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Jours tranquilles à Paris
18 mars 2020

Portrait - Jean-Louis Butré, le croisé de l’antiéolien sur un petit nuage

Par Nabil Wakim

Après avoir, pendant deux ans, encouragé son développement, Emmanuel Macron vient d’affirmer sa volonté de freiner l’essor de l’éolien. Un revirement qui donne des ailes à Jean-Louis Butré, figure de proue du lobby antiéolien, dans son combat.

Pour une fois, le vent a l’air de souffler dans son sens. Ce jeudi 5 mars, Jean-Louis Butré, le président de la Fédération environnement durable (FED), a réuni autour de lui la plupart des associations de défense du patrimoine pour dénoncer le développement de l’éolien en France. « Un massacre de nos paysages », « une catastrophe économique » et « la soumission à un lobby ». Rien de moins. Dans le sous-sol d’un café près de l’Assemblée nationale, ses camarades se réjouissent du revirement d’Emmanuel Macron.

Depuis deux ans, le gouvernement a soutenu activement le développement de l’éolien, et, officiellement, il mise toujours sur un essor considérable dans les dix prochaines années.

Mais il y a quelques semaines, mi-janvier, le président de la République a soudainement laissé entendre une musique différente. « Le consensus sur l’éolien est en train de nettement s’affaiblir dans notre pays », expliquait Emmanuel Macron à Pau, avant d’ajouter que « de plus en plus de gens, eux, considèrent que leur paysage est dégradé ». De quoi inquiéter les professionnels, mettre en doute la trajectoire énergétique de la France et ravir les opposants de longue date aux éoliennes.

Le visage d’une France rurale oubliée

Oui, mais voilà, pour Jean-Louis Butré, pas question d’aller négocier avec le ministère une répartition plus équilibrée de l’éolien terrestre : pour lui, c’est zéro éolienne, point barre. Dans son appartement du 16e arrondissement de Paris, il montre fièrement le tas de lettres qu’il vient de recevoir. « J’en reçois des dizaines tous les jours, elles viennent de toute la France. Les braves gens n’en peuvent plus et ils se révoltent », assure-t-il.

Jean-Louis Butré, 80 ans, est devenu ces dernières années une figure du combat antiéolien, qui se revendique comme le visage d’une France rurale oubliée. Cet ancien dirigeant d’entreprise, passé par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Rhône-Poulenc, parcourt depuis dix ans les villages de France pour dénoncer ce qu’il estime être une « arnaque à grande échelle ».

Il raconte que son engagement lui est venu en 2005, lorsqu’un promoteur éolien a voulu installer un parc à Rouillé, dans la Vienne – le village de ses grands-parents, où il a sa résidence secondaire. « Un voisin m’appelle pour m’inviter à une réunion à la mairie, avec le promoteur et l’Ademe [Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie]. Il nous a servi sa messe : “Vous avez de la chance d’avoir un projet éolien, vous allez sauver la planète.” Mais, quand j’ai posé des questions, on a voulu me faire taire, ça ne m’a pas plu du tout, alors je les ai massacrés, parce que j’ai droit à la parole ! », lâche-t-il.

« UNE INDUSTRIE ÉTRANGÈRE A PRIS LE POUVOIR SUR NOTRE TERRITOIRE. » JEAN-LOUIS BUTRÉ

On peine à imaginer ce retraité un peu brouillon « massacrer » ses interlocuteurs. « Je suis allé voir les habitants du coin, on a fait une association, et rapidement il y en a eu trois ou quatre autres dans la région », explique-t-il. « Je pensais que ce serait facile, mais je n’avais pas conscience des gros intérêts financiers en jeu », dit-il d’un air entendu. C’est l’un de ses thèmes favoris : en plus de « défigurer » les paysages, les éoliennes seraient le fruit d’une volonté allemande de s’attaquer au marché français. « Une industrie étrangère a pris le pouvoir sur notre territoire », assène-t-il dans un discours aux accents souverainistes.

Il assure pourtant « ne pas faire de politique » : cet ancien directeur d’usine a reçu l’ordre du Mérite des mains de François Mitterrand, montre les mots d’encouragement que lui a écrits Valery Giscard d’Estaing dans son ­combat et loue « l’intelligence » d’Emmanuel Macron.

Sur la table de son double salon, on trouve pêle-mêle des revues d’histoire et de sciences, des ouvrages sur les animaux du désert et un livre qui dénonce le « double discours » de Greenpeace. D’un ton débonnaire, il explique sa passion pour les randonnées et la « véritable écologie », en faisant admirer sa collection de fossiles de diplodocus rapportés de ses voyages aux Etats-Unis – lui qui aime à rappeler qu’il a visité « 80 pays ».

Jean-Louis Butré voit partout les dangers du « lobby de l’éolien ». « Ils ont infiltré les ministères, l’administration et l’Ademe, ils sont très puissants, continue-t-il, c’est une mafia. » Surtout, le président de la FED ne croit pas que les énergies renouvelables soient une nécessité pour combattre le changement climatique. « On nous fait culpabiliser, mais tout ça c’est de la fausse écologie. Est-ce que la planète va cuire ? Est-ce que c’est à cause du CO2 ? Peut-être, je ne le sais pas », lâche-t-il.

« JE NE CONTESTE PAS LE GIEC [GROUPE D’EXPERTS INTERGOUVERNEMENTAL SUR L’ÉVOLUTION DU CLIMAT], MAIS JE NE SUPPORTE PAS QU’ON EMPÊCHE LE DÉBAT. » JEAN-LOUIS BUTRÉ

Quand on lui rappelle que le consensus scientifique est total sur les causes humaines du changement climatique, il n’est « pas sûr » non plus : « Je ne conteste pas le GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat], mais je ne supporte pas qu’on empêche le débat », dit celui dont l’ouvrage Eolien, une catastrophe silencieuse (L’Artilleur, 2017) a été préfacé par le climatosceptique Claude Allègre, ancien ministre socialiste.

On l’accuse d’être pro-nucléaire ? Il assure qu’il n’en est rien. « J’ai travaillé quatre ans au CEA, puis j’ai été directeur d’usine chez Rhône-Poulenc et j’ai fini ma carrière dans une filiale qui travaillait avec l’Institut français du pétrole, alors, évidemment, on me caricature ! »

« Heureusement qu’il est là, il est notre vitrine nationale, parce que, dans cette affaire, le pouvoir est à Paris et les victimes sont dans les territoires », se félicite Bernadette Kaars, présidente de la fédération Vent d’Anjou, qui fait partie de la FED.

« Le marketing des promoteurs éoliens est de nous faire passer pour des châtelains, des gens de droite qui défendent leurs résidences secondaires et le nucléaire, mais c’est faux ! », se défend Jean-Louis Butré, en assurant que le conseil ­d’administration de la FED est composé de gens allant d’un ancien communiste à un membre actif du Rassemblement national.

Fin février, pour un meeting antiéolien à Saulieu, en Bourgogne, il partageait l’estrade avec l’essayiste Fabien Bouglé, très marqué à droite, l’écologiste Antoine Waechter et l’historien critique du capitalisme François Jarrige. Il raconte aussi qu’il a été bien accueilli dans des squats libertaires par des « zadistes » opposés à « l’éolien industriel ». « Au début, ils m’ont pris pour un gars des renseignements généraux ! », s’amuse-t-il.

« C’EST LE TYPE HISTORIQUE DU MOUVEMENT, DONC IL EST LÉGITIME, MAIS SA COMMUNICATION EST ASSEZ HASARDEUSE ET UN PEU VIEILLOTTE. » UN DÉPUTÉ

Mais son militantisme ne fait pas l’unanimité, même parmi certains antiéoliens. « Il est assez maladroit », note un député rétif à l’éolien, qui l’a entendu lors de la commission d’enquête sur les énergies renouvelables à l’Assemblée nationale. « C’est le type historique du mouvement, donc il est légitime, mais sa communication est assez hasardeuse et un peu vieillotte. Typiquement, sa position sur le climat est une erreur marketing à ne pas faire. »

Dans le petit monde de l’énergie, Jean-Louis Butré se trouve souvent face à un autre Jean-Louis, le président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), Jean-Louis Bal, qui, lui, défend les intérêts de la filière. « Bien sûr, chacun peut avoir son opinion sur la place de l’éolien dans le paysage. Mais beaucoup d’arguments sont démagogiques et complètement caricaturaux », estime M. Bal, qui souligne que la FED soutient des recours en justice systématiques contre les parcs éoliens.

De fait, leur durée de développement en France est de sept ans, contre trois ou quatre dans les pays voisins. « On n’a pas les moyens de tout empêcher, reconnaît Jean-Louis Butré, mais on leur fait perdre du temps. »

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