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Jours tranquilles à Paris
26 mai 2020

Géopolitique - Le retrait des États-Unis du traité “Ciel ouvert” place la Russie devant un choix difficile

poutine33

VZGLIAD (MOSCOU)

Washington se retire du traité “Ciel ouvert” (Open Sky), qui permet aux pays signataires d’effectuer des vols d’observation au-dessus de leurs territoires. Pourquoi les États-Unis ont-ils pris une telle décision et en quoi est-ce dangereux pour les intérêts militaires russes ? Les réponses du site russe Vzgliad, proche des positions du Kremlin.

Le traité “Ciel ouvert”, signé en 1992, établit globalement le cadre suivant : chaque pays signataire [35 États, dont la Russie, les pays membre de l’OTAN, mais aussi la Biélorussie, l’Ukraine, la Géorgie] bénéficie d’un quota de survols des territoires des autres pays signataires à l’aide d’avions équipés d’appareils photographiques et autres systèmes d’observation, avec bien entendu l’obligation de laisser les autres pays survoler son territoire aux mêmes conditions. Ces mesures visent à réduire les tensions entre la Russie, les pays européens, les États-Unis et d’autres nations. Et elles y parvenaient en effet.

Conformément à ce traité, la Russie avait droit à un nombre donné de vols de reconnaissance au-dessus du territoire américain et des autres pays de l’OTAN, et devait en échange autoriser les Américains et leurs alliés à survoler son territoire. Il faut dire que ces survols étaient véritablement utiles pour la sécurité de la Russie, car ils permettaient de récolter des informations militaires importantes sans courir de risque.

Comme souvent, les critiques à l’égard du traité “Ciel ouvert” sont venues d’abord des Occidentaux et de leurs alliés. En 2014, les États-Unis ont annulé un de leurs survols de la Russie, puis ont tenté d’entraver la mission de reconnaissance russe au-dessus de leur territoire à cause du lancement du tout nouvel appareil russe Tu-214ON, qui poussait au maximum les limites technologiques fixées par le traité. Ces problèmes n’avaient pas conduit alors à la dissolution du traité.

En 2016, la Turquie, avec qui nos relations étaient au plus bas à la suite de la destruction d’un de nos bombardiers par l’armée turque, avait interdit à la Russie d’effectuer un vol de reconnaissance prévu par le traité au-dessus de son territoire.

La Russie accusée de “transgressions” depuis 2019

En 2019, les Américains se sont livrés à une nouvelle série d’accusations. D’après eux, la Russie interdisait les survols à moins de dix kilomètres des frontières de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud [deux régions de Géorgie autoproclamées indépendantes depuis 1992], ainsi qu’au-dessus de Kaliningrad [enclave russe en Europe du Nord]. En outre, ils accusaient la Russie d’outrepasser les conditions du traité en se servant de ces vols pour récolter des informations sur les infrastructures vitales sur le sol américain.

En réalité, tout cela n’était une fois de plus que l’expression de l’hypocrisie américaine. Les vols à proximité de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie auraient de toute évidence permis aux États-Unis de transmettre des informations sensibles à la Géorgie, ce qui aurait pu mettre en danger les soldats russes stationnés dans ces deux pays et plus largement dans la zone. De plus, l’idée même que les Américains soient tellement intéressés par l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud est risible. Il ne s’agissait manifestement que d’un prétexte.

Concernant les problèmes avec Kaliningrad, la responsabilité en revenait à la Pologne, qui planifiait ses survols de telle manière que les vols commerciaux étaient impactés, et qui refusait de changer d’un iota son approche du traité “Ciel ouvert”. D’ailleurs, lorsque l’on connaît le niveau de “modération” de la Pologne, on imagine aisément que les informations recueillies lors de ces survols de Kaliningrad auraient été utilisées à des fins de provocation militaire, surtout au vu de l’armement excessif de la Pologne. Il a donc fallu introduire une limitation du secteur de survol.

Une réaction du Kremlin s’impose

Quant aux prétendues “transgressions” des termes du traité de la part de la Russie dans ses observations des infrastructures américaines, cela est techniquement impossible, et, comme souvent avec les accusations américaines, aucune preuve ne venait les étayer. Toujours est-il que les Américains ont commencé à préparer leur retrait du traité précisément en 2019.

Et voilà donc que le 21 mai 2020 Trump annonce que les États-Unis quittent le traité, officiellement en raison de violations de la part de la Russie. Précisons que les autres signataires (y compris les membres de l’OTAN) ne parlent pas de quitter le traité. La Russie non plus pour l’instant, même si elle ne peut pas rester sans réagir face à cette nouvelle incartade américaine.

Un avantage militaire de Washington sur la Russie

La première conséquence évidente pour notre pays est que nous n’aurons plus la possibilité de contrôler les sites militaires sur le sol américain. De plus, cet inconvénient serait pour l’instant unilatérale – à en croire certains responsables politiques américains, le traité ne leur sert à rien puisqu’ils ont d’autres moyens de surveiller le territoire russe. Notamment à l’aide d’appareils-espions ou d’appareils commerciaux en orbite qui fournissent des images satellites. La Russie se trouverait donc en défaut, car elle ne possède pas de déploiement de satellites comparable à celui des Américains. En fait, tout cela revient à constater que les États-Unis veulent simplement s’assurer un avantage militaire. Mais ce n’est pas tout.

Théoriquement, la Russie peut continuer ses vols de reconnaissance au-dessus des pays européens membres de l’OTAN qui restent signataires du traité. Bien entendu, la possibilité de réaliser des vols d’observation en Europe est essentielle pour notre sécurité. Mais dans la pratique tout cela reviendrait à “jouer contre notre camp”. Chacun sait que les pays européens sont dépendants des États-Unis et répondent sans sourciller à la plupart de leurs demandes. Les Européens ne pourraient-ils donc pas continuer à fournir aux États-Unis toutes les informations recueillies lors de leurs vols, voire à survoler des zones à la demande des Américains ? C’est probable, voire certain.

Moscou réduite à choisir le moindre mal

Les services de renseignements au sein de l’OTAN travaillent ensemble ; ajoutons à cela la relation historiquement privilégiée qu’entretient avec les États-Unis la Grande-Bretagne, membre du traité. Donc, dans les faits, les États-Unis pourront disposer de toutes les informations concernant la Russie comme lorsqu’ils effectuaient des survols. Contrairement à la Russie, car personne n’ira collecter pour nous des informations sur le territoire américain.

Ce qui place la Russie face à un choix : soit elle renonce à collecter des données de renseignement auxquelles elle a actuellement accès grâce aux survols des pays européens membres de l’OTAN, soit elle se résigne à l’idée que ses partenaires européens partageront avec les États-Unis toutes les informations récoltées au-dessus de la Russie, tout en sachant que le territoire américain deviendra pour nous “terra incognita”. Il faut bien admettre qu’aucune des solutions n’est satisfaisante.

Pour juger de la posture des Américains, il faut se rappeler les slogans de Donald Trump durant les présidentielles. Tout le monde se souvient du premier, “Make America Great Again”. Or, il y en avait un autre, qui n’a pas trouvé sa place sur les casquettes, mais qui était bien présent dans les discours de Trump : La “paix armée”.

Les Américains continuent de détricoter les traités internationaux

La destruction systématique par les Américains de tous les accords multilatéraux qui assuraient la sécurité de l’Europe ainsi que leur tendance à augmenter la pression militaire vont vraiment dans le sens de ce type de coercition. Les Américains se souviennent encore de la faiblesse de Mikhaïl Gorbatchev et seraient heureux de répéter l’expérience. Ronald Reagan avait relevé l’Amérique en son temps sous le slogan de la “paix armée” par une croisade contre l’URSS, et l’on sait combien Trump veut ressembler à Reagan. Aujourd’hui, Trump travaille à accroître le niveau de menace militaire sur la scène internationale pour forcer les adversaires des États-Unis à faire des concessions.

L’attitude des États-Unis concernant tous les traités fondamentaux pour la sécurité internationale force malheureusement notre pays à se poser la question : dans quelle mesure la signature de pareils traités avec les États-Unis est-elle justifiée en soi ? Ce n’est pas la première fois qu’ils causent du tort à la Russie en se retirant de ce type de traités – d’abord le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, maintenant le traité “Ciel ouvert”, nous contraignant de choisir entre deux maux.

Il reste un traité que les Américains n’ont pas encore mis par terre : le traité New Start de réduction des armes stratégiques. Il n’est pas à exclure que là encore il faille bientôt trancher, malgré les lourdes conséquences que cela pourrait avoir pour la Russie et pour le maintien de la paix en général.

Alexandre Timokhine

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