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Jours tranquilles à Paris
11 septembre 2019

Macron assume son virage russe

Par Marc Semo

Les ministres des affaires étrangères et de la défense français et russes se réunissent, lundi 9 septembre, à Moscou, une première depuis l’annexion de la Crimée.

Emmanuel Macron veut concrétiser le réchauffement des relations avec Vladimir Poutine et assume son tournant russe. Le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et sa consœur de la défense, Florence Parly, se rendent à Moscou, lundi 9 septembre, pour rencontrer leurs homologues Sergueï Lavrov et Sergueï Choïgou lors d’une réunion du comité consultatif de coopération et de sécurité. Il n’y en avait pas eu depuis cinq ans. Cette structure « 2 + 2 » avait été mise sur pied dans les années 1990 pour renforcer les liens, y compris sur le terrain militaire, avec une Russie que l’on pensait alors réellement engagée dans la voie de la démocratie. Elle avait été gelée au printemps 2014 après l’annexion de la Crimée, la première par la force d’un territoire en Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Le Kremlin a ensuite pris le contrôle d’une partie de la région du Donbass dans l’est de l’Ukraine par l’intermédiaire d’une rébellion armée.

Vladimir Poutine semble disposé à effectuer quelques gestes vis-à-vis de Kiev et a procédé à un échange de prisonniers, dont certaines figures symboliques comme le cinéaste Oleg Sentsov, Ukrainien de Crimée condamné à 20 ans de camp pour terrorisme. Il pourrait accepter aussi la relance des accords de paix de Minsk de février 2015 qui avaient mis fin à la phase aiguë des combats mais sont restés pour l’essentiel lettre morte. Un prochain sommet au « format Normandie » (France, Allemagne, Ukraine, Russie) devrait se tenir fin septembre dans la capitale française. La Crimée, en revanche, passe par pertes et profits. « La question est mise de côté car on sait que la Russie ne cédera pas. Il en sera de la Crimée comme des pays baltes, dont l’annexion après 1945 n’a jamais été reconnue sans que pour autant cela empêche les relations avec Moscou », résume Tatiana Jean, responsable du programme Russie de l’Institut français des relations internationales (IFRI).

Paris veut aller de l’avant malgré les doutes suscités par ces ouvertures au maître du Kremlin. « La défiance ne sert finalement à personne, même si les raisons qui l’ont alimentée – l’Ukraine, la Syrie, les assassinats à l’arme chimique, les cyberattaques – sont toujours là, et le dialogue se doit donc d’être exigeant », expliquait le 3 septembre le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, devant l’Association de la presse diplomatique. Depuis son arrivée à la tête du Quai d’Orsay, il a rencontré plusieurs fois son homologue russe, mais les relations étaient interrompues depuis cinq ans entre les ministres de la défense. Elles sont pourtant nécessaires sur la Syrie comme sur la République centrafricaine – dossiers sur lesquels Sergueï Choïgou a la haute main –, ainsi que pour ouvrir des négociations sur le contrôle des armements.

Concept flou

C’est un véritable redémarrage de la relation avec Moscou que veut Emmanuel Macron. Depuis la rencontre de Brégançon (Var), le 19 août, ce choix stratégique est affirmé toujours plus clairement. « Je crois qu’il nous faut construire une nouvelle architecture de confiance et de sécurité en Europe, parce que le continent européen ne sera jamais stable, ne sera jamais en sécurité, si nous ne pacifions pas et ne clarifions pas nos relations avec la Russie », a expliqué le président français dans son long discours d’ouverture le 27 août de la conférence annuelle des ambassadeurs et des ambassadrices, où traditionnellement le chef de l’Etat fixe les grandes orientations de sa politique étrangère. Et il ne dissimulait pas les résistances que pourrait susciter ce tournant au sein du ministère des affaires étrangères et plus généralement dans l’administration : il n’a pas hésité à pourfendre un « Etat profond », reprenant ce mot aux relents conspirationnistes qu’affectionne Donald Trump.

L’idée d’une architecture de sécurité commune avait déjà été évoquée il y a trente ans au cœur des grands débats géopolitiques au moment de la chute du Mur, quand Mikhaïl Gorbatchev en appelait à une « maison commune européenne ». L’extension vers l’est de l’OTAN, voulue avant tout par les pays de l’ex-glacis qui y voyaient leur seule véritable garantie de sécurité, et le revanchisme de Moscou lui donnèrent le coup de grâce. Remis au goût du jour, ce concept d’architecture commune de sécurité reste assez flou. L’un des enjeux prioritaires est le contrôle des armements, alors que les traités passés à la fin de la guerre froide sont menacés – comme le Start III sur les armements nucléaires stratégiques – ou ont déjà été dénoncés – comme le FNI sur les forces nucléaires intermédiaires –, ouvrant la voie à la réinstallation de missiles américains et russes sur le territoire européen.

« Il s’agit de reconstruire une relation plus réaliste avec la Russie, parce que c’est un pays voisin et pour éviter de la pousser vers la Chine ; c’est un calcul froid au nom du pragmatisme et ce n’est pas de l’idéologie », explique l’ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, soulignant que le chef de l’Etat « a raison d’agir sans attendre » pour renouer le dialogue avec Moscou dans le but de lancer une architecture de sécurité européenne. « Notre intérêt est de porter le projet le plus loin possible, afin que le prochain président américain, Donald Trump s’il est réélu ou un démocrate, ne puisse pas ne pas tenir compte de la position des Européens », précise l’ancien patron du Quai d’Orsay, qui passe pour avoir été un des inspirateurs de ce pari russe d’Emmanuel Macron.

« La France ne peut, sans risquer la banalisation de sa politique extérieure, rester vis-à-vis de la Russie l’otage de la diplomatie américaine ou de celle des pays voisins qui en ont une sainte horreur », renchérit Jean-Pierre Chevènement, qui, lors d’une rencontre avec Vladimir Poutine à Moscou, en mai, lui a porté un message du président français, dont la proposition de reprendre les rencontres « 2 + 2 ». « Je ne suis pas l’Etat profond, je suis quelqu’un de beaucoup plus sûr », ironise l’ancien ministre socialiste nommé en 2012 représentant spécial pour la Russie par François Hollande. Il fit le voyage de Moscou en 2016 avec Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie. Le futur président faisait déjà entendre sa différence par ses critiques sur les sanctions imposées à Moscou pour sa politique d’agression en Ukraine.

« Appuyer sur l’accélérateur »

Le tournant macronien sur la Russie est surtout dans la forme. Depuis son élection, comme en témoigne l’invitation de Vladimir Poutine à Versailles pour l’exposition consacrée à Pierre le Grand en mai 2017, il a misé sur la dimension européenne de la Russie. « C’est un mûrissement plus qu’un retournement », relève un proche, rappelant « qu’Emmanuel Macron aime les défis et [qu’]il est convaincu d’être le seul à même de réussir là où ses trois prédécesseurs ont échoué ». De façon différente, aussi bien Jacques Chirac que Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient affiché leur volonté « de parler avec la Russie ».

En réalité, Paris n’a jamais cessé de parler avec le Kremlin, mais sans succès face à un président russe toujours plus intransigeant. Pour tenter de l’amadouer, l’actuel locataire de l’Elysée bat volontiers sa coulpe, évoquant les erreurs des Occidentaux et les malentendus qui ont envenimé la relation. Il n’en est pas moins lucide. « Avec Vladimir Poutine, il ne faut montrer aucune faiblesse, notamment sur les droits de l’homme », confiait-il fin août à la presse présidentielle, appelant « à repenser profondément la grammaire des relations avec la Russie ».

« Jusqu’ici, nous avons eu toujours le pied sur le frein ; maintenant, il est temps d’appuyer sur l’accélérateur et de prendre l’initiative avec de vrais gestes comme à la fin de la guerre froide », note Pierre Vimont, chercheur à la Fondation Carnegie et ancien diplomate de renom dont les points de vue restent très écoutés, y compris à l’Elysée. Le tournant russe d’Emmanuel Macron risque néanmoins d’entrer en contradiction avec ses projets européens.

« Bon nombre de nos partenaires et pas seulement ceux qui à l’est sont voisins de la Russie se montrent très réticents sur les propositions du président français, ainsi que sur son idée d’une majeure autonomie stratégique de l’Europe », note l’ancien diplomate. Mais, avec ce pari russe, Emmanuel Macron veut conforter son image internationale, se coulant dans l’héritage de De Gaulle et de Mitterrand, avec une diplomatie alliée mais pas alignée, qui fait clairement entendre sa différence. La Russie est aussi une clé pour pouvoir peser sur d’autres dossiers cruciaux comme celui du nucléaire iranien.

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