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Jours tranquilles à Paris
17 avril 2020

Raoult, le Gaulois réfractaire

raoult44

L’irrationnel est de toutes les crises. Dans celle du coronavirus, il atteint des sommets. Non dans le comportement des acteurs, étonnamment raisonnables en moyenne, qu’il s’agisse de la population ou des responsables gouvernementaux, mais dans le débat public, tel qu’il se développe principalement sur les réseaux sociaux. La polémique a pour emblème le professeur Raoult, star péremptoire de la scène phocéenne au physique de chef gaulois réfractaire, dont la tête a tant grossi, selon ses adversaires, qu’elle pourrait boucher le port de Marseille. Il a encore affolé la meute des réseaux mercredi, en déclarant que l’épidémie, comme les gelées d’hiver, pourrait bien s’arrêter avec le printemps. Il a été aussitôt contredit par le directeur de l’Agence régionale de santé locale qui prévoit, au vu de ses propres statistiques, une prolongation «de plusieurs semaines».

A vrai dire, le même dialogue théâtral se poursuit depuis que cet infectiologue fort savant et fort peu modeste a annoncé qu’il avait trouvé le médicament idéal pour bloquer la pandémie : la chloroquine, molécule utilisée habituellement contre le paludisme, en passe de devenir plus célèbre que l’aspirine, et qu’il administre généreusement à ses patients.

Faute de compétence, on se gardera ici de se prononcer sur l’efficacité de ce traitement, dont il faut espérer, après tout, qu’il est aussi bénéfique que ce qu’en dit son promoteur. C’est la forme du débat qui interpelle, plus que le fond. Le professeur Raoult semble voir dans la chloroquine une sorte de potion magique. Une grande partie des autres médecins, sans doute très majoritaires, expriment un scepticisme plus ou moins véhément. Les essais pratiqués par le scientifique devenu gourou d’Internet ne sont pas fiables, disent-ils, il leur manque le «groupe témoin» de patients non-traités nécessaire à la preuve. Pour ses adversaires, en effet, rien ne montre que les malades traités à la chloroquine n’auraient pas connu un sort identique sans qu’on leur administre le médicament.

Un observateur candide dirait que si cette chloroquine ne fonctionne pas, il n’y a pas non plus grand mal à la prescrire si l’on y croit : au pire, elle ne changera rien. Les adversaires de Raoult rétorquent, avec une certaine pertinence, que la médication peut provoquer des effets indésirables dangereux, pour le cœur notamment, si elle est ingérée à forte dose (ce qui est le cas dans le protocole de Raoult). Arguments qui n’atteignent pas les partisans du barbu professeur, dont une partie s’est changée en une secte agressive. Les adversaires de Raoult écopent d’un tombereau d’injures sur les réseaux, au point qu’une éminente spécialiste parisienne, Karine Lacombe, détractrice médiatisée, a dû se retirer de Twitter après avoir été menacée de mort.

On trouve dans ces échanges furieux l’application hystérisée du schéma déjà expérimenté pendant le mouvement des gilets jaunes, si cher aux populistes : les élites contre le peuple ; l’establishment médical d’un côté, un dissident solitaire qui exprime la colère populaire de l’autre. Raoult, gilet jaune en blouse blanche… On admettra que ce n’est pas le meilleur moyen d’apaiser une discussion scientifique… D’autant que le professeur s’est déjà illustré par des aphorismes à l’emporte-pièce rapidement contredits par les faits. Au début de l’épidémie, il avait déclaré d’un ton définitif que la maladie resterait confinée en Chine et qu’il n’y avait pas lieu de s’affoler comme on le faisait. Il y a une dizaine d’années, il avait aussi clamé que le réchauffement de la planète s’était arrêté en 1998 et que rien ne prouvait qu’il puisse être lié à l’activité humaine…

En fait, faute d’une étude rigoureuse validée par les pairs, l’efficacité de la chloroquine est comme l’existence de Dieu. On ne peut pas la prouver mais on ne peut pas la réfuter. C’est une question de foi. Dans cette aporie, toutes les peurs et tous les fantasmes s’engouffrent comme un tsunami sur une plage.

La science est en fait impuissante devant ce genre de phénomène. Les savants, en effet, concèdent volontiers qu’ils sont très loin de tout savoir sur le coronavirus, ses origines, ses effets divers sur les patients, son évolution et a fortiori sur les moyens de la guérir ou de le prévenir. Et si la chloroquine ou tout autre médicament hétérodoxe marche, ils en conviendront volontiers et s’en réjouiront. En attendant, ils doutent. Angoissante mais inévitable incertitude, qui caractérise souvent l’avancée du savoir médical. Ainsi ceux qui savent ne savent pas tout et le disent. Ce qui n’autorise pas ceux qui ne savent rien à dire n’importe quoi…

LAURENT JOFFRIN

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