le redoutable interviewer de la BBC.

Les Britanniques ont donc tranché : ils ont largement confirmé le résultat du référendum de 2016, confirmé qu’ils voulaient le Brexit ou du moins que le résultat du référendum devait enfin être honoré, après trois années et demi d’atermoiements. On a aussi assisté jeudi à un grand réalignement de la politique britannique autour de la fracture du Brexit. Le fameux « mur rouge » du centre et nord de l’Angleterre, bastion travailliste depuis des décennies, mais ayant voté en majorité pour quitter l’UE en 2016, a préféré le vote conservateur.

Sur ces terres traumatisées par les années Thatcher, paupérisées par la fermeture des mines et des usines dans les années 1980, les votants n’ont même pas fait payer le parti Tory pour ses neufs années de politique d’austérité. Première circonscription rouge à tomber, jeudi dans la nuit : Blyth Valley, dans l’extrême nord est de l’Angleterre, était aux mains du Labour depuis les années 1970. Puis sont successivement devenues bleues (la couleur des conservateurs) : Bolsover, Workington ou Leigh. A Bishop Aukland, dans le nord-est, une toute jeune candidate Tory, Dehenna Davison (25 ans), a même gagné avec 8 000 voix de majorité sur la députée labour sortante. « Ce vote prouve qu’on ne peut pas oublier la démocratie [et le référendum de 2016] » a déclaré Ian Lavery, président du Labour.

Le parti travailliste ne s’est maintenu que dans le Pays de Galles et sur Londres, qui avait largement voté pour rester dans l’UE. Mais même dans la capitale, le parti a échoué à décrocher l’énorme trophée d’Uxbridge et South Ruislip, la circonscription de Boris Johnson. Le Premier ministre n’y a quasiment pas mis les pieds de toute la campagne, mais son jeune concurrent travailliste Ali Milani n’a pas réussi à le défaire, malgré la très forte mobilisation des activistes du Labour sur le terrain.

Election « focalisée sur le Brexit »

M. Corbyn réussira t-il à maintenir son leadership dans les jours qui viennent ? John McDonnell, un de ses très proches, ministre des finances de son cabinet fantôme, a tenté de ralentir sa chute, vendredi dans la nuit, en mettant l’échec de son camp sur le dos d’une élection « focalisée sur le Brexit », une manière de ne pas parler du programme, très radical et de la personnalité de Jeremy Corbyn, très mal perçue sur les pas-de-porte un peu partout dans le pays.

Mais la guerre de succession a commencé dans le parti de la gauche britannique. Caroline Flint, députée sortante de Don Valley, qui a perdu son poste jeudi, twittait dans la nuit : « nous allons entendre les Corbynistas blâmer le Brexit, et les Remainers du Labour, blâmer Corbyn. Mais tous ont tord et cette nuit est affreuse pour le parti. » Pour Gloria De Piero, ex-députée Labour ayant renoncé à se représenter le 12 décembre, « mon parti n’a pas tenu compte des signaux d’alerte […] et a échoué à reconnaître que les gens qui ont voté pour quitter l’UE méritaient que leur voix soit entendue ». Très remonté, Ian Murray, le seul élu Labour à avoir réussi à conserver son poste en Ecosse, a fait remarquer vendredi matin : « à toutes les portes auxquelles j’ai frappé durant la campagne, mon équipe et moi avons parlé à 11 000 personnes, tous ont mentionné Corbyn. Pas le Brexit, mais Corbyn. Le résultat, c’est que nous avons laissé tomber le pays, nous devons changer de direction et vite ».

La victoire écrasante de Boris Johnson et de son « Get Brexit done », signifie aussi la fin de l’espoir pour beaucoup de Britanniques proeuropéens, qui depuis trois ans et demi, refusaient la fatalité du résultat du référendum de 2016, réclamaient un deuxième référendum. En raison de la résistance d’une partie d’entre eux à Westminster, la date du Brexit avait été déjà repoussée trois fois. Significatif : même Kensington, circonscription très remainer du centre de Londres (elle a voté à 69 % pour rester dans l’UE en 2016), a choisi une députée conservatrice pro-Brexit, Felicity Buchan. Le candidat Libdem, Sam Gyimah a probablement fait perdre des points à la députée sortante travailliste, signant une défaite cuisante pour le camp du Remain.

conbrexit

Mains libres

Boris Johnson a désormais les mains libres, avec une majorité assurée, un Parlement renouvelé, des leaders des partis d’opposition sur le départ ou très affaiblis. Le traité de retrait de l’UE est prêt, il a été négocié en octobre entre Londres et Bruxelles, il avait même passé la barre de la première lecture à la Chambre des communes avant sa dissolution. Il doit être définitivement validé à la majorité par le Parlement dans les jours qui viennent – peut-être même avant Nöel. Le Parlement européen aura encore à le ratifier de son côté, mi-janvier. Dès début février, le Royaume-Uni sera devenu un « pays tiers », et entamera la négociation de sa relation future avec l’UE. Boris Johnson a assuré qu’il l’aura bouclée avant fin 2020.

Saura t-il tenir ce délai ? Surtout : pour quel type de relation optera t-il ? Personne n’en sait encore rien. Une chose, cependant : sa majorité aux Communes lui permettra de renier des promesses, pour, par exemple, réclamer plus de temps à Bruxelles afin de négocier la relation future. Il pourrait aussi passer outre les exigences des plus extrêmes des brexiters, qui exigent un Brexit dur et une relation la plus distante possible avec Bruxelles. Après tout, M. Johnson n’était-il pas considéré comme un conservateur « libéral » quand il était maire de Londres ?

Il ne devrait plus non plus dépendre du DUP, les unionistes irlandais, qui ont tenu la dragée haute à Theresa May pendant deux ans (elle dépendait d’eux pour sa majorité), mais sont sortis abîmés du scrutin de jeudi : Nigel Dodds, leur tête de file à Westminster, a perdu son siège au profit du Sinn Fein.

Mais jeudi soir, tous les commentateurs s’interrogeaient sur ce que signifiait cette impressionnante vague bleue en Angleterre alors que le SNP, le parti indépendantiste écossais, a enregistré de son côté une très belle performance, regagnant le terrain perdu lors des élections générales de 2017, et trustant 48 des 59 sièges réservés à l’Ecosse à Westminster. M. Johnson avait beau insister, vendredi aux aurores, sur le concept de parti conservateur « One Nation », tous les commentateurs politiques s’inquiétaient d’un risque accru d’éclatement du Royaume-Uni.

Nicola Sturgeon réclame depuis des mois un deuxième référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, pour cause de Brexit, après celui de 2014 (perdu au profit de l’Union). Le résultat de jeudi va donner de très forts arguments à la cheffe du SNP. Au détail près qu’elle a besoin d’une majorité à Westminster pour que son deuxième référendum soit autorisé. Boris Johnson a déjà fait savoir, qu’il refuserait ce nouveau scrutin aux Ecossais. Mais combien de temps pourra t-il résister ? « Les conservateurs ont perdu des voix en Ecosse, j’ai un mandat pour offrir aux Ecossais le choix, cela ne fait pas de doute » a réagi Mme Sturgeon, vendredi matin.

9 décembre 2019

Le dialogue difficile sur la guerre en Ukraine passe par Paris

Par Piotr Smolar

Vladimir Poutine et son homologue ukrainien doivent se retrouver pour la première fois lundi à l’Elysée, en présence d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel.

Sortir d’une impasse ne signifie pas forcément trouver une issue. Ainsi se résume l’atmosphère paradoxale qui précède le sommet dit « au format Normandie », prévu lundi 9 décembre. Il doit réunir à l’Elysée le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, sous la médiation de la chancelière allemande, Angela Merkel, et d’Emmanuel Macron.

La dernière réunion de ce genre, en octobre 2016 à Berlin, avait été un échec. « Chacune avec sa sensibilité, la France et l’Allemagne estiment qu’on n’avancera pas sur la sécurité européenne sans progrès sur la guerre en Ukraine, explique une source française. C’est le passage obligé. » Et le vrai « test » des intentions russes, après les ouvertures récentes de Paris, estime-t-on au Quai d’Orsay.

Mais au-delà de la photo de groupe attendue, le doute domine sur les marges de manœuvre pour résoudre le conflit lancinant dans l’est de l’Ukraine, qui a fait plus de 13 000 morts en cinq ans. L’élection spectaculaire de M. Zelensky en avril (avec 73 % des voix) a relancé un dialogue entre Kiev et Moscou. Mais les positions des protagonistes sur le volet politique divergent. Le rôle dual de la Russie, initiatrice de la guerre et médiatrice de façade avec les séparatistes, n’y est pas pour rien.

Dans un entretien au Monde le 3 décembre, le président ukrainien a appelé de ses vœux une inversion de la séquence prévue par les accords de Minsk (2015). Il a rejeté l’idée que les élections dans l’Est soient un préalable, avant toute reprise en main de la frontière orientale. Inadmissible pour la Russie, qui insiste sur le statut spécial prévu pour l’Est, avant tout vote. « C’est le séquençage de Minsk qui détermine le vainqueur et celui qui capitule », résume l’analyste russe Vladimir Frolov, ancien diplomate.

Arrivé au pouvoir dans un contexte difficile, Volodymyr Zelensky s’est illustré par son pragmatisme. Alors que le blocage politique était complet depuis trois ans avec Moscou, sous le président Petro Porochenko, le nouveau venu a rétabli le contact. Des gestes ont été consentis. Le désengagement militaire dans trois zones pilotes le long de la ligne de front de près de 450 km a été enfin réalisé de part et d’autre. Puis sont venus l’échange de 70 prisonniers début septembre, et le retour de trois navires de guerre ukrainiens à la mi-novembre, saisis un an plus tôt par la Russie.

Approche graduelle

Cette approche graduelle n’a pas d’alternative. Mais la normalisation dans l’Est et son retour sous l’autorité de Kiev restent hors de portée. Les diplomates français espèrent qu’un calendrier sera discuté, en vue d’élections. Réalistes, ils se penchent surtout sur de nouvelles zones potentielles de désengagement, un autre échange de prisonniers, le grand défi du déminage. Ces pas permettraient de transformer la guerre de basse intensité en conflit gelé. L’idée d’une force d’interposition est aussi débattue par les experts. Morne horizon, même s’il garantirait une baisse du nombre de victimes. A terme, il faudra aborder le problème des nombreux disparus et des 2 millions de déplacés.

« La situation reste très mauvaise sur le terrain, explique Ioulia Shukan, chercheuse à l’université Paris-Nanterre, familière du Donbass. Beaucoup d’usines ont fermé, le chômage explose. On constate des difficultés de déplacement sur la ligne de front dans un rayon de 50 km, ainsi que des tirs réguliers, quotidiens, pour des raisons surtout tactiques, en des points de tension. » La réduction de ces incidents constitue une priorité, et même un préalable au reste.

Pour ce qui concerne l’agenda politique, en revanche, Mathieu Boulègue, expert au cercle de réflexion Chatham House à Londres, met en garde contre un excès d’optimisme. « On a du mal à accepter qu’il faut progresser par petits pas dans l’est de l’Ukraine, avec une approche humaine, avant de se lancer dans des considérations politico-électorales, dit-il. On a interprété de façon trop positive les gestes récents de la Russie, comme les premières libérations de prisonniers ou le retour des navires de guerre, totalement inutilisables car saccagés. Cela ne leur coûte rien politiquement. La vraie bonne volonté consisterait à favoriser un désarmement dans le Donbass. »

Or, les quelque 40 000 séparatistes armés et leur parrain russe ne veulent rien entendre avant que le statut spécial du Donbass – soit une large autonomie – ne soit garanti. Ils souhaitent aussi une amnistie, inacceptable pour l’opinion publique ukrainienne si elle couvrait les crimes de guerre. De son côté, Kiev voudrait la tenue d’élections libres, ce qui nécessiterait une maîtrise sécuritaire dans les deux provinces de Louhansk et Donetsk, ainsi que le contrôle de la frontière, porte battante aux mains de la Russie, par laquelle hommes et armes peuvent transiter.

Malgré la grande ampleur de sa victoire, confirmée aux législatives, M. Zelensky se trouve dans une position délicate. Une partie de l’opinion rejette tout compromis sur le Donbass. Le jeune chef de l’Etat a besoin d’engranger des victoires au moins symboliques avec Moscou, pour imprimer sa marque. La deuxième difficulté est l’isolement de l’Ukraine. Sa transformation en sujet de polémique aux Etats-Unis, dans le cadre de la procédure d’impeachment lancée contre M. Trump, montre aussi, en creux, l’indifférence de l’administration américaine à son égard.

Pour Washington, l’Ukraine est devenue secondaire. Allié traditionnel de Kiev, le Royaume-Uni, lui, se consume dans le Brexit. Quant à M. Macron, il a noué une bonne relation personnelle avec M. Zelensky, mais sa grille de lecture géopolitique, dessinée dans l’entretien à The Economist début novembre, montre les priorités du président. Il n’insiste pas sur l’annexion de la Crimée et ses implications en termes de droit international.

Ouverture française

M. Macron veut « repenser la relation stratégique avec la Russie sans naïveté aucune ». Il reconnaît qu’il s’engage là sur « un axe » qui ne devrait pas donner « des résultats dans les dix-huit ou vingt-quatre mois ». Le 4 décembre à Londres, lors du sommet de l’OTAN, le président français a souligné que Moscou était à la fois « une menace », en référence à ses activités cyber, à l’Ukraine et aux conflits gelés, et « un partenaire », ce qui reste à démontrer.

A Moscou, cette ouverture française a suscité un contentement, mais les priorités ne changent pas. L’idée d’un retour de l’Etat ukrainien dans le Donbass priverait la Russie d’un instrument de déstabilisation de son voisin. Au contraire, elle distribue des passeports aux habitants locaux. Cette capacité de nuisance importe davantage, dans une lecture géopolitique privilégiée par le Kremlin, que son coût financier. M. Zelensky prétend incarner une rupture, solidifier l’Etat de droit et libérer le secteur privé. Les puissants réseaux oligarchiques et la corruption constituent des obstacles immenses. Mais à long terme, une réussite ukrainienne offrirait à la Russie un miroir peu flatteur.

Vladislav Sourkov, conseiller de Vladimir Poutine, a la main sur le dossier ukrainien. L’un de ses proches, l’analyste politique Alexeï Tchesnakov, appelle le président Zelensky à la clarté. « Les élections sont une condition pour que l’Ukraine reprenne sa frontière, pas l’inverse, dit-il. S’il veut abandonner les accords de Minsk, il doit le dire. La France et l’Allemagne, qui ont une position assez pragmatique, perdraient alors la face, et la Russie s’adresserait aux pays européens pour se plaindre des sanctions qui la visent. » La France, au contraire, veut espérer qu’une levée partielle des sanctions représente pour Moscou une motivation pour agir. « Poutine a une fenêtre de tir à exploiter et il n’en aura pas beaucoup », veut-on croire au Quai d’Orsay.

Les gestes de bonne volonté que pourrait consentir Vladimir Poutine ne concernent que la situation militaire et humanitaire. « Poutine se montrerait accommodant si Zelensky proposait de normaliser certains aspects de la relation bilatérale, par exemple la réouverture des vols directs entre Moscou et Kiev, dit l’analyste Vladimir Frolov. Il pourrait même lever certaines sanctions économiques et individuelles mutuelles, et des interdictions d’entrée sur le territoire. Cela aiderait Macron à vendre l’illusion que sa nouvelle approche envers la Russie fonctionne. »

9 décembre 2019

Poutine à l'Elysée

Le Président Poutine est arrivé à Paris où se tiennent les entretiens au format Normandie avec les chefs d'État français et ukrainien, ainsi que la chancelière allemande.

Le dirigeant russe est arrivé dans la capitale française où est programmée une rencontre au format Normandie. Outre Vladimir Poutine, les négociations quadripartites réunissent ce lundi 9 décembre Volodymyr Zelensky, Angela Merkel et Emmanuel Macron.

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Intervention de FEMEN devant l'Elysée pour protester contre Poutine

 

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9 décembre 2019

Hongkong : des centaines de milliers de manifestants, pour marquer les six mois de la contestation

Par Frédéric Lemaître, Pékin, correspondant

Sous un ciel hivernal radieux, ils défilaient à nouveau, dimanche, afin de laisser une « dernière chance » aux autorités locales, et à la Chine, de répondre à leurs revendications.

Six mois après la première grande manifestation du 9 juin, des centaines de milliers de personnes sont à nouveau descendues dans les rues de Hongkong, dimanche 8 décembre, pour protester contre les répressions policières et réclamer des réformes démocratiques. Les organisateurs du Front civique des droits de l’homme (CHRF, pour Civil Human Rights Front, en anglais) ont dénombré 800 000 participants. La police, 183 000.

De fait, les Hongkongais se sont à nouveau mobilisés mais ils étaient moins nombreux que les 9 et 16 juin, lorsque les manifestations avaient rassemblé respectivement 1 million et près de 2 millions de participants, et il est peu probable que cette journée du 8 décembre change fondamentalement la donne.

Les opposants à Carrie Lam, la chef de l’exécutif, et à Pékin ont à nouveau prouvé qu’ils étaient capables de mobiliser la population. Mais personne n’en doutait vraiment, surtout depuis leur écrasante victoire aux élections locales du 24 novembre où les prodémocratie ont gagné 17 des 18 districts. La manifestation avait d’ailleurs été autorisée par la police. Une première depuis la mi-août.

Quelles suites pour le mouvement ?

Si elle s’est dans l’ensemble déroulée dans le calme, des échauffourées ont eu lieu en fin de journée. Quelques heures avant le début de la mobilisation, la police avait présenté des armes, notamment un pistolet et des couteaux, saisis dans la nuit à l’issue d’une opération au cours de laquelle onze personnes ont été arrêtées.

Vendredi 6 décembre, Jimmy Sham, un des responsables du CHRF, avait évoqué « la dernière chance donnée par le peuple à Mme Lam ». Mais si celle-ci affirme régulièrement avoir entendu les messages envoyés par la population, elle n’a pas fait la moindre concession depuis le 4 septembre, date à laquelle elle a officiellement renoncé à faire passer une loi autorisant les extraditions vers la Chine.

Depuis, l’essentiel des revendications porte sur la création d’une commission d’enquête indépendante sur les violences policières. En six mois, 5 800 personnes ont été arrêtées et environ 10 000 gaz lacrymogènes ont été tirés par les forces de l’ordre. Or les autorités locales refusent catégoriquement une telle commission.

Beaucoup, à Hongkong, s’interrogent sur les suites à donner au mouvement. Certains militants appellent les Hongkongais à adhérer à une organisation syndicale afin de préparer une grève générale. La visite de Xi Jinping à Macao le 20 décembre sera également observée de près.

Le président chinois va se rendre dans l’autre région administrative spéciale pour commémorer les 20 ans de la rétrocession de l’ancienne colonie portugaise à la Chine survenue le 20 décembre 1999. Celui-ci devrait à nouveau faire l’éloge du principe « un pays, deux systèmes » qui régit les relations entre Macao, Hongkong et la Chine continentale.

Si les habitants de Macao ne remettent pas ce principe en question, il n’en est plus de même des habitants de Hongkong. Le discours de Xi Jinping sera donc suivi de près à Hongkong, mais aussi à Washington, où le président Donald Trump vient, au grand dam de Pékin, de ratifier une loi prévoyant que, désormais le Congrès américain étudie chaque année la situation des droits de l’homme à Hongkong, ainsi que l’autonomie réelle de cette île par rapport à Pékin avant de continuer à lui accorder un traitement économique plus favorable.

5 décembre 2019

"La répression en Iran est inédite depuis 40 ans", affirme Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix 2003

L’Iranienne Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix en 2003, avocate et militante des droits de l'Homme, revient pour France 24 sur les manifestations en Iran, qui ont été marquées ces deux dernières semaines par des violences meurtrières. Selon l'ONG Amnesty International, au moins 208 manifestants ont été tués dans la répression, le plus lourd bilan enregistré depuis la révolution de 1979.

"Ce qui s’est passé en Iran c’est une oppression maximale, violente de la population, inédite depuis 40 ans", affirme sur France 24 l’Iranienne Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix en 2003. "C’est quand un gouvernement se sent faible qu’il devient violent."

L’avocate iranienne appelle les Occidentaux à "ne pas soutenir la dictature et à rester du côté du peuple iranien", expliquant être contre les sanctions économiques qui pèsent sur la vie quotidienne des Iraniens. Shirin Ebadi souhaite, par contre, des sanctions visant à affaiblir le régime : "La France doit montrer sérieusement son mécontentement envers l’État iranien et doit demander à ce que son ambassadeur quitte l’Iran".

iran66

4 décembre 2019

Au sein de l’OTAN, cette fois, les problèmes sont sur la table

Chronique - « Au sein de l’OTAN, cette fois, les problèmes sont sur la table, crus et évidents. Ce sont les grandes questions du monde de l’après-guerre froide »

Par Sylvie Kauffmann, éditorialiste au « Monde »

Les échanges tendus de Londres exposent crûment les enjeux de l’Alliance, du retrait du leadership américain à la montée en puissance de la Chine, en passant par le jeu trouble de la Russie, estime, dans sa chronique, l’éditorialiste au « Monde » Sylvie Kauffmann.

Ils sont vingt-neuf autour de la table, mercredi 4 décembre à Watford (Royaume-Uni), près de Londres, mais trois d’entre eux concentrent tous les regards. Ce sont les trois trublions, les professionnels de la disruption, les bad boys de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) : l’Américain Donald Trump, le Français Emmanuel Macron, le Turc Recep Tayyip Erdogan, ceux par qui le scandale arrive.

Et puis il y a les deux absents, qui ne font pas partie de la famille et sont pourtant dans toutes les têtes : le Russe Vladimir Poutine et le Chinois Xi Jinping. L’anglais a une belle expression pour eux : « les éléphants dans la pièce », ceux dont on aimerait ne pas parler mais qui sont trop gros pour qu’on les ignore.

Comme anniversaire, on aurait pu imaginer plus serein pour cette vénérable septuagénaire, l’OTAN, en d’autres temps parée de toutes les vertus. Depuis deux ans, les nuages se sont accumulés, le tonnerre a grondé de Washington, l’horizon turc s’est profondément brouillé et la foudre est tombée de Paris. Maintenant, la tempête parfaite est là, prête à exploser sur Londres, qui n’en demande pas tant.

Tout a été fait pour que l’explosion ne se produise pas. Eviter le drame et montrer que contrairement à ce qu’a dit le président américain en 2017, l’OTAN n’est pas « obsolète », ni en état de « mort cérébrale » comme l’a dit en novembre son homologue français, ni gravement dysfonctionnelle comme l’a montré le président turc en lançant ses troupes en Syrie sans consulter ses alliés sur place.

Crise ? « Il n’y a pas de crise ! », nous jurait son secrétaire général, Jens Stoltenberg, en sortant d’une explication de gravure avec Emmanuel Macron, le 28 novembre à l’Elysée.

« Chercher le plus petit dénominateur commun »

Les sherpas se sont affairés, ces dernières semaines, à préparer un communiqué final qui a été adopté sans bruit. Une « revue stratégique » sera lancée. L’OTAN survivra à cette épreuve. S’il y a une chose qu’on sait faire dans cette organisation, ironisait un haut diplomate français à la veille du sommet, « c’est éviter les problèmes et chercher le plus petit dénominateur commun » ; cette fois, le plus petit dénominateur commun, c’est « ne pas perdre les Turcs et ne pas énerver Trump ».

Pour la deuxième option, c’est raté, si l’on en juge par l’offensive du président américain mardi, en marge des premiers entretiens bilatéraux. La froide brutalité du long échange de MM. Trump et Macron devant la presse après que le premier eut jugé « insultantes » et « très, très méchantes » les déclarations du second sur la « mort cérébrale » de l’OTAN dans The Economist, la manière dont chacun a assumé publiquement ses différends, ont au moins abouti à un résultat : cette fois, les problèmes sont sur la table, crus et évidents. Ce sont les grandes questions du monde de l’après-guerre froide, qui n’en finit pas de se fracturer.

En voici une liste, non exhaustive.

Le retrait américain du leadership occidental.

Donald Trump a commencé à semer le trouble dans son propre camp dès son arrivée au pouvoir, en émettant le premier des doutes sur la validité de l’article 5 du traité de l’OTAN – il pose le principe de la défense collective d’un allié attaqué.

C’est lui aussi qui a annoncé, sur Twitter, le retrait des troupes américaines de Syrie, plantant là ses alliés français et britanniques. S’il est réélu en 2020, l’OTAN lui survivra-t-elle ? L’Alliance est-elle capable de redéfinir sa mission stratégique ?

La Turquie, puissance régionale, membre important de l’OTAN, a noué une relation militaire et diplomatique étroite avec la Russie sur la Syrie.

Ankara a acheté à Moscou un système de défense aérienne incompatible avec les équipements de l’OTAN. En Syrie, la Turquie est intervenue contre les intérêts de ses alliés de l’Alliance. « Nous n’avons pas la même définition du terrorisme », a accusé M. Macron, alors que Recep Tayyip Erdogan bloque un plan de l’OTAN pour la défense polono-balte si les alliés n’adoptent pas « sa » définition du terrorisme, anti-kurde. Jusqu’où le président turc peut-il jouer sur les deux tableaux ?

Que veut Vladimir Poutine ?

Mardi, le Kremlin s’est dit prêt à coopérer avec l’OTAN. Mais depuis 2014, la Russie a repris le chemin de l’interventionnisme militaire, avec la double agression de l’Ukraine puis l’envoi de troupes en Syrie. Elle est active en Afrique, en Libye.

Quant au régime de contrôle russo-américain des armements nucléaires de la guerre froide, il est dépassé. « Il y a un vide sécuritaire à combler », plaide l’Elysée, qui prône un dialogue « sans naïveté » avec Moscou. A quel prix ?

Jusqu’où ira Emmanuel Macron ?

Pour alerter ses partenaires sur l’insécurité du monde actuel, le président français provoque et force le trait. Il veut mobiliser l’Europe pour compenser l’imprévisibilité américaine.

Mais la plupart des dirigeants du Vieux Continent – en particulier les Allemands et ceux dont le pays est frontalier de la Russie – refusent de faire leur deuil des Américains, relèvent que l’OTAN a renforcé son dispositif chez eux, continuent de croire dans un après-Trump réparateur et se méfient des motivations françaises.

En s’abstenant d’associer Berlin à son initiative de rapprochement avec Moscou, M. Macron a alimenté les fantasmes dans une partie de l’Europe centrale : le ministre polonais des affaires étrangères, Jacek Czaputowicz, a soupçonné publiquement la France, le 25 novembre à Berlin, d’être « le cheval de Troie de la Russie ». L’Europe doit « prendre son destin en mains », avait dit la chancelière Angela Merkel fin 2016 : mais comment faire ?

La Chine, désormais deuxième budget militaire mondial, doit-elle être considérée comme une menace ?

Pour Jens Stoltenberg, l’ascension de la puissance chinoise a « renversé l’équilibre mondial du pouvoir » ; elle offre aux dirigeants occidentaux « des opportunités, mais aussi de sérieux défis ». En fait, l’OTAN est née la même année que la République populaire de Chine : 1949. Un autre siècle. Un autre monde.

3 décembre 2019

L’OTAN minée par les divisions entre alliés

Nathalie Guibert (À Paris)

Et Jean-Pierre Stroobants

L’Alliance, réunie près de Londres pour ses 70 ans, est ébranlée par les choix de Trump, l’attitude d’Erdogan en Syrie et les critiques de Macron

BRUXELLES - bureau européen

Une seule matinée de « réunion » entre les chefs d’Etat et de gouvernement qui auront chacun trois minutes pour exprimer leur position avant d’échanger : à Watford, dans la banlieue de Londres, mercredi 4 décembre, les dirigeants de l’Alliance atlantique ne se réuniront pas en « sommet ». Une manière de limiter le risque de nouvelles tensions et, peut-être, d’une nouvelle saillie agressive de Donald Trump contre les Européens, comme lors du sommet de Bruxelles à l’été 2018. On tentera donc de commémorer en vitesse, et dans le calme, les 70 ans de l’alliance « la plus réussie de l’histoire », selon le propos inlassablement répété du secrétaire général, Jens Stoltenberg.

Optimiste et opiniâtre, celui-ci veut saisir l’occasion d’affirmer l’unité retrouvée d’une organisation rudoyée par son principal garant : le président américain a certes cessé de la dire « obsolète », mais il reste convaincu qu’une partie de ses alliés n’en fait pas assez pour le « partage du fardeau » de la sécurité collective. Après le Brexit, 80 % des forces de l’OTAN viendront de pays non-membres de l’Union européenne.

C’est donc bien ce « partage du fardeau » qui promettait d’être, une nouvelle fois, le sujet dominant des discussions de Londres, jusqu’à ce que, le 7 novembre, un autre président, Emmanuel Macron, inflige un électrochoc à l’OTAN : sa description, dans l’hebdomadaire britannique The Economist, d’une Europe « au bord du précipice », et « junior partner des Américains », alors même que ceux-ci ont « pour la première fois un président qui ne partage pas l’idée du projet européen », ne pouvait évidemment que secouer. Moins, toutefois, que l’avis de « mort cérébrale » d’une OTAN incapable de se coordonner sur les décisions stratégiques prises par les Etats-Unis et la Turquie en Syrie.

Minimiser la crise interne

« La Turquie doit fournir la clarification sur le fond que tous les alliés attendent », souligne la présidence française, qui a convoqué l’ambassadeur turc après des déclarations, jugées insultantes, du président Recep Tayyip Erdogan, sur l’« état de mort cérébrale » de M. Macron. « Elle ne peut pas, par exemple, prendre en otage les plans de défense de la Pologne et des pays baltes, parce que les alliés ne déclarent pas le YPG [Unités de protection du peuple, miliciens kurdes] comme groupe terroriste, ou refuser que l’OTAN intervienne en mer Noire. » Une réunion à quatre, Allemagne, France, Royaume-Uni, Turquie, est prévue mardi 3 décembre.

M. Stoltenberg aura tout fait pour minimiser la crise interne, au cours de rencontres bilatérales à Washington, à Berlin et à Paris. L’Alliance serait renforcée, selon des chiffres tombés opportunément : après avoir baissé jusqu’en 2014, les dépenses militaires des Européens et des Canadiens, 987 milliards de dollars (892 milliards d’euros) au total, augmenteront de 130 milliards de dollars en 2020 et, si le rythme reste constant, de 400 milliards de plus en 2024. Neuf pays sur vingt-neuf atteignent l’effort fixé de 2 % de leur PIB pour leur défense. La France s’en approche (1,84 %), l’Allemagne n’en est qu’à 1,38 %.

Une autre décision, à faible impact financier mais forte charge symbolique, a été confirmée fin novembre : la part des Etats-Unis dans le budget de fonctionnement commun de la structure OTAN (quelque 100 millions d’euros) devrait être ramenée de 22 % à 16 %. La France, qui fut surprise et agacée de cette initiative venue de l’Allemagne, a obtenu un plafonnement de sa contribution.

M. Stoltenberg veut aussi orienter l’attention vers d’autres questions plus fédératrices : il insiste sur l’effort accompli en matière de déploiement des forces otaniennes sur le flanc Est, la lutte contre le terrorisme que les alliés vont renforcer, les décisions pour sécuriser la 5G, les menaces à affronter dans le domaine cyber et l’espace – devenu le cinquième domaine opérationnel – ou encore les relations à réévaluer avec la Chine et la Russie.

L’évocation par M. Macron d’un nouveau dialogue avec Moscou suscite des inquiétudes. M. Stoltenberg indique, lui, que cette relation doit être conforme à la ligne fixée (« fermeté et dialogue ») pour répondre au « défi stratégique » que pose le président russe, Vladimir Poutine, à l’Alliance, et que celle-ci doit parler « d’une seule voix ». Après la mort, cet été, du traité russo-américain sur les armes nucléaires intermédiaires en Europe (FNI), le contrôle des armements mobilise les experts de l’organisation depuis des mois. La Russie a proposé un moratoire sur les missiles intermédiaires, que rejette l’OTAN. Le Conseil de l’Atlantique Nord doit fixer une feuille de route en la matière, même si, a indiqué M. Stoltenberg au Monde, « il est trop tôt pour décider d’une négociation avec la Russie ».

Mais Paris juge l’instrument collectif du dialogue, le conseil OTAN-Russie, « anesthésié ». « Il faut sortir de cette situation de gel. La fin du FNI crée un vide qui doit être comblé. Il ne s’agit pas de faire un pari sur la Russie, mais il faut que nous soyons capables de produire ensemble un effort stratégique. Il faut bien démarrer quelque part », explique l’entourage du président français, qui évoque l’urgence de « paramétrer » ce débat.

« Risque de rupture »

« Une conversation stratégique s’ouvre à Londres », admet le secrétariat général. Même critiquée ou niée par certains membres, la charge d’Emmanuel Macron a, de fait, relancé une question cruciale : les Européens pourront-ils faire de l’Union un véritable acteur stratégique, capable d’éviter des divergences croissantes avec Washington ? « Cette consolidation est un prérequis pour une véritable architecture transatlantique de sécurité, relève Sven Biscop, directeur à l’Institut Egmont de Bruxelles. Il n’y a, hélas, aucune garantie que l’Europe réussira à créer une politique étrangère plus souple. » D’où la question de cet expert : « L’OTAN, qui devrait encore durer quelques décennies, survivra-t-elle par conviction ou par inertie ? » Pour l’Europe, le choix est clair, souligne-t-il. Ou bien « elle acquiert effectivement le rang d’acteur stratégique et d’allié efficace des Américains, ou bien elle finira par être un simple supplétif de ceux-ci ».

Ce qu’a traduit, le 9 novembre, sur Twitter l’ambassadrice française à l’OTAN, Muriel Domenach : « Il n’y a pas d’alternative à un effort accru des Européens pour leur sécurité. Pas dans le but de remplacer l’OTAN, simplement parce que cela est obligatoire. Sauf si nous nous préparons à être l’enjeu d’autres rivalités stratégiques. »

Chercheur principal au centre d’études Carnegie Europe, Tomas Valasek évoque, dans un récent document, le « risque de rupture » de la relation Europe-Etats-Unis, comme la principale menace pesant sur l’organisation transatlantique, née, rappelle-t-il, d’un choix très réaliste des Etats-Unis : soutenir les Européens et assurer leur sécurité relevait aussi de leur propre intérêt.

Depuis, les sujets sécuritaires se sont multipliés pour une organisation qui, pendant quatre décennies, s’était concentrée uniquement sur la menace de l’Est. Le troisième défi, relève M. Valasek, est bien politique : tous les pays membres auront-ils la volonté de s’adapter collectivement au « monde instable » décrit par M. Stoltenberg ?

3 décembre 2019

Macron crispe les Européens

Isabelle Mandraud, Avec Nos Correspondants En Europe

Les opinions de l’Elysée sur la Russie, l’OTAN et l’UE font débat

Seul au monde, Emmanuel Macron ? Sur trois dossiers majeurs, le président français a provoqué une onde de choc chez ses partenaires européens. Sur l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), tout d’abord, lorsqu’il a décrit l’organisation en « état de mort cérébrale » dans un entretien, début novembre, à The Economist. Sur le rapprochement avec la Russie, ensuite, en appelant à « repenser la relation stratégique » avec Moscou, confirmant ainsi un tournant amorcé dès cet été, lors de la réunion des ambassadeurs à Paris. Sur l’élargissement de l’Europe, enfin, la France a mis son veto à l’ouverture de négociations avec la Macédoine du Nord et l’Albanie.

« J’assume », répétait encore M. Macron à la veille de l’ouverture du sommet de l’OTAN, qui doit s’ouvrir mardi 3 décembre, à Londres. Au-delà du manque de concertation dénoncé à la quasi-unanimité par des alliés agacés par la méthode, les avis, cependant, apparaissent plus nuancés sur le fond. « Il n’a pas tort, même quand il parle d’une Union européenne [UE] au bord du gouffre. Mais pourquoi s’exprime-t-il toujours de cette manière tellement française… », réagit un ambassadeur auprès de l’UE, résumant un propos souvent entendu à Bruxelles.

« On sent bien que, même si nous avons douloureusement résolu la crise grecque et conclu de la moins mauvaise façon la question migratoire, rien n’est vraiment réglé, poursuit le diplomate. La relation avec Washington, Moscou, Pékin ; la montée des forces populistes, sans doute temporairement endiguée… Oui, Macron a raison. Mais, s’il fait la course en tête, il pourrait bien se retourner un jour et voir qu’il a semé le peloton. »

Pendant ce temps, la relation franco-allemande bégaie. « Les prises de position d’Emmanuel Macron, autant que sa façon de les exposer, suscitent des inquiétudes », explique Norbert Röttgen, président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, en relevant « un fréquent décalage entre le ton fracassant du président français et le manque de substance de ses propositions ».

« Ton souvent disruptif »

Pour ce député, membre de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) d’Angela Merkel, les sorties de M. Macron répondent avant tout à des objectifs de politique intérieure : « On a l’impression qu’il veut montrer aux Français que c’est lui qui dirige l’Europe, et lance de nouvelles idées. Le problème, c’est qu’on a souvent du mal à savoir quelles sont précisément ces idées. Repenser la relation avec la Russie ? Pourquoi pas ? Mais pour aller où ? Et pour faire quoi ? »

Directrice de l’Institut de politique étrangère allemand, Daniela Schwarzer admet que « le ton souvent disruptif » de M. Macron bouscule la relation avec Berlin. « En Allemagne, précise-t-elle, tout le monde a vu un lien entre l’appel à redéfinir la relation avec la Russie, le non à l’élargissement de l’UE dans les Balkans et le diagnostic sur la mort cérébrale de l’OTAN. Du coup, beaucoup se sont dit que Macron voulait en fait aller beaucoup plus loin qu’il ne voulait le dire sur le rapprochement avec la Russie. »

En Europe centrale, la crispation que génère M. Macron se sent à ce genre de réaction : alors qu’un dirigeant d’un pays de la région discute, en off, de l’actualité avec des journalistes, le voici qui s’énerve brusquement en entendant un accent français dans le groupe. « Nous sommes très déçus de la position de Macron sur son blocage de l’ouverture des négociations d’adhésion à l’UE avec la Macédoine du Nord », lance-t-il, avec irritation. Ici, l’épisode du veto français a été largement vu comme l’expression d’un sentiment de supériorité associé à une forme de dédain pour l’Est typiquement français. Il a pourtant suffi que la France présente ensuite ses propositions de réforme sur la procédure d’adhésion pour détendre l’atmosphère.

Dans cette région, les déclarations sur l’OTAN ou le rapprochement avec la Russie ont suscité la controverse – sauf dans la Hongrie de Viktor Orban, ouvertement prorusse, qui a fait savoir qu’elle partageait une partie du constat. Pour Ivan Krastev, chercheur spécialiste de l’Europe centrale, interrogé par le quotidien autrichien Die Presse, « Macron a le bon instinct », il a « raison » de reconnaître que les Etats-Unis se désintéresseront de l’Europe même après le départ de Trump et de vouloir s’entendre avec la Russie. « Mais je ne vois pas de stratégie », critique-t-il.

A Varsovie, le commentaire le plus souvent répandu est que « Emmanuel Macron veut pousser les Etats-Unis hors d’Europe ».L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche n’a en rien changé la doctrine stratégique de la Pologne, qui fait reposer la défense du pays quasi exclusivement sur la relation « privilégiée » avec Washington. Dans ce contexte, « l’autonomie stratégique » prônée par la France a toujours été regardée de manière sceptique, et les experts remarquent que M. Macron ne fait qu’endosser les vieux habits de tradition gaullienne, tant décriés ici.

« Des paroles en or »

Ce n’est certes pas la première fois que le président français irrite le pouvoir ultraconservateur polonais mais, désormais, sur les bords de la Vistule, le soupçon affleure sur un désengagement français à peine dissimulé. « Nous voyons ici une menace pour la cohésion [de l’OTAN] provoquée, non par le manque d’engagements des Etats-Unis, mais de manière évidente, de la France », avançait récemment le ministre des affaires étrangères, Jacek Czaputowicz. Pour ne rien gâter, au même moment, Moscou se réjouissait de la description d’une OTAN moribonde. « Des paroles en or (…) une définition précise de l’état actuel de l’OTAN », s’est félicitée la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova.

Faut-il pour autant parler d’une crise de confiance au sein de la famille européenne ? « Je ne crois pas, répond Mme Schwarzer. Le séisme de ces dernières semaines ne doit pas faire oublier l’essentiel, à savoir la conviction partagée entre la France et l’Allemagne, qu’il faut travailler plus étroitement sur les grandes questions stratégiques ». Directrice de recherche au German Marshall Fund, Alexandra de Hoop Scheffer juge, pour sa part, « très cohérente » la position de M. Macron. « Il remet la politique au centre des institutions multilatérales qui nous lient aux autres Européens, aux Etats Unis ou à la Turquie. On a éludé toutes les grandes questions stratégiques, que pose Macron. Certes, il le fait de manière brutale, mais c’est sans doute la seule manière de secouer la routine institutionnelle ».

Après Londres, M. Macron devra convaincre sur sa position face à Moscou, lors du sommet prévu à Paris, le 9 décembre, sur l’Ukraine. Censé parvenir à une solution pacifique durable dans l’est de ce pays déchiré depuis 2014 par un conflit sanglant, la rencontre réunira, outre le président français, la chancelière allemande, Angela Merkel, le chef du Kremlin, Vladimir Poutine, et le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Un test plutôt risqué sur le rapprochement avec la Russie.

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