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Jours tranquilles à Paris
3 décembre 2019

Macron crispe les Européens

Isabelle Mandraud, Avec Nos Correspondants En Europe

Les opinions de l’Elysée sur la Russie, l’OTAN et l’UE font débat

Seul au monde, Emmanuel Macron ? Sur trois dossiers majeurs, le président français a provoqué une onde de choc chez ses partenaires européens. Sur l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), tout d’abord, lorsqu’il a décrit l’organisation en « état de mort cérébrale » dans un entretien, début novembre, à The Economist. Sur le rapprochement avec la Russie, ensuite, en appelant à « repenser la relation stratégique » avec Moscou, confirmant ainsi un tournant amorcé dès cet été, lors de la réunion des ambassadeurs à Paris. Sur l’élargissement de l’Europe, enfin, la France a mis son veto à l’ouverture de négociations avec la Macédoine du Nord et l’Albanie.

« J’assume », répétait encore M. Macron à la veille de l’ouverture du sommet de l’OTAN, qui doit s’ouvrir mardi 3 décembre, à Londres. Au-delà du manque de concertation dénoncé à la quasi-unanimité par des alliés agacés par la méthode, les avis, cependant, apparaissent plus nuancés sur le fond. « Il n’a pas tort, même quand il parle d’une Union européenne [UE] au bord du gouffre. Mais pourquoi s’exprime-t-il toujours de cette manière tellement française… », réagit un ambassadeur auprès de l’UE, résumant un propos souvent entendu à Bruxelles.

« On sent bien que, même si nous avons douloureusement résolu la crise grecque et conclu de la moins mauvaise façon la question migratoire, rien n’est vraiment réglé, poursuit le diplomate. La relation avec Washington, Moscou, Pékin ; la montée des forces populistes, sans doute temporairement endiguée… Oui, Macron a raison. Mais, s’il fait la course en tête, il pourrait bien se retourner un jour et voir qu’il a semé le peloton. »

Pendant ce temps, la relation franco-allemande bégaie. « Les prises de position d’Emmanuel Macron, autant que sa façon de les exposer, suscitent des inquiétudes », explique Norbert Röttgen, président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, en relevant « un fréquent décalage entre le ton fracassant du président français et le manque de substance de ses propositions ».

« Ton souvent disruptif »

Pour ce député, membre de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) d’Angela Merkel, les sorties de M. Macron répondent avant tout à des objectifs de politique intérieure : « On a l’impression qu’il veut montrer aux Français que c’est lui qui dirige l’Europe, et lance de nouvelles idées. Le problème, c’est qu’on a souvent du mal à savoir quelles sont précisément ces idées. Repenser la relation avec la Russie ? Pourquoi pas ? Mais pour aller où ? Et pour faire quoi ? »

Directrice de l’Institut de politique étrangère allemand, Daniela Schwarzer admet que « le ton souvent disruptif » de M. Macron bouscule la relation avec Berlin. « En Allemagne, précise-t-elle, tout le monde a vu un lien entre l’appel à redéfinir la relation avec la Russie, le non à l’élargissement de l’UE dans les Balkans et le diagnostic sur la mort cérébrale de l’OTAN. Du coup, beaucoup se sont dit que Macron voulait en fait aller beaucoup plus loin qu’il ne voulait le dire sur le rapprochement avec la Russie. »

En Europe centrale, la crispation que génère M. Macron se sent à ce genre de réaction : alors qu’un dirigeant d’un pays de la région discute, en off, de l’actualité avec des journalistes, le voici qui s’énerve brusquement en entendant un accent français dans le groupe. « Nous sommes très déçus de la position de Macron sur son blocage de l’ouverture des négociations d’adhésion à l’UE avec la Macédoine du Nord », lance-t-il, avec irritation. Ici, l’épisode du veto français a été largement vu comme l’expression d’un sentiment de supériorité associé à une forme de dédain pour l’Est typiquement français. Il a pourtant suffi que la France présente ensuite ses propositions de réforme sur la procédure d’adhésion pour détendre l’atmosphère.

Dans cette région, les déclarations sur l’OTAN ou le rapprochement avec la Russie ont suscité la controverse – sauf dans la Hongrie de Viktor Orban, ouvertement prorusse, qui a fait savoir qu’elle partageait une partie du constat. Pour Ivan Krastev, chercheur spécialiste de l’Europe centrale, interrogé par le quotidien autrichien Die Presse, « Macron a le bon instinct », il a « raison » de reconnaître que les Etats-Unis se désintéresseront de l’Europe même après le départ de Trump et de vouloir s’entendre avec la Russie. « Mais je ne vois pas de stratégie », critique-t-il.

A Varsovie, le commentaire le plus souvent répandu est que « Emmanuel Macron veut pousser les Etats-Unis hors d’Europe ».L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche n’a en rien changé la doctrine stratégique de la Pologne, qui fait reposer la défense du pays quasi exclusivement sur la relation « privilégiée » avec Washington. Dans ce contexte, « l’autonomie stratégique » prônée par la France a toujours été regardée de manière sceptique, et les experts remarquent que M. Macron ne fait qu’endosser les vieux habits de tradition gaullienne, tant décriés ici.

« Des paroles en or »

Ce n’est certes pas la première fois que le président français irrite le pouvoir ultraconservateur polonais mais, désormais, sur les bords de la Vistule, le soupçon affleure sur un désengagement français à peine dissimulé. « Nous voyons ici une menace pour la cohésion [de l’OTAN] provoquée, non par le manque d’engagements des Etats-Unis, mais de manière évidente, de la France », avançait récemment le ministre des affaires étrangères, Jacek Czaputowicz. Pour ne rien gâter, au même moment, Moscou se réjouissait de la description d’une OTAN moribonde. « Des paroles en or (…) une définition précise de l’état actuel de l’OTAN », s’est félicitée la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova.

Faut-il pour autant parler d’une crise de confiance au sein de la famille européenne ? « Je ne crois pas, répond Mme Schwarzer. Le séisme de ces dernières semaines ne doit pas faire oublier l’essentiel, à savoir la conviction partagée entre la France et l’Allemagne, qu’il faut travailler plus étroitement sur les grandes questions stratégiques ». Directrice de recherche au German Marshall Fund, Alexandra de Hoop Scheffer juge, pour sa part, « très cohérente » la position de M. Macron. « Il remet la politique au centre des institutions multilatérales qui nous lient aux autres Européens, aux Etats Unis ou à la Turquie. On a éludé toutes les grandes questions stratégiques, que pose Macron. Certes, il le fait de manière brutale, mais c’est sans doute la seule manière de secouer la routine institutionnelle ».

Après Londres, M. Macron devra convaincre sur sa position face à Moscou, lors du sommet prévu à Paris, le 9 décembre, sur l’Ukraine. Censé parvenir à une solution pacifique durable dans l’est de ce pays déchiré depuis 2014 par un conflit sanglant, la rencontre réunira, outre le président français, la chancelière allemande, Angela Merkel, le chef du Kremlin, Vladimir Poutine, et le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Un test plutôt risqué sur le rapprochement avec la Russie.

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