Par Robin Richardot - Le Monde
Depuis qu’un promoteur immobilier veut construire un complexe de luxe sur l’île, qui dépend de Larmor-Baden, dans le golfe du Morbihan, la commune est déchirée entre pro-retombées économiques et anti, soucieux de préserver l’environnement.
A Larmor-Baden, dans le Morbihan, il suffit d’un mot pour lancer des débats houleux entre voisins : Giboire. Cela fait quatre ans que ce promoteur immobilier rennais ambitionne d’installer un complexe hôtelier quatre étoiles de 80 chambres avec piscine sur l’île de Berder. Un bout de terre privé, accessible par un gois à marée basse, qui accueille jusqu’à 3 000 visiteurs certains jours sur son sentier ouvert au public. « C’est notre Mont-Saint-Michel à nous », se vantent les Larmoriens. Mais ces dernières semaines, l’île divise les 858 habitants de la commune.
Quatre associations de défense de l’environnement ont déposé des recours judiciaires en juillet afin de bloquer le projet immobilier. Elles craignent que ce dernier ne dénature le cadre de l’île, sa végétation, ses plages que l’on découvre le long du sentier côtier et ses bâtiments datant du XIXe siècle. Il y a donc d’un côté les pro-Giboire, qui ont manifesté leur soutien le 23 août, et de l’autre, les anti-Giboire, réunis le 6 septembre pour un « pique-nique joyeux » sur l’île.
Lors de ce dernier rassemblement, le ton est monté entre les deux camps. « Bande de salopards ! », « cocus ! », ont invectivé les uns, quand les autres n’en peuvent plus de « ces assos de vieux énervés qui n’ont rien d’autre à faire que scruter les permis de construire ». Selon « Mousse », pro-Giboire et gérant du bar juste en face de l’île, un manifestant l’aurait menacé de brûler son établissement. D’ailleurs, certains Larmoriens défendent mordicus avoir vu des black blocs à la manifestation du 6 septembre.
Vente à Yves Rocher
Un niveau de tension jamais atteint dans la commune alors que les premiers différends autour de l’île de Berder datent des années 1980. A l’époque, le terrain appartient à des bonnes sœurs qui le vendent à Yves Rocher. « On a dû batailler pour que l’industriel maintienne une activité à caractère social sur l’île », resitue Eugène Riguidel, navigateur. L’entrepreneur breton abandonne ses ambitions hôtelières et loue ses 25 hectares à un centre de vacances pour jeunes.
L’histoire aurait pu se terminer là, mais Yves Rocher meurt en 2009 et ses descendants mettent en vente l’île en 2012. Marc Chapiro, un militant de Baden (la commune juste au nord de Larmor-Baden), lance alors un collectif et une pétition pour que Berder devienne un parc départemental. Des grands noms apportent leur signature : la navigatrice Florence Arthaud, le député José Bové et le chanteur Renaud. Le groupe immobilier rennais Giboire acquiert finalement l’île et prévoit dès 2016 l’installation d’un complexe de luxe.
En réaction aux recours des associations, Christophe Guyomard a lui aussi créé un collectif. Ce conseiller municipal, ancien navigateur dans la marine, craignait que Giboire imite Yves Rocher et abandonne le projet. « On a un investisseur breton qui investit en Bretagne, qui promet 47 emplois minimum, qui s’engage à rénover les lieux, tout ça pour zéro euro de subventions publiques, et on est en train de laisser filer cette opportunité », fulmine celui qui joue les porte-parole de la mairie dans l’histoire.
Guerre d’arguments
Les deux camps se livrent alors une guerre d’arguments, avec une légère tendance à l’exagération. « Giboire construira un pont ou un tunnel pour accéder à l’île à toute heure », imagine Eugène Riguidel. Le marin prédit même un héliport. « Et puis ça sera une base de lancement pour la fusée Ariane, des fois qu’en Guyane ça ne marcherait plus », lui renvoie Christophe Guyomard, dénonçant des « fake news ».
Entre deux piques, on se dispute les chiffres et l’adhésion des Larmoriens. La pétition des anti-Giboire assure l’emporter avec près de 13 000 signatures (contre 1 300 pour le texte adverse, disponible seulement depuis août). Mais dans l’autre camp, on revendique « 80 % de signataires locaux ». « A leur manifestation il n’y avait qu’une quinzaine de Larmoriens, contre-attaque Christophe Guyomard. Les autres étaient des activistes écolos de Rennes ou Nantes. »
Ce débat pourrait s’inviter en mars aux élections départementales. Jusque-là, François Goulard, président du conseil départemental, a rejeté les demandes des militants écologistes. « Le département n’a rien à voir dans cette histoire, balaie-t-il. L’achat, la rénovation et l’entretien de l’île représenteraient plusieurs millions d’euros. C’est plus d’une année du budget du département qui y passerait. » Certains Larmoriens craignent que l’île ne devienne une nouvelle ZAD (« zone à défendre ») dans la région.
Signer la pétition
A la mairie, on a surtout peur que Giboire jette l’éponge. Entre la cour d’appel et le Conseil d’Etat, les anti-complexe ont sans doute bloqué le projet immobilier pour cinq ans minimum. Contacté, le groupe Giboire n’a pas souhaité répondre à nos questions mais assure qu’une vente de l’île n’est pas à l’ordre du jour. « Au moins, c’est un groupe breton », soulignent Manuela et Benoît, gérants du seul hôtel de la commune.
Sur le port de Larmor-Baden, un couple de touristes écoute Eugène Riguidel défendre ses arguments puis demande l’adresse du site pour signer la pétition. Un autre homme indique qu’il en parlera à ses amis lorientais. « Tu peux leur dire de rester chez eux, gronde alors un Larmorien. Si on continue de bloquer tous les projets, dans dix ans, on ne visitera plus que des ruines sur cette île. »