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Jours tranquilles à Paris
20 octobre 2020

Le laborieux démarrage de l’éolien en mer

Par Nabil Wakim, Perrine Mouterde - Le Monde

Les travaux de plusieurs parcs ont démarré et les premières éoliennes devraient produire de l’électricité à partir de 2022, mais la filière reste inquiète pour son avenir.

Où faut-il implanter les prochaines éoliennes au large des côtes normandes ? Après des mois de consultations sur ce sujet, la Commission nationale du débat public (CNDP) doit rendre ses conclusions, lundi 19 octobre. Une étape indispensable en vue du lancement de l’appel d’offres pour la construction d’un nouveau parc entre Cherbourg (Manche) et Le Tréport (Seine-Maritime), et un jalon supplémentaire pour le développement de la filière offshore française. Petit à petit, celle-ci semble enfin prendre forme et les annonces s’accumulent. Pourtant, malgré ces avancées, elle demeure inquiète pour son avenir, alors que la France ne compte toujours aucun parc en activité.

De prime abord, les choses progressent : fin septembre a été lancée la construction de la sous-station électrique du futur parc de Fécamp (Seine-Maritime), mis en chantier en juin. Les 71 éoliennes, d’une capacité de 500 mégawatts (MW), doivent entrer en service en 2023. Avant cela, des éoliennes de 150 mètres de hauteur commenceront à produire de l’électricité à partir de juin 2022 au large de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). La première nacelle destinée à ce parc vient de sortir de l’usine General Electric installée à Montoir-de-Bretagne.

Au total, sept parcs d’éolien posé – Saint-Nazaire, Fécamp, Ile d’Yeu-Noirmoutier, Saint-Brieuc, Courseulles-sur-Mer (Calvados), Dieppe-Le Tréport et Dunkerque (Nord) – doivent être mis en service entre 2022 et 2027. Les premières fermes pilotes d’éolien flottant doivent également commencer à fonctionner à partir de 2023. « Il y a une nette accélération pour le secteur, veut-on croire au ministère de la transition écologique. Un débat public vient de commencer en Bretagne et un autre va débuter en Méditerranée ; avec la Normandie, cela fait trois procédures en parallèle. C’est un signal clair. »

La feuille de route de la politique énergétique française, publiée en avril, prévoit l’attribution de 1 000 MW par an pour atteindre 5 200 MW à 6 200 MW d’éolien en mer en activité en 2028. « Cette orientation est très ambitieuse, affirmait fin septembre Pauline Le Bertre, la directrice générale de France énergie éolienne (FEE). Elle confirme la confiance du gouvernement dans l’énergie éolienne. Mais il faudra mettre les moyens si l’on veut atteindre ces objectifs. »

Le Royaume-Uni, champion mondial de l’éolien en mer

Cette trajectoire fait pourtant pâle figure en comparaison de la dynamique des pays voisins. Avant même de s’être lancée dans la bataille, la France accuse un retard majeur. « Un projet de 500 MW doit être attribué l’an prochain ? Mais nos voisins britanniques attribuent 1 700 MW en un jour ! », balaie un acteur important du secteur.

Le Royaume-Uni, champion mondial de l’éolien en mer, compte plus de 2 225 éoliennes au large de ses côtes, d’une capacité cumulée de 10 000 MW. Début octobre, le premier ministre Boris Johnson a promis que l’éolien offshore alimenterait en énergie « chaque foyer du pays d’ici à dix ans », en confirmant un objectif de 30 gigawatts (GW) à 40 GW de capacité pour 2030. A cet horizon, l’Allemagne vise un objectif de 20 GW, et le double en 2040. La Belgique, avec son espace maritime de seulement 3 500 km², a déjà plus de 1 700 MW de puissance installée.

En France, le premier appel d’offres a été lancé en 2011. Depuis, le développement de la filière a notamment été entravé par les recours juridiques et les lenteurs administratives. « Qu’il faille dix ans pour que les premiers parcs sortent de terre, c’est plus ou moins normal, estime Vincent Balès, le directeur général de WPD offshore France, investi dans les projets de Fécamp et Courseulles-sur-Mer. En Allemagne, il a aussi fallu dix ans pour développer le premier parc installé en 2010. Mais ensuite, trente parcs sont sortis de l’eau entre 2010 et 2020. En France, on n’en aura pas autant dans dix ans. »

Aujourd’hui, les professionnels s’inquiètent de la capacité à tenir les engagements pris par le gouvernement dans son document de politique énergétique. De fait, celle-ci a déjà pris du retard. Alors que la procédure de mise en concurrence pour l’appel d’offres au large de la Normandie devait être lancée cette année, elle le sera au mieux l’an prochain. Et l’emplacement des parcs censés être attribués les années suivantes n’est pas défini.

La question cruciale de la planification

Le projet de loi pour l’accélération et la simplification de l’action publique (ASAP), voté en première lecture à l’Assemblée le 6 octobre, contient plusieurs dispositions qui pourraient contribuer à réduire les délais. Le texte prévoit notamment de confier au Conseil d’Etat la compétence en premier et dernier ressort pour les litiges relatifs à l’éolien en mer – une orientation qui ulcère les opposants à l’éolien.

Le projet stipule aussi que la procédure de mise en concurrence pourra démarrer en parallèle du processus de participation du public. Si le ministère assure que cela n’influera en rien sur la prise en compte des conclusions des débats, Chantal Jouanno, la présidente de CNDP, juge cette disposition « ridicule ». « Pour gagner quelques mois, on va renforcer le sentiment que tout est décidé avant même que le débat ait lieu », estime-t-elle.

A moyen terme, la question cruciale est celle de la planification. Dans plusieurs pays européens, les zones d’installations possibles des parcs ont été établies pour plusieurs décennies. Lors du débat public en Normandie, une séance a été consacrée à ce sujet. A la mi-juillet, à Rouen, des représentants de l’Etat, de la filière, des associations de protection de l’environnement, des pêcheurs et des développeurs étaient réunis autour de la table.

« Depuis 2010, nous attendons avec impatience que les premiers mâts d’éoliennes sortent de mer, constatait Guillaume Blavette, de France nature environnement Normandie. Dans d’autres temps, l’Etat s’était donné les moyens de planifier : à la fin des années 1960, il a réussi à faire construire 58 réacteurs nucléaires en une quinzaine d’années ! » « On parle quand même d’un quatrième appel d’offres et avant, rien n’a été réellement planifié, surtout pas avec la profession », déplorait aussi Dimitri Rogoff, du Comité régional de pêche et des élevages marins de Normandie.

Les industriels ne cachent pas leur inquiétude

Avoir une meilleure visibilité permettrait une acceptabilité plus forte des projets et faciliterait le processus de concertation, estime la filière. « Une planification ambitieuse de long terme est nécessaire pour que chacun puisse se projeter, notamment en donnant une vision sur l’emplacement des parcs », confirme Cédric Le Bousse, directeur des énergies marines chez EDF Renouvelables. Pour RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, planifier permettrait de réduire les coûts, en mutualisant les raccordements et les équipements.

L’enjeu est également de taille pour la filière industrielle : l’entreprise espagnole Siemens-Gamesa doit poser en novembre la première pierre de son usine du Havre, qui sera l’une des plus grandes d’Europe. Les industriels ne cachent pas leur inquiétude : « Pour que ces usines aient une activité continue, il faut de la visibilité, et pour l’instant l’Etat ne donne pas de signaux clairs », s’alarme un acteur du secteur.

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