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Jours tranquilles à Paris
boris johnson
1 septembre 2019

Reportage - A Londres, des milliers de manifestants ont défilé contre un « abus de démocratie »

brexit55

Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

Ils ont dénoncé, samedi, la suspension du Parlement britannique par Boris Johnson, avec le sentiment de vivre un moment crucial pour l’avenir de leur pays.

« Cette fois, c’est différent, c’est notre démocratie qui est en jeu. » Pourquoi sont-ils descendus dans la rue par milliers, et ont-ils convergé une fois de plus devant Downing Street, ce samedi 31 août à midi ? Beaucoup de manifestants londoniens répondent la même chose : au-delà du Brexit et de la peur du « no deal », c’est la décision de Boris Johnson de suspendre le Parlement britannique pour cinq longues semaines, à une période cruciale dans l’histoire du pays, qui ne passe vraiment pas.

Helen Swaffield porte à bout de bras une pancarte avec un slogan tout simple « I love Parliament » crayonné au feutre rouge. La dame, une cinquantaine d’années, est avocate de profession. « Je suis remainer [partisane du maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne], mais je respecte le vote du référendum de 2016. Par contre, je ne respecte pas la prorogation [la décision de suspension de Westminster]. C’est un acte désespéré de notre premier ministre, il nous a fait des déclarations fausses pour couvrir ses réelles intentions. »

La Londonienne estime que Boris Johnson « agit en dictateur élu. Ce qu’il a décidé la semaine dernière, c’est sans précédent. Je suis attachée aux manifestations pacifiques, mais si cela ne marche vraiment pas, alors, oui, peut-être, il faudra bloquer les ponts et les routes. » Le mouvement « Momentum », proche du leader travailliste Jeremy Corbyn, a appelé l’avant-veille les Britanniques à la « désobéissance civique ». Samedi, quelques dizaines de ses militants ont bloqué brièvement le pont de Westminster. La police, discrète, a laissé faire. D’autres ont fait un sit-in à Trafalgar Square. En fin d’après-midi, la police confirmait cependant trois interpellations.

« Citoyens ordinaires »

Aleks, 56 ans, sans pancarte ni aucun sticker sur son tee-shirt orange, nous interrompt gentiment en désignant le panneau d’Helen : « Vous voyez, elle a été faite en carton d’emballage. Nous sommes des gens ordinaires. » Pas des militants. Aleks est lui aussi remainer, mais « c’est la première fois que je manifeste », nous assure-t-il. « Personne n’a voté pour Boris Johnson [propulsé à Downing Street après avoir été élu par les seuls tories à la tête du parti conservateur, le chef du parti qui commande une majorité au Parlement devenant, selon les institutions britanniques, premier ministre], mais la démocratie est en jeu, et ce qu’il a fait est un abus de démocratie. »

Une estrade a été montée, un peu plus loin sur Whitehall, la rue menant directement à Westminster, noire de monde. Laura Parker, une des coordinatrices de Momentum, y invite des « citoyens ordinaires », remainers, brexiters, à hurler leur colère au micro.

Dans la foule, trop loin pour entendre, Amy, 31 ans, brandit un « just No » sur sa pancarte. Elle est venue avec son compagnon et son petit garçon. La jeune femme ne pense pas que « les députés font forcément bien leur travail, mais ils doivent pouvoir faire entendre leur voix ». Elle essayera de revenir manifester la semaine prochaine. Une nouvelle mobilisation est prévue, devant Westminster, le 3 septembre, pour la rentrée parlementaire, après la trêve estivale. Les députés risquent de ne pas pouvoir siéger plus d’une toute petite semaine.

« Un moment crucial de notre histoire »

Clare, la trentaine, elle aussi « reviendra dans la rue la semaine prochaine, même si cela ne sert à rien », ajoute la jeune femme. Tom, la vingtaine, scande des « No one voted for Boris [personne n’a voté pour Boris] ! » avec son amie et le reste de la foule. « C’est la première fois que je participe à ces manifestations. Je suis OK pour que le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, mais là, ce qui se joue est différent, nous sommes à un moment crucial de notre histoire. »

Maggie et son mari Nick sont originaires de l’Essex, au nord-est de Londres. Ce sont des remainers convaincus, eux aussi défilent pour leur démocratie parlementaire. « Je devais manifester pour pouvoir regarder mes enfants dans les yeux », dit Maggie. Nick, professeur de français, compte sur John Bercow, le président de la Chambre des communes, pour aider les députés à faire entendre leur voix dans le faible laps de temps qu’il leur reste avant le 31 octobre, et malgré la suspension décidée par l’occupant de Downing Street. « Je crois qu’il le peut. » M. Bercow a traité d’« outrage constitutionnel » la suspension du Parlement décidée par M. Johnson.

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29 août 2019

Analyse - En suspendant le Parlement britannique, Boris Johnson aggrave la crise du Brexit

Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

La décision du premier ministre va drastiquement limiter la marge de manœuvre des parlementaires « comploteurs ».

College Green, le parc public qui fait face à Westminster, s’est très rapidement couvert de monde. Familles de vacanciers, députés, activistes, cadres tout juste sortis du bureau… Il est 17 h 30, mercredi 28 août, il fait encore beau à Londres, ils sont plusieurs milliers à s’être spontanément rassemblés dans ce lieu emblématique des manifestations anti-Brexit, face au Parlement britannique et ils scandent à pleine gorge : « Stop the coup ! Stop the coup ! Stop the coup ! [arrêtons le coup d’Etat !] ».

Le matin même, le premier ministre, Boris Johnson, a créé la surprise en annonçant la suspension du Parlement britannique pour cinq semaines, à partir de début septembre (entre le 9 et le 12) et jusqu’au 14 octobre, ne laissant plus aux députés qu’une petite semaine, début septembre, puis une quinzaine de jours, fin octobre, pour discuter d’un deal ou d’un « no deal » (Brexit sans accord) avant le couperet du 31 octobre.

Limiter la marge de manœuvre des « comploteurs »

Le but du premier ministre, qui répète tous les jours qu’il veut réaliser le divorce avec l’Union européenne (UE) dans les temps, paraît évident. Sa décision, qui a été approuvée par la reine dans l’après-midi, mercredi (la souveraine n’avait pas d’autre choix) va drastiquement limiter la marge de manœuvre des parlementaires « comploteurs », qui souhaitaient mettre à profit le mois de septembre pour faire dérailler un éventuel « no deal ». Ils ne pourront pas débattre du Brexit avant le 21 octobre, 10 jours avant l’échéance, ont calculé les médias britanniques…

Mardi 27 août, une centaine de députés dont des travaillistes, des Libdem, des Verts, des indépendantistes écossais et quelques transfuges de chez les conservateurs, avaient justement réussi à mettre leurs divisions de côté pour signer une « déclaration de Church House » afin de faire dérailler une sortie sans accord de l’UE.

« Il ne s’agit pas du tout d’empêcher les parlementaires de stopper un no deal », s’est défendu M. Johnson, mercredi. « Ils auront amplement le temps », en octobre, de débattre « de l’UE, du Brexit, et de tous les autres sujets d’actualité. » L’argument n’a pas franchement porté dans un pays qui a littéralement vu naître la démocratie parlementaire, et où la Chambre des Communes est couramment désignée comme la « mother of Parliaments » (« la mère des Parlements »).

Sa décision a au contraire suscité une très grosse émotion, logiquement, chez les députés, à un moment pourtant crucial de l’histoire nationale. Mais aussi chez tous les opposants au divorce avec l’UE et au « no deal », qui ont crié au déni de démocratie. Comment le Brexit, censé rendre leur souveraineté aux législateurs britanniques et les libérer du « joug » de la cour européenne de justice, a-t-il pu être dévoyé à ce point ?

Sans compter que ce premier ministre, fermant d’autorité le Parlement, n’a été élu par la population, mais désigné par moins de 180 000 adhérents conservateurs ? A en croire un sondage à chaud, mené par l’institut YouGov, mercredi, 47 % des personnes interrogées considéraient comme « inacceptable » une suspension du Parlement en pleine crise du Brexit, contre seulement 27 % estimant le contraire. La pétition « Do not prorogue Parliament », mise en ligne en fin d’après midi mercredi, avait dépassé le million de signatures en soirée.

« Il faut qu’on occupe le Parlement ! »

« Je suis folle de rage ! Ce Parlement est le nôtre, pas celui de Boris ! », hurle Eloise Todd, une trentenaire, dans un micro qui circule sur la pelouse de College Green. « Il compte sur le fait qu’on ne va pas bouger, qu’on va rester silencieux ! Mais on va se battre, jusqu’au bout, pour révoquer cette suspension ! », ajoute la militante anti-Brexit, habituée du lieu. Même colère chez Michael, un jeune cadre, qui explique « avoir passé la journée au bureau à trépigner » et « avait besoin de sortir, de manifester ce soir ». Car « ce qui est en jeu, c’est bien plus que le Brexit, c’est notre démocratie ! Il faut qu’on occupe le Parlement ! ». Debby, une cinquantenaire en short lui succède : « Boris dit vouloir défendre la démocratie en fermant le Parlement, vous y croyez, vous ? Noooon !!! »

Traditionnellement neutre, mais concerné au premier chef, John Bercow, le président de la Chambre des communes, a dénoncé « un outrage constitutionnel », car « il est parfaitement évident que l’objet de cette prorogation [suspension] est d’empêcher le Parlement de débattre du Brexit et de faire son devoir ». La décision de M. Johnson est « profondément antidémocratique », a pointé pour sa part Philip Hammond, l’ex-chancelier de l’Echiquier, conservateur comme le premier ministre, et notoirement opposé au « no deal ». Même réaction outrée de Lord Michael Heseltine, ex-député et figure respectée chez les conservateurs : « Un gouvernement qui a peur du Parlement a peur de la démocratie. J’espère que tous les députés, conscients de cette humiliation, vont utiliser tous les moyens légaux et les armes constitutionnelles pour bloquer [cette décision]. »

La suspension du Parlement est-elle légale ? Au-delà de l’émotion, la question était aussi sur toutes les lèvres mercredi. Dans un pays sans constitution codifiée, où les institutions se reposent sur la tradition pour fonctionner, la réponse n’a rien d’évident. « Cette [prorogation] suspension du Parlement n’est pas anticonstitutionnelle », estime Georgina Wright, experte du think tank Institute for government. « Il est dans les usages qu’un nouveau premier ministre convoque un nouveau Parlement en mettant fin à une cession parlementaire en cours. Mais en général, la prorogation ne dure pas aussi longtemps », ajoute l’experte. D’habitude, pas plus d’une semaine : il faut remonter à 1945, dans l’histoire récente du Royaume-Uni, pour trouver une suspension d’une telle durée.

Caractère « extraordinaire » de la décision

Très respectée, la constitutionnaliste Meg Russell a quand même pointé, au micro de la BBC, le caractère « extraordinaire » de la décision du premier ministre et marqué très nettement sa réprobation. « Le Royaume-Uni a toujours eu une constitution politique, non écrite. Mais cette constitution politique repose sur le fait que ses principaux acteurs respectent les traditions. A ignorer les précédents, spécialement en temps de crise, on peut dire que le premier ministre agit de manière inconstitutionnelle », a-t-elle expliqué.

Quelles seront, dans les jours qui viennent, les conséquences du « coup » de Boris Johnson ? Va t-il rajouter à la confusion nationale, la crise démocratique et politique se doublant désormais d’une profonde crise institutionnelle ? Et quid du rôle de la reine, traditionnellement au-dessus des partis, qui a bien pris garde jusqu’à présent de se laisser entraîner dans le tourbillon du Brexit ? Va-t-elle devoir prendre position ? Mercredi, Joe Swinson, la présidente des Libdem, et Jeremy Corbyn, le leader des travaillistes, ont réclamé une audience royale « urgente », pour empêcher la manœuvre du premier ministre.

La suspension annoncée va probablement galvaniser les opposants à un « no deal » et les opposants au Brexit, désormais conscients de l’extrême urgence à agir. Une première réplique, judiciaire, se dessinait dès mercredi soir. Quelques dizaines de députés remainers et des avocats, dont la militante anti-Brexit Gina Miller, comptaient, selon les médias britanniques, saisir la Haute Cour de justice britannique sur la décision de M. Johnson, espérant un barrage pur et simple.

Au Parlement, qui siégera à nouveau le 3 septembre après la pause estivale, une course contre la montre va également s’engager. Mardi, les députés d’opposition ne voulant pas d’un « no deal » s’étaient entendus sur une stratégie législative, une « prise de contrôle » de l’agenda parlementaire. Le but : amender une proposition de loi et obliger le gouvernement à réclamer à Bruxelles un décalage de la date du Brexit. La manœuvre avait déjà été tentée au printemps, avec succès, mais elle avait nécessité de longues semaines de tractations. Elle paraît désormais irréaliste, au vu du temps imparti.

Les commentateurs pariaient plutôt, ces dernières heures, sur l’organisation d’un vote de confiance contre M. Johnson. Les anti- « no-deal » avaient repoussé ce scénario à plus tard ces derniers jours, de peur, s’ils parvenaient à leurs fins, d’installer malgré eux Jeremy Corbyn au 10 Downing Street. S’ils s’en saisissent de nouveau, il s’agira de convaincre les députés conservateurs « remainers » (anti-Brexit), de s’y associer. Ce qui n’a rien d’évident : leur loyauté serait mise à rude épreuve dans un parti ou cette valeur est cardinale. Mais sans ces effectifs tory, les opposants à un « no deal » n’atteindront pas la majorité requise. « Il va devenir de plus en plus difficile pour des gens comme moi de conserver notre confiance dans ce gouvernement », a déclaré l’ancien procureur général Dominic Grieve, une des figures des conservateurs anti-Brexit.

Avec sa décision controversée, le premier ministre, souvent caricaturé comme un bouffon en Europe, a en tout cas démontré une étonnante détermination. Et un total cynisme. « Si les députés parviennent à faire aboutir un vote de confiance, la semaine prochaine, nous ne démissionnerons pas », assurait une source gouvernementale anonyme citée par le Financial Times, mercredi… « Nous dissoudrons le Parlement et appellerons à des élections générales entre le 1er et le 5 novembre. » Qui de Boris Johnson ou des parlementaires, des brexiters ou des opposants à un « no deal », gagnera la bataille ? Elle s’annonce en tout cas historique, et saignante.

26 août 2019

Boris Johnson prudent après les promesses d’un « très grand accord commercial » de Donald Trump

Par Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

Un accord avec Washington, qui n’a rien d’évident, risque d’avoir un coût politique, voire géopolitique, élevé.

Même stature imposante, même chevelure blonde, même aisance face aux caméras, l’humour en plus côté britannique… Donald Trump et Boris Johnson ont affiché leur proximité, dimanche 25 août au G7 de Biarritz, pour leur premier tête à tête depuis la désignation de M. Johnson au 10 Downing Street. L’enjeu était considérable pour ce dernier, qui répète quotidiennement que le divorce d’avec l’Union européenne (UE) aura bien lieu le 31 octobre, et qui a fait d’un renforcement de la « special relationship » avec les Etats-Unis le cœur de son argumentaire de « Brexiter ».

Pourtant, celui que Donald Trump, appelle sans rire le « British Trump » – « c’est un fantastique premier ministre », a t-il aussi ajouté à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) – a paru inhabituellement prudent. M. Trump lui a promis un « très grand accord commercial (…) plus grand qu’il n’y en a jamais eu » avec le Royaume-Uni, et ce, « sous un an ». Le Britannique a répondu que ce « fantastic deal » n’irait pas sans « quelques obstacles ».

Un peu plus tôt dans la journée, il avait souligné, auprès des médias britanniques, à quel point les Etats-Unis étaient encore fermés aux produits nationaux. « Je ne sais pas si les gens réalisent à quel point ils peuvent parfois être protectionnistes. Des discussions difficiles nous attendent car pour l’instant, je ne crois pas que nous vendions une seule pièce de mouton ou de bœuf aux Etats-Unis. »

Un accord qui n’a rien d’évident

M. Johnson ne l’ignore pas, ni les experts, les médias britanniques, et en partie son opposition travailliste, déjà en alerte : un accord avec Washington, n’a rien d’évident. Si tant est qu’il aboutisse, il risque en outre d’avoir un coût conséquent : politique, voire géopolitique.

D’un strict point de vue commercial, les intérêts des deux pays ne sont pas forcément alignés. Washington cherche surtout à vendre davantage de produits agricoles américains sur les marchés européens (et donc britannique), très protégés, alors que Londres espère un accès aux marchés publics américains, ultrafermés. « Un petit groupe de conservateurs britanniques pousse pour un accord avec les Etats-Unis. Mais leur posture est avant tout idéologique », souligne David Henig, directeur du European Centre for International Political Economy (ECIPE) à Londres. « Il n’y a que des gains économiques faibles à espérer d’un tel accord. Si M. Trump acceptait de lever le “Buy American act” [préférence pour les produits américains], au profit de Londres, cela changerait la donne. Mais c’est très improbable », ajoute l’expert.

Par ailleurs, comme l’a rappelé David Warren, ex-ambassadeur britannique au Japon, sur le plateau de Sky News dimanche, « il est bon qu’existe une bonne alchimie entre MM. Johnson et Trump [...] » mais « ce dernier ne peut conclure un accord seul, le Congrès américain a son mot à dire ». Or « il n’y a aucune chance qu’il approuve un accord avec le Royaume-Uni si le Brexit remet en cause le traité de paix en Irlande du Nord », avait prévenu la démocrate Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, mi-août. La menace est très claire pour M. Johnson, qui réclame aux Européens un abandon du « backstop », l’assurance contre le retour d’une frontière en Irlande, condition pour Bruxelles de la sauvegarde des accords de paix nord-irlandais.

L’UE, partenaire commercial loin devant les Etats-Unis

Enfin, un éventuel accord transatlantique ne compensera pas la facture probablement salée d’un no deal avec les Européens. Les Etats-Unis sont certes un partenaire conséquent du Royaume-Uni qui y exportait pour 100 milliards de livres de biens en 2016 (soit 110 milliards d’euros), selon l’office national des statistiques britanniques, mais pas le premier : c’est de loin l’UE, destinataire de presque la moitié des exportations nationales.

Dans la foulée du passage à Londres mi-août du conseiller à la sécurité de M. Trump, John Bolton, les médias britanniques ont aussi souligné le risque que M. Trump ne formule des exigences difficiles, pour le prix d’un accord. Le bannissement des produits du géant chinois des télécoms Huawei, par exemple ; l’abandon de la « taxe digitale » britannique, équivalent de la taxe digitale à la française, que le président américain considère comme une mesure « anti-américaine » ; voire un alignement sur la politique iranienne et russe de Washington. Emmanuel Macron a même osé évoquer, lors de sa rencontre avec M. Johnson le 22 août, un risque de « vassalisation » du Royaume-Uni vis-à-vis de Washington. Une expression dure très mal accueillie par les « Brexiters ».

Prudent, M. Johnson a cité, dimanche, lors d’un point presse commun avec le président du Conseil européen Donald Tusk, « l’Iran, la Russie, le libre-échange, Hongkong », comme autant d’exemples de la « proximité » de son pays avec l’UE. Et écarté l’ouverture du système de santé britannique, le NHS, véritable totem national, aux firmes américaines. « Nous avons une complète unanimité sur ce point [avec M. Trump] », a assuré le Britannique depuis Biarritz. Il lui faudra beaucoup de souplesse dans les mois qui viennent pour continuer à cultiver sa relation avec M. Trump, sans tourner complètement le dos à ses partenaires européens, ni affaiblir les intérêts nationaux de son pays.

24 août 2019

Enquête - Boris Johnson et sa famille, une drôle de dynastie

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Par Eric Albert, Londres, correspondance

Dans la famille Johnson, il y a Boris, le premier ministre britannique, partisan du Brexit. Mais aussi trois frères et une sœur… opposés à la sortie de l’UE. Rassemblés autour de leur père, ils forment un clan d’ambitieux où la solidarité l’emporte sur les désaccords et les blessures.

En avril 1968, Robert McNamara, ancien secrétaire américain à la défense, devient président de la Banque mondiale. Pour l’occasion, Stanley Johnson, haut gradé de l’institution basée à Washington DC, lui prépare un poisson d’avril, qu’il raconte encore, l’œil pétillant, cinquante ans plus tard.

« Il y a un code de couleurs pour les propositions de prêts. Les dossiers complets, à soumettre au comité d’approbation, sont en gris. J’ai donc fait une proposition de couleur grise concernant un prêt de 100 millions de dollars à l’Egypte pour développer le tourisme. A l’intérieur, je suggérais de faire construire… trois pyramides supplémentaires. Et, dans les bénéfices indirects du projet, j’expliquais que l’armée égyptienne serait si occupée par leur construction que cela garantirait la paix au Moyen-Orient. »

Surenchère dans l’absurde, Stanley Johnson précisait que le « retour sur investissement » de chaque pyramide serait « approximativement de 9,762 % ». Seul indice de la supercherie, sous des apparences très sérieuses : le dossier était daté du 1er avril. Le père de Boris Johnson, 79 ans, ne peut pas résister. S’il y a une blague à faire, rien ne l’arrête.

Entre les Kennedy et les Kardashian

Cette affaire a failli lui coûter son poste. Robert McNamara, qui avait d’abord discuté avec intérêt l’idée du prêt, n’avait guère goûté la plaisanterie une fois celle-ci comprise. Qu’à cela ne tienne, le Britannique a immédiatement rebondi, grâce à un partenaire de squash qui lui a décroché un emploi auprès de John Rockefeller III, alors l’homme le plus riche des Etats-Unis.

Il faut rencontrer le père du nouveau premier ministre du Royaume-Uni, qui a pris ses fonctions fin juillet sur la promesse d’un Brexit dur, pour commencer à comprendre le fils. Tout y est, avec un quart de siècle de plus. La touffe de cheveux blonds devenus blancs en bataille, le nez pointu, l’incapacité à répondre directement à la moindre question, une pointe de noblesse oblige, dû à un nom de famille qui, derrière le commun « Johnson », est, dans sa version intégrale, « de Pfeffel Johnson », donc lointainement aristocrate.

Et un besoin insatiable de faire un bon mot. Cette personnalité larger than life, ancien député européen, connue du grand public britannique, qui a passé une partie de son mois d’août à nager avec les requins au large de l’Australie, qui passe d’émissions de télé-réalité trash à de sérieuses discussions politiques, a un besoin primaire : être au centre de l’attention. On n’écrit pas deux autobiographies sans être un brin mégalo.

Stanley Johnson dans de « Je suis une célébrité, sortez-moi de là ! »

Il a aujourd’hui un nouveau rôle : il est devenu « First Father », comme il se surnomme, et il trône sur une dynastie politique. Les Johnson sont une famille politico-médiatique à mi-chemin entre les Kennedy et les Kardashian, avec un appétit dévorant du pouvoir et un goût insatiable de la publicité. Quatre des six enfants de Stanley Johnson, ceux issus de son premier mariage avec l’artiste Charlotte Fawcett, sont connus, connectés, mariés à d’autres personnalités incontournables dans les beaux quartiers londoniens. Ils aspirent aux feux de la rampe. Ils évoluent depuis leur naissance dans le monde à l’air raréfié de la haute société anglaise, avec sa stratégie habituelle : placer ses rejetons dans les meilleurs – et les plus chers – pensionnats privés.

« Il faut comprendre le système britannique, explique le patriarche patiemment. Pour des familles comme la mienne, c’est très simple : l’éducation des enfants est bien trop importante pour la laisser aux parents. L’évidence est de les envoyer dans les meilleures écoles. Ils vont ensuite dans les meilleures universités et ensuite ils ont de très bons emplois. S’il se trouve qu’ils ont choisi comme métier la politique, et que tout se passe bien, ils peuvent être premier ministre. » On lui fait remarquer que seuls 7 % des Britanniques passent par ces écoles privées, les autres ne pouvant pas se les offrir, et que ce modèle ne s’applique qu’à une petite frange de la population. « C’est bien ce que je veux dire. »

Le mardi 23 juillet, la vision du monde de Stanley Johnson se trouve confirmée. Ce jour-là, dans l’auditorium sans fenêtre du palais des congrès Queen Elizabeth II Centre, à deux pas de Westminster, où siège le Parlement, le résultat du vote pour la direction du Parti conservateur est sur le point d’être annoncé.

Trois têtes blondes sont assises au deuxième rang, juste derrière Boris Johnson, 55 ans : Stanley, le père incontournable ; Rachel, 53 ans, la sœur journaliste-politicienne, qui a travaillé pour le Financial Times, The Daily Telegraph ou l’Evening Standard, à la fois figure et chroniqueuse de la jet-set londonienne ; et Jo, 47 ans, le frère ministre-député conservateur, le plus cérébral de tous. Les trois Johnson se passent un gobelet en plastique rempli d’une boisson sucrée, tirant sur la paille multicolore. Il faut afficher son soutien, bien sûr, mais surtout se montrer. Etre là où se trouve l’événement, devant les caméras du monde entier.

Mariés à des personnalités en vue

Le plus égocentrique de tous, sur qui tous les regards se jettent, celui qui voulait être « roi du monde » quand il était petit, est bien sûr Boris, qui goûte enfin la récompense suprême en cette journée caniculaire de juillet. L’aîné de la famille a été tour à tour remarquable journaliste et fabricant de fausses informations (à Bruxelles, notamment), drôlissime chroniqueur et sinistre pourvoyeur de messages haineux, maire centriste de Londres et partisan de la droite dure pendant la campagne du référendum sur le Brexit.

Ses convictions instinctives, bien que mal définies, sont relativement claires : libéralisme économique et libéralisme sociétal. Mais le vrai fil rouge de sa vie, qui a tout guidé depuis le début, est bien plus simple : son ambition personnelle.

Le seul absent de la famille Johnson en ce jour d’intronisation, le seul à ne pas être d’une blondeur éblouissante – il est châtain très clair –, est le troisième de la fratrie, Leo, 51 ans. Il mène une brillante carrière comme associé au cabinet de consultants PricewaterhouseCoopers, en tant que spécialiste du développement durable. Il tente d’échapper à la vie publique (« Je suis né sans le gène de l’autopromotion », déclarait-il en 2013), même s’il présente une émission de radio. Stanley a eu deux autres enfants d’un deuxième mariage, mais ceux-ci évoluent dans d’autres cercles : Julia, une chanteuse discrète, et Maximilian, un homme d’affaires qui habite Hongkong.

« En gros, on est comme les rats. A Londres, vous n’êtes jamais à plus de quelques mètres d’au moins deux Johnson », concluait Rachel en 2017, dans un de ses articles. Tous partagent leur vie avec des personnalités en vue. Jo vit avec Amelia Gentleman, une influente journaliste du Guardian ; Leo partage sa vie avec Taies Nezam, une Afghane qui travaille à la Banque mondiale ; Rachel est mariée à Ivo Dawnay, descendant d’une vieille famille noble anglaise, journaliste et écrivain.

Soif de célébrité

Quand on a dit à Rachel qu’on allait écrire un article sur sa famille, elle n’a pas pu s’empêcher un trait d’humour : « Assurez-vous que les photos de moi soient flatteuses. C’est tout ce qui m’intéresse. » Il s’agit évidemment d’une blague. Comme son père et ses frères, Rachel est redoutablement intelligente, vive et ambitieuse. Mais elle est aussi très sincère. La soif de célébrité est évidente. « Je dois me rendre à l’évidence, je suis aujourd’hui surtout connue pour être la sœur de Boris », lâchait-elle en soupirant lors d’une longue interview qu’elle nous avait accordée en novembre 2018.

Elle a écrit une demi-douzaine de romans, est chroniqueuse multicarte dans de nombreux journaux britanniques, a été une participante de l’émission de télé-réalité « Celebrity Big Brother » (un « Loft Story » pour célébrités) et a de quoi s’assurer un prénom. « C’est difficile d’avoir une existence propre parce que [Boris] est cette figure publique incontournable. Ce n’est pas facile, mais je l’aime. C’est ça, la famille. C’est toujours difficile. » Son mari, Ivo Dawnay, l’a confirmé à sa façon un jour dans un entretien : « Etre marié à une Johnson, c’est comme adopter une famille de chiots qui font beaucoup de bruit, qui sautent partout et dont la queue a tendance à faire tomber les objets délicats des tables. »

« An enormous catastro-fuck ! »

L’union sacrée de ce clan de pouvoir est pourtant mise à mal par le Brexit. A l’exception de l’actuel premier ministre, tous ont fait campagne pour rester dans l’Union européenne. Après le référendum, Rachel a rejoint le Parti des libéraux-démocrates, puis Change UK, deux partis à la pointe de la lutte contre le Brexit. Elle a même été candidate – malheureuse – à la députation européenne en mai, pied de nez évident à son frère, tout en évitant de le critiquer directement. Son point de vue sur le Brexit ? « It’s just an enormous catastro-fuck ! » Ça se passe de traduction.

Jo (qui a refusé de nous recevoir) a démissionné avec fracas de son poste de ministre en novembre 2018. Il s’opposait alors à l’accord proposé par la première ministre, Theresa May, pour sortir de l’Union européenne, et revendiquait… un deuxième référendum sur le Brexit, afin d’annuler le résultat du premier. Dans un article, il avertissait directement Boris des dangers du « no deal », une sortie de l’UE sans accord : « Mon message à mon frère et à tous les militants du Brexit est qu’infliger de tels dommages économiques et politiques au pays laisserait une impression indélébile d’incompétence dans l’esprit du grand public. »

« J’ÉTAIS UN EURO-ENTHOUSIASTE, ET LE TRAVAIL DE MON FILS EST DE DÉFAIRE LES LIENS AVEC L’EUROPE. » STANLEY JOHNSON

Quant au père, Stanley, il a consacré vingt ans de sa vie à la construction européenne. En 1973, quand le Royaume-Uni est devenu membre de la CEE, il a fait partie des tout premiers fonctionnaires européens britanniques. « J’étais chef de cabinet pour l’environnement et les nuisances », se rappelle-t-il dans un excellent français. En 1979, lors des premières élections au Parlement de Strasbourg, il devient député sous l’étiquette du Parti conservateur, qui était alors favorable à la construction européenne.

Alors, quand son fils est devenu premier ministre, Stanley Johnson était déchiré. « J’étais personnellement très content. Combien de pères ont vu leur fils devenir premier ministre ? Mais il y avait aussi une certaine ironie. J’étais un euro-enthousiaste, et le travail de mon fils est de défaire les liens avec l’Europe. »

Ces trois dernières années ont aussi été très douloureuses pour Rachel. Le 24 juin 2016 au matin, quand le résultat du référendum sur le Brexit a été connu, elle se trouvait à Nice, de retour d’une conférence sur la publicité. « Je me souviens qu’en traversant l’aéroport, rempli de représentants du monde de la publicité, des médias, de l’industrie du film, les gens s’écartaient de moi. C’était comme la mer Rouge qui s’ouvrait. Certains pleuraient. Personne ne m’adressait la parole après ce que mon frère avait fait au continent. J’étais très très triste. » Aujourd’hui, le cœur gros, elle demande une seule chose : « Play the ball, not the man. » En français : « Attaquez les idées, mais pas la personnalité de mon frère. »

Dans les faits, difficile de faire plus européens que les Johnson. La famille a passé de longues années à Bruxelles, quand Stanley était haut fonctionnaire puis député. En 1973, quand sa femme s’inquiétait de trouver une école en Belgique pour ses enfants, Stanley s’écriait, comme une évidence : « Ils peuvent aller à l’école européenne et devenir de bons petits Européens. »

La mère de Stanley était à moitié française, ce qui fait que le premier ministre britannique qui mène le Brexit est à un huitième français. Deux ou trois générations en arrière, on trouve des particules françaises et allemandes, des racines juives, musulmanes et chrétiennes, un ministre de l’intérieur du sultan de l’Empire ottoman, le traducteur anglais de Thomas Mann… En remontant quelques générations de plus, les Johnson deviennent même de vagues cousins d’Elizabeth II par le biais de leurs origines allemandes. Les quatre enfants parlent tous français couramment.

Jo dans les coulisses du pouvoir

A moins que la dispute autour du Brexit ne soit qu’une formidable mise en scène. Que derrière les apparentes frictions, les Johnson jouent un jeu de pouvoir où l’ambition dépasse la bataille des idées. « Ce qui compte pour eux est d’être au centre de l’attention, au cœur du pouvoir, et la raison en est finalement relativement secondaire », estime un ancien député conservateur qui les connaît bien.

Un ancien ministre, aujourd’hui député conservateur, qui a travaillé avec Boris et avec Jo, abonde. « Jo est en adoration devant son frère. Quand il a quitté le gouvernement de Theresa May, ça arrangeait bien Boris. Sa démission a profondément déstabilisé la première ministre. Je suis sûr que Jo avait consulté Boris avant de prendre cette décision. »

Le petit frère est aujourd’hui récompensé. Il a été nommé par son aîné secrétaire d’Etat au sein du département des affaires, de l’énergie et de la stratégie industrielle et du département de l’éducation. Avec le droit exceptionnel d’être présent au conseil des ministres. Dans la tempête qui a accompagné l’arrivée de Boris Johnson au 10 Downing Street, la nomination familiale n’a guère causé de remous. Pire encore, en acceptant de faire partie du gouvernement, Jo a dû promettre de soutenir une potentielle sortie de l’Union européenne sans accord, le fameux « no deal ». Aurait-il la mémoire courte ? ou ambitionnerait-il un jour de succéder à son grand frère ? Très prudent, il évite les interventions dans la presse, préférant jouer un rôle actif dans les coulisses du pouvoir.

Et que dire de l’omniprésence de Stanley ? A chaque discours important, à chaque tournant dans la carrière de ses fils, le père se montre. Quand Jo a démissionné, donnant une série d’interviews, son père était présent. On l’aperçoit sur une photo, à l’arrière-plan, devant la BBC. Quand Boris a lancé sa campagne pour être premier ministre, il était également là.

« STANLEY LEUR A INCULQUÉ CE SENS DE LA CONCURRENCE, DE TOUJOURS VOULOIR ÊTRE LE MEILLEUR, LE PREMIER. » SONIA PURNELL, BIOGRAPHE

« Les Johnson forment un clan, à la fois resserré et ultracompétitif », explique Sonia Purnell, auteure d’une biographie très fouillée de Boris Johnson (Just Boris. A Tale of Blond Ambition, édition Aurum Press, 2012, non traduit). « Stanley leur a inculqué ce sens de la concurrence, de toujours vouloir être le meilleur, le premier. Mais il n’y a pas de valeurs centrales. Ce qui compte est de gagner. »

Les Johnson, un clan organisé collectivement à la poursuite du pouvoir ? Stanley lève les yeux au ciel. « Ah, le mythe qu’il y a de grandes réunions de la famille Johnson ! On est tous tellement pris… On arrive parfois à se réunir dans le Somerset, où j’ai une ferme, mais on ne se voit pas souvent. Et on ne se met certainement pas d’accord entre nous sur la ligne officielle à tenir. » Il assure nous rencontrer sans en avoir informé son fils aîné. Rachel confirme. « Tout le monde me demande à quoi ressemblent les déjeuners du dimanche chez les Johnson. Eh bien, je vais vous dire : on ne parle pas du Brexit, parce que ça deviendrait juste trop tendu. Et puis ce ne serait pas juste, parce qu’on serait tous ensemble contre Boris. Ce serait du harcèlement ! »

Profonde dépression

Comme bien des familles de ce genre, il y a pourtant une immense déchirure à l’origine. L’indice se trouve dans un dessin d’enfants encadré sur une table basse du salon de Rachel Johnson. En feutres de couleurs, d’une écriture enfantine – fautes d’orthographe comprises –, le message est un mot d’excuses : « Mama, we are sory that we were so bad to day » (« Mama, on est désolé d’avoir été méchants aujourd’hui »). Signé : Leo, Rachel et Alexander. Jo était trop petit pour participer. Alexander Boris de Pfeffel Johnson était encore « Al », pour sa famille, bien avant de s’inventer son personnage de bouffon échevelé et de préférer son deuxième prénom. La famille habitait alors Bruxelles et la journée avait visiblement été difficile pour la mère.

Ces années-là ont été une tempête permanente. Charlotte, artiste-peintre, qui avait rencontré Stanley à l’université d’Oxford, souffrait d’une profonde dépression et de troubles obsessionnels compulsifs. « J’étais devenu phobique, a-t-elle expliqué au magazine britannique Tatler en 2015, dans une rare interview. J’étais terrifiée par toute forme de saleté. » Elle passe de longs séjours internée à l’hôpital de Maudsley, à Londres.

« N’OUBLIEZ PAS DE MENTIONNER MA MÈRE. ELLE EST UNE FEMME FORMIDABLE QUI NOUS A DONNÉ LE PEU D’HUMANITÉ QU’ON A EN NOUS. » RACHEL JOHNSON

Il faut dire que la vie qu’elle mène avec Stanley est chaotique. Le couple a quatre enfants en bas âge et déménage trente-deux fois en quinze ans : New York, Washington, Londres, Bruxelles… Et puis Stanley n’est pas l’homme qu’elle pensait connaître. « Les choses étaient difficiles avec [lui], poursuit-elle dans Tatler. Je croyais que j’avais épousé un poète, mais il s’était mis à s’intéresser à l’environnement, il voyageait beaucoup, il aimait ça, et puis un cher ami m’a parlé de ça… » « Ça », ce sont les maîtresses de Stanley, qui collectionne les infidélités. Son fils Boris, récemment divorcé pour la deuxième fois et père d’un ou deux enfants illégitimes (il en a reconnu un, pas l’autre), semble reproduire la même attitude des décennies plus tard.

La période est ardue. Deux jeunes filles au pair s’occupent des enfants Johnson. Stanley et Charlotte divorcent en 1979. Dans ses deux autobiographies, qui s’étirent sur quelque sept cents pages, Stanley en consacre tout juste trois à la rupture. L’introspection n’est pas vraiment son fort. « C’était une enfance étrange, difficile, explique Sonia Purnell, la biographe de Boris Johnson. Les parents étaient très absents. Les enfants semblent tous avoir des symptômes d’un trouble de l’attention. »

Charlotte se remettra progressivement, se remariant à un Américain et passant de longues années aux Etats-Unis. Aujourd’hui veuve, diagnostiquée dès l’âge de 40 ans de la maladie de Parkinson, elle se déplace avec difficultés et ne s’exprime que rarement dans les médias. Elle occupe une place énorme, non dite, dans l’histoire de la famille. « N’oubliez pas de mentionner ma mère, confie Rachel. Elle est une femme formidable qui nous a donné le peu d’humanité qu’on a en nous. »

Lutte des classes

A l’université d’Oxford, Annabel Eyre a partagé une maison avec Rachel Johnson entre 1986 et 1988. Trente ans plus tard, elle se souvient du clan Johnson comme très uni. « Les frères et sœur étaient vraiment proches. Boris passait souvent et il était charmant. Je me rappelle que Rachel pouvait être très maternelle envers les plus jeunes, et Boris était très paternel avec Rachel. » Stanley passait de loin en loin. Lui était clairement le modèle que suivaient les enfants. « Rachel était extrêmement ambitieuse. Boris aussi, bien sûr, mais il le dissimulait mieux. Il était toujours affable alors que sa sœur pouvait être intimidante quand elle le voulait. »

L’apport de Stanley à ses enfants est d’avoir su les pousser dans le monde. De les avoir fait intégrer le pensionnat d’Eton, le plus huppé de tous, puis l’université d’Oxford. Car, comme toute histoire anglaise, la vérité ne serait pas complète sans une question de lutte des classes. Les Johnson ne sont pas vraiment une famille upper class. Ils n’ont pas de fortune familiale, ne descendent pas d’une grande lignée noble issue de Guillaume le Conquérant et n’ont pas de château ancestral où se réunir, mais une ferme spartiate dans la région d’Exmoor (dans le sud-ouest du pays).

Bien sûr, leurs ancêtres sont souvent prestigieux et faisaient partie de l’élite. Mais, pour arriver à leur position, les Johnson ont toujours dû se battre. Boris est entré à Eton avec une bourse. Rachel et Jo ont gravi les échelons du Financial Times, où ils ont commencé tous les deux leur carrière, avant de vraiment décoller. La compétition permanente instaurée par Stanley, sous de faux airs de bonhomie, vient de cette ambition-là.

Mimiques et bons mots

A la rancœur sociale, l’élitisme, l’intelligence aiguë et la brisure intime, il convient enfin d’ajouter l’indispensable liant : l’humour. Ou plus exactement, le (faux) sens de l’autodérision. La blague de Stanley sur les pyramides égyptiennes l’illustre parfaitement. Plus tard, l’homme a consacré une large partie de sa carrière à la lutte contre la surpopulation et il a écrit six livres sur le sujet. « Un livre par enfant que j’ai eu ! », pouffe-t-il, conscient de l’évidente contradiction.

De même, l’actuel premier ministre s’est fait un nom grâce à son humour. Ses mimiques et ses bons mots, notamment dans des émissions de télévision satiriques sur l’actualité, ont largement contribué à sa popularité. Aujourd’hui, l’homme divise fortement, est comparé à Donald Trump, flirte parfois avec l’extrême droite, mais, pendant des décennies, il a réussi le tour de force d’unir gauche et droite en mettant les rieurs de son côté. « Dans notre enfance, je me souviens qu’on passait l’essentiel de notre temps à essayer de se faire rire », assure Rachel. Aujourd’hui, alors que l’aîné précipite son pays vers un Brexit sans accord, aux conséquences sans doute catastrophiques, le légendaire humour des Johnson est peut-être hors de propos.

23 août 2019

Boris Johnson

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23 août 2019

ANALYSE - Boris Johnson tourne à vide vers le «hard Brexit»

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Lors de la rencontre avec le Premier ministre, Boris Johnson, jeudi à Paris, le président Macron est resté ferme concernant les négociations sur le Brexit. Photo Albert Facelly 

Le Premier ministre britannique, reçu jeudi à Paris par Macron, enchaîne les fins de non-recevoir plus ou moins polies de la part des dirigeants politiques européens. Malgré les négociations, chacun semble se préparer à la perspective du «no deal».

  Boris Johnson tourne à vide vers le «hard Brexit»

Les chances d’un «hard Brexit», une sortie de l’Union européenne sans accord, «sont de l’ordre d’un pour un million», prophétisait le 29 juin un Boris Johnson alors encore candidat à la direction du Parti conservateur. Le «no deal» semble pourtant de plus en plus proche. «Tous les éléments objectifs sont là, note Aurélien Antoine, professeur de droit public à l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne et directeur de l’Observatoire du Brexit. Les reports de la date de sortie, l’arrivée au pouvoir de Boris Johnson, le recrutement de douaniers en France, le rappel des fonctionnaires britanniques de Bruxelles : d’un côté comme de l’autre, on s’y est préparé.»

A deux jours du G7 auquel il doit participer, le Premier ministre britannique a rencontré jeudi le président français à Paris. La veille, il s’était entretenu avec Angela Merkel, laquelle avait laissé entrevoir une possible négociation d’un nouvel accord «dans les trente prochains jours». Face à Emmanuel Macron, le nouveau locataire du 10, Downing Street a une nouvelle fois tenté d’imposer sa vision du Royaume-Uni et du Brexit, martelée à outrance sur Twitter : «Nous allons quitter l’UE le 31 octobre et faire de ce pays le meilleur au monde pour y vivre», assénait-il encore mercredi sur le réseau social.

«Marge de manœuvre»

«Je veux un accord. Je pense que nous pouvons avoir un accord et un bon accord», a répété Boris Johnson jeudi en s’adressant à Emmanuel Macron. Lequel, malgré un ton plus conciliant, est resté droit dans ses bottes. S’il affirme croire à la possibilité «de trouver quelque chose d’intelligent», le président français s’était la veille montré très clair : «La renégociation dans les termes proposés par les Britanniques n’est pas une option qui existe. Et cela a toujours été affirmé très clairement par [le négociateur de l’UE, Michel Barnier].» Dans les faits, Johnson ne dispose «d’aucune marge de manœuvre par rapport à la ligne qu’il s’est fixée», dit Aurélien Antoine. A dix semaines de la date butoir, chacun est campé sur ses positions, loin des grands «compromis» qu’espérait Boris Johnson.

Les discussions entre Bruxelles et Londres semblent actuellement dans l’impasse, tant les deux conceptions du Brexit s’opposent. La principale pierre d’achoppement demeure le backstop : ce filet de sécurité défendu par la Commission européenne prévoit que le Royaume-Uni tout entier reste dans un «territoire douanier unique» avec l’UE. Objectif : éviter le retour d’une frontière physique entre l’Eire et l’Irlande du Nord, afin de préserver les accords de paix de 1998. Le mécanisme est prévu dans l’accord conclu en novembre 2018 avec l’UE par la prédécesseure de Johnson, Theresa May. Or ce fameux accord a déjà essuyé trois rejets par le Parlement britannique.

«L’Union européenne a longuement négocié avec le Royaume-Uni pour obtenir un accord de retrait, a martelé jeudi Emmanuel Macron aux côtés du Premier ministre britannique. Les éléments clés de celui-ci, comme le backstop, sont des garanties indispensables à la préservation de la stabilité en Irlande et l’intégrité du marché unique.»

«Fausse offre»

Farouchement opposé au backstop, Johnson a affirmé qu’il y avait «des solutions techniques aisément disponibles» pour résoudre l’épineuse question irlandaise, sans en démontrer la faisabilité. «Depuis qu’il est arrivé au pouvoir en juillet, Boris Johnson prétend être prêt à négocier, explique Pauline Schnapper, coauteure d’Où va le Royaume-Uni ? Le Brexit et après et professeure de civilisation britannique à l’université Sorbonne-Nouvelle. Mais en pratique, ce n’est qu’une fausse offre de négociation. Il souhaite que l’idée du backstop soit abandonnée, ce qui est inconcevable pour les Européens : il n’y a tout simplement pas de solution pour le remplacer. C’est un véritable dialogue de sourds.»

Dans une missive publique adressée mardi au président du Conseil européen, Donald Tusk, le Premier ministre britannique jugeait le backstop «antidémocratique». Défenseur depuis toujours d’un Brexit à tout prix, Boris Johnson y voit une potentielle perte de souveraineté du Royaume-Uni qui obligerait le pays, une fois le divorce prononcé, à se plier aux règles commerciales européennes. «Ceux qui sont contre le backstop sans proposer d’alternative réaliste soutiennent en réalité le rétablissement d’une frontière. Même s’ils ne l’admettent pas», lui a rétorqué Tusk.

Les deux hommes doivent d’ailleurs évoquer le sujet dimanche à Biarritz, à l’issue du G7. Un sommet où Boris Johnson est aussi vivement attendu par le président américain, avec qui il doit négocier un futur accord de libre-échange. Et ce à l’aune d’un hard Brexit qui se profile et dont Donald Trump est un fervent partisan, mais qui plongerait le Royaume-Uni dans une situation économique difficile pendant des mois, voire des années. Valentin Cebron

boris22

11 août 2019

Dominic Cummings, le conseiller de Boris Johnson qui électrise le Brexit

Par Jean-Baptiste Chastand

Issu de la plus pure tradition des conseillers en communication anglo-saxons, l’homme de 47 ans a obtenu, en quelques semaines, un niveau de pouvoir inédit.

Il se balade en permanence avec un sac en toile siglé « Vote Leave », la campagne pour le Brexit qu’il a menée avec succès en 2016. En quelques jours, Dominic Cummings, 47 ans, est devenu le personnage central du débat politique dans un Royaume-Uni divisé qui se demande ce que Boris Johnson est en train de préparer pour réaliser le Brexit d’ici au 31 octobre, « quoi qu’il arrive », comme il l’a promis le jour de sa nomination, le 24 juillet. Officiellement simple conseiller à Downing Street, ce proche du Parti conservateur fait figure de véritable stratège de M. Johnson pour organiser un Brexit le plus brutal possible.

Plusieurs articles présentent cet europhobe historique – il avait déjà milité contre l’adoption de l’euro au tournant des années 2000 – comme le véritable directeur de cabinet du premier ministre. Lors d’une réunion matinale, cet homme volontiers arrogant et cassant aurait par exemple directement menacé les équipes du gouvernement de représailles en cas de fuites dans la presse.

Diplômé d’Oxford, fan de Bismarck, ce graphomane qui n’avait plus vraiment d’influence depuis 2016 rédigeait des posts de blog touffus avant de rejoindre Boris Johnson. Dans le dernier, publié en juin, il se demandait comment « s’échapper du cauchemar [de la gestion du Brexit par Theresa May] et faire passer le gouvernement de l’absence d’espoir à la haute performance ».

« Spin doctor »

Issu de la plus pure tradition des spin doctors (conseillers en communication) anglo-saxons, celui-ci a obtenu, en quelques semaines, un niveau de pouvoir inédit.

« Nous avons déjà eu des chefs de gouvernement qui étaient très proches de leurs conseillers, mais jamais de personnes qui semblent autant contrôler le travail des ministres. Il se comporte comme un vice-premier ministre. C’est comme si le Royaume-Uni était gouverné par quelqu’un qui n’a pas été élu », s’inquiète Tim Bale, professeur de science politique à l’université Queen Mary, à Londres.

Cet ultrabrexiter serait surtout en train de manœuvrer pour sauver le Brexit d’élections anticipées, désormais de plus en plus probables. Depuis une élection partielle organisée le 1er août, la majorité des conservateurs à Westminster ne tient en effet plus qu’à un siège. Il suffit désormais qu’à la rentrée parlementaire, prévue début septembre, quelques députés conservateurs pro-Union européenne (UE) s’allient aux travaillistes et aux indépendantistes écossais pour faire tomber Boris Johnson.

S’il renverse Boris Johnson, le Parlement aura ensuite quatorze jours pour élire un autre premier ministre, ce qui n’aura rien d’évident compte tenu des tendances politiques disparates de l’opposition. En cas d’échec, M. Johnson serait ensuite tenu de convoquer de nouvelles élections.

Dans un pays dépourvu de Constitution à proprement parler, le conseiller star a conçu un plan pour forcer le Brexit : le premier ministre pourrait faire en sorte de n’organiser de scrutin anticipé qu’après le 31 octobre, histoire de faire sortir le Royaume-Uni de l’UE – avec ou sans accord –, et ensuite faire campagne sur le thème « Johnson, l’homme qui a réalisé le Brexit ». Le chef du gouvernement et son spin doctor semblent considérer que c’est la seule façon de faire revenir vers les conservateurs les électeurs déçus qui se sont reportés vers le Parti du Brexit de Nigel Farage.

Perspective d’un « no deal »

Le ministre de la santé Matthew Hancock a confirmé qu’il estimait que Westminster n’était désormais plus en mesure de bloquer le « no deal »…

A la limite de la légalité, ce projet ferait fi d’une institution au cœur de la démocratie britannique. Il a été, à ce titre, vivement contesté par les partisans du maintien dans l’UE.

Dominic Grieve, député conservateur pro-UE, a fustigé le plan Cummings, qualifié « de mélange de son arrogance et d’ignorance », en menaçant de s’entendre avec l’opposition pour former un gouvernement alternatif. Des députés prévoiraient déjà de voter des motions pour siéger en continu et tout faire pour éviter ce passage en force.

« Forcer un Brexit sans accord à l’encontre du Parlement et refuser aux électeurs de choisir dans une élection, serait un abus de pouvoir inconstitutionnel et antidémocratique sans précédent », a défendu Jeremy Corbyn, le patron du Labour, vendredi 9 août. Un des proches du leader travailliste a même assuré qu’il était prêt à aller jusqu’à demander à la reine Elizabeth II de forcer Boris Jonhson à quitter Downing Street.

Fuyant les médias, Dominic Cummings a été brièvement filmé par les caméras de la chaîne Sky News à la sortie de son domicile, jeudi matin ; il portait son immuable sac en toile.

« Le premier ministre pense que les responsables politiques doivent se soumettre » au résultat du référendum de 2016 sur le Brexit, a expliqué le conseiller, remettant en cause la capacité des parlementaires britanniques à trancher le destin du pays.

M. Cummings avait déjà refusé de venir témoigner de ses activités pendant la campagne sur le référendum devant la Commission d’enquête sur les « fakes news », signe de son manque de foi dans la démocratie parlementaire.

« Je ne pense pas que je suis arrogant, a-t-il répondu à Dominic Grieve avant de s’engouffrer dans sa voiture. Nous verrons sur quoi il a raison. » Une manière de ne pas démentir ses plans qui consisteraient à déclencher, selon Will Hutton, professeur à Oxford, proche de la gauche, « la pire crise constitutionnelle depuis trois cent cinquante ans ».

2 août 2019

Face au risque du « no deal », la livre sterling proche du plus bas niveau de son histoire

Par Eric Albert, Londres, correspondance

La banque d’Angleterre abaisse sa prévision de croissance mais prévoit un rebond en cas d’accord sur le Brexit.

« Le pound est désormais un nanogramme. » La blague, jeu de mot entre le nom de la livre sterling en anglais et l’unité de mesure de poids, tourne sur les réseaux sociaux. Elle résume la glissade continue de la monnaie anglaise depuis l’arrivée de Boris Johnson à la tête du Royaume-Uni. Le premier ministre britannique affirme haut et fort qu’il se prépare à une sortie de l’Union européenne (UE) sans accord (« no deal »), même si son objectif officiel reste de trouver un compromis.

La livre sterling, déjà fortement dévaluée depuis le référendum de juin 2016, a réagi en se retrouvant proche des plus bas niveaux de son histoire. « Nous sommes à 2 % du plus bas historique face à un panier de devises et il n’en faudra pas beaucoup pour nous y emmener », explique Jordan Rochester, stratégiste à Nomura, une banque japonaise.

Face à l’euro, la livre est à 1,09, en baisse de 7 % sur trois mois, quand la victoire de M. Johnson a commencé à se préciser. Depuis janvier 2016 et le début de la campagne du référendum, le recul est de 15 %. La chute est la même face au dollar.

Jeudi 1er août, à trois mois de la date prévue pour le Brexit, le 31 octobre, la Banque d’Angleterre a revu à la baisse sa prévision de croissance, à + 1,3 % pour 2019 et 2020. Elle estime qu’il y a une chance sur trois que le produit intérieur brut (PIB) britannique soit négatif au premier trimestre de 2020. Et encore cette projection est-elle basée sur la possibilité d’un accord avec l’UE.

Pas de panique

En cas de « no deal », Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, esquisse un scénario beaucoup plus brutal : « La livre baisserait probablement (…) et la volatilité augmenterait. Les préparatifs du gouvernement et des entreprises pour réduire les conséquences négatives sont essentiels (…) mais ils n’éliminent pas l’ajustement économique que provoquerait cette nouvelle relation commerciale. L’inflation augmenterait probablement et la croissance ralentirait. »

En 2018, la Banque d’Angleterre avait estimé qu’un « no deal » provoquerait une perte de PIB située entre quatre et huit points, selon les scénarios. Dans ce cas, Jordan Rochester prévoit que la livre sterling serait proche de la parité avec l’euro.

Le ton de la conférence de presse de la Banque d’Angleterre, jeudi, n’était pourtant pas alarmiste. Celle-ci n’a d’ailleurs pas suivi la Réserve fédérale américaine (Fed, banque centrale), qui a baissé ses taux d’un quart de point mercredi. Elle a choisi de conserver son taux directeur à 0,75 %.

Officiellement, l’institution monétaire britannique continue à prévoir un accord sur le Brexit, puisqu’il s’agit de la politique officielle du gouvernement. Un compromis avec l’UE permettrait même un rebond de la croissance. « Une partie des investissements perdus [depuis le référendum de 2016] ne sera pas rattrapée, mais il y a effectivement des réserves en attente », estime M. Carney.

L’investissement des entreprises ralentit

Le paradoxe du Brexit, qui n’a toujours pas eu lieu trois ans après le référendum, est que ses effets, bien que réels, sont pour l’instant limités. Le chômage est au plus bas au Royaume-Uni depuis 44 ans, à 3,8 % de la population active et la consommation des ménages se maintient à un niveau moyen.

L’attente du Brexit provoque en revanche d’étranges yoyos. Au premier trimestre, craignant un « no deal » le 29 mars, date initiale du Brexit, les entreprises avaient accumulé les stocks, dopant artificiellement la croissance à + 0,5 %. Au deuxième trimestre, elles les ont écoulés, affaiblissant artificiellement la croissance, qui était sans doute de zéro, selon l’estimation de la Banque d’Angleterre.

Pour l’instant, le véritable effet économique du divorce s’est fait sentir à deux niveaux. D’abord, la violente chute de la livre sterling après le référendum a automatiquement renchéri les prix à l’importation. Dans un pays qui importe 30 % de ce qu’il consomme, cela a provoqué une poussée d’inflation à 3 % fin 2017. Les dépenses des ménages en ont souffert. Depuis, la monnaie s’est stabilisée, jusqu’à la glissade de ces derniers mois, et l’inflation est revenue à 2 %.

Le deuxième effet, dont l’impact est plus lent mais plus profond, vient de l’investissement des entreprises, qui a nettement ralenti. Difficile de se lancer dans la construction d’une nouvelle usine ou dans l’acquisition d’une autre société sans savoir quelle sera la relation future du Royaume-Uni avec son principal partenaire économique.

Deux problèmes en cas de « no deal »

L’incertitude pèse tant que Gary Cohn, ancien conseiller économique de Donald Trump, a affirmé à la BBC qu’il vaut mieux un « no deal » plutôt que de repousser encore l’échéance du Brexit au-delà du 31 octobre. « Les pays ont tendance à mieux résister que ce qu’on pense », explique-t-il en relativisant les conséquences d’une sortie sans accord.

M. Carney rejette cette analyse : « Il a tort. Un “no deal” serait la concrétisation d’un scénario économique négatif. » Le gouverneur de la Banque d’Angleterre souligne qu’une sortie sans accord pose deux problèmes.

A long terme, le Royaume-Uni se retrouverait par défaut à commercer selon les règles de base de l’Organisation mondiale du commerce. Concrètement, cela imposerait des droits de douanes avec l’ensemble de l’UE, mais aussi avec tous les pays qui ont signé des traités de libre-échange avec l’UE, ce qui représente 60 % du commerce britannique. A court terme, le soudain changement de statut au matin du 1er novembre provoquerait un choc.

« Il vaut toujours mieux avoir une transition en place, quel que soit le scénario choisi. Ce pays a l’une des économies les plus flexibles au monde et est soutenu par un des secteurs financiers les plus robustes, mais c’est très difficile de tout changer du jour au lendemain », explique Mark Carney.

Eric Albert (Londres correspondance)

Boris Johnson subit son premier revers électoral. Le nouveau premier ministre britannique Boris Johnson a subi son premier revers dans les urnes, une défaite de son parti à une élection partielle ayant ramené sa faible majorité parlementaire à seulement une voix, compliquant sa stratégie pour le Brexit. Le Parti conservateur au pouvoir, dont M. Johnson a récemment pris la tête, a perdu le siège de la circonscription de Brecon et Radnorshire, au Pays de Galles (Ouest), au profit d’une candidate pro-européenne, selon les résultats officiels annoncés vendredi. Cette défaite fragilise le gouvernement qui vient d’annoncer le doublement de son budget annuel consacré aux préparatifs d’un Brexit sans accord, en leur allouant 2,1 milliards de livres supplémentaires (2,3 milliards d’euros). Cet argent servira à « accélérer les préparations à la frontière, soutenir les préparatifs des entreprises et assurer l’approvisionnement des médicaments essentiels » ainsi qu’à lancer une nouvelle campagne de communication sur le Brexit, a précisé le ministère des finances.

28 juillet 2019

Boris Johnson

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27 juillet 2019

Edito de Laurent Joffrin

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Ce sera, sauf immense surprise, le troisième dingue de la scène internationale. Après Donald Trump et Jair Bolsonaro, Boris Johnson s’apprête à prendre en main les destinées d’un vieux et grand pays. Spécialiste du mensonge burlesque, de l’autodérision calculée, plus cultivé que ses alter ego mais tout aussi cynique, l’ancien maire de Londres devrait entrer bientôt au 10 Downing Street, un peu comme Groucho Marx devient chef d’Etat dans la Soupe au canard. L’homme a une plume, qu’il monnaie à prix d’or dans le Daily Telegraph, et qu’il a utilisée avec un certain bonheur dans sa biographie de Churchill. Le vieux Winston est son idole, personnage lui aussi excentrique, mais travailleur acharné et paladin de la lutte contre le nazisme. Comme l’écrivait Marx - l’autre, Karl -, l’histoire bégaie, «la première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce». Son Troisième Reich à lui, en effet, c’est l’Union européenne, ce qui donne une idée de son sens de la nuance et des proportions. Boris Johnson a promis que le Royaume-Uni sortirait de l’UE, perinde ac cadaver, avant le 31 octobre. Il est donc prêt à courir le risque d’un «hard Brexit», un Brexit sans accord, quitte à contourner la prévisible opposition du Parlement britannique. Seulement voilà, quel que soit le talent d’illusioniste de «magic BoJo», les réalités n’auront guère changé après son élection à la tête du Parti conservateur et son accession au poste de Premier ministre : casse-tête de la frontière irlandaise, front uni des Européens qui en tiennent toujours pour l’accord patiemment négocié avec Theresa May, dangers d’une rupture pour l’économie britannique. Le Premier ministre risque alors de se retrouver dans la posture qui l’a rendu célèbre : suspendu à un fil dans un rôle ridicule. Laurent Joffrin Directeur de la publication de Libération

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