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Jours tranquilles à Paris
7 juin 2017

Extrait d'un shooting - fétichisme

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7 juin 2017

Légion d’honneur : le revers de la médaille

Par Marie-Béatrice Baudet

Comme Mussolini ou Ceausescu avant lui, Bachar Al-Assad est grand-croix de la Légion d’honneur. Le nouveau grand maître de l’Ordre, Emmanuel Macron, va-t-il mettre fin à ces pratiques qui jettent l’opprobre sur la distinction suprême de la République ?

C’est un poids supplémentaire sur les épaules du jeune chef d’Etat. Certes, le collier de grand maître de la Légion d’honneur qu’Emmanuel Macron a reçu, dimanche 14 mai, lors de son investiture à la présidence de la République pèse à peine un kilo, mais les deux lettres « HP » (honneur et patrie) placées au centre du bijou en or massif sont lourdes de sens républicain.

Déjà empêtré dans l’affaire Richard Ferrand, le nouvel élu, chantre de l’éthique, va-t-il se décider à mettre de l’ordre dans l’Ordre afin que le ruban rouge ne soit plus l’objet de scandales et de railleries à répétition depuis sa création, le 19 mai 1802, par Bonaparte ? Car c’est un chagrin de voir le fait du prince et les trafics d’influence salir une décoration que tant d’autres portent si haut.

Désormais « garant suprême » des ordres nationaux, Emmanuel Macron sait-il ainsi que le président syrien Bachar Al-Assad, qui empoisonne son propre peuple au gaz sarin, est grand-croix de la Légion d’honneur ? Soit la plus haute distinction de l’ordre derrière celle de grand maître, réservée au seul chef de l’Etat français. Vient tristement à l’esprit, la phrase de Jules Renard : « En France, le deuil des convictions se porte en rouge et à la boutonnière. »

A entendre les témoignages des proches du dossier – selon l’expression consacrée –, cette tache rouge serait tombée dans les oubliettes de l’Histoire. Un trou de mémoire collectif qui s’expliquerait tout bonnement par des usages protocolaires auxquels personne ne prête vraiment attention et dont il n’existe aucun registre. La tradition veut en effet que chaque dignitaire étranger accueilli lors d’une visite d’Etat en France soit honoré par la patrie des droits de l’homme. Une sorte de « routine » pour reprendre le mot utilisé par un ancien ambassadeur.

Jeu de piste

Concernant Bachar Al-Assad, c’est Jacques Chirac qui est à la manœuvre, en 2001, comme le raconte le livre de Béatrice et Michel Wattel : Les Grand’Croix de la Légion d’honneur, de 1805 à nos jours (éditions Archives & Culture). Préfacé par l’académicien André Damien, ancien membre du conseil de l’ordre de la Légion d’honneur, l’ouvrage a été publié en 2009. « Il nous a fallu cinq ans pour réunir les données. Un incroyable jeu de piste. Nous avons dû faire la tournée des ambassades, car les noms des étrangers promus ne sont pas publiés », se souvient aujourd’hui Béatrice Wattel quand elle évoque cette somme documentaire de 700 pages, un travail de moine archiviste.

Nous parvenons à retrouver une image de la cérémonie immortalisée par l’un des photographes officiels du régime syrien. Bachar Al-Assad, sourire aux lèvres, semble s’amuser de la maladresse de Jacques Chirac, qui peine à lui accrocher une médaille au revers de la veste. On distingue mal la décoration, mais la large boîte rectangulaire rouge laissée ouverte sur la table ne laisse guère de doute. En ce lundi 25 juin 2001, le chef de l’Etat remet la grand-croix de la Légion d’honneur au jeune président syrien en visite officielle à Paris.

Le moment élyséen aurait dû être solennel. Le cliché montre au contraire un protocole –littéralement – entre deux portes. Bannie, la salle des fêtes ; éloignés, les huissiers en grande tenue. Le premier ministre Lionel Jospin n’a pas été convié, pas plus qu’Hubert Védrine, le ministre des affaires étrangères.

« LA GRAND-CROIX À “BACHAR” ? J’AI DÛ LE SAVOIR À UN MOMENT DONNÉ, MAIS JE L’AVAIS COMPLÈTEMENT OUBLIÉ… », ADMET HUBERT VÉDRINE

« La grand-croix à “Bachar” ? J’ai dû le savoir à un moment donné, mais je l’avais complètement oublié… », admet ce dernier, invité à se replonger seize années en arrière dans ce huis clos régalien. « Chirac m’avait emmené en 2010 aux obsèques du père, Hafez Al-Assad [décoré de la grand-croix en 1976 par Valéry Giscard d’Estaing]. Le président était persuadé que le changement de génération dans le monde arabe, avec l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI au Maroc, d’Abdallah II en Jordanie et de “Bachar” en Syrie, allait faire bouger les choses… » Ce pari, « qui ne paraissait pas déraisonnable à l’époque », estime un diplomate français spécialiste du Moyen-Orient, a été tragiquement perdu.

Chagall, Lévi-Strauss et Mandela

Ancien ministre des affaires étrangères de François Hollande, de mai 2012 à février 2016, Laurent Fabius dit ne pas avoir eu connaissance du geste de Jacques Chirac envers le maître de Damas. « Si je l’avais appris, j’aurais certainement demandé à ce qu’on en tire les conséquences », nous affirme solennellement l’actuel président du Conseil constitutionnel.

Comment tolérer, en effet, un assassin notoire au sein de la cohorte la plus prestigieuse de la République française ? La même médaille glorifierait donc le meilleur comme le pire ?

Le meilleur de la Légion d’honneur, c’est Valéry Giscard d’Estaing élevant en 1977 Marc Chagall à la dignité de grand-croix ; ou François Mitterrand honorant Claude Lévi-Strauss, en 1991, et Nelson Mandela, en 1994. Parmi ces dignes qu’il est impossible de nommer tous, il y a l’abbé Pierre mais aussi Marie-José Chombart de Lauwe, visage féminin de la Résistance, rescapée de Ravensbrück, 94 ans aujourd’hui et toujours en vie.

Et puis, surtout, il y a cette cérémonie, au printemps 2011. Quelques mois plus tôt, par un décret présidentiel du 13 juillet 2010, Nicolas Sarkozy confère la grand-croix à Raymond Aubrac, héros de la lutte contre l’occupation nazie.

Le vieil homme de 96 ans accepte le privilège à condition que la distinction ne lui soit pas remise par l’ancien maire de Neuilly. Il refuse toute cérémonie à l’Elysée et entend choisir le dignitaire qui le décorera. Ce sera le professeur François Jacob, 90 ans, ancien compagnon de la Libération. « Ni l’un ni l’autre ne pouvaient rester debout très longtemps. Ils s’épaulaient. Nous les avons aidés à se faire l’accolade », se souvient avec encore beaucoup d’émotion l’un des rares invités présents auprès de la famille.

« Open bar » pour la realpolitik

Comprendre. Ouvrir le code de la Légion d’honneur et lire les premières lignes : « La Légion d’honneur est la plus élevée des distinctions nationales. Elle est la récompense des mérites éminents acquis au service de la nation, soit à titre civil, soit sous les armes. » Cette charte de plus de 130 articles a été réclamée par le général de Gaulle, soucieux d’adapter les textes fondateurs de l’ordre de la chevalerie à la Ve République naissante. Elle date du 28 novembre 1962 et a été plusieurs fois amendée. Et si elle devait encore l’être ?

Revenons sur le cas des étrangers. Puisqu’ils ne peuvent pas prêter serment à la patrie française, ils ne sont pas officiellement membres de la Légion d’honneur, ils en sont juste « décorés ». Et n’entrent donc pas dans le quota de 75 grands-croix (vivants) autorisé. Qui plus est, disposition idéale pour la « routine » diplomatique, ni la grande chancellerie, ni le conseil de l’ordre n’ont leur mot à dire dans l’attribution des médailles « aux chefs d’Etat étrangers, à leurs collaborateurs ainsi qu’aux membres du corps diplomatique », précise le code. En clair, c’est open bar pour la realpolitik.

A la lecture de quelques noms piochés au hasard des pages du livre de Michel et Béatrice Wattel, le déshonneur se révèle immense. Benito Mussolini élevé à la dignité de grand-croix en 1923, deux ans après qu’il eut fondé le Parti national fasciste. Un insigne qu’il gardera sur son torse bombé même après être devenu le complice d’Hitler. Mais aussi Nicolae Ceaucescu, Bokassa, Omar Bongo, Mobutu… Tous décédés le ruban à la boutonnière. Des rumeurs insistantes évoquent également un Mouammar Kadhafi gratifié. Mais nous n’avons pas pu le vérifier avec certitude.

La jurisprudence « Noriega »

Lundi 29 mai, Emmanuel Macron recevait Vladimir Poutine dans le faste de Versailles. Savait-il que le président russe était lui aussi grand-croix ? L’ancien agent du KGB l’a reçue des mains de Jacques Chirac (bis repetita) le 22 septembre 2006, au nom de « sa contribution à l’amitié indéfectible entre la France et la Russie ».

Reporters sans frontières (RSF) avait à l’époque jugé « choquante » l’initiative chiraquienne, estimant que l’honneur conféré à Vladimir Poutine était « une insulte faite à tous ceux qui, en Russie, luttent pour la liberté de la presse et la démocratie dans leur pays ». Deux semaines après la cérémonie au palais de l’Elysée, où pas un seul journaliste français n’avait été convié, RSF manifestait de nouveau son indignation, dénonçant l’assassinat à Moscou, le 7 octobre, de la journaliste d’investigation Anna Politkovskaïa, farouche opposante au potentat du Kremlin.

Aucun article du code ne prévoyait la possibilité d’exclure de l’ordre les décorés étrangers jusqu’à la jurisprudence « Noriega » de 2010. L’ex-dictateur panaméen, décédé dans la nuit du 29 au 30 mai 2017, avait été fait commandeur de la Légion d’honneur en 1987, sous la présidence de François Mitterrand, au titre des relations anciennes entre les deux pays. Difficile d’oublier, en effet, le creusement du canal de Panama par des milliers d’ouvriers français qui se tuèrent à la tâche, frappés par la malaria.

Mais, en 1999, Paris condamne, par contumace, le général à dix ans d’emprisonnement pour blanchiment d’argent issu du trafic de drogue. Onze ans plus tard, il est extradé des Etats-Unis vers l’Hexagone pour y être jugé. Le militaire est encore commandeur. Impensable de le voir arborer dans le box des accusés cette décoration qu’il appréciait tant, sa préférée, disait-il. Son insigne lui sera retiré.

La foire internationale à la breloque

Car la France se décide enfin, après des années et des années de laisser-faire, d’en terminer avec le ridicule de cette foire internationale aux breloques. Sur rapport de François Fillon, le premier ministre de l’époque, le code de la Légion d’honneur est modifié par un décret du 27 mai 2010.

Le ruban rouge peut être désormais enlevé à un étranger « condamné pour crime ou à une peine d’emprisonnement sans sursis au moins égale à un an ». Ou s’il a « commis des actes ou eu un comportement susceptibles d’être déclarés contraires à l’honneur ou de nature à nuire aux intérêts de la France à l’étranger ou aux causes qu’elle soutient dans le monde ».

« LES DÉCRETS D’ATTRIBUTION DE LA LÉGION D’HONNEUR AUX ÉTRANGERS NE SONT PAS COMMUNICABLES ET LES PROCÉDURES DISCIPLINAIRES SONT CONFIDENTIELLES »

Plus aucun obstacle ne se dresse donc aujourd’hui – en principe – à la révocation de Bachar Al-Assad ou d’autres despotes. Mais encore faudrait-il connaître la liste précise des déméritants aux mains sales. Or, comme en témoigne la réaction de Laurent Fabius, le secret est tellement protégé qu’il peut se perdre dans les profondeurs administratives.

Soupçons de copinage

C’est bel et bien le cas. « Les décrets d’attribution de la Légion d’honneur aux étrangers ne sont pas communicables et les procédures disciplinaires sont confidentielles », nous fait savoir par e-mail la grande chancellerie, qui a refusé de recevoir Le Monde pour cette enquête.

En pièce jointe au courrier électronique, un avis de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) officialise cette loi du silence concernant les « attributions de la Légion d’honneur aux étrangers », au titre de la confidentialité inhérente à la politique extérieure de la France. Amis de la transparence, passez votre chemin, il n’y a rien à voir ou à entendre.

Le président de la République devra également se pencher sur les grands-croix français afin, là aussi, de faire taire moqueries et soupçons de copinage. Fin mai, ce cénacle illustre dont nous avons dû nous-mêmes établir la liste (elle n’est pas publiée sur le site de la grande chancellerie) comptait 74 membres vivants sur les 75 autorisés.

Le chef de l’Etat, grand maître de l’ordre, ne pourra donc proposer qu’un seul nom – sauf si un décès intervient entre-temps – lors de la prochaine promotion de légionnaires, celle du 14 juillet. Qui célèbrera-t-il ? L’ancien ministre de l’économie voudra-t-il distinguer un chef d’entreprise ou élèvera-t-il plutôt (homme ou femme) un vieux brave, un grand serviteur de l’Etat, un scientifique ou un artiste ? Son choix fera symbole, à n’en pas douter.

Le mécène, plutôt que le financier

En avril, pour la dernière promotion de son quinquennat, François Hollande avait pu mixer ses préférences : un conseiller d’Etat honoraire, François Bernard, et un fidèle ami de Jacques Chirac, l’homme d’affaires François Pinault. Pour la promotion du 1er janvier 2014, le président socialiste avait suscité quelques sourires narquois en élevant à la dignité de grand-croix Bruno Roger, patron de la banque Lazard, qu’il décorera personnellement le 17 juin 2014. « Deux ans après le discours du Bourget où il avait expliqué que son ennemi était la finance, nous avons été plusieurs à trouver succulente cette petite initiative », raconte un ami du récipiendaire, présent au cocktail.

L’Elysée avait toutefois pris ses précautions. Sur l’agenda présidentiel, il était noté pour le 17 juin 2014 à 18 heures : « Cérémonie de remise de décoration à M. Bruno Roger, président du festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence ». François Hollande honorait le mécène, pas le financier. Puisque cela allait sans dire, il valait mieux l’écrire.

Les nominations d’industriels et d’entrepreneurs dans l’ordre de la chevalerie ont toujours été les plus questionnées. Y compris du temps de Napoléon, qui imposa l’accès de l’ordre aux civils. Les critiques fusèrent après que Martin-Guillaume Biennais, l’orfèvre accrédité à la cour, ou Benjamin Delessert, l’industriel qui mit au point la méthode d’extraction du sucre à partir de la betterave, furent récompensés par l’empereur.

Renvois d’ascenseur ? Conflits d’intérêts ? Les interrogations restent les mêmes au fil du temps. Le « Penelopegate » l’a rappelé récemment. Les enquêteurs se demandent encore si le recrutement de l’épouse de François Fillon à la Revue des deux mondes par son propriétaire, Marc Ladreit de Lacharrière, pourrait avoir un lien avec la grand-croix de la Légion d’honneur décernée au milliardaire sur insistance du premier ministre. Les juges en décideront.

« Quoi le Mediator ? »

Irène Frachon, la pneumologue de Brest qui a révélé en 2009 la toxicité du Mediator, le médicament des laboratoires Servier accusé d’être responsable de la mort de 1 500 personnes, ne méprise pas la Légion d’honneur. Mais la lanceuse d’alerte a stoppé net les tentatives de celles et ceux qui œuvraient pour qu’on la lui remette : « Ce ruban rouge, c’est la fierté et l’identité de la nation. Je ne peux pas appartenir à l’ordre de chevalerie qui a honoré Jacques Servier », décédé le 16 avril 2014, à l’âge de 92 ans. Le 7 juillet 2009, dans la salle des fêtes de l’Elysée, Nicolas Sarkozy élevait ainsi à la dignité de grand-croix son « cher Jacques », dont il fut l’un des avocats d’affaires.

« CE RUBAN ROUGE, C’EST LA FIERTÉ ET L’IDENTITÉ DE LA NATION. JE NE PEUX PAS APPARTENIR À L’ORDRE DE CHEVALERIE QUI A HONORÉ JACQUES SERVIER »

Raymond Soubie, conseiller social du président de la République, assistait à la cérémonie. Lui aussi connaissait bien le docteur Servier. A la fin des années 1990, le pharmacien avait demandé à ce spécialiste de l’actionnariat salarié de réfléchir à la possible transformation de son groupe en fondation.

Le cocktail dure une vingtaine de minutes. « Nicolas Sarkozy était déjà parti quand on a passé les toasts », se souvient Roselyne Bachelot, alors ministre de la santé, qui évoque un « moment convenu et rasoir, sans aspérité notable ». Et le Mediator ? « Quoi le Médiator ?, s’étonne aujourd’hui Raymond Soubie. Je n’en savais rien. J’ai appris cela par la presse. »

Le diable se cache souvent dans les détails des procédures

Le coupe-faim sera retiré des officines le 30 novembre 2009, cinq mois après les petits-fours. Mais, dès 1997, Irène Frachon et le cardiologue Georges Chiche avaient obligé le laboratoire à cesser la commercialisation mondiale de l’Isoméride et d’un autre coupe-faim, le Pondéral. Cette odeur de soufre ne serait, semble-t-il, pas parvenue jusqu’à l’Elysée. La première plainte concernant le Mediator sera déposée en novembre 2010 par une patiente aujourd’hui décédée.

Jacques Servier mourra, lui, avec sa grand-croix. Par mail, la grande chancellerie précise que toute procédure disciplinaire ne peut être engagée qu’à compter du « caractère définitif de la condamnation ». Le procès Servier n’a pas encore eu lieu, c’est exact. Mais l’honneur dans tout cela ?

Pour comprendre où, globalement, le bât blesse, il faut analyser de près les textes en vigueur car, comme pour les dignitaires étrangers, le diable se cache souvent dans les détails des procédures. Rappelons les principes. Après l’étude, par ses services, des dossiers de légionnaires pressentis, chaque ministre transmet des propositions (sous forme de mémoires) au grand chancelier de l’ordre de la Légion d’honneur – le général d’armée Benoît Puga depuis le 1er septembre 2016.

Ce dernier préside le conseil de l’ordre, une assemblée de dix-sept sages qui instruit les demandes et en prononce la « recevabilité » ou l’« ajournement ». Les noms des heureux élus sont ensuite soumis au grand maître, à l’Elysée, qui signe les décrets à paraître au Journal officiel. Fermez le ban !

Nommés, promus ou « élevés »

Mais si on lit précisément le communiqué de presse publié le 16 avril 2017 par la grande chancellerie, on comprend que ce circuit vertueux ne concerne que les candidats « nommés ou promus », c’est-à-dire ceux décorés pour la première fois (les chevaliers) ou ceux qui accèdent à un grade supérieur (officier ou commandeur). Pour les deux titres les plus prestigieux (grand officier et grand-croix), on parle, nous rappelle doctement le communiqué, d’« élévation ».

Pinaillage ? Loin de là. Pointer l’emploi de ce vocabulaire permet une lecture fine des articles R5, R31 et R119 du code de la Légion d’honneur. Tous trois assignent au conseil de l’ordre le seul examen des « nominations » et des « promotions ». Le terme « élévation » n’y apparaît pas.

« POUR LES GRANDS OFFICIERS ET LES GRANDS-CROIX, ÇA VENAIT D’EN HAUT, DU CHÂTEAU. ON N’ÉTAIT PAS DU TOUT DANS LE COUP… »

« Ce petit distinguo est fondamental car il sort du droit commun les dignités et donne officiellement la main à l’Elysée pour les titres de grand officier et de grand-croix. Leur attribution relève donc, comme les textes l’indiquent, du fait du prince », commente Olivier Ihl, professeur à l’Institut d’études politiques de Grenoble et auteur de l’essai Le Mérite et la République (éditions Gallimard, 2007).

La grande chancellerie réfute cette interprétation, expliquant dans un e-mail, le 28 avril, que « les élévations aux dignités sont des promotions » et qu’elles ne font donc pas exception à la règle générale.

Désert documentaire

Ce n’est pas tout à fait l’avis de Bruno Genevois, 75 ans, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, président de section honoraire au Conseil d’Etat et membre du conseil de l’ordre de la Légion d’honneur. Un savant du droit, reconnu comme tel par ses pairs. « Je prends acte de la réponse de la chancellerie, dit-il. C’est un tournant dont je me réjouis car, auparavant, le conseil de l’ordre n’avait guère de pouvoir sur les dignités. Nous pouvions donner notre sentiment mais la liste lue par le grand chancelier s’imposait à nous. »

Le juriste précise que les choses ont commencé à bouger depuis la présidence de François Hollande : « L’information du conseil de l’ordre concernant les futurs grands officiers et les futurs grands-croix est devenue systématique, ce qui nous permet de donner un avis. »

Les témoignages au creux de l’oreille – « surtout, c’est vraiment off » – de deux anciens sages du conseil de l’ordre ne font que confirmer la longue mise hors circuit des dix-sept gardiens du temple : « Pour les dignités, ça venait d’en haut, du Château. On n’était pas du tout dans le coup… », dit l’un. « Mais oui, ça se traitait à l’Elysée, qu’est-ce que vous croyez ? », répond l’autre, visiblement amusé de la question.

Surgit alors l’idée d’aller en bibliothèque se plonger dans les délibérations passées du conseil de l’ordre. Saugrenu ! Les archives nationales n’en ont aucune trace. Si l’on se montre très patient, il est possible d’accéder aux dossiers individuels des légionnaires, mais « les mémoires de proposition, c’est-à-dire l’évaluation du mérite qui conduit à la décoration, ne sont pas joints », témoigne Olivier Ihl, confronté à ce désert documentaire pour l’une de ses recherches. « La grande chancellerie est l’une des institutions les plus secrètes de la République », regrette-t-il. Grands-croix étrangers, grands-croix français… Emmanuel Macron se satisfera-t-il de la confortable opacité qui les entoure ?

7 juin 2017

Vu sur internet - j'aime beaucoup

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6 juin 2017

Vu sur instagram

6 juin 2017

T'as le look coco !

Look politique. L'irrésistible ascension de la barbe

Révolution pileuse à la tête du gouvernement : Édouard Philippe a fait entrer la barbe à Matignon, une première sous la VeRépublique, très remarquée, qui illustre la popularité de ce look auprès de toute une génération.

Si barbes, barbiches et rouflaquettes étaient de mise chez les dirigeants sous les IIIe et IVeRépubliques, le glabre l'avait, depuis, largement emporté. Et le monde politique restait jusqu'ici relativement hermétique à la tendance qui a fleuri depuis une dizaine d'années, sous diverses versions, sur les joues des hipsters, artistes, sportifs et cadres dynamiques.

Quand Emmanuel Macron, alors ministre, avait brièvement arboré une barbe naissante, en janvier 2016, l'initiative avait créé le buzz sur les réseaux sociaux. En septembre, c'est en se faisant raser par un barbier devant les caméras, au salon de la coiffure, qu'il avait assuré le spectacle.

La barbe de trois jours de Nicolas Sarkozy en 2012, elle, avait fait dire à l'ex-ministre, Roselyne Bachelot, qu'il avait renoncé à revenir en politique, car « ce n'est pas avec un look pareil qu'on reconquiert le coeur d'un électorat hanté par la respectabilité ».

Lors de l'arrivée à Matignon d'Édouard Philippe, 46 ans, considéré comme le premier chef de gouvernement à arborer une barbe depuis la barbiche de Paul Ramadier en 1947, le détail pileux n'est pas non plus passé inaperçu. D'autant qu'un autre barbu, Christophe Castaner, a, lui, été nommé porte-parole du gouvernement.

La barbe, fournie et taillée, que le maire duHavre porte depuis quelques années, est un signe de changement de génération à la tête du pouvoir, commente Samir Hammal, enseignant à Sciences Po, spécialiste de l'apparence en politique.

« Indice de jeunesse »

« Édouard Philippe correspond bien au sociotype du quadragénaire à barbe convoqué dans de nombreuses campagnes de publicité », relève-t-il. Un détail qui, par ailleurs, « lui enlève son côté technocrate, en l'humanisant ».

Ce phénomène de mode « a inversé les codes », souligne également le professeur d'ethnologie, Christian Bromberger : « Auparavant, la barbe, c'était plutôt les personnes âgées, elle était blanche, maintenant, c'est plutôt un indice de jeunesse. Une jeunesse non pas adolescente mais plus "start-up" ».

Nulle subversion dans ce type de barbe, domestiquée : « Ce n'est pas la barbe des prophètes, des ermites, des hippies, des anarchistes ou de Che Guevara. Ce n'est pas celle de la gauche républicaine voire révolutionnaire », souligne Christian Bromberger, auteur de l'ouvrage « Les sens du poil. Une anthropologie de la pilosité ».

Pierre-Emmanuel Bisseuil, directeur de recherches au cabinet de tendances Peclers, voit aujourd'hui dans la barbe « un signe d'affirmation de la virilité, face à une féminité qui revendique certaines marques de pouvoir ». L'expert « voit donc encore pas mal d'avenir dans cette mode ».

De quoi faire le bonheur des barbiers, dont les boutiques se multiplient. Sarah Daniel-Hamizi, à la tête de trois - et bientôt quatre - salons « La Barbière de Paris », n'a « pas du tout » été étonnée de l'arrivée d'un Premier ministre barbu, même si elle juge que sa barbe aurait besoin d'être « restructurée ».

Avec une clientèle âgée en moyenne de 25 à 50 ans, la barbière voit tous types d'hommes dans son salon. La barbe, souligne-t-elle, convient particulièrement aux personnes dégarnies : « Du coup, on ne regarde plus la calvitie mais la barbe bien dessinée ».

Un championnat de France

Signe des temps, le premier championnat de France de la barbe se tiendra le 17 juin, à Paris, sur le modèle de ses homologues américain, anglais et allemand. Barbes « Verdi », « Garibaldi », « freestyle », « Fu Manchu »... Les concurrents s'affronteront au sein de 17 catégories. Avec, en jeu, le titre de « plus belle barbe de France ». À bon entendeur...

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6 juin 2017

KARLA IN A CAR IN LA – DANNY SCOTT LANE {EXCLUSIVE EDITORIAL/ NSFW}

Danny Scott Lane, is a photographer now based in Los Angeles. He is inspired by everyday things, women and cinema. His work creates raw and honest photographs that beautifully captures the personality and emotions of his subjects. He submitted his latest set he shot with Karla one afternoon and tells us a little about his day...

 "We shot some film in my Subaru up in the hills of Silverlake. We found a spot on the street sandwiched in between a couple of houses undergoing construction. It was a weekend, so there were no workers and we had the spot to ourselves - besides for one lady walking her dog who probably got a nice eye-full. Karla is amazing. We already have a shoot planned for next weekend in her hometown of San Luis Obispo."

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6 juin 2017

PHOTO est paru

4 COUVERTURES POUR 1 NUMÉRO COLLECTOR !

AU SOMMAIRE :

CHARLOTTE LE BON ET MATHIEU CÉSAR jouent les Catherine Deneuve et David Bailey

pour revisiter la couverture mythique du n°1 de PHOTO !

50 ANS DE PHOTO : Retour sur les meilleures couvertures par décennies : une plongée historique !

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6 juin 2017

Cara Delevingne

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6 juin 2017

Débarquement en Normandie : MARDI 6 juin 1944. Nous sommes le MARDI 6 juin 2017 - REMEMBER

Voir mes anciens billets sur le Débarquement en Normandie

6 juin 2017

Emmanuel Macron, une enfance chez les jésuites (comme moi...)

Par Zineb Dryef - le Monde

C’est à la Providence, à Amiens, qu’Emmanuel Macron a été formé à l’excellence selon les principes ignaciens – et qu’il a rencontré sa future épouse. Un esprit « fils de jèses » qu’il partage avec Jean-Paul Delevoye, François Ruffin ou Laurent Delahousse.

Cela s’est donc passé là. A la Providence. Dans ces bâtiments imposants élevés en 1950 le long du boulevard Saint-Quentin, adossés au quartier d’Henriville, le plus tranquille, le plus huppé d’Amiens. Une histoire si romanesque que les médias du monde entier, américains, anglais, suédois, néerlandais, chinois, japonais, suisses, sont venus recueillir les souvenirs de ceux qui ont connu Emmanuel Macron, cet ancien élève ayant épousé l’une de ses professeures, de vingt-quatre ans son aînée, et devenu le plus jeune président de la République française.

Un élève prodige

Pendant la campagne électorale, les caméras n’ont pu filmer que les grilles bleues fermées de l’établissement privé. Depuis l’élection, on les ouvre aux curieux. Obligeants, les anciens professeurs ont raconté avec emphase l’élève prodige.

Le père Philippe Robert, enseignant de physique-chimie : « En première, le jour de son bac blanc de français, nous étions, juste pour le plaisir, quatre enseignants au fond de la classe à être venus l’écouter raconter les salons littéraires du XVIIIe siècle. Un moment éblouissant. » (Paris Match)

Son professeur d’histoire, Arnaud de Bretagne : « Emmanuel était un battant, quelqu’un de très mature pour son âge, qui aimait le contact des adultes et qui posait énormément de questions. Quelqu’un d’enthousiaste. » (Le Parisien)

LA « PRO », C’EST L’HISTOIRE D’UNE FABRIQUE PROVINCIALE DES ÉLITES, MÉLANGE DE RITES IMMUABLES ET D’UNE ÉTONNANTE CAPACITÉ À S’ADAPTER AUX ÉVOLUTIONS DE LA SOCIÉTÉ.

Marc Defernand, professeur d’histoire et géographie : « Je l’aurais imaginé devenir un grand acteur de théâtre classique. Je lui avais dit un jour : “Si tu continues dans cette voie, tu seras le Gérard Philipe du XXIe siècle.” Chaque siècle a eu un personnage hors du commun ; peut-être qu’il est celui du XXIe siècle ? » (TF1)

« Fils de jèses »

La Providence présente deux particularités. La première est donc d’avoir accueilli un président de la République, son épouse et leur histoire d’amour, jugée singulière. La seconde est de compter parmi l’un des quatorze établissements jésuites de France. Des établissements réputés exigeants, longtemps destinés à la formation des élites du pays.

On compte ainsi des centaines de patrons, d’artistes, de politiques et d’intellectuels parmi les « fils de jèses ». On plonge dans la « Pro » comme dans un petit bout d’histoire de France. L’histoire d’une fabrique provinciale des élites, mélange de rites immuables et d’une étonnante capacité à s’adapter aux évolutions de la société.

Dans les albums photo de la cité scolaire, on retrouve donc Emmanuel Macron et Brigitte Auzière ; ils ne posent pas encore ensemble sur la photo. Mais aussi le maréchal Leclerc, la plus grande gloire de l’établissement. Laurent Delahousse, avant la télévision, mais déjà le sourire ravageur. On n’aperçoit pas François Ruffin, le réalisateur du documentaire Merci Patron ! et candidat aux législatives, qui y a pourtant fait ses classes.

Il a laissé le souvenir d’un garçon discret, pas du tout rebelle, ni bruyant. « Si vous lui parlez de moi, il vous dira que je suis le Diable », rigole Marc Defernand, professeur d’histoire, désormais à la retraite.

Une éducation qui structure une vie

« J’ai même retrouvé chez nous une trace du passage de Joseph Porphyre Pinchon, le père de Bécassine », s’enthousiasme Jean-Pierre Bondois. L’engouement autour de l’école ne lui déplaît pas.

Elle est l’occasion pour cet enseignant retraité, président de l’Immobilière, l’association propriétaire de l’école, de raconter l’histoire de la « Pro » qui se confond avec la sienne. Il a connu la Pro d’autrefois. Celle dont l’image historique revêt des couleurs un peu grises. « Etre élevé chez les bons pères », disait-on alors, ce qui évoquait quelque chose de compassé, de rigoureux, d’exigeant.

Le professeur Bernard Devauchelle, qui a réalisé la première greffe partielle du visage, et Jean-Paul Delevoye, ancien ministre de Jacques Chirac et patron des investitures de La République en marche pour les législatives, sont de cette génération, celle des vrais « fils de jèses », qui ont connu l’établissement tenu par les hommes en noir, une éducation qui vous structure une vie entière.

On est au début des années 1960. Il y a une vingtaine de jésuites dans l’équipe et même des bonnes sœurs qui tiennent la lingerie et l’infirmerie. « L’escadron blanc », s’amusaient les élèves à leur passage.

Cours de chimie dans le laboratoire du lycée de la Providence. | ANTOINE BRUY POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

Un lycée protégé, imperméable au monde extérieur

Bernard Devauchelle, fils de notables amiénois, y a passé son baccalauréat en 1968. Une période « curieuse », se souvient-il, dont l’agitation ne perturbe que légèrement le lycée, protégé, imperméable au monde extérieur. L’empreinte religieuse est très forte alors. Les différents événements de la vie catholique sont célébrés avec les pères.

Jean-Paul Delevoye, lui, était enfant de petits bourgeois de Bapaume, qui n’avaient pas vraiment le sou. Mais quand le docteur Saint-Yves, le médecin de famille, suggère à ses parents de l’envoyer à la Pro – « Il faut pousser Jean-Paul, c’est un élève prometteur » – ils consentent à cet effort.

« Je mesure la chance que j’ai eue, raconte-t-il, quarante ans plus tard. J’étais quelqu’un de très bas de classe, par rapport à la bourgeoisie nordiste. Socialement, je n’avais pas vocation à me retrouver là. » A la Pro, il perfectionne ses humanités, latin et grec. Il adore être enfant de chœur, « pour boire un coup de pinard ».

Il découvre le cinéma, dont les pères lui disent que ce n’est pas un divertissement, mais une réflexion sur le monde. Il se nourrit des discours d’espérance d’un père rescapé des camps. Tous les jeudis, il repeint des logements de femmes de détenus et profite de ces rares sorties pour fréquenter les sœurs de ses camarades.

Quatorze établissements sous la tutelle jésuite

Une adolescence plutôt gaie, mais le jeune Delevoye étouffe. La discipline est stricte, rigoureuse. Les pensionnaires ne rentrent chez eux que tous les quinze jours. A la moindre incartade, la sanction consiste à les tenir éloignés de leur famille un mois entier. « Quand on sort de chez les jésuites, on en sort soit révolté, soit catho », pense aujourd’hui Delevoye, sans être tout à fait certain de ce qu’il est devenu.

« J’en conserve une forme de générosité, d’exigence, de tolérance et d’ouverture, témoigne Devauchelle. Mais peut-être aussi, cette éducation donne-t-elle une sorte de sentiment de supériorité. Fils de jèses, ça signifie qu’on se reconnaît. Ce n’est pas une solidarité de réseau ou de club, mais un esprit en partage. »

La première fois que Jean-Paul Delevoye a rencontré Emmanuel Macron pour se voir attribuer la présidence des investitures d’En marche !, ils se sont confiés : « Moi aussi je suis passé par la Pro. » Et rien d’autre. « Quand on dit : “Tu es passé par la Providence”, ou plus généralement “chez les jésuites”, cela signifie beaucoup. On n’a pas besoin d’ajouter quoi que ce soit : on a eu un passage commun », explique Delevoye. Près de trente ans séparent pourtant la scolarité des deux hommes.

En 1988, quand Emmanuel Macron entre à la Pro en classe de sixième, le monde a changé et la majorité des jésuites s’est retirée. Ils ne sont plus que cinq dans les murs. L’hémorragie des vocations religieuses les a progressivement conduits à confier l’instruction des jeunes et la direction de leurs établissements scolaires à des laïques. Aujourd’hui, s’il n’y a plus l’ombre d’un père dans les collèges et les lycées jésuites, on revendique encore cet esprit singulier laissé en héritage. Pour le faire perdurer, les jésuites veillent.

Ils exercent une tutelle sur leurs quatorze établissements, qu’ils inspectent ponctuellement pour vérifier que les grands principes de leur éducation sont respectés, et les enseignants bien formés à la spiritualité ignacienne. Maxime Grenard, professeur de mathématiques, se souvient de sa première réunion de formation : « Les anciens nous ont parlé d’Ignace de Loyola, de l’histoire de la Providence, de l’esprit jésuite. C’était un moment important. Je suis resté à la Pro parce que j’ai adhéré à ces valeurs. C’est un esprit que je veux contribuer à faire perdurer. »

L’excellence comme aspiration perpétuelle

Dès la maternelle, on apprend aux enfants qui est Ignace de Loyola. On leur raconte les deux vies de celui qui a fondé la Compagnie de Jésus en 1540. La première, dissolue et désordonnée. La seconde, celle du saint. Comme dans tous les lycées catholiques, la catéchèse hebdomadaire n’est plus obligatoire mais des rencontres avec de « grands témoins chrétiens », des cours d’histoire de la religion et des actions sociales sont proposés à tous.

Il y a deux mois, les terminales ont fait une retraite spirituelle de quelques jours dans une abbaye de la région. « Ce n’est pas la présence physique des jésuites qui fait que l’établissement est jésuite, explique le directeur de l’école primaire. C’est d’abord un projet. Former des élèves conscients du monde dans lequel ils vivent, conscients de leur intériorité. Des élèves compatissants. Qui ont toujours le souci du plus petit. »

De grands principes séculaires guident l’éducation ignacienne, qui paraissent proches de ceux défendus aujourd’hui par les nouvelles pédagogies alternatives. D’abord, la relecture, ce temps que consacrent élèves et enseignants à faire l’examen de leur journée – qu’est-ce que j’ai ressenti ? Qu’est-ce qui m’a réjoui ? Qu’est-ce que j’ai appris ?

Le magis ignacien ensuite, ce concept qui fonde l’excellence comme aspiration perpétuelle. « Il ne s’agit pas d’excellence académique mais de conduire le plus loin possible les élèves, le plus loin qu’ils puissent réaliser individuellement, éclaire Emmanuelle Branquart, enseignante de sciences économiques et sociales. Je ne pense pas que les élèves perçoivent forcément cet esprit, mais c’est quelque chose qui domine notre pratique. »

Enfin, la formule « Mens sana in corpore sano » est ici prise au sérieux : une piscine a été bâtie dès 1950 près de la grande salle de théâtre de 600 places. Ce programme vise une fin : « Préparer des hommes pour demain, c’est préparer des hommes pour les autres. » Une devise que de grandes lettres colorées proclament dans un couloir du lycée.

« La réalisation de son talent, quel qu’il soit »

Et puis il y a le théâtre, bien sûr. Qui dans l’éducation jésuite ne relève pas de l’accessoire. « On est au cœur de la pédagogie ignacienne », expose Mme Evrard, enseignante de lettres et de théâtre, même blondeur et mêmes yeux bleus que Brigitte Macron qu’elle a remplacée après son départ, en juin 2007. « Il s’agit de former les élèves à l’art de la rhétorique. Mais c’est aussi l’occasion de les découvrir, de les voir autrement. »

« C’EST DANS CES ANNÉES QUE S’EST FORGÉE CHEZ MOI CETTE CONVICTION QUE RIEN N’EST PLUS PRÉCIEUX QUE LA LIBRE DISPOSITION DE SOI-MÊME, LA POURSUITE DU PROJET QUE L’ON SE FIXE, LA RÉALISATION DE SON TALENT, QUEL QU’IL SOIT. » EMMANUEL MACRON

Bien avant cette scène désormais éternelle de l’épouvantail (tirée de La Comédie du langage, de Jean Tardieu) jouée par le jeune Emmanuel devant Brigitte, le lycée a connu des représentations retentissantes. Dans les années 1950, quand il était professeur d’anglais à la Pro, l’écrivain franco-russe Vladimir Volkoff a animé l’atelier. On parle encore de son Marchand de Venise comme d’un éblouissement.

Cette pédagogie, Emmanuel Macron la revendique comme un héritage précieux, structurant. Dans son livre, Révolution, il écrit : « C’est dans ces années d’apprentissage que s’est forgée chez moi cette conviction que rien n’est plus précieux que la libre disposition de soi-même, la poursuite du projet que l’on se fixe, la réalisation de son talent, quel qu’il soit. » Il y rend hommage à ses professeurs, et à ce qui fonde l’éducation jésuite : « Ces enseignants dont c’était l’honneur de suppléer à toutes les carences pour les élèves vers le meilleur. »

Emmanuel Macron joue dans une saynète tirée de La Comédie du langage de Jean Tardieu

Il dit avoir été pénétré alors par cette discipline de l’esprit, cette volonté d’ouverture au monde et cette bienveillance. C’est très jésuite, la bienveillance, approuve Bondois : « Le présupposé de sympathie vis-à-vis de l’autre, même quand il s’agit d’un adversaire, c’est à cela qu’on a été formés. Convaincre plutôt que s’opposer frontalement. On retrouve cela chez Emmanuel. »

« Demandez au Seigneur un cœur libre »

Une fin de matinée du mois de mai, vingt-cinq ans après le départ d’Emmanuel Macron de la Pro. Les terminales ES ont cours d’éco. Riad est invité à aller chercher un mot d’excuse pour son absence. Emmanuelle Branquart, avant de reprendre la leçon de la veille, rappelle à ses élèves que c’est l’avant-dernier cours de l’année. « Ooooh », font-ils mine de découvrir. Mais elle promet d’être présente pendant la période de révision du bac. Elle transmettra ses horaires à la déléguée qui tiendra ses camarades au courant sur la page Facebook de la classe.

Les élèves planchent sur la discrimination positive à l’école. L’enseignante passe à travers les rangs. L’ambiance est studieuse entre les murs crème de cette salle de classe. Près du tableau noir, on a punaisé un petit calendrier qui affiche la bobine souriante du pape François, premier pape jésuite, et cette exhortation à la jeunesse : « Demandez au Seigneur un cœur libre pour ne pas être esclaves de tous les pièges du monde. »

« CERTAINS LE REGRETTENT SANS DOUTE, MAIS IL S’AGIT DE NOTRE MISSION : ACCUEILLIR TOUT LE MONDE. » JEAN-MICHEL HÉNIQUEZ, CHEF D’ÉTABLISSEMENT

Riad, qui est revenu avec son mot d’excuse, passe au tableau. Il expose ce qu’il a compris des inégalités en Inde, la reproduction des privilèges et des inégalités. C’est à cela précisément que ses parents ont voulu l’arracher en l’inscrivant à la Pro. Ils se sont dit que leurs enfants méritaient mieux que le lycée public du coin, Delambre à Amiens-Nord, celui par lequel est passée Najat Belkacem. « Mes sœurs ont fait la Providence. L’une est à Science Po, l’autre est juriste. Alors mes parents m’ont inscrit ici. C’est plus strict, ça permet de nous donner de bonnes bases, de faire de bonnes études. De mettre toutes les chances de notre côté. »

Plus seulement « une machine à reproduire les élites »

Contrairement aux lycées jésuites Saint-Louis de Gonzague à Paris – où enseignait encore Brigitte Macron jusqu’en 2015 – ou Saint-Joseph à Reims, la Providence d’Amiens n’est plus seulement une machine à reproduire les élites. S’il est toujours de bon ton pour la bourgeoisie locale d’y inscrire ses enfants, l’école s’est ouverte dès les années 1970 aux classes moyennes, notamment avec l’ouverture des sections techniques.

« Certains le regrettent sans doute, observe Jean-Michel Héniquez, le chef d’établissement. Mais il s’agit de notre mission : accueillir tout le monde. » Au lycée, les parents d’élèves doivent s’acquitter de 520 euros à 980 euros par an, selon leurs revenus (à titre de comparaison, l’année scolaire coûte 2 760 euros à Saint-Louis de Gonzague).

La direction admet que les parents ne placent plus leurs enfants à la Pro pour la pédagogie ignacienne, sauf peut-être les anciens élèves. On vient d’abord pour la promesse de réussite scolaire. Ici, on a son bac. 100 % en L. 97 % en ES. 96 % en S.

Jean-Michel Héniquez assure inscrire les élèves par ordre chronologique d’arrivée des demandes. Sans aucun critère de sélection. « Comment expliquer que nos résultats se maintiennent ? Les parents qui inscrivent tôt leurs enfants sont des parents attentifs. C’est la seule réponse profonde que j’ai trouvée. »

« Peut-être que les profs ici sont juste humains… »

L’internat de 430 places (3 280 euros à 5 690 euros par an) attire des élèves venus de loin. Damien a quitté Saint-Leu-la-Forêt dans le 95, des histoires de cités sur lesquelles il ne veut pas s’étendre. Il lui fallait partir. Un copain lui a parlé de la Providence. Il n’était pas vraiment bon élève, plutôt moyen même, mais il n’y a pas eu de problème. On l’a pris.

À l’internat, il a découvert les messes du matin à la chapelle, mais il ne sait pas grand-chose des jésuites. « On en a parlé en français. Ça n’a pas un rapport avec Port-Royal ? » L’adolescent aime bien l’ambiance. Ça n’est pas si strict, finalement. La « Pro » s’adapte à son temps. Par exemple, l’année dernière, il n’aurait pas eu le droit de « descendre comme ça », vêtu de ce grand sarouel noir. « On n’avait pas le droit au jogging ni au jean troué. Cette année, c’est plus cool. »

Kevin, 18 ans, qui triple sa terminale S, semble lui aussi s’épanouir. Comme il avait échoué une première fois dans son lycée public de Wimereux, il s’est inscrit à la Pro « parce que c’est très réputé ».

À la fin de l’année dernière, il a eu le rattrapage. « Quand je suis arrivé ici, je me suis dit : “Je vais pas m’adapter…” J’ai de gros problèmes d’apprentissage, mais ça va de mieux en mieux. Les profs nous encadrent bien. Dans mon lycée public, les profs n’essayaient pas de nous aider, ils nous laissaient couler. Ici, ils sont derrière nous. Peut-être qu’ils ont la pression de la direction ou peut-être qu’ils sont juste humains. »

La cloche retentit. Dans les couloirs où a pu régner autrefois une atmosphère austère, se presse ce mardi de mai une foule d’adolescents bruyants, qui s’embrassent ou jouent au ballon derrière leurs casiers aux couleurs éclatantes. Une curiosité : aucun smartphone. Ils sont strictement interdits dans l’ensemble de l’établissement et, ça relève du miracle, les élèves s’y tiennent. Pendant sa campagne, Emmanuel Macron l’a promis, lui président, les téléphones portables seraient proscrits dans les écoles.

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