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Jours tranquilles à Paris
3 décembre 2019

A Londres, l’heure des questions stratégiques pour une OTAN septuagénaire

Par Nathalie Guibert, Jean-Pierre Stroobants, Bruxelles, bureau européen

Les turbulences internes sont fortes, en raison du désintérêt des Etats-Unis, de l’attitude de la Turquie et des déclarations de Macron sur la « mort cérébrale » de l’Alliance.

Une seule matinée de « réunion » entre les chefs d’Etat et de gouvernement qui auront chacun trois minutes pour exprimer leur position avant d’échanger : à Watford, dans la banlieue de Londres, mercredi 4 décembre, les dirigeants de l’Alliance atlantique ne se réuniront pas en « sommet ». Une manière de limiter le risque de nouvelles tensions et, peut-être, d’une nouvelle saillie agressive de Donald Trump, semblable à celle, mémorable, du sommet de Bruxelles à l’été 2018. On tentera donc de commémorer en vitesse, et dans le calme, les 70 ans de l’alliance « la plus réussie de l’histoire », selon le propos inlassablement répété du secrétaire général, Jens Stoltenberg.

Optimiste et opiniâtre, celui-ci veut saisir l’occasion d’affirmer l’unité retrouvée d’une organisation rudoyée par son principal garant : le président américain a certes cessé de la dire « obsolète », mais il reste convaincu qu’une partie de ses alliés n’en fait pas assez pour le « partage du fardeau » de la sécurité collective. Après le Brexit, 80 % des forces de l’OTAN viendront de pays non-membres de l’Union européenne.

C’est donc bien ce « partage du fardeau » qui promettait d’être, une nouvelle fois, le sujet dominant des discussions de Londres, jusqu’à ce que, le 7 novembre, un autre président, Emmanuel Macron, inflige un électrochoc à l’OTAN : sa description, dans l’hebdomadaire britannique The Economist, d’une Europe « au bord du précipice », et « junior partner des Américains », alors même que ceux-ci ont « pour la première fois un président qui ne partage pas l’idée du projet européen », ne pouvait évidemment que secouer. Moins, toutefois, que l’avis de « mort cérébrale » d’une OTAN incapable de se coordonner sur les décisions stratégiques prises par les Etats-Unis et la Turquie en Syrie.

Minimiser la crise interne

« La Turquie doit fournir la clarification sur le fond que tous les alliés attendent », souligne la présidence française, qui a convoqué l’ambassadeur turc après des déclarations, jugées insultantes, du président Recep Tayyip Erdogan, sur l’ « état de mort cérébrale » de M. Macron. « Elle ne peut, par exemple, pas prendre en otage les plans de défense de la Pologne et des pays baltes, parce que les alliés ne déclarent pas le YPG [Unités de protection du peuple, miliciens kurdes] comme groupe terroriste, ou refuser que l’OTAN intervienne en mer Noire. » Une réunion à quatre, Allemagne, France, Royaume-Uni, Turquie, est prévue mardi 3 décembre.

M. Stoltenberg aura tout fait pour minimiser la crise interne, au cours de rencontres bilatérales à Washington, Berlin et Paris. L’Alliance serait renforcée, selon des chiffres tombés opportunément : après avoir baissé jusqu’en 2014, les dépenses militaires des Européens et des Canadiens, 987 milliards de dollars (892 milliards d’euros) au total, augmenteront de 130 milliards de dollars en 2020 et, si le rythme reste constant, de 400 milliards de plus en 2024. Neuf pays sur vingt-neuf atteignent l’effort fixé de 2 % de leur PIB pour leur défense. La France s’en approche (1,84 %), l’Allemagne n’en est qu’à 1,38 %.

Une autre décision, à faible impact financier mais forte charge symbolique, a été confirmée fin novembre : la part des Etats-Unis dans le budget de fonctionnement commun de la structure OTAN (quelque 100 millions d’euros) devrait être ramenée de 22 % à 16 %. La France, qui fut surprise et agacée de cette initiative venue de l’Allemagne, a obtenu un plafonnement de sa contribution.

Le « défi stratégique » posé par la Russie

M. Stoltenberg veut aussi orienter l’attention vers d’autres questions plus fédératrices : il insiste sur l’effort accompli en matière de déploiement des forces otaniennes sur le flanc Est, la lutte contre le terrorisme que les alliés vont renforcer, les décisions pour sécuriser la 5G, les menaces à affronter dans le domaine cyber et l’espace – devenu le cinquième domaine opérationnel – ou encore les relations à réévaluer avec la Chine et la Russie.

L’évocation par M. Macron d’un nouveau dialogue avec Moscou suscite des inquiétudes. M. Stoltenberg indique, lui, que cette relation doit être conforme à la ligne fixée (« fermeté et dialogue ») pour répondre au « défi stratégique » que pose le président russe Vladimir Poutine à l’Alliance, et que celle-ci doit parler « d’une seule voix ». Après la mort, cet été, du traité russo-américain sur les armes nucléaires intermédiaires en Europe (FNI), le contrôle des armements mobilise les experts de l’organisation depuis des mois. La Russie a proposé un moratoire sur les missiles intermédiaires, que rejette l’OTAN. Le Conseil de l’Atlantique Nord doit fixer une feuille de route en la matière, même si, a indiqué M. Stoltenberg au Monde, « il est trop tôt pour décider d’une négociation avec la Russie ».

« Sortir de cette situation de gel »

Mais Paris juge l’instrument collectif du dialogue, le conseil OTAN-Russie, « anesthésié ». « Il faut sortir de cette situation de gel. La fin du FNI crée un vide qui doit être comblé. Il ne s’agit pas de faire un pari sur la Russie, mais il faut que nous soyons capables de produire ensemble un effort stratégique. Il faut bien démarrer quelque part », explique l’entourage du président français, qui évoque l’urgence de « paramétrer » ce débat.

« Une conversation stratégique s’ouvre à Londres », admet le secrétariat général. Même critiquée ou niée par certains membres, la charge d’Emmanuel Macron a, de fait, relancé une question cruciale : les Européens pourront-ils faire de l’Union un véritable acteur stratégique, capable d’éviter des divergences croissantes avec Washington ? « Cette consolidation est un prérequis pour une véritable architecture transatlantique de sécurité, relève Sven Biscop, directeur à l’Institut Egmont de Bruxelles. Il n’y a, hélas, aucune garantie que l’Europe réussira à créer une politique étrangère plus souple. » D’où la question de cet expert : « L’OTAN, qui devrait encore durer quelques décennies, survivra-t-elle par conviction ou par inertie ? » Pour l’Europe, le choix est clair, souligne-t-il. Ou bien « elle acquiert effectivement le rang d’acteur stratégique et d’allié efficace des Américains, ou bien elle finira par être un simple supplétif de ceux-ci ».

« Risque de rupture »

Ce qu’a traduit, le 9 novembre, sur Twitter l’ambassadrice française à l’OTAN, Muriel Domenach : « Il n’y a pas d’alternative à un effort accru des Européens pour leur sécurité. Pas dans le but de remplacer l’OTAN, simplement parce que cela est obligatoire. Sauf si nous nous préparons à être l’enjeu d’autres rivalités stratégiques ».

Chercheur principal au centre d’études Carnegie Europe, Tomas Valasek évoque, dans un récent document, le « risque de rupture » de la relation Europe-Etats-Unis, comme la principale menace pesant sur l’organisation transatlantique, née, rappelle-t-il, d’un choix très réaliste des Etats-Unis : soutenir les Européens et assurer leur sécurité relevait aussi de leur propre intérêt.

Depuis, les sujets sécuritaires se sont multipliés pour une organisation qui, pendant quatre décennies, s’était concentrée uniquement sur la menace de l’Est. Le troisième défi, relève M. Valasek, est bien politique : tous les pays membres auront-ils la volonté de s’adapter collectivement au « monde instable » décrit par M. Stoltenberg ?

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