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Jours tranquilles à Paris
15 avril 2020

La lettre politique de Laurent Joffrin - «Moi le premier…»

Plutôt bien venue, cette allocution présidentielle articulée autour du diptyque «compassion-précision». Le ton est plus humble, la date du 11 mai donne une perspective, les mesures annoncées sont de bon sens, la prolongation du confinement était inévitable face à une pandémie qui marque le pas mais reste dangereuse.

Quatre mots retiennent l’attention, qui semblent annoncer une subite conversion : «Et moi le premier.» Ils concluent la réflexion suivante, placée en fin de discours : «Ne cherchons pas tout de suite à trouver [dans la crise sanitaire] la confirmation de ce en quoi nous avons toujours cru. Non. Sachons sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier.»

La première phrase est juste. Chacun, en effet, voit le virus à sa porte et trouve dans la crise la preuve de sa prescience. Les nationalistes réclament plus de nation, les socialistes plus de social, les écologistes plus d’écologie, les centristes chantent le juste milieu et les extrêmes la radicalité. On dit que tout doit changer, mais on répète la même chose. «Rien ne sera plus comme avant», clame-t-on. Sauf les discours.

C’est un fait que le Président échappe à la règle. Les mesures qu’il a annoncées sont à l’exact opposé de celles qu’il défendait auparavant. Il fustigeait «le pognon de dingue» mis dans le social, il dépense désormais sans compter pour limiter la casse sociale ; il chantait l’ouverture, il prône la souveraineté économique ; il moquait «les Gaulois réfractaires», il découvre que les Français sont tout de civisme discipliné ; il voulait réformer quitte à diviser, il écarte les réformes et prêche l’unité ; il louait «les premiers de cordée», il fait l’éloge des derniers, si précieux face à la pandémie, etc.

Les circonstances ont changé, plaidera-t-il, «je m’adapte». Mieux, je me «réinvente». A moins qu’il ne se soit trompé jusque-là… La nouvelle politique est-elle si nouvelle ? Retour de l’Etat, attention aux plus faibles, relance keynésienne, stratégie collective pour garder la maîtrise des secteurs les plus sensibles, appel à la solidarité plus qu’à la concurrence, éloge des travailleurs les plus humbles : on croirait entendre un de ces leaders sociaux-démocrates qu’on déclarait obsolètes il y a deux mois. Le Président parle comme un homme de gauche, lui qui avait prononcé la mort de la distinction droite-gauche. Pragmatisme ? Acceptons-en l’augure. Mais au cœur de cette crise inattendue et très «nouveau monde», il apparaît que les valeurs et les méthodes de l’ancien reprennent une nouvelle vie.

LAURENT JOFFRIN

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