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Jours tranquilles à Paris
23 octobre 2019

Poutine et Erdogan saluent un accord « décisif » et « historique » sur le Kurdistan syrien

La Russie et la Turquie ont prévu de lancer des patrouilles communes dans le nord-est de la Syrie. Ankara a annoncé l’interruption de son offensive.

Un « accord historique », pour Recep Tayyip Erdogan ; des solutions « décisives », selon Vladimir Poutine. A l’issue de négociations marathon à Sotchi, en Russie, les présidents turc et russe sont parvenus, mardi 22 octobre, à un accord prévoyant notamment de lancer des patrouilles communes dans le nord-est de la Syrie, après le désarmement des milices kurdes dans la région.

« Ces décisions sont selon moi très importantes, voire décisives, et vont permettre de résoudre une situation très tendue », a déclaré M. Poutine, au sujet de ce mécanisme destiné à éviter la reprise de l’opération militaire turque dans le nord-est de la Syrie contre des groupes armés kurdes. « Aujourd’hui, avec M. Poutine, nous avons conclu un accord historique pour la lutte contre le terrorisme, l’intégrité territoriale et l’unité politique de la Syrie, ainsi que pour le retour des réfugiés », a déclaré, pour sa part, M. Erdogan.

Ankara prêt à frapper si les YPG ne se retirent pas

La Turquie, qui réclame une « zone de sécurité » à sa frontière, qualifie de « terroristes » les combattants kurdes longtemps alliés de Washington dans la lutte contre le groupe djihadiste Etat islamique (EI). Ankara a néanmoins suspendu son offensive jeudi, à la faveur d’une fragile trêve négociée entre Turcs et Américains, pour permettre aux forces kurdes des YPG (Unités de protection du peuple) de se retirer des zones frontalières.

La Turquie n’a « pas besoin » de reprendre son offensive contre les forces kurdes dans le nord de la Syrie car ces dernières se sont retirées des zones frontalières, a annoncé, mardi soir, le ministère turc de la défense. « A ce stade, il n’existe pas de besoin de mener une nouvelle opération », a fait savoir le ministère, précisant que le retrait kurde avait été confirmé par les Etats-Unis.

Selon M. Erdogan, l’accord conclu avec M. Poutine, allié du régime de Damas, porte surtout sur les secteurs du nord-est de la Syrie dans lesquels les YPG sont présentes, mais où l’offensive turque n’avait pas été étendue avant sa suspension.

S’agissant des bandes frontalières situées à l’est et à l’ouest de ce secteur, les forces des YPG doivent s’en retirer « dans un délai de cent cinquante heures à partir du 23 octobre à midi [11 heures, heure française], au-delà de trente kilomètres, avec leurs armes », a affirmé M. Erdogan. « Les fortifications et positions de l’organisation seront détruites », a-t-il ajouté.

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22 octobre 2019

Le Japon célèbre la montée sur le trône de l’empereur Naruhito

Par Philippe Mesmer, Tokyo, correspondance

L’Archipel va vivre mardi 22 octobre l’une des importantes cérémonies d’accession au trône de l’empereur Naruhito. Un événement qui réunit des représentants des dirigeants du monde entier.

Les Japonais assisteront, mardi 22 octobre, à la proclamation de l’accession au trône de leur nouvel empereur, au cours d’une somptueuse cérémonie. Naruhito, devenu, depuis le 1er mai, le 126e empereur du Japon, annoncera officiellement son arrivée sur le trône du Chrysanthème, en costume de cour traditionnel, à l’adresse de 2 500 personnalités japonaises et de représentants étrangers. Décryptage de ce rite traditionnel ancré dans les croyances shinto.

Qu’est-ce que le « Sokui no rei » ?

Il s’agit de l’ensemble des cérémonies d’accession au trône du nouvel empereur, Naruhito. Parmi celles-ci, la cérémonie d’accession au trône au Hall de l’Etat (Sokuirei Seiden no gi) se tient mardi. Elle fait suite à l’abdication, le 1er mai, de son père, Akihito.

Elle va réunir, au Palais impérial de Tokyo, les représentants de 194 pays et d’organisations internationales. Parmi les personnalités présentes, le prince Charles d’Angleterre, le vice-président chinois, Wang Qishan, la secrétaire américaine aux transports, Elaine Chao, ou encore l’ancien président français Nicolas Sarkozy.

Outre ces personnalités étrangères, les représentants des administrations, organes législatifs et grandes entreprises, soit près de 2 500 personnes, vont assister à cette cérémonie dont les rituels, liés au culte shinto, datent du IXe siècle. Au moment de la restauration de Meiji (1868-1912), les éléments de bouddhisme qu’elle incluait ont été gommés, la prééminence du shinto étant affirmée.

La cérémonie dure trente minutes. Le souverain, Naruhito, et son épouse, l’impératrice Masako, vont revêtir les tenues impériales traditionnelles et s’installer sur leur trône respectif, le takamikura et le michodai, disposés sur des estrades spéciales d’or et de laque.

L’empereur va lire la déclaration de son accession au trône. Le premier ministre, Shinzo Abe, répondra par un texte de félicitations. Puis trois banzaï (littéralement « dix mille ans de vie ») salueront le nouveau couple souverain, qui quittera ensuite la salle.

Une parade était prévue dans les rues de la capitale. Mais par respect pour les victimes du typhon Hagibis, qui a fait 80 morts et provoqué d’importants dégâts, le 12 octobre, dans le centre et le nord-est du Japon, elle a été reportée au 10 novembre. Un banquet organisé par Shinzo Abe suivra pour les invités étrangers.

D’autres cérémonies suivront, notamment, les 14 et 15 novembre, le Daijosai, rite d’offrande de riz nouveau après la cérémonie d’intronisation.

La totalité des cérémonies devrait coûter près de 30 milliards de yens (247 millions d’euros), un financement qui suscite des critiques, la Constitution prévoyant la séparation du religieux et de l’Etat. « Je me demande s’il est approprié de financer cet événement religieux avec des fonds publics », déclarait, en novembre 2018, au sujet de l’abdication, celui qui est aujourd’hui prince héritier, Akishino.

Un changement avec le règne précédent ?

Conformément à ce qu’il disait avant de monter sur le trône, Naruhito reste fidèle aux principes pacifistes de son père. Le 15 août, lors de l’anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, il a repris les mots d’Akihito en parlant des « profonds remords » pour les crimes du Japon militariste.

Dans le même temps, le style semble plus détendu et plus moderne. « Le couple impérial apparaît encore plus proche du peuple », a ainsi pu observer Hideya Kawanishi, de l’université de Nagoya.

Avec son épouse, l’impératrice Masako, Naruhito, 59 ans, forme le premier couple impérial parlant plusieurs langues. Les deux n’ont pas hésité à rompre avec le protocole et à parler en anglais avec le président américain Donald Trump et son épouse Melania.

« Ils sont très à l’aise, surtout elle, d’ailleurs, qui a passé une grande partie de son enfance à l’étranger », note Kenneth Ruoff, directeur du Centre d’études japonaises de l’université de Portland (Etats-Unis) et auteur de Japan’s Imperial House in the Postwar Era, 1945-2019 (Harvard East Asia Monograph, 440 pages, non traduit).

De même, les inquiétudes entourant l’état de santé de Masako semblent dissipées. L’ancienne diplomate, mariée en 1993 avec Naruhito, a longtemps souffert de dépression, et apparaît plus souriante. « Elle n’aimait pas son rôle de princesse héritière. Là, elle retrouve ce pour quoi elle a été formée, la diplomatie et le service de son pays », analyse le Pr Ruoff.

La cérémonie s’accompagne d’une amnistie. Pourquoi ?

C’est une tradition. En marge de cette accession au trône, 550 000 personnes coupables d’infractions diverses, routières notamment, vont bénéficier d’une amnistie.

Cette pratique remonte à la période de Nara (710-784). Elle montrait que l’empereur savait faire preuve de miséricorde. A la fin du XIXe siècle, son principe a été incorporé à la législation régissant l’institution impériale selon la Constitution Meiji.

Les amnisties n’ont pas toujours accompagné des événements impériaux. Il y en a eu notamment au moment de l’entrée du Japon aux Nations unies, en 1956, ou de la rétrocession d’Okinawa par les Etats-Unis, en 1972.

Cette fois, le nombre d’amnistiés est réduit. En 1989, 10 millions de personnes en avaient bénéficié au moment du décès de l’empereur Hirohito (1901-1989), et en 1990, 2,5 millions de personnes avaient été amnistiées pour la montée sur le trône d’Akihito.

Il y en avait eu aussi une en 1993, à l’occasion du mariage de Naruhito et Masako. Des critiques avaient alors été émises, car certains bénéficiaires étaient des responsables politiques reconnus coupables d’infractions à la loi électorale. Or le gouvernement Abe a choisi d’en amnistier certains, cette fois encore.

18 octobre 2019

Au nord-est de la Syrie, un accord de cessez-le-feu temporaire en trompe-l’œil

syrie

Par Allan Kaval, Marie Jégo, Istanbul, correspondante

La trêve annoncée hier par le vice-président américain Mike Pence permet à la Turquie d’obtenir le retrait des combattants kurdes de sa frontière Sud.

La Turquie a accepté, jeudi 17 octobre, de suspendre son offensive en Syrie pendant cinq jours afin de permettre aux forces kurdes de se retirer d’une « zone de sécurité » voulue par Ankara, selon les termes d’un accord négocié par l’administration américaine et présenté par le gouvernement turc comme une victoire absolue. « La Turquie a mis les Etats unis à genoux », titrait, jeudi soir, le site du quotidien pro-gouvernemental Yeni Akit.

La trêve, annoncée depuis Ankara par le vice-président américain Mike Pence après quatre heures d’entretien avec le président Recep Tayyip Erdogan, a été saluée par Donald Trump, convaincu qu’elle permettra de « sauver des millions de vies ».

S’il est vraiment appliqué, l’accord réalise tous les objectifs visés par la Turquie lors du lancement de son offensive baptisée « Source de paix » au nord est de la Syrie il y a huit jours, à savoir le contrôle d’une bande de terre de 32 kilomètres de profondeur sur 400 kilomètres de longueur – jusqu’à la frontière avec l’Irak – par l’armée turque et ses supplétifs syriens ainsi que le retrait total des combattants kurdes de cette zone sur laquelle, à terme, les réfugiés syriens actuellement hébergés par Ankara seront installés.

Pour permettre aux forces kurdes de se retirer, « sous 120 heures, toutes les opérations militaires dans le cadre de l’opération “Source de paix” seront suspendues et l’opération cessera complètement une fois ce retrait achevé », a déclaré M. Pence à la presse à l’issue de sa rencontre avec le numéro un turc.

Débandade américaine

Jubilation du ministre turc des affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, selon lequel les Etats-Unis se sont inclinés face à « l’importance et la fonctionnalité » de la « zone de sécurité » voulue par Ankara. Se refusant à parler de « cessez-le-feu », il a évoqué « une pause », censée permettre aux combattants kurdes d’abandonner leurs armes lourdes, de détruire leurs positions et de se retirer.

« La pause ne signifie pas que nos soldats et nos forces se retireront. Nous restons », a t il fanfaronné. Les islamo-conservateurs ne peuvent que se féliciter des larges concessions accordées à la Turquie par l’administration américaine. « Nos succès militaires sont rehaussés par une victoire diplomatique », soulignait, jeudi, Ismaïl Çaglar, le directeur du groupe de réflexion SETA, inféodé au pouvoir à Ankara.

Mais au-delà des rodomontades, l’accord pose plus de questions qu’il n’en résout. Des doutes subsistent sur sa mise en œuvre. Les Etats-Unis sont allés au-devant des exigences turques sans avoir aucune possibilité d’influencer de manière significative les faits sur le terrain. Qui veillera à l’application de l’accord ? Certainement pas les forces américaines, qui, jadis alliées aux combattants kurdes, ont déserté dès les premiers jours de l’offensive turque leurs bases du nord-est de la Syrie ; celles-ci sont occupées désormais par les Russes et par l’armée de Bachar Al-Assad.

Le retrait des forces des Etats-Unis du nord-est de la Syrie s’est fait dans une telle débandade que le temps a manqué pour évacuer une partie du matériel. Mercredi, des F-15 américains ont bombardé l’ancien QG des GI sur place, la cimenterie Lafarge située au sud de Kobané, pour que les munitions abandonnées ne tombent aux mains des Turcs et de leurs alliés rebelles syriens, actifs dans la région.

Sauver la face

Un point semble positif, les forces kurdes ont annoncé qu’elles acceptaient l’accord. Mais il y a un bémol. Mazlum Kobane, l’un de leurs chefs en Syrie, l’interprète à sa façon. Tout en affirmant avoir été associé aux tractations, il a assuré que le cessez-le-feu se limitera aux régions situées entre Tal Abyad, ville frontalière récemment conquise par les Turcs et Ras Al-Ain, où des combats avaient lieu ces derniers jours entre l’armée d’Ankara et les combattants kurdes.

Pas question selon lui que les Turcs prennent le contrôle de l’ensemble de la frontière, pas question non plus que des « modifications démographiques » aient lieu, une allusion au plan du président Erdogan de réinstaller dans cette zone les réfugiés syriens de Turquie (3,6 millions de personnes), dont les Kurdes ne veulent pas.

En réalité, l’accord est un habillage qui permet aux présidents Trump et Erdogan de sauver la face vis-à-vis de leurs opinions publiques. Le second pense aussi avoir ainsi échappé aux sanctions que les sénateurs américains, ulcérés par les impérities de l’administration Trump, veulent imposer à Ankara.

Bâclé, vide de sens, impossible à appliquer, l’accord n’est pas définitif. La trêve est censée durer cinq jours, soit jusqu’au 22 octobre. C’est précisément à cette date que les vraies négociations vont commencer.

Elles auront lieu à Sotchi, en Russie, où M. Erdogan a été invité par son homologue russe et « ami », Vladimir Poutine. Moscou, qui tire désormais toutes les ficelles en Syrie, tracera les lignes de partage entre les belligérants. Un futur accord doit garantir « l’intégrité territoriale de la Syrie et les intérêts de sécurité de la Turquie », a déclaré Sergueï Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères, après l’annonce de l’accord turco-américain.

16 octobre 2019

Russie-Turquie-Syrie: Vladimir Poutine en « monsieur bons office » invite le président Erdogan à Moscou pour parler Syrie

Alors que les Etats-Unis ne savent plus sur quel pied danser en Syrie, au risque de voir leur influence réduite au Proche-Orient, Vladimir Poutine tente de renforcer le poids de la Russie dans la région.

Le Kremlin annonce que le président russe s’est entretenu au téléphone avec son homologue turc à propos de l’offensive menée par Ankara en Syrie et que Vladimir Poutine a convié Recep Tayyip Erdogan à Moscou, lequel a accepté l’invitation.

16 octobre 2019

Vladimir Poutine, arbitre et grand gagnant du chaos syrien

Par Benoît Vitkine, Moscou, correspondant, Benjamin Barthe, Beyrouth, correspondant

Grâce au retrait américain, le président russe s’est imposé en « médiateur numéro un » entre Damas, son allié, les Kurdes, lâchés par Washington, et Ankara.

La guerre de Manbij n’aura probablement pas lieu et c’est à Vladimir Poutine qu’on le doit. La bourgade du nord de la Syrie, tenue depuis trois ans par les miliciens kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), semblait promise à un bain de sang. Entre les forces prorégime, décidées à y réimposer l’autorité de Damas, et l’armée turque et ses affidés syriens, déterminés à les en empêcher, la collision paraissait garantie.

Mais mardi 15 octobre, depuis Abou Dhabi, où le président russe est en tournée diplomatique, son entourage a fait savoir que de tels affrontements seraient « inacceptables ». Ankara a obtempéré à reculons, laissant les troupes progouvernementales pénétrer dans la ville, qui occupe un emplacement stratégique, à proximité du barrage de Tichrine, sur l’Euphrate.

Trois ans après la chute des quartiers rebelles d’Alep, facilitée par les bombardements de son aviation, M. Poutine impose donc une nouvelle fois sa loi. La reconquête, en décembre 2016, de la métropole du Nord syrien, avait amorcé l’effondrement de l’insurrection anti-Assad. Celle de Manbij préfigure la fin de l’autonomie de fait que les Kurdes avaient conquise dans le nord du pays.

Simple rouleau compresseur au service de Damas lorsque son armée a débarqué en Syrie, en septembre 2015, le maître du Kremlin a désormais ajouté une dimension diplomatique à sa panoplie. Il est devenu l’arbitre du chaos, avec, comme fil rouge de sa politique, la réunification du pays autour de Bachar Al-Assad, dictateur certes inconfortable, mais pour l’instant incontournable à ses yeux.

Complicité involontaire de la Turquie

« Poutine s’est imposé comme le médiateur numéro un de la crise parce que les Etats-Unis lui ont abandonné le terrain et parce qu’il dispose de leviers de pression sur tous les acteurs du dossier, décrypte Samir Altaqi, un analyste syrien proche de l’opposition et bon connaisseur de la Russie. Si l’on veut échapper à la guerre généralisée dans le Nord syrien, c’est par lui qu’il faut passer. »

En plus de Manbij, les troupes loyalistes ont repris pied dans plusieurs localités du nord-est hors desquelles elles avaient été boutées au début du soulèvement. Elles devraient ainsi bientôt entrer à Kobané, ville symbole de la résistance des Kurdes à l’organisation Etat islamique (EI). Les Forces démocratiques syriennes (FDS), la milice kurdo-arabe formée et noyautée par les YPG, qui contrôlait ces territoires depuis 2015, ont commencé à s’effacer devant les nouveaux maîtres des lieux.

Le régime Assad se voit ainsi offrir l’opportunité de regagner en quelques jours, ou quelques semaines, davantage de terrain qu’il ne l’avait fait en huit années de conflit. Le tout, sans coups de feu, ou presque. Un tour de passe-passe que le protégé de Moscou n’aurait pu réaliser sans la complicité involontaire de la Turquie.

En partant à l’assaut, mercredi 9 octobre, des positions des YPG, une entité « terroriste » selon Ankara, car liée aux séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Turquie, l’armée turque a endossé le rôle de l’épouvantail, dévolu jusque-là aux Mig russes et aux bombes-barils du régime.

« Scénario idéal »

Donald Trump n’est pas le seul à avoir donné son feu vert à cette opération militaire avec ses tweets à l’emporte-pièce, annonçant le retrait des forces américaines de Syrie, alliées du YPG. Moins bruyant, mais pas moins efficace, Vladimir Poutine a lui aussi appuyé l’offensive turque, devinant que cette entorse à son autoproclamée défense de l’intégrité de la Syrie lui serait profitable.

Et de fait, au bout de trois jours, sous la pression des forces turques et de leurs supplétifs syriens, jamais avares en atrocités, le PYD, la branche politique du proto-Etat kurde, a consenti au retour des pro-Damas. Les négociations, conduites par de hauts gradés russes, se sont déroulées sur la base aérienne dont Moscou dispose, à Hmeïmim, sur le littoral syrien, ainsi que sur l’aéroport de Kamechliyé.

Selon Fiodor Loukianov, un analyste russe réputé proche du pouvoir, l’accord obtenu correspond au « scénario idéal ». Ces dernières années, le Kremlin avait tenté à plusieurs reprises de convaincre les Kurdes de se replacer, moyennant quelques garanties, sous la tutelle du régime syrien. Fort du soutien américain, le PYD snobait ces avances. Face au lâchage de la Maison Blanche et à l’avancée turque, Moscou a proposé à nouveau ses bons offices. Et les Kurdes se sont inclinés.

Symbole du passage de relais entre les Etats-Unis et le tandem russo-syrien, la chaîne russe RT a diffusé, mardi, des images d’un convoi de l’armée syrienne croisant, sur une route des environs de Kobané, une colonne de blindés américains sur le départ. « Ce qui est frappant, estime Alexandre Choumiline, directeur du Centre d’études sur le Moyen-Orient à l’Institut de l’Europe, c’est que Poutine triomphe de la main de Recep Tayyip Erdogan [le président turc] sans avoir eu à faire grand-chose, et sans se brouiller avec les autres protagonistes. »

Défiance croissante entre Ankara et ses alliés de l’OTAN

Le retour du régime syrien dans le nord poursuit et amplifie le processus de reconquête, cher à Bachar Al-Assad. En 2018, les forces pro-gouvernementales ont repris successivement la banlieue orientale de Damas, le nord de Homs et la région de Deraa, à la frontière avec la Jordanie. Avec à chaque fois, le soutien de l’aviation russe.

« C’est bien joué de la part de Poutine, mais sur le long terme, l’alliance kurdo-américaine était intenable, nuance le géographe Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie. Les Etats-Unis ont fait semblant de croire à l’idylle kurdo-arabe que les FDS étaient censées incarner. Ils ont pensé qu’ils pourraient détacher les YPG du PKK, la formation séparatiste turque kurde qui est classée terroriste par Washington. Mais à la minute où l’EI a été défait, ces illusions se sont envolées. Et les Américains sont partis. »

Moscou peut se targuer d’un autre succès, collatéral celui-ci : la défiance croissante entre Ankara et ses alliés de l’OTAN. Déjà mises à mal par la décision de la Turquie de se fournir en S-400, un système de missiles sol-air de fabrication russe, les relations turco-américaines devraient continuer à se dégrader sous l’effet des sanctions décidées par Washington. De même, les embargos sur les armes décidés par plusieurs pays européens, dont la France, ne peuvent que pousser un peu plus Ankara dans les bras de Moscou.

Face à cette avalanche de bonnes nouvelles, le dossier syrien a fait son grand retour à la télévision russe. Le présentateur de la première chaîne, Dmitri Kissiliev, pouvait même se permettre de plaisanter, dimanche soir : « Vu la façon dont les Américains ont trahi les Kurdes, les Polonais ont de bonnes raisons d’être inquiets… »

Evincer les Occidentaux et leurs alliés

Le succès diplomatique russe demeure toutefois fragile. L’ombrageux Erdogan, qui voit s’évanouir son rêve de « zone de sécurité », où il espérait reloger une partie des 3,5 millions de Syriens réfugiés en Turquie, n’a peut être pas dit son dernier mot. Mardi, deux soldats syriens ont été tués par des tirs d’artillerie de rebelles pro-Turcs, près d’Aïn Issa. Poutine devra veiller à ne pas s’aliéner le président turc, dont il a besoin pour gérer le dossier d’Idlib, le dernier bastion de la rébellion, où une trêve précaire est en vigueur.

D’autres menaces planent sur le Nord-Est syrien : celle de règlements de compte en cascades, entre Kurdes et tribus arabes ; celle d’affrontements entre le YPG et le régime ; et celle d’une résurgence de l’EI, plusieurs djihadistes détenus par les Kurdes ayant profité du chaos pour s’échapper. « Poutine va devoir apprendre à nager dans ce marécage, qui pourrait se transformer en trou noir », prévient Samir Altaqi.

Mais la bonne santé de la Syrie n’a jamais été le souci principal du chef du Kremlin. L’homme qui a déversé des tombereaux de bombes sur Alep et sur Idlib s’est avant tout préoccupé d’évincer les Occidentaux et leurs alliés de ce qu’il considère comme sa chasse gardée. C’est l’objectif qu’il poursuit avec le processus politique d’Astana, qui a supplanté les négociations de Genève, menées sous l’égide des Nations unies.

La résolution 2254, négociée de près par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni, qui appelait à la mise en place d’un organe de transition, à des élections libres et à une nouvelle Constitution, a été réduite, sous la pression de Moscou, à une seule clause, la troisième, la moins nocive pour Bachar Al-Assad.

Quatre ans après l’intervention de son armée en Syrie, Vladimir Poutine approche de son but. Dans les plaines de Manbij et de Kobané, les GI’s américains ont été remplacés par d’autres soldats, à l’accent différent. Des Spetsnaz, les forces spéciales russes.

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16 octobre 2019

Offensive turque en Syrie : isolé à l’extérieur, Erdogan peine à mobiliser sa population

Par Marie Jégo, Istanbul, correspondante

Alors que l’intervention militaire turque continue de susciter la désapprobation, le président semble déterminé à entraîner son pays vers l’abîme.

Ni les condamnations ni les sanctions brandies par l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis, ne semblent pouvoir infléchir le président turc Recep Tayyip Erdogan, plus convaincu que jamais du bien-fondé de l’opération militaire menée depuis une semaine par son armée contre les forces kurdes au nord-est de la Syrie.

Sourde aux réactions de ses alliés traditionnels, la Turquie a envoyé, lundi 14 octobre, son armée à l’assaut de Manbij, une ville de la rive ouest de l’Euphrate, où l’armée de Bachar Al-Assad a commencé à se déployer en vertu d’un accord passé avec les forces kurdes qui contrôlent la cité. « Nous sommes sur le point d’appliquer notre plan concernant Manbij », a déclaré M. Erdogan lundi, expliquant qu’il souhaitait restituer la ville aux populations arabes, « ses propriétaires légitimes ».

Alignés derrière « le chef », l’un des surnoms de M. Erdogan, les islamo-conservateurs du Parti de la justice et du développement (AKP) sont vent debout contre le reste du monde. Ainsi, Yasin Aktay, l’un des ténors de la formation présidentielle, n’a pas hésité à déclarer publiquement qu’un « accrochage avec l’armée syrienne était possible ».

L’intervention turque en Syrie « contribue à la paix et à la sécurité régionale », a expliqué M. Erdogan lors de l’entretien téléphonique qu’il a eu avec son homologue français Emmanuel Macron dans la soirée de lundi et alors que se déroulait, à Paris, un match de qualification pour le championnat d’Europe de football entre la Turquie et la France. A cette occasion, lors de la rencontre, les joueurs turcs ont effectué un salut militaire sur la pelouse du Stade de France en signe de soutien à leur armée.

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Entraîner le pays vers l’abîme

Alors que l’intervention militaire d’Ankara en Syrie suscite la désapprobation internationale, le président Erdogan semble déterminé à entraîner son pays vers l’abîme, au risque de causer des dommages irréparables à son économie, fragile, et fortement dépendante des capitaux étrangers.

D’ores et déjà, la Bourse d’Istanbul voit son indice baisser chaque jour davantage tandis que la monnaie locale, la livre turque, s’est dépréciée de 3 % par rapport au dollar depuis le début de l’offensive. Seule l’intervention des banques, promptes à se porter au secours de la devise en injectant 3,5 milliards de dollars (3,2 milliards d’euros) sur le marché, a permis de limiter les dégâts.

La décision des ministres des affaires étrangères des vingt-huit pays de l’Union européenne (UE) de restreindre leurs exportations de matériel militaire vers la Turquie laisse Ankara de marbre. La même indifférence prévaut face au récent décret exécutif signé par le président américain Donald Trump imposant des sanctions surtout symboliques contre les ministres turcs de l’énergie, Fatih Donmez, de la défense, Hulusi Akar, et de l’intérieur, Süleyman Soylu. Washington a aussi annoncé une forte hausse des taxes douanières sur l’acier turc.

Malgré les nuages qui s’amoncellent, le président Erdogan ne cesse de répéter que son armée poursuivra son offensive, faisant fi de la condamnation généralisée qu’elle suscite. Ceux qui la réprouvent n’ont rien compris, à l’instar de la chancelière allemande Angela Merkel, et du premier ministre britannique Boris Johnson, victimes d’une « sérieuse désinformation », selon M. Erdogan.

A l’instar du président turc, les médias pro-gouvernementaux voient la situation sous un jour positif tandis que la prière de la conquête continue d’être psalmodiée dans les 90 000 mosquées du pays.

Marasme diplomatique

Lundi, le quotidien Sabah, l’un des porte-voix du pouvoir islamo-conservateur, a salué « une victoire diplomatique et militaire » pour la Turquie. « Nous sommes en train d’écrire une nouvelle page de l’histoire envers et contre le monde entier, écrit l’éditorialiste Hasan Basri Yalçin, qui énumère les succès engrangés. Nous avons ramené la Russie de notre côté, nous avons lié les mains des Européens avec les réfugiés et enfin nous avons réussi à forcer le retrait des Etats-Unis du nord-est de la Syrie. »

En réalité, l’opération militaire voue le pays à l’isolement. Jamais la Turquie ne s’est retrouvée dans un tel marasme diplomatique, sinon peut-être au moment de l’intervention de son armée à Chypre en 1974 qui a divisé l’île en deux. M. Erdogan y a fait allusion. L’offensive militaire turque en Syrie est « aussi vitale » que celle de Chypre en 1974, a-t-il déclaré dans un discours prononcé lundi à Bakou en Azerbaïdjan, où il était en visite.

Les soutiens à l’opération turque se comptent sur les doigts de la main. Seuls le Pakistan, le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan, le Venezuela et la Hongrie l’ont approuvée. L’assentiment de la Russie et de l’Iran, les partenaires d’Ankara au sein du « processus d’Astana », lui fait défaut.

Téhéran s’est prononcé contre l’intervention turque et Moscou tente désormais de la limiter en donnant son feu vert à l’armée de Bachar Al-Assad, qui est entrée au nord-est de la Syrie après un accord conclu avec les forces kurdes sur la base russe militaire de Hmeimim.

Plus vulnérable que jamais

Erratique et aventuriste, la politique étrangère de M. Erdogan laisse le pays faible, isolé et sans alliés. Bercé par la nostalgie du passé ottoman, le « Grand Turc » ambitionnait de rétablir l’influence de son pays au Moyen-Orient, dans les Balkans et au-delà tout en donnant aux citoyens turcs une vision hypertrophiée de leur place dans le monde.

Son ambition de rendre la Turquie « great again » a échoué. Aujourd’hui le pays apparaît plus vulnérable que jamais et l’opération en Syrie risque de s’avérer coûteuse diplomatiquement et économiquement.

Quelles sont les raisons qui ont poussé le numéro un turc à prendre un tel risque ? « Il l’a fait parce qu’il se trouve dans une situation insoutenable en interne, à la fois au niveau économique et politique. L’AKP, son parti, est en train de perdre sa position hégémonique face à l’opposition unie mais hétéroclite, une alliance entre le Parti républicain du peuple [CHP, kémaliste], le Bon Parti [nationaliste] et le Parti de la démocratie des peuples [HDP, gauche pro-kurde]. Erdogan sait que la meilleure façon de briser cette entente est d’assurer une montée du sentiment nationaliste contre le “terrorisme” kurde », explique Ömer Taspinar, enseignant au National War College de Washington.

Il y est parvenu, obtenant l’assentiment du CHP et du Bon Parti lors du vote sur l’opération militaire turque en Syrie au Parlement. « C’est incontestablement un succès pour Erdogan qui a su rallier une bonne partie de l’opposition parlementaire derrière lui. Seul le HDP a voté contre », estime Erhan Kelesoglu, un politologue indépendant.

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La peur est revenue en force

Pour autant, l’opération militaire est loin de susciter l’enthousiasme de la population. « Il y a une grande indifférence, surtout si on compare avec le soutien manifesté en 2018 envers l’opération militaire sur Afrin [région à majorité kurde du nord-ouest de la Syrie, conquise en mars 2018 par l’armée turque]. Les intellectuels se taisent, ils savent que le prix à payer peut être lourd depuis que des centaines d’entre eux ont été révoqués, poursuivis en justice et parfois emprisonnés pour avoir signé une pétition contre l’intervention de l’armée au Sud-Est [région à majorité kurde de la Turquie] à l’hiver 2015-2016 », rappelle le politologue.

Une large partie de la population turque, obnubilée par la perte de son pouvoir d’achat, n’a pas la tête à l’intervention. « Et puis Erdogan n’est pas aussi convaincant qu’il l’était. De nombreux Turcs sont conscients du fait qu’il utilise cette opération à des fins de politique intérieure, juste pour assurer sa survie politique. Les gens comprennent que le problème de sécurité mis en avant par les autorités est une manipulation. Les forces kurdes ne représentaient pas une menace terroriste réelle pour la Turquie. Aucune menace immédiate n’émanait de la zone contrôlée par ces forces et les arabes alliés des Etats-Unis à l’est de l’Euphrate », estime un analyste de la scène politique turque, soucieux d’anonymat vu la sensibilité du sujet.

La peur, qui s’était estompée lors des succès de l’opposition aux municipales au printemps, est revenue en force car, dès le premier jour de l’intervention, les autorités ont sorti le bâton.

Plus de cent personnes qui avaient critiqué l’opération militaire sur les réseaux sociaux ont été placées en garde à vue. Environ 500 enquêtes judiciaires ont été ouvertes contre ceux qui ont évoqué « une invasion ». Pour avoir posté un tweet sur « la guerre injuste faite aux Kurdes », Sezgin Tanrıkulu, député du CHP, a été prévenu lundi par le parquet qu’une enquête judiciaire venait d’être ouverte contre lui.

15 octobre 2019

Kurdes : «Nous avons bien plus peur des Turcs que de Daech»

Par Wilson Fache 

Lâchés par Washington, les combattants kurdes ont annoncé dimanche avoir conclu un accord avec Damas pour contrer l’offensive du régime d’Erdogan dans le nord de la Syrie. Au moins 130 000 civils ont déjà fui les combats. «Libération» est allé à la rencontre des habitants, désespérés et en colère.

Kurdes : «Nous avons bien plus peur des Turcs que de Daech»

Il est 21 heures mais il fait déjà nuit, comme si le monde avait été englouti. Sur la route M4 qui relie Tall Tamr à Qamichli, le check-point tenu par les forces kurdes syriennes est illuminé comme un sapin de Noël. Des dizaines de loupiotes rouges posées sur l’asphalte indiquent la position du barrage, un phare au milieu des champs arides. Mais celui-ci est désormais vacant. Un pick-up fonce à toute allure : les combattants des Unités de protection du peuple (YPG) quittent leurs positions. «On se retire, le régime arrive», murmure l’un d’eux à travers la vitre avant de repartir. En Syrie, et les «frontières» disparaissent dans la nuit aussi vite que les voitures.

Les autorités kurdes, acculées après «l’abandon» de Washington, ont finalement annoncé dimanche avoir passé un accord avec le régime de Bachar al-Assad, sous l’égide de la Russie, pour permettre le déploiement de l’armée syrienne dans le nord du pays. Le but : stopper l’avancée des troupes turques et de leurs supplétifs. En échange de la protection de Damas, plusieurs villes sous contrôle kurde brandiront à nouveau l’étendard de la République arabe syrienne. Les détails exacts de cet accord ne sont toutefois pas encore connus.

«Que des ennemis»

Le monde a changé il y a à peine une semaine, depuis le début de l’opération d’Ankara, lancée à la faveur du retrait américain. Le président Recep Tayyip Erdogan avait promis une «bande de sécurité» à la frontière pour repousser les forces kurdes, considérées par la Turquie comme une organisation terroriste. Un assaut qui a provoqué l’exode d’au moins 130 000 civils, selon les Nations unies. Plusieurs dizaines de voitures faisaient la queue, dès 6 heures du matin lundi, au poste-frontière irako-syrien de Semalka, leurs passagers espérant trouver refuge au Kurdistan irakien. Mohammed Ali, 58 ans, accompagne sa femme et ses deux filles, qu’il veut mettre en sécurité de l’autre côté de la rivière. «C’est une crise sans précédent. Nous n’avions pas d’autre choix que de passer un accord avec le régime», estime ce Kurde de Tall Tamr. Sur la plaine morne, l’aurore ressemble à s’y méprendre à un crépuscule. «C’est une bonne solution. Je pense que le régime prendra juste les postes-frontières et pas le contrôle de tout le Rojava», tente-t-il de se rassurer. Sans savoir que sa ville natale tombera quelques heures plus tard dans le giron de Damas.

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Ballottés au gré des batailles et des allégeances politiques mouvantes, les Kurdes étaient parvenus au fil du conflit en Syrie à bâtir leur propre région de facto autonome, sans toutefois jamais couper complètement le contact avec Damas, malgré des relations pour le moins houleuses, que ce soit sous Bachar al-Assad ou sous son père, Hafez. Aujourd’hui, l’administration kurde est visiblement en train de s’effondrer, signant peut-être la fin du «Rojava» en tant que projet politique. «Ce dont nous sommes certains, c’est que le régime n’a jamais cessé d’exiger une capitulation totale sans rien accorder aux Kurdes. Et les Kurdes sont extrêmement faibles en ce moment, ils n’ont aucun moyen de pression», analyse Elizabeth Tsurkov, chercheuse au Foreign Policy Research Institute.

Samedi déjà, des dizaines de familles se pressaient contre les portes closes de Semalka. Peau flétrie et yeux éraillés par la guerre, l’odyssée de Maryam Ibrahim l’a amenée jusqu’aux rives du Tigre. «Je ne peux plus pleurer, je n’ai plus de larmes à verser. Je ne peux pas marcher, mes jambes ne me portent plus. Je veux simplement que Dieu arrête cette guerre, plaide la matriarche de 70 ans, en sanglots. Mais je crois que nous n’avons que des ennemis. C’est l’opinion de la vieille femme que je suis.» Autour d’elle, les enfants sont inconsolables.

La guerre syrienne se conjugue au pluriel. Il y avait déjà l’assaut du régime contre les révolutionnaires, l’opération de la coalition internationale contre le groupe Etat islamique, l’EI contre tout le monde, Israël contre les alliés de Téhéran, Téhéran en soutien à Bachar al-Assad, Bachar al-Assad appuyé par Moscou, Moscou contre les groupes rebelles modérés et ceux financés par Doha ou Riyad, les islamistes contre les islamistes, contre les Kurdes, désormais partenaires du régime contre les Turcs.

«Le moment clé que nous devrons surveiller, c’est le moment où la Russie fermera, ou pas, l’espace aérien au-dessus de la Syrie. A ce jour, la Turquie a bénéficié du refus des Etats-Unis de fermer l’espace aérien au-dessus des zones kurdes pour empêcher les frappes aériennes turques. Pour que cet accord fonctionne, la Russie devra fermer l’espace aérien à ces attaques, estime Nicholas Heras, analyste au Center for New American Security. En fin de compte, cet accord constitue la première étape d’une longue route vers l’éventuelle intégration du nord et de l’est de la Syrie [sous contrôle kurde] dans un futur Etat syrien dirigé par Bachar al-Assad.»

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Echo des explosions

Lorsque Imane Haj Mamo a entendu les premiers avions, elle n’y a d’abord pas prêté attention, croyant reconnaître le bruit des jets de la coalition internationale qui combattent l’Etat islamique. Puis les bombes turques sont tombées. Elle est partie de chez elle sans rien emporter – pas même les médicaments de sa fille malade – et a trouvé refuge avec ses enfants et deux autres familles dans une école primaire à Hassaké. Femmes et enfants ont fui la bourgade frontalière de Ras al-Ain mercredi, au début de l’offensive turque, tandis que leurs maris sont restés pour défendre leur maison.

Cette mère de 40 ans ne connaît que trop bien l’exode. Elle avait déjà dû fuir Alep en 2012 lors des affrontements entre les rebelles et le régime de Bachar al-Assad. Elle avait alors trouvé refuge à Kobané. Puis l’Etat islamique est arrivé et a tué son père et son frère aîné, Arûn. Il a alors fallu fuir Kobané. Elle vivait à Ras al-Ain depuis cinq ans lorsque la guerre est revenue frapper à sa porte. Il a fallu fuir à nouveau. Sa voix s’effrite. En larmes, elle se demande : «Où irons-nous ensuite ?»

A Qamichli, capitale (déchue ?) de la région kurde, les rues habituellement noires de monde sont désertes depuis le début de l’offensive. Le silence seulement interrompu par les aboiements de chiens errants et l’écho des explosions. Si le désespoir avait un parfum, il sentirait probablement comme l’intérieur de l’hôpital Farman. Les mots ne suffisent plus, les fluides racontent : on y pleure ses morts et on y sue de terreur, les plaies font couler un sang tiède. Les bouches, elles, crachent sur «l’abandon» américain. «C’est une catastrophe, c’est une catastrophe», marmonne un chirurgien orthopédique. Les chambres qui accueillent les blessés ont des airs de veillées funéraires. Massoud Ali Mehdi a eu l’abdomen transpercé dans une explosion : «Nous avons bien plus peur des Turcs que de Daech. Nos combattants ont donné leur vie pour vaincre les jihadistes, et maintenant Erdogan est là pour nous achever.»

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Paranoïa

Même discours dans le dispensaire de Tall Tamr, à 100 kilomètres au sud-ouest de Qamichli. «Où sont les Américains ? Où ?» demande dans le vide Delil Hassakeh (un nom de guerre). Allongé sur un brancard orange, ce combattant arabe a été blessé au niveau de la jambe et du dos dans une frappe aérienne qui a coûté la vie à son meilleur ami. «J’ai combattu au sein des Forces démocratiques syriennes [sous leadership kurde, ndlr] pour reprendre Raqqa à Daech. Cette bataille n’était rien en comparaison avec ce que l’on vit maintenant. Daech, au moins, n’avait pas d’avions de chasse», lâche-t-il dans un grognement d’agonie alors que des infirmiers le transportent vers le bloc opératoire.

Soudain, un crépitement. Les balles se perdent dans le ciel de Tall Tamr. «Une cellule dormante de Daech attaque», assure le soldat qui garde l’entrée de l’hôpital. Quelques minutes plus tard, le silence reprend ses droits. Sur place, des témoins de l’événement racontent : quatre ou cinq hommes masqués roulaient derrière un pick-up des YPG, qui ont tiré en l’air lorsqu’ils ont vu qu’ils étaient suivis. Les individus ont tenté de s’échapper avant d’être arrêtés. Etaient-ils vraiment de Daech ? L’ennemi – les ennemis – semble omniscient et, dans le chaos ambiant, la paranoïa atteint des sommets. Les autorités kurdes ont annoncé dimanche la fuite de près de 800 proches de jihadistes de l’Etat islamique d’un camp de déplacés. D’autres évasions ont aussi été rapportées. Quelque 12 000 combattants de l’organisation terroriste, dont 2 500 à 3 000 étrangers, seraient détenus dans les prisons sous contrôle des Kurdes. Autant de bombes à retardements.

Les répercussions des derniers développements sont tentaculaires et représentent un cauchemar pour les chancelleries européennes, pour ne citer qu’elles. Les combattants occidentaux de Daech et leurs familles, détenus dans des camps et prisons à travers le Kurdistan syrien, finiront-ils entre les mains du régime d’Al-Assad, à qui les Européens ne reconnaissent pas de légitimité ? Jusqu’où iront les jihadistes parvenus à s’échapper ? Le chaos actuel sera-t-il un terreau fertile à la résurgence de l’organisation terroriste, déjà bien entamée ? Ces questions pourraient hanter la région pour les années à venir. Mais au Kurdistan syrien, l’heure est pour l’instant au deuil. L’adage qui veut que «les Kurdes n’aient pour amies que les montagnes» a, disent ces balafrés, rarement sonné si vrai.

15 octobre 2019

Donald Trump change de ton sur la Syrie, sans revenir sur le retrait des troupes américaines

Le président américain a décidé de prendre des sanctions, surtout symboliques, contre plusieurs ministres d’Ankara et le rétablissement de taxes sur l’acier turc.

Par Gilles Paris  

Les Etats-Unis ont tenté de sortir de leur état de sidération sur le dossier syrien, lundi 14 octobre. Une semaine après avoir pris acte de la volonté de la Turquie de s’attaquer aux alliés kurdes de Washington dans le nord-est de la Syrie, retirant en conséquence les forces spéciales américaines déployées à la frontière, Donald Trump a changé de ton au cours d’une nouvelle conversation téléphonique avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan.

Selon le vice-président des Etats-Unis, Mike Pence, qui va se rendre très prochainement à Ankara avec le conseiller à la sécurité nationale Robert O’Brien, Donald Trump a « très clairement indiqué » que Washington « souhaite que la Turquie mette un terme à l’invasion, mette en œuvre un cessez-le-feu immédiat et entame des négociations avec les forces kurdes en Syrie afin de mettre fin à la violence ».

Une fermeté tardive, les Etats-Unis s’étant dans un premier temps contentés de juger que cette offensive était « une mauvaise idée », alors que Donald Trump a répété sur Twitter, lundi encore, sa volonté de se désengager de la région. « Quiconque veut aider la Syrie à protéger les Kurdes me convient bien, que ce soit la Russie, la Chine ou Napoléon Bonaparte. J’espère qu’ils vont tous très bien, nous sommes à 7 000 miles ! », a écrit le président des Etats-Unis avec désinvolture. Il n’a pas caché son désir de se concentrer sur une autre frontière, celle qui sépare son pays du Mexique.

Des sanctions surtout symboliques

« Pendant des années, les Etats-Unis et nos partenaires kurdes syriens se sont battus héroïquement pour piéger l’organisation Etat islamique [EI] et détruire son califat », a déploré, lundi, le chef de la majorité républicaine du Sénat, Mitch McConnell. « Abandonner cette lutte maintenant et retirer les forces américaines de la Syrie recréeraient les conditions » d’une résurgence djihadiste, s’est-il inquiété.

Sans doute pour tenir compte du mécontentement que sa gestion de l’offensive turque a provoqué dans les rangs républicains, Donald Trump a signé un décret exécutif imposant des sanctions surtout symboliques contre les ministres de l’énergie, de la défense et de l’intérieur de Turquie. Leurs éventuels avoirs aux Etats-Unis sont gelés et leurs transactions internationales en dollars sont bloquées.

De même, des taxes visant l’acier produit en Turquie ont été rétablies. Washington a enfin gelé des négociations en vue d’un accord commercial. Le secrétaire américain à la défense, Mark Esper, doit par ailleurs se rendre à Bruxelles pour inviter les autres membres de l’OTAN, dont est membre Ankara, « à prendre des mesures diplomatiques et économiques collectives et individuelles en réponse à ces odieux actes turcs ».

« Une montée du chaos »

« Je suis tout à fait prêt à détruire rapidement l’économie turque si les dirigeants turcs continuent sur cette voie dangereuse et destructrice », a assuré le président des Etats-Unis. Il n’a pas convaincu les démocrates. « Le président Trump a déclenché une montée du chaos et de l’insécurité en Syrie. Son annonce d’un ensemble de sanctions contre la Turquie n’est vraiment pas suffisante pour renverser ce désastre humanitaire », a jugé dans un communiqué la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi.

La détermination apparente du président a été, il est vrai, contredite par la poursuite du retrait des soldats américains bousculés par leurs alliés turcs. « Je retire les derniers membres des forces armées américaines du nord-est de la Syrie », a confirmé Donald Trump, alors qu’un haut responsable de son administration avait assuré, il y a tout juste une semaine, que ce moment n’était pas venu.

Le président a ajouté que « les troupes évacuées de Syrie se redéploieront et resteront dans la région pour surveiller la situation et empêcher une répétition de 2014 ». A savoir la résurgence d’un mouvement djihadiste qui avait contraint Washington à mettre sur pied une coalition internationale. Aujourd’hui totalement prise de court par les derniers événements.

Leur enchaînement, dévastateur pour le crédit des Etats-Unis, rend totalement illusoire cette tentative de revenir à la situation qui prévalait avant l’échange téléphonique du 6 octobre entre Donald Trump et Recep Tayyip Erdogan. Le vide laissé par les forces spéciales américaines a en effet été immédiatement mis à profit. A la fois par les troupes turques et par les forces du régime de Bachar Al-Assad, vers lequel les Kurdes syriens se sont tournés en désespoir de cause.

14 octobre 2019

La lettre politique de Laurent Joffrin

prsident tunisie

Pour la Tunisie

La nouvelle n’est pas très bonne. Mais à y réfléchir, elle n’est pas si mauvaise. A une forte majorité, les électeurs tunisiens ont porté au pouvoir un juriste austère et conservateur, Kaïs Saïed, qui présidera désormais aux destinées du pays où s’est déclenché le printemps arabe. Ce président, qui veut marier, pour faire court, la démocratie à l’occidentale avec «l’identité arabo-musulmane», suscitera difficilement l’enthousiasme des progressistes. Il défend des conceptions sociétales plutôt réactionnaires, par exemple en approuvant les lois prohibant l’homosexualité ou celles qui prévoient que la femme reçoit en héritage la moitié des biens dévolus aux hommes. On fait mieux en matière de modernisme.

De la même manière, la participation a été faible, et lors des élections législatives qui ont eu lieu entre-temps, le parti islamiste Ennahda est arrivé en tête (avec 18% des voix et une participation encore plus faible qu’à la présidentielle).

Mais si l’on s’arrêtait là, on appliquerait à la jeune démocratie tunisienne des critères européens quelque peu iréniques et condescendants. Comme si la Tunisie était une vieille République à la suisse où les coutumes démocratiques et laïques sont à l’œuvre depuis des générations. La République française, pour prendre un exemple, a mis un bon siècle à se stabiliser, après d’innombrables soubresauts et retours en arrière. Elle est mal placée pour donner des leçons à un pays longtemps colonisé (par la France), puis soumis au nationalisme autoritaire d’un Bourguiba et, surtout, à la dictature cruelle et minutieuse de Zine el-Abidine Ben Ali.

En comparaison des pays voisins, la Tunisie est un havre de paix et de liberté. La Constitution est respectée, la campagne électorale, quoique baroque (l’un des principaux candidats est resté en prison jusqu’à trois jours du scrutin), a été pacifique, la presse est diverse, les différents concurrents ont tenu meeting sans violence, ils se sont librement exprimés à la télévision, etc. Rien à voir avec la Libye voisine, en guerre civile, ou avec l’Egypte, soumise à une dictature militaire. Quant à l’Algérie et le Maroc, ces pays ont le plus grand mal à se débarrasser des scories autoritaires de l’oligarchie militaire (à Alger) ou de la monarchie traditionnelle (à Rabat). Ne parlons pas des théocraties osbcurantistes d’Arabie Saoudite ou d’Iran. La Tunisie offre l’exemple rare d’un pays musulman qui laisse sa place au pluralisme, à la liberté d’expression, à l’Etat de droit et à la liberté de conscience.

Le nouveau président est conservateur en matière de mœurs. Mais il a aussi un programme de démocratisation décentralisée et jure solennellement que lui, constitutionaliste respecté, compagnon de route du printemps tunisien, respectera scrupuleusement la Loi fondamentale. Si tel est le cas, il reviendra à l’opposition progressiste de s’organiser pour convaincre une majorité de Tunisiens de la suivre. Ce qui est le jeu normal. On pourra légitimement critiquer tel ou tel aspect du mandat qui commence. On se gardera de le juger de haut.

LAURENT JOFFRIN

president tunisien

14 octobre 2019

Réduits à solliciter le renfort de Damas, les Kurdes pleurent la fin d’un monde

Par Allan Kaval, Kamechliyé, Syrie, envoyé spécial

Les Forces démocratiques syriennes ont dû se résoudre à passer un accord avec le régime pour contrer l’offensive turque dans le nord du pays.

A l’hôpital de la Miséricorde, à Kamechliyé, la plus grande ville kurde de Syrie, le monde semble s’être effondré, dimanche 13 octobre. Un homme hurle de douleur, la peau du visage en lambeau, tandis qu’un soignant lui bande la jambe et qu’un autre, impassible, inscrit au marqueur sur son torse des instructions médicales. Une infirmière sexagénaire, les yeux fardés à l’excès, observe la scène, debout dans la cohue. Le docteur Shamel a du sang sur sa blouse verte tout élimée. Il vient de recoudre une blessure profonde. « Trump, Macron, Johnson… Vous nous avez utilisés, maintenant vous vous débarrassez de nous ! Les seuls responsables de tout ça, c’est cette coalition de menteurs, ce Conseil de sécurité de menteurs, ces pays de menteurs », scande le docteur Shamel, dans un anglais furieux, désespéré.

Un homme qui passe dans le hall, mis sans dessus dessous, reprend la parole : « Qu’est-ce qu’on vous a fait, nous les Kurdes ? » Les blessés hurlants, les brûlures, les corps cassés, le désespoir qui règne dans le petit hôpital de quartier de Kamechliyé, sont les échos d’un massacre aux victimes encore chaudes. Plus tôt dans la journée, l’artillerie turque a décimé un convoi de civils, encadrés par les forces kurdes, se dirigeant vers Ras Al-Aïn, à une centaine de kilomètres à l’Ouest pour protester, à leur corps défendant, contre l’invasion menée par la Turquie et ses milices islamistes. Dix au moins sont morts, portant le nombre des victimes depuis le début de l’offensive turque, le 9 octobre, à 60 civils et 104 combattants kurdes, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Parmi le flot de blessés dans ce convoi, se trouve l’homme qui hurle à l’hôpital de la Miséricorde.

130 000 personnes sur les routes en cinq jours

Dehors, la nuit noire de Kamechliyé est parcourue d’hommes en armes, de bouts de cigarettes incandescents et de rumeurs sinistres. Les communications sont mauvaises mais on sait que l’armée turque et ses soudards avancent dans le pays, que la frontière est débordée depuis longtemps. En cinq jours, 130 000 personnes ont été jetées sur les routes. On a vu leurs camionnettes surchargées bringuebaler leurs visages en sueur, leurs couvertures à fleurs entassées à l’arrière. Les écrans des téléphones portables sont saturés d’images d’exécutions sommaires, d’informations invérifiables, de photographies d’enfants paniqués, et d’enfants morts aussi. La défaite a mis moins d’une semaine pour s’installer. Et, lundi dès l’aube, le régime meurtrier de Bachar Al-Assad sera de retour, toutes couleurs dehors dans les rues du nord-est syrien.

La coalition internationale, amie des jours heureux, s’enfuit. Dimanche 6 octobre, le président Donald Trump avait ordonné le retrait des quelque mille soldats américains du nord syrien. Ces jours-ci, aurait pu être fêté le cinquième anniversaire d’une alliance forgée sur les ruines en résistance de Kobané. En novembre 2014, la petite ville kurde à la frontière turco-syrienne, assiégée par les djihadistes, avait ému le monde et précipité dans son ciel des avions occidentaux. Le partenariat militaire noué alors a, dans les années qui ont suivi, débarrassé le nord-est syrien du drapeau noir du califat autoproclamé de l’organisation Etat islamique (EI). Les Forces démocratiques syriennes (FDS, à majorité kurde) ont pris Rakka, la capitale de l’EI, deux années seulement après les attentats de novembre 2015, qui y avaient été conçus. Mais le temps des victoires est révolu.

Les milices pro-turques contrôlent désormais Tal Abyad et une quarantaine de villages de la zone frontalière jusqu’à l’ouest de Ras Al-Aïn, ville qui leur échappe encore. Le régime syrien s’apprête à investir Manbij et Kobané à la frontière turque, mais aussi Kamechliyé et Hassaké sur l’arrière-front.

Incapacité des alliés occidentaux à les défendre

En désespoir de cause, devant l’incapacité de leurs alliés occidentaux à les défendre contre la Turquie, membre de l’OTAN, et de ses miliciens islamistes, les FDS ont dû laisser entrer le régime qui n’attendait que cela. Ils ont annoncé, dimanche soir, avoir conclu un accord avec Damas pour le déploiement de l’armée syrienne dans le nord du pays, en soutien aux FDS, afin de s’opposer à l’avancée rapide des troupes turques et de leurs alliés. Le régime Assad a immédiatement annoncé l’envoi de troupes dans le Nord pour « affronter » l’« agression » turque. La tenaille s’est refermée sur les Kurdes syriens et leurs alliés du nord du pays.

Mais la guerre est-elle terminée ? « Nous nous sommes préparés à ce jour », confiait la veille à Kamechliyé une haute responsable kurde, Fawza Youssef, qui en a vu d’autres. On venait d’enterrer dans le cimetière militaire des FDS quatre victimes de la guerre. Fawza Youssef pleurait, seule dans la foule, tandis que les slogans du mouvement kurde retentissaient : « Les martyrs sont immortels, les martyrs sont immortels ! »

Pleurait-elle ces nouveaux morts, venus rejoindre, dans des tombes aux couronnes fleuries, les dix mille jeunes hommes et femmes tombés au combat ? Ou pleurait-elle la fin d’un monde ? L’effondrement de cet écheveau d’institutions mises en place patiemment par le mouvement kurde, dont le caractère autoritaire était doublé d’une ambition folle de transformer le monde, avec ses communes autonomes placées sous la férule des cadres du parti, la parité imposée à tous les étages, les grandes mises en scène de l’amitié entre les peuples ? Ou pleurait-elle encore le temps où les grandes puissances du monde entier les courtisaient avant de tourner casaque ?

Un peu plus tard dans son bureau désert, installé dans l’ancienne gare de Kamechliyé, souriante, elle croyait encore à des pressions internationales sur Ankara, à un retournement de situation. Mais, derrière les traits d’esprits et les yeux rieurs, le mot qu’elle prononçait avec le plus de conviction était celui de « résistance » : « La guerre en uniforme et les bureaux officiels, c’est terminé. Nous sommes passés maintenant en mode guérilla contre la Turquie. » Fawza Youssef affirmait que des messages avaient déjà été envoyés au régime syrien en vue d’un accord et d’une réponse commune à l’invasion turque mais qu’ils n’avaient pas trouvé de réponse. En moins de vingt-quatre heures, la situation a changé.

Déjà, les routes ne sont plus sûres, les communications impossibles et les informations rares d’un bout à l’autre du territoire. Dans les zones grises en pleine métastase se regroupaient des cellules dormantes de l’EI et des groupes pro-turcs fourbissant leurs armes. Dans les prisons et dans les camps, les djihadistes étrangers, européens, français, bouillaient de se voir libérer par l’armée d’invasion ou de vivre le moment où le chaos leur ouvrirait grand les portes.

Il est déjà trop tard. L’issue cauchemardesque dont les forces kurdes avaient maintes fois averti leurs partenaires occidentaux a fini par se matérialiser. Malgré le retour du régime, l’EI peut prendre un second souffle. Une nouvelle ère de sang s’est ouverte, dimanche soir. Elle avait commencé, le dimanche précédent, par un coup de téléphone, entre Washington et Ankara.

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